Georgianna
Mon frère est enfin de retour à Pemberley mais c'est comme s'il n'était point présent. Moi qui me faisais une fête de le retrouver, je demeure isolée comme avant.
J'ai un temps cru qu'il m'annoncerait une heureuse nouvelle, ses lettres provenant de Netherfield évoquant régulièrement une même demoiselle. Je connais suffisamment sa succincte correspondance pour y repérer la moindre incohérence. Jamais mon frère n'avait mentionné précédemment une dame hors de ses fréquentations et le fasse avec tant de respect et d'admiration.
Mais Fitzwilliam est revenu seul de Londres, le regard pensif et encore plus mutique que jamais. Je n'ai point osé aborder le sujet. Il a beau être mon plus proche parent, mon frère unique adoré et mon tuteur, il n'en est pas pour autant mon confident.
Je me trouve donc comme d'ordinaire, esseulée et oubliée dans une majestueuse bonbonnière toute dorée qu'est Pemberley. Je me sens telle une poupée de porcelaine, si jolie et onéreuse qu'on n'ose câliner et si fragile que l'on me dispose dans une vitrine afin de ne pas me casser.
Mais je ne veux pas qu'on m'admire pour ma beauté et mes accomplissements. À l'instar d'un singe savant, je pratique plusieurs instruments et parle trois langues. Mais à quoi cela me sert-il puisque je n'ai personne avec qui converser ?
Je sais que mon frère ne veut que mon bien et pour se faire me tient bien loin de tout potentiel danger. Mais je ne suis pas faite de porcelaine et ne vais point me briser. J'aimerais qu'on me sorte de cet écrin et qu'on me laisse voyager, rencontrer du monde et aimer.
Mon aventure avec George Whickam a tout empiré et pour cela je ne peux que m'en prendre à moi-même. J'étais trop jeune mais surtout beaucoup plus naïve, ne connaissant rien de la vie, des amours et des duperies.
Je reste néanmoins persuadée que si j'avais été plus au fait de la société, si l'on m'avait éduqué et enseigné tout cela au lieu du point de croix, j'aurai pu éviter de causer du tracas à mon frère et ne pas risquer de perdre ma virginité avec un homme qui ne la méritait pas.
Cela me prouve que c'est en étant confronté à l'adversité que je pourrais progresser et non en étant privée de liberté.
Mais je suis une jeune fille et, qui plus est, issue d'une famille fortunée. Il y a donc une panoplie de choses qui ne me sont pas autorisées. Je ne peux me déplacer seule et sans chaperon, je ne peux fréquenter des garçons ni autre jeunes gens qui n'ont aucun pedigree. Je ne peux assister à des soirées tant que je n'ai pas été présentée au bal de la reine. Je ne peux évidemment exercer de métier ou disposer de mon argent.
Et surtout il est évident que je ne pourrais choisir mon époux sans l'assentiment de mes tuteurs, qu'il devra passer assurément à travers leurs jugements et leur regards réprobateurs.
De tout cela, je dois me faire une raison même si cela me pèse. Comme le dit ma dame de compagnie Madame Annesley, je n'ai rien à me plaindre. La vie m'a apporté la santé, un confort de vie des plus enviables et un frère aimant et attentionné qui veille à mon bien-être et à ma réputation. Il est vrai que Fitzwilliam est des plus généreux, j'en ai pour preuve ce nouveau piano forte Broadwood qu'il a commandé à Londres à mon intention.
Ma garde robe est également emplie de tenues des plus élégantes, confectionnées avec les soieries et mousselines les plus fines. Mais parfois je rêve de tenues plus extravagantes que mes sages robes de jeune débutante.
Alors pour m'occuper tant l'esprit que mes jambes, je déambule dans la demeure des caves aux greniers et me prends à envier nos servantes. Au détour d'un couloir, je les vois parfois en train de rire aux éclats pour un secret dévoilé. Leur vie de labeur semble si pleine de simplicité. Elles ont la chance de pouvoir compter sur des amitiés naturelles et non forcées, elles ne s'ennuient jamais et semblent être appréciées pour ce qu'elle sont.
Certes, Mrs Reynolds m'a déjà expliqué que je n'ai pas à les envier. Car bien qu'ils soient bien logés et traités ici, la vie des domestiques demande beaucoup de privatisation. Ils vivent souvent loin de leur famille et de leur maison.
