Chapitre Trente-et-Un : Au-delà de l'Absence de Peur
Partie Une : Impatience
Rester était une chose, attendre en était une autre, tout à fait différente.
Drago savait rester, mais il n'avait jamais appris l'art d'attendre. Sa mère lui avait toujours dit « tout vient à point à qui sait attendre », tandis que son père lui disait que les Malefoy étaient éduqués à ne pas attendre, pour quoi que ce fût. Au fil des années, leurs convictions conflictuelles s'étaient neutralisées mutuellement et avaient résulté en un garçon impatient. Ce garçon était devenu un homme – un homme qui ne connaissait rien au fait d'attendre quelqu'un ou quelque chose.
Soupirant, il réalisa qu'il ne pouvait pas blâmer exclusivement ses parents pour son impatience. Il était un être à part entière. Il lui avait fallu un long moment pour en arriver au point de pouvoir accepter un de leurs conseils et l'utiliser à bon escient.
Il pouvait affirmer de façon certaine que, bien qu'il en sache beaucoup à propos de sa mère, son père était resté un mystère qu'il avait espéré percer à jour, sans savoir comment. Son père semblait avoir un truc avec les mots qui faisait que tout ce qu'il disait, que ce soit bon ou mauvais, restait ancré dans son esprit pendant des années. Quelques-uns de ses souvenirs les plus anciens étaient son père lui disant ce qu'il n'avait pas à faire en tant que Malefoy.
Drago avait passé la première minute debout, la seconde à faire les cent pas, la troisième à regarder sa montre, et la quatrième à compter tout ce qu'il y avait dans son champ de vision. Mais, à la cinquième minute, l'ennui avait gagné Drago qui s'était mis à fixer intensément la porte. Qu'est-ce qui lui prenait si longtemps ? Qu'est-ce que pouvait bien vouloir la Belette ? Une longue liste de réponses possibles jaillit dans sa tête, et il passa le seuil de sa maison, parce qu'il n'aimait aucune de ces possibilités. Un sentiment tenace lui intima l'ordre d'attendre, mais il l'ignora.
Après tout, il n'avait jamais été doté de patience. Et il était toujours novice dans l'art de patienter.
Il se glissa tranquillement le long du couloir du hall d'entrée, mais s'immobilisa quand il entendit la voix agaçante de Weasley.
« Elle se fiche de tout, et, tu sais, je ne suis pas sûr de ce que j'apprécie le plus chez elle : son excentricité ou sa maladresse, mais… ouais. Je l'apprécie. Beaucoup. »
Drago leva les yeux au ciel et fit quelques pas de plus en avant. Lui attendait pendant que la Belette parlait d'un nouveau coup de cœur ? Quelle totale perte de temps. Génial. Il avait des sentiments pour quelqu'un d'autre. Il voulait en faire l'annonce sur la Wi-fi ?
« Oh, elle a l'air charmante, Ron, vraiment, » répondit Granger, d'une voix toutefois un peu tendue.
« Ouais, elle l'est, » il s'interrompit si longtemps que Drago jeta un coup d'œil à l'angle pour voir s'ils étaient toujours là. Oui. « Mais y'a un problème. »
Il n'aimait pas entendre ça.
« Quoi ? Dit Hermione d'une voix étrange.
- Toi. » La main de la Belette bougea et Drago se cala contre le mur, espérant ne pas avoir été vu. Voyant qu'il n'y avait aucun cri enragé, Drago se détendit un peu. Jusqu'à ce que l'autre ne dise : « Ou plutôt, ce que je ressens. »
Drago n'était pas surpris. Weasley était le genre de personne à s'accrocher aux choses et aux gens. Il s'était agrippé à toute cette colère pendant des années ça avait du sens qu'il s'agrippe à ses sentiments, aussi. Et même si ça dégoûtait Drago, il semblait sincère. Et même si ça agaçait Drago, Weasley l'avait mieux dit, aussi.
Mais il connaissait Granger. Il savait ce qu'elle allait dire. Et pour la deuxième fois ce jour-là, Drago attendit. Attendit qu'elle dise quelque chose attendit qu'elle lui dise ce que Drago savait déjà. Il attendit qu'elle lui dise que Malefoy attendait dehors et qu'elle devait y aller.
« Ron, » sa voix sonnait toujours bizarrement. Drago se pencha en avant et passa la tête pour pouvoir voir l'expression de la Belette quand elle l'enverrait promener. « Je – »
Les yeux de Drago ne s'écarquillèrent pas quand Weasley l'embrassa, mais ils le firent quand le nombre de secondes qui passaient sans qu'elle ne le repousse augmenta. Les secondes parurent durer des minutes, et à chacune d'elles, sa grimace s'accentua encore et encore jusqu'à ce qu'il ne puisse plus le supporter…
Partie Deux : Décisions
Sa mère était assise noblement sur le canapé, directement en face de la cheminée, tenant d'une main une tasse de thé posée sur une sous-tasse sertie d'or, de l'autre une cuillère. S'il avait fait attention à l'expression de son visage ou à la manière avec laquelle elle remuait délicatement son thé, Drago serait parti sitôt arrivé. Non seulement sa mère ne prenait jamais le thé dans son salon privé, mais surtout elle ne se souciait jamais des convenances lorsqu'elle était seule.
Non, c'était réservé aux invités.
Et il n'avait jamais vraiment apprécié la compagnie dont s'entourait sa mère. Ils étaient trop malveillants pour fournir une conversation intelligente, et trouvaient trop à redire sur le célibat de Drago. Narcissa ne connaissait que trop ce désamour qu'il éprouvait, ce qui lui donna l'air alarmée quand il arriva dans un éclat de flammes vertes. « Drago ? » elle posa tasse et sous-tasse sur la petite table, se relevant du sofa. « C'est une surprise ! Je ne savais pas que tu viendrais. »
Il n'avait pas prévu de venir, lui non plus.
Drago était parti de chez Granger l'esprit saturé et en ébullition. Il était rentré chez lui quelques minutes, avait fait les cent pas, puis avait décidé de venir ici. Pendant les exclamations de sa mère, Drago sortit totalement de l'âtre, faisant mine d'ôter une peluche imaginaire de la manche droite de sa robe. Il ne s'embêta pas à lever les yeux quand il déclara : « Il y a eu un changement de plan.
- Si ton changement de plan tombe mal pour toi, il tombe très bien pour nous, émit une voix vaguement familière qui le fit se raidir subitement. Tu vas devoir te joindre à nous pour dîner. »
Là, assise dans un petit canapé avec sa pimbêche de mère, souriant de toutes ses dents, se trouvait sa dernière petite amie.
Astoria.
Quel rebondissement dans cette merveilleuse journée. Drago ricana mentalement à cette pensée.
« Drago, tu connais déjà bien Astoria, j'en suis sûre. »
Il acquiesça et tenta de ne pas sourire en entendant le ton narquois qu'avait pris sa mère. Elle n'avait jamais apprécié Astoria. En fait, elle n'avait jamais apprécié personne.
Sauf Granger. Il fronça les sourcils.
Le temps qu'il lui avait fallu pour retourner au point de Transplanage avait été d'une durée suffisante pour que Drago puisse encaisser un solide retour sur terre.
Encore et encore, le baiser entre Weasley et Granger s'était rejoué dans son esprit. Ça s'était répété jusqu'à ce que sa réaction initiale, de choc et de colère, ne se mue en apathie. Ça s'était répété jusqu'à ce qu'il ait pratiquement mémorisé les mots qui avaient été prononcés. Ça s'était répété jusqu'à ce que la seule pensée qu'il ait en tête soit un cinglant 'de qui tu te moques ?'
La seule personne dont il s'était moqué, c'était de lui-même.
Ils avaient une histoire, un lien, et s'ils essayaient suffisamment fort, ils pourraient avoir un avenir, supposait-il.
Et Drago prit un moment pour réfléchir à son propre futur, et réalisa à quel point celui-ci était incertain. Il n'était même pas sûr du genre d'avenir qu'il voulait parce qu'il ne s'était pas donné le temps de réellement y penser. Il ne s'était pas donné le temps de penser à lui. Que voulait-il faire pour profiter de la vie ? Il ne pouvait même pas penser à la dernière fois qu'il avait fait quelque chose qu'il voulait. C'était tout pour le devoir, la nécessité, et la famille jamais pour lui. Drago détestait peut-être la vie avant la mort de son père, mais ça lui allait très bien comme ça. Il n'avait pas à penser à lui il n'avait pas à penser du tout.
C'était facile.
Mais maintenant – maintenant, il n'y avait plus rien qui se dressait sur son chemin, et ça l'avait obligé à voir la vérité.
La vérité, c'était que Drago avait été trop effrayé pour faire un mouvement, suivre le conseil de son père, et vivre sans regrets. Il aurait aimé dire qu'il venait tout juste de faire ça en disant à Granger ce qu'il ressentait, mais c'était impossible. Ça n'avait pas été un acte de foi, seulement des voix élevées et de la mauvaise humeur montante.
Merlin, il était tellement bousillé.
C'était quelque chose qu'il savait depuis longtemps, mais qu'il avait ignoré parce que, encore une fois, c'était facile. C'était facile de découvrir la vérité concernant quelqu'un d'autre, et facile de se focaliser sur les problèmes des autres. Mais à présent, c'était clair, et alarmant à présent, ses problèmes jaillissaient de la charpente comme des termites.
Mais il était prêt à essayer de tous les affronter, un par un, parce qu'il était foutrement sûr qu'il ne voulait plus vivre ainsi.
Pour être honnête, Drago était ravi que Hermione n'ait pas mis le doigt sur ce qu'elle ressentait pour lui. Si elle l'avait fait, ils auraient mis la charrue avant les bœufs, et cela aurait donné deux personnes bousillées dans une relation foutue. Ils auraient dû faire face à leurs problèmes mutuels, ses inquiétudes à lui, ses incertitudes à elle, sa réticence à lui, et ses peurs à elle. Elle aurait dû faire face au vrai Drago : imparfait et borné, perdu et prêt à être trouvé. Cela aurait été trop… pour eux deux.
C'était mieux ainsi.
Il avait été un idiot de s'autoriser de l'espoir.
« Tu te souviens d'Abigail Greengrass, n'est-ce pas ? » le coupa sa mère dans ses pensées.
Il était temps de mettre le charme en route. « Oui, bien sûr. C'est un plaisir de vous revoir, Mme Greengrass. » Il espérait que ses mots n'avaient pas eu l'air aussi secs que sa gorge ne l'était en ce moment.
La sorcière hocha simplement la tête, avec raideur, les mains posées sur les genoux. Drago s'était toujours demandé pourquoi sa mère était amie avec une telle femme, mais elle lui avait assuré qu'elle était bien plus sympathique quand elles étaient seules et qu'elle n'était pas sobre. Il n'était pas convaincu de ça… Pourquoi traitait-elle tout le monde, sauf sa mère, comme de la merde ? Ce n'était pas comme si elle était la crème de la haute société du monde sorcier.
« Et moi ? Tu n'es pas content de me voir ? » demanda Astoria, les mains sur ses fines hanches. Elle portait une robe d'un jaune criard, qui n'était là que pour que quelqu'un – n'importe qui – la regarde, et Drago ne fut pas surpris de voir à quel point elle avait peu changé en un an.
« C'est certainement surprenant, » dit-il d'un ton sec.
Astoria n'avait jamais réussi à couper le cordon avec sa famille – ni même avec sa sœur, Daphné. En fait, elle avait été un point tellement négligeable sur son radar quand elle s'était présentée en juillet dernier qu'il l'avait complètement ignorée jusqu'à ce que Daphné s'immisce et les présente. Drago ne lui avait offert de son temps que parce que des rumeurs concernant le peu de présence de son père circulaient, et qu'il avait besoin de détourner l'attention. Elle avait été utile, un temps. Il n'avait plus eu besoin d'elle, ensuite.
Drago ramena ses yeux désintéressés sur sa mère.
« Abigail et Astoria ont décidé de venir me rendre visite maintenant que je suis rentrée.
Il fit la moue. « Tu es rentrée depuis –
- Nous étions, nous aussi, hors de la ville cette semaine, » l'informa Mme Greengrass en fronçant les sourcils. Elle fit un moulinet du poignet en disant joyeusement : « Pour aller faire du shopping à Milan. »
Drago se renfrogna, incapable de cacher son ennui. Passer la soirée à écouter trois sorcières papoter du dernier style de robe de sorcière à la mode n'était pas ce qu'il préférait. « Je suis sûr que c'était passionnant. Je devrais vous laisser toutes les trois à votre discussion.
- Non, dit Astoria d'un ton enjoliveur. Tu devrais rester dîner avec nous.
- Je ne vois pas pourquoi toi, tu voudrais que je me joigne à vous pour dîner. » Quand il avait brusquement mis fin à leur relation, si on pouