L'approche des vacances semblait rendre les couloirs du château plus légers. Le retrait des Gryffondors avait comme conséquence indirecte d'apaiser – en apparence, les relations entre les maisons, mais cela n'était pas des plus rassurant pour autant. Non seulement, après les réactions de leur préfet, nous pouvions sincèrement nous demander quand cette partie des Gryffondors allait finir par littéralement imploser – et ce qui arriverait alors, mais il suffirait qu'ils vivent à nouveau normalement parmi nous pour que les tensions réapparaissent. Si la paranoïa de Griffin m'avait laissé quelque peu sidérée lors de la réunion, elle m'avait franchement inquiétée une fois les événements digérés. Il était étrange d'être prise dans ce genre de fantasme ; j'avais l'impression qu'une autre version de moi-même vivait dans sa tête et s'était particulièrement dérangeant – et inquiétant. Dans tous les cas, Harper avait eu raison d'intervenir malgré tout. Nous avions étés à deux doigts de nous mettre Griffin définitivement à dos. Même s'il n'avait pas souhaité participer à la démarche collective, au moins avait-il quitter la salle de classe relativement plus apaisé. Miller avait décidé de prévoir la réunion avec les directeurs de maison – et notre Directrice, en fin de semaine et souhaitait que nous soyons tous présents pour la préparer. Il fallait nous accorder sur ce que nous dirions exactement.

La majorité des préfets avait semblé partante pour que nous essayions de passer par la famille proche des Deuxièmes Années ; malheureusement, nous avions vite réalisé que très peu de frères et sœurs étaient encore présents à Poudlard. Il n'y avait qu'un seul élève concerné à Serdaigle – comme l'était Lilith à Serpentard, lorsqu'ils étaient à peine deux à Gryffondor et trois à Poufsouffle.

Poudlard était en effet quelque peu excitée par Noël qui approchait ; les décorations permettaient de rendre l'atmosphère moins froide et bien plus chaleureuse. D'une certaine manière, cela laissait la même impression qu'à Pré-au-lard et rappelait qu'il était possible d'avoir une certaine légèreté dans les couloirs du château. Les rires étaient un peu plus nombreux et, cette fois-ci, ne semblaient pas moqueurs.

Bien qu'il s'agissait de la période préférée d'Alice, celle-ci semblait plus avoir à cœur de s'éloigner dès que le hasard avait la drôle d'idée de me positionner trop proche d'elle que de profiter de l'ambiance qu'elle chérissait habituellement. Dans ces moments, j'éprouvais l'envie somme toute violente de lui envoyer son Sorcière Hebdo dans la figure. Elle était vraiment agaçante. Même si James avait probablement raison, je n'arrivais pour le moment pas à me résoudre à aller vers elle ; je ne voyais pas pourquoi je devais être celle qui ferait le premier pas - ce n'était pas moi qui avais réagi comme une connasse, et je ne voyais très certainement pas comment, si l'envie folle me prenait de le faire malgré tout, je pourrais bien m'approcher d'elle sans qu'elle prenne la fuite à l'autre bout de la salle commune. Le temps que mon esprit puisse se reposer un peu après les – trop nombreux, récents évènements, j'avais donc décidé de simplement ignorer la blonde.

Bien évidemment, le cours de potion cette semaine fut tout à fait particulier. La présence de Lilith à mes côtés avait rendu bien difficile de soutenir mon attention plus de quelques secondes sur ce que j'étais en train de faire. À vrai dire, je n'étais pas bien sûre de ce que nous devions préparer pour ces travaux pratiques.

Il était évident que Lilith avait noté ma très faible concentration ; elle m'avait facilité le travail en me glissant sur la table ce dont je devais m'occuper au fur et à mesure, et elle s'était penchée seule au-dessus du chaudron pour s'occuper du reste, de sorte à ce que je n'avais eu qu'à mécaniquement couper ce que j'avais face à moi. Pour autant, elle n'avait fait aucun commentaire. Elle tentait manifestement de paraître la plus naturelle possible, et je lui en étais reconnaissante, mais après la journée que nous avions passé ensemble, j'étais tout bonnement incapable de faire de même. Je n'avais pas sa distance.

Et puis, tout chez elle me rappelait cette journée. Notre silence habituel rendait encore plus saillante la facilité avec laquelle nous avions discuté, ses doigts qui avaient l'habitude de souligner le nom des étiquettes des fioles qu'elle me prenait de temps en temps en main me rappelaient ses doigts dans mon cou, son air tout à fait concentré contrastait avec ses sourires, et sa posture rigide – entre autres choses, m'évoquait son corps détendu blotti contre le mien. Tout chez elle me rappelait combien j'avais envie que nous soyons ensemble et combien cette situation était ridicule. Je n'en pouvais plus.

- Est-ce que nous pouvons parler ? demandai-je finalement.

Elle reposa la fiole qu'elle tenait en main avant de se retourner vers moi. Je me sentis défaillir quand ses yeux se plantèrent dans les miens. Lilith appréhendait manifestement ce que je pouvais lui dire. Il y avait une certaine tristesse dans ses yeux ; elle anticipait déjà ce qu'elle pensait ressentir et cela me serra le cœur. Elle avait eu le même regard devant les vestiaires et dans le minuscule couloir de la maison à Pré-au-lard.

- Peut-être après les cours ? proposai-je en essayant de garder contenance. Si tu es libre.

- Je le suis.

- Tu as astronomie, non ? Je serai en runes, peut-être que l'on peut se retrouver à mi-chemin.

- Très bien.

Ses réponses particulièrement courtes me stressèrent. Pour me répondre aussi succinctement, son état devait probablement se rapprocher du mien – après tout, elle avait bien semblé persuadée que je refuserai de continuer, et elle était, pourtant, tout à fait en mesure de donner le change. En réalité, de la voir ainsi, si appliquée à paraitre tout à fait normale et si prévenante à mon égard, alors qu'elle était de toute évidence elle-même dans un état particulier me laissa pendant un instant tout à fait interdite ; Lilith était vraiment une bonne personne. Paradoxalement, cela avait comme conséquence très indirecte de me faire redouter un certain scénario. Je n'avais qu'une seule véritable crainte concernant toute cette « situation » et la formuler serait particulièrement difficile, mais je lui devais d'essayer. À cette réalisation, le stress qui était le mien depuis quelques minutes s'intensifia et mon corps réagit d'un nouveau coup de chaud. Mon ventre se serra et mes mains devinrent moites ; finir cette potion – dont je n'étais même pas sûre de ce qu'elle devait être, allait relever du miracle.

Le reste de la journée fut tout aussi difficile à passer que fut la potion à terminer ; mon ventre avait fait des siennes toute l'après-midi et le stress n'était jamais réellement descendu. Mon corps semblait avoir enregistré une information qui n'était pas encore parvenue à mon cerveau et la sensation était des plus désagréable. Cela ne s'améliora pas quand j'aperçus enfin Lilith à la fin de nos cours. Nous nous dirigions silencieusement vers une classe vide et elle s'adossa aussitôt contre le mur.

Depuis le début, Lilith avait été celle qui avait posé le cadre de nos rencontres ; l'aile est du château, les vestiaires après l'entrainement de quidditch, ainsi que notre rendez-vous à Pré-au-lard, elle avait été en contrôle de la situation et avait, de fait, su à quoi s'attendre. Ce n'était clairement pas le cas ici. Son discours était beaucoup moins structuré – et bien moins volumineux, et elle semblait grandement redouter ce que je pourrais lui dire ; même si elle essayait manifestement de contrôler son attitude - il lui semblait coûteux de se maintenir droite malgré le mur contre son dos.

- J'ai besoin de comprendre pourquoi il est inenvisageable pour toi de ne pas obéir à ta famille, lançai-je d'une traite.

Son corps se tendit et la tristesse passa rapidement sur son visage. Je me sentis coupable de la mettre dans un tel état.

- Eyrin, s'il te plaît, implora-t-elle, ne me mets pas dans une position où je dois défendre quelque chose que je n'ai pas envie de faire.

- Ce n'est pas mon intention, bredouillai-je, prise au dépourvu. Mais…

Je soupirai. Peu importe quelles étaient mes intentions, c'était ce que je lui demandais en réalité et il fallait être particulièrement de mauvaise foi pour le nier. Tout allait si vite dans mon esprit et j'avais tellement mal au ventre ; et chaud, je n'en pouvais plus de cette chaleur.

- Tu sais, dis-je soudainement, toute cette histoire de legilimancie ? ça m'est égal. Tu sais pourquoi ? Parce que je sais que tu es fondamentalement une bonne personne. Et peut-être que je ne te connais pas vraiment, alors peut-être que je me trompe et que je suis juste stupide, mais je n'y peux rien : je sais au fond de moi que tu es vraiment une bonne personne. Alors je te fais confiance. Te faire confiance pour la legilimancie, ça veut dire que je te fais confiance pour ne pas l'utiliser. Donc que tu sois legilimens, ça me passe au-dessus de la tête, je n'y penses même pas. Même si je devrais peut-être quand même y donner une certaine considération, rajoutai-je rapidement en pensant à voix haute, je veux dire ce n'est pas anodin. Mais te faire confiance pour cette autre… complication, pour le mariage ? C'est finir par m'attendre à ce que tu ne te marries pas. Et…

Je me raclai la gorge alors que je sentis ma voix sur le point de partir.

- Et je ne peux pas, repris-je. Je ne peux pas avoir le cœur brisé parce que tu me quittes et le cœur brisé parce que je m'attendais à ce que tu finisses par avoir ce grand geste romantique des romans d'Emily. Ou d'Alice, ajoutai-je, elle les lit toujours quand elle croit qu'on ne la voit pas. Bref, ce que je veux dire, c'est que j'ai besoin de comprendre pourquoi tu sembles si… fataliste. Peu importe les raisons, j'ai besoin d'avoir la même histoire à me raconter à chaque fois que je me retrouverai à espérer quelque chose qui, de toute évidence, est inenvisageable pour toi. Et honnêtement, j'ai l'impression qu'il y a toute une partie de toi qui explique cette fatalité et je ne la connais pas et ça m'attriste parce que de toute évidence, ça reste une partie de toi.

Je n'avais clairement pas sa structure des grands discours, mais l'essentiel était là. Ma respiration était saccadée et j'éprouvais des difficultés à respirer normalement, probablement que ces coups de chaud intempestifs m'entravaient plus que ce que je voulais bien croire.

La réaction de Lilith fut assez ambiguë, elle détourna le regard un instant mais ne sembla pas trouver de point d'accroche suffisamment satisfaisant et finit simplement par reposer ses yeux sur moi. Elle était définitivement triste et mon cœur se serra. La voir ainsi me peinait, mais savoir que j'étais celle qui la mettait dans un tel état rendait la chose bien plus douloureuse encore. J'étais tiraillée entre l'envie de m'excuser - et d'arrêter net notre discussion, et le besoin viscéral d'avoir une réponse de sa part.

- Que se passe-t-il si tu n'aimes pas ces raisons, Eyrin ? Ou si tu venais à ne pas les trouver convaincantes ? J'ai l'impression que ma réponse va conditionner la tienne et cela me met dans une position inconfortable. J'ai l'impression de passer un test.

- J'ai déjà pris ma décision, réalisai-je en même temps que je parlais. Peu importe ces raisons, ça ne changera pas ma réponse. J'ai juste… J'ai juste besoin de comprendre et de limiter la casse. Je ne veux pas espérer comme une idiote que tu…

Ma gorge allait finir par saigner à force de la racler. Je secouai la tête, ce n'était franchement pas le moment de me mettre à pleurer comme une troisième année.

- Il est évident pour moi, repris-je comme je le pouvais, que ce que nous avons, peu importe ce que c'est, n'est pas anodin, et peut-être que je suis stupide mais tu ne serais pas comme ça avec moi si tu ne le pensais pas toi non plus. Et je sais que c'est stupide parce que si ça se trouve nous ne serons même plus ensemble l'année prochaine, mais une partie non-négligeable de moi ne croit absolument pas à ce scénario. Et… Et je ne supporterai pas d'espérer de toi quelque chose que tu ne peux pas me donner. J'ai besoin de comprendre pourquoi tu ne peux pas me le donner. Je sais que tu as dit ne pas me demander de comprendre, mais j'en ai besoin pour ne pas espérer. Je te promets que je ne m'indignerai pas, j'ai bien compris que ce n'était pas ma place et que ça ne ferait que rendre la situation plus difficile pour toi. Enfin, je ne m'indignerai pas à voix haute, ajoutai-je rapidement. Je ne peux pas m'empêcher de penser non plus. Et je te promets que je ne te jugerai pas.

Son regard triste disparut au profit de son air réflexif et j'eus l'impression de pouvoir respirer à nouveau normalement. Au bout de quelques minutes de silence, son corps sembla enfin se détendre et, pendant un instant, je m'autorisai à mon tour à relâcher la pression.

- Cela serait plus simple si je pouvais te le montrer, répondit-elle enfin. Si tu peux envisager de m'attendre ici quelques minutes, notre salle commune n'est pas si loin. J'y ai quelques affaires que j'aimerais récupérer. Enfin, se corrigea-t-elle, surtout une chose en particulier.

J'acquiesçai, étrangement soulagée. Ce que je lui demandais ne lui était de toute évidence pas anodin ; elle en venait après tout à préférer me montrer quelque chose plutôt qu'en discuter, bien que je ne savais pas trop à quoi je devais m'attendre exactement. Lorsque la porte de la salle de classe se referma derrière Lilith, mon corps sembla pouvoir enfin relâcher la tension accumulée depuis ce week-end et je m'assis sur l'une des tables de la salle.

Leur salle commune ne devait effectivement pas être très éloignée de l'endroit où nous nous étions retrouvées, car elle revint pas moins de dix minutes plus tard avec un tissu en main. Je relevai les yeux. Elle sourit en m'apercevant sur la table et je ne pus m'empêcher de sourire à mon tour.

- J'espère que je n'ai pas été trop longue.

- Pas du tout.

D'un coup de baguette, Lilith fit déplier le tissu – en réalité une couverture blanc cassé, et la laissa léviter dans les airs entre nous. L'opération nécessita quelques longues secondes ; la couverture était particulièrement grande. Ma surprise disparut aussitôt que j'aperçus les broderies qui ornaient le tissu. L'arbre généalogique des Parker.

- Je te présente les Parker, dit-elle avec un sourire. C'est une couverture qui passe de mère en fille. Enfin, nous en avons plusieurs, mais celle-ci est issue de notre branche. Elle appartenait à ma mère et est l'une de celles qui remontent le plus loin.

Il y avait probablement une centaine de noms et de prénoms – voire plus, il était difficile de tout apercevoir d'un coup d'œil, reliés parfois les uns aux autres par des lignes particulièrement décoratives. Des motifs floraux, parfois, fruitiers ou marins. Je jurerai même avoir vu une licorne vert pâle remonter le long d'un trait reliant « Lynn Parker » et « Huxley Parker », père et fille. Les points des broderies s'animaient et bougeaient, les noms semblaient presque légèrement flotter sur la couverture comme s'ils avaient étés sur de l'eau, et j'étais persuadée que la couleur des fils elle-même était changeante ; c'était une fresque vivante que j'avais face à moi.

D'un geste presque automatique, je baissai les yeux vers le bas de l'arbre pour y apercevoir les parents de Lilith. Wyatt et Jillian Parker. Sa mère n'avait aucune autre connexion que celle de son mari et de ses enfants, devenir Parker par union ne donnait visiblement pas le même statut que l'être par le sang. Si sa mère avait été vivante, peut-être l'aurait-elle vouvoyée comme sa tante et sa grand-mère. En plus de sa tante et de son oncle, Lilith avait également deux cousins.

- Afin de répondre à ta question, il y a plusieurs aspects à prendre en compte. Enfin, surtout deux. Commençons peut-être par le plus simple.

Elle reprit sa baguette pour la passer rapidement au-dessus de la couverture.

- Mes ancêtres ont personnellement permis d'éviter une guerre entre deux communautés magiques de leur vivant, dit-elle.

Quelques noms se désagrégèrent en points de broderie pour disparaître entièrement. Les fils concernés par la disparition des noms glissèrent à leur tour lentement vers les extrémités de la couverture pour se fondre dans les décorations bordant le tissu. La majeure partie de la fresque, cependant, était restée intacte.

Je restai un instant interdite devant le spectacle. Ce devait être une magie bien particulière.

- Nous avons une vraie place dans la Coopération Magique Internationale, reprit Lilith manifestement plus posée, une vraie utilité dans le maintien de la paix entre les différentes communautés magiques à travers le monde. Il faut bien que tu comprennes une chose : quand deux communautés magiques ont tellement perdu l'usage de la communication qu'elles sont prêtes à se faire la guerre, nous sommes parmi les seules personnes qu'elles trouvent chacune convenable d'écouter. Certes, dans les cas les plus faciles, les diplomates arrivent très bien à gérer la situation. Mais crois-moi, il y a beaucoup de situations si complexes, avec tant d'enchevêtrements politiques, sociaux et économiques, que ces gens ne font confiance à personne. Pas à des diplomates du DCMI, pas à des Ministres, et certainement pas à des journalistes ou des intellectuels. Mais ils nous font assez confiance pour que nous puissions nous asseoir à la même table qu'eux pour parler. Un conflit entre communautés magiques met toujours l'ensemble de nos communautés en danger, car il accroit le risque que les Moldus finissent par apprendre notre existence au travers des dégâts causés. Perdre cette confiance, cette neutralité et cette légitimité, ce n'est pas juste perdre un morceau de notre patrimoine, c'est risquer un futur commun tant pour les sorciers que les Moldus.

Cela ressemblait beaucoup à ce que les sorciers disaient lorsqu'il s'agissait de défendre la servitude des Elfes de Maison ou la mise à l'écart des Centaures des sociétés sorcières – d'une certaine manière ça ressemblait même aux idioties que nous nous racontions sur les différentes maisons de Poudlard entre deux couloirs ; une histoire transmise de générations en générations pour s'assurer que personne ne dévie d'une ligne directrice décidée il y a des années par on-ne-savait-trop-qui. La structure du discours était si ficelée que Lilith donnait l'impression désagréable de réciter une leçon, c'était probablement la raison pour laquelle elle s'était manifestement apaisée. Elle avait dû entendre cette histoire plus d'une fois et se la répéter de nombreuses autres fois. Probablement parce que c'était vrai, mais peut-être aussi parce qu'elle essayait de s'en convaincre.

Elle semblait particulièrement fière de partager cet héritage et c'était tout à fait déroutant ; après tout ce que sa famille lui faisait subir, elle restait fondamentalement attachée à son histoire. Mon ventre se serra alors que la tristesse m'envahit.

- Je ne suis pas sûre de comprendre en quoi la pureté du sang est nécessaire pour maintenir cette position au sein de la Coopération Magique Internationale, répondis-je sur le ton le plus doux que j'étais capable de prendre au vu de la situation.

- Du point de vue strict de la diplomatie, certaines idéologies sorcières perdurent, enchérit-elle. Si notre sang n'était pas pur, certaines communautés magiques valorisant la pureté du sang pourraient ne pas nous accorder le même statut et nous perdrions alors notre place. Ce n'est d'ailleurs pas qu'une question de sang, mais plus une question de prestige que beaucoup de croyances associent à l'ancienneté. Nous vivons nous-même dans une société très conservatrice où les anciens dirigent. Même si certaines personnes ne croient pas en la supériorité magique d'un sang pur, elles perçoivent notre sang comme un sang ancien et, ainsi, un sang noble. Même si les sorciers ne conscientisent pas toujours ce genre de croyances, cela participe indirectement au prestige du nom. Tout comme le fait que nous soyons capables de maintenir la pureté de notre sang véhicule indirectement l'idée que nous sommes particulièrement stables. De manière générale, quoique nous puissions penser de ces idées de supériorité du sang, certaines personnes dans le monde y accordent toujours de l'importance. Perdre la pureté du sang, c'est aussi risquer d'être exclu de ces cercles. Ce n'est pas bien pratique pour nous. Bien évidemment, ajouta-t-elle en jetant un œil en haut de la fresque, la plupart des Parker qui ont vécu avant le 8ème siècle pensait réellement que leur sang était supérieur. Depuis, cette idée a disparu mais la pureté du sang était alors utile pour maintenir notre position sociale. La plupart des familles en place au pouvoir étaient de sang pur et les Parker ont continué à perpétuer le nôtre afin de rester, en un sens, dans la partie. Cela n'a pas changé aujourd'hui.

En d'autres termes, il fallait maintenir la pureté du sang parce que d'autres la maintenaient – et, eux, pour des raisons tout aussi surréalistes qu'une supériorité magique. S'infliger de telles pratiques pour maintenir une position sociale avait quelque chose d'absurde ; même si je comprenais les responsabilités sous-jacentes à ces choix que Lilith mentionnait. Peut-être les Parker auraient-ils gagné à combattre ces idéologies étranges plutôt qu'à en jouer indirectement le jeu en les faisant persister dans les communautés magiques.

Lilith ferma un court instant les yeux avant de prendre son inspiration habituelle. Son appréhension soudaine me prit au dépourvu.

- Ce n'est cependant pas la raison principale de la pureté de notre sang, reprit-elle cette fois-ci bien plus mal à l'aise. Mes ancêtres se sont mariés malgré eux, ajouta-t-elle en direction de la couverture, baguette en main.

Les points qui s'étaient préalablement rétractés sur les côtés de la couverture se mirent à bouger à nouveau. Une multitude de points puis de traits se forma avant de zigzaguer jusqu'à reformer les noms et prénoms de ses ancêtres ; bientôt, la couverture fut à nouveau complète.

J'eus une sensation étrange de vertige en réalisant ce qu'il venait de se passer ; Lilith n'avait pas eu tort d'utiliser le mot « traditions » pour parler des mariages arrangés - c'était à croire que ces gens ne connaissaient pas le concept-même du mariage d'amour, et ça ne s'améliora pas lorsqu'elle reprit la parole :

- Un Parker se sacrifie. C'est notre patrimoine : le sens du sacrifice et le sens du collectif. Il suffit d'une seule personne pour oblitérer tous ces sacrifices. Il suffit d'un moment d'égarement, d'un acte individualiste ou d'un comportement égoïste pour rendre caduque les sacrifices que tous ces gens ont fait pour nous permettre d'avoir la place que nous avons aujourd'hui. Ils ont tous été dans ma position et ils se sont tous sacrifiés. Qui suis-je pour considérer que leurs sacrifices devraient être vains ? Ne pas… obéir, comme tu le dis, c'est considérer que ma souffrance vaut plus que les souffrances combinées de toutes ces vies.

J'eus l'impression qu'un poids énorme me tombait subitement sur la tête pour me laisser complètement engourdie. Cette situation n'était pas triste, elle était tragique. Grandir dans ce genre de famille avait dû laisser un poids incroyable sur les épaules de Lilith – et d'Ethan. Je ne pouvais imaginer la violence tout à fait psychologique de ce genre de croyances et de leur perpétuation générations après générations. D'une certaine manière, chaque génération qui acceptait de jouer le jeu – encore que, pouvait-on réellement parler d'acceptation lorsque la pression était telle que Lilith me la décrivait, condamnait plus encore la suivante. C'était un cercle sans fin ; la souffrance des uns justifiait la souffrance des autres.

Ce n'était pas juste une question de fatalisme, il y avait cette culpabilité étrange qui se glissait entre les mots, et je réalisai enfin que le concept-même de l'égoïsme devait lui être particulier. Lorsqu'elle avait dit l'être, à Pré-au-lard, Lilith n'avait pas uniquement parlé de moi ; c'était aussi vis-à-vis de sa famille qu'elle s'était excusée. Elle s'était sentie tout autant coupable de me mettre dans la position dans laquelle elle m'avait mise que d'être avec moi.

Je déglutis, ma bouche s'était asséchée et j'avais du mal à tenir sur la table. L'impuissance et la tristesse était définitivement ce que les Parker provoquaient chez moi à chaque fois que j'en apprenais plus sur eux, mais cette fois-ci dépassait véritablement tout ce que j'avais pu ressentir précédemment. L'ensemble me laissait dans un état de sidération particulier ; triste, impuissante, en colère et très certainement incapable de penser véritablement correctement. Par un quelconque miracle, mon cerveau avait semblé tout à fait en mesure de maintenir la promesse que j'avais faite à Lilith ; aucun commentaire ne m'avait échappé malgré-moi.

Je ne sus pas combien de temps passa mais lorsque je repris enfin contact avec la réalité, Lilith me regardait plutôt intensément.

- Si tu souhaites véritablement comprendre ma situation, reprit-elle, il y a une dernière affirmation que je peux prononcer. Enfin, trois affirmations pour être exacte.

Encore sous le choc, j'acquiesçai. Lilith semblait particulièrement tendue ; elle avait fermé ses yeux de longues secondes avant de les rouvrir. Son inspiration me donna l'impression qu'un autre poids allait définitivement s'abattre sur moi et, après ce que je venais de voir, j'avais des difficultés à croire que quoique ce soit pouvait bien être pire encore. Évidemment, j'avais été bien naïve.

- Mes ancêtres se sont autorisés à tomber amoureux avant leur mariage, dit-elle.

La plupart des noms disparurent lentement de la couverture pour aller se réfugier à leur tour dans les décorations bordant le tissu. Celui de sa mère, cependant, était resté bien visible tandis que « Wyatt Parker » s'était petit à petit désagrégé devant nos yeux. Il ne restait plus qu'une trentaine de noms éparpillés à travers la couverture.

- Mes ancêtres se sont autorisés à tomber amoureux avant leur mariage et n'ont pas vécu malheureux le reste de leur vie, ajouta-t-elle à nouveau au-dessus de la couverture d'un coup de baguette.

Les quelques fils qui étaient restés sur le tissu, y compris ceux qui avaient formé le nom de sa mère, se retirèrent un à un vers l'extérieur de la couverture pour s'y évanouir ; mon sang se glaça.

- Mes ancêtres se sont interdits de tomber amoureux avant leur mariage et n'ont pas vécu malheureux le reste de leur vie.

La grande majorité des points refirent leur apparition avant d'entamer la même danse pour aller se positionner à leur place ; la couverture était presque complète. Il ne restait que de rares espaces blancs. Le nom de sa mère n'était évidemment pas réapparu.

Ce devait donc être ce que les Parker lui répétait ; il était plus facile de ne pas vivre avant de disparaître dans le mariage. Peut-être était-ce même pour cette raison qu'elle était si distante avec autrui de manière générale à Poudlard. Ce que Lilith venait d'avouer entre les lignes était d'une violence sans nom. De toute évidence, c'était dans ce genre de discours – et de réalité, que Lilith et son frère avaient grandis et évolué. L'idée-même de pouvoir imposer ce genre de vision à des enfants m'était surréaliste. Ce n'était pas juste leur imposer un mariage et ce qu'il impliquait, c'était leur retirer tout ce qui était plaisant dans la vie ; les relations humaines, en les transformant en un poids qui attirerait le malheur et était intrinsèquement source de culpabilité vis-à-vis du reste de la famille. Cela ne pouvait définitivement pas être sans conséquences.

Je relevai les yeux vers Lilith. Elle avait l'air d'appréhender ma réaction mais restait silencieuse, ce qui était bien nécessaire pour que je puisse tenter de comprendre ce qu'elle avait sous-entendu. Lorsque je lui avais dit de m'embrasser, j'avais dû déclencher chez elle bien plus que ce que j'avais pu imaginer ; mes propos l'avaient confrontée à un choix particulièrement douloureux à faire. Malgré tout, elle m'avait envoyé ce mot et était revenue vers moi. Je me sentis autant coupable que stupide, étrangement heureuse et triste à la fois.

- Je te remercie, commençai-je doucement. Merci de m'avoir montré tout ça. Mais aussi, merci de m'avoir parlé du mariage. Il est évident que tu pensais que je n'accepterai pas de continuer et tu m'en as tout de même parlé. D'une certaine façon, tu as dû avoir l'impression de mettre toi-même un terme à notre relation et cela n'a pas dû être facile à faire. Mais surtout, repris-je la voix tiraillée par l'émotion, merci d'être revenue vers moi après notre match malgré tout ce que cela a dû te coûter pour t'autoriser à le faire.

Elle plongea ses yeux dans les miens avant de les détourner aussitôt. Son dos, pourtant d'habitude particulièrement droit, se décontracta si soudainement que je crus qu'elle allait s'effondrer sur la table. Je m'approchai ; les larmes coulaient le long de ses joues. Elle se tourna légèrement lorsque j'arrivai à sa hauteur, de toute évidence pour ne pas me montrer son visage. Lilith était capable d'expliciter ce qu'elle ressentait mais ne pouvait me laisser la voir pleurer, sa pudeur était aussi attendrissante qu'attristante. Elle essuya ses larmes avant d'inspirer profondément.

Quand elle se retourna enfin vers moi, je ne pus m'empêcher de porter la main là où ses larmes avaient coulé pour vérifier que je ne les avais pas imaginé. Lilith avait craqué puis s'était reprise en quelques secondes à peine, tout juste le temps que je la rejoigne ; cet amont de contrôle de soi me semblait surréaliste. Sa peau était bien humide sous mes doigts, pourtant. Je la pris dans mes bras, faisant abstraction de son corps particulièrement crispé.

Au bout de longues minutes, je sentis son corps se relâcher, enfin, et elle pleura dans mon cou. Pas longtemps, mais suffisamment pour qu'elle soit gênée en se détachant.

- Je te présente mes excuses, dit-elle en s'essuyant les yeux, ça ne m'était jamais arrivé. Je ne sais pas ce qui m'a pris de pleurer devant quelqu'un. Enfin, reprit-elle, dans les bras de quelqu'un. Ce n'est pas très poli.

- Par Merlin, Lilith… Il va vraiment falloir que tu arrêtes de t'excuser pour des choses qui ne nécessitent aucune excuse. Tu peux pleurer quand tu veux devant moi. Enfin, dans mes bras, ajoutai-je avec un léger sourire.

Elle se contenta d'acquiescer légèrement avant de s'asseoir sur la table derrière elle. Je l'imitai. D'un coup de baguette, Lilith replia la couverture sur elle-même et la reposa sur l'une des tables, avant de se tourner vers moi.

- Tu… Je… Puis-je comprendre de notre discussion que tu souhaites que l'on continue ? demanda-t-elle soudainement.

- Tu en doutes encore ?

- Je ne sais pas, je suis confuse. Mes émotions ont éparpillé mes pensées. Je ne sais même plus si je suis en train de penser ou de parler, soupira-t-elle. Je ne sais pas comment tu fais au quotidien.

- Eh, je te signale que c'est ce défaut tout à fait honorable qui a fait que… tout ça est arrivé.

Je la fis sourire et la Lilith de Pré-au-lard réapparut soudainement à mes côtés.

- Oh, j'avais cru comprendre que c'était parce que je t'avais regardé en début d'année.

- Et j'avais cru comprendre que c'était parce que j'étais particulièrement polie en cinquième année, rétorquai-je.

- Peut-être tes beaux yeux ont-ils participé tout à fait secondairement à ce moment.

Elle sembla s'amuser de la couleur prise soudainement par mes joues et je répliquai :

- Je comprends, après tout, mes « bonjour » sont très bien énoncés, n'importe quelle fille se sentirait vivante en les entendant.

- Je n'aurai jamais dû te dire ça, soupira-t-elle en secouant la tête.

- Je suis contente que tu l'aies fait.

- Eh bien, vu les circonstances, je ne pensais pas que d'autres occasions se présenteraient à moi pour le faire, alors il se peut que je me sois laissée aller à un peu de… sentimentalisme mal placé.

- Tu es vraiment adorable.

- J'espère que tu réalises que ce n'est pas un qualificatif que la plupart des gens utiliserait pour me décrire. Froide, rigide, suffisante, mais certainement pas adorable. D'ailleurs, reprit-elle, tu pourrais tout à fait t'en abstenir toi-même. Je ne suis pas un boursouflet, ajouta-t-elle d'un air tout à fait sérieux alors que je ne pus contenir un sourire.

- Adorable, Lilith.

Elle leva les yeux au ciel et bien que cette habitude très ennuyante aurait été agaçante en toute autre circonstance, et de toute autre personne, je ne pus m'empêcher d'être particulièrement attendrie ; Lilith levait les yeux au ciel comme je rougissais.

- Est-ce que je peux t'écrire ces vacances ? demandai-je.

- Ca me ferait très plaisir.

- Je veux dire… ta famille ne va pas lire ton courrier ?

- Ils n'en ont pas besoin, Eyrin. Ils sont legilimens. Si ils souhaitent savoir quelque chose, ils n'ont qu'à en faire la demande. Ils savent très bien que je préférerai leur répondre plutôt qu'ils expérimentent de première main ce que j'ai vécu.

Je ne m'y habituerai définitivement jamais. La violence ordinaire se trouvait tant à Poudlard, au sein des salles communes, que dans la société sorcière, au sein des familles ; et, bizarrement, elle y existait majoritairement sous le concept de « traditions ». Il fallait bien inventer un prétexte pour perpétuer ces actes.


Et voici pour le chapitre 16 :)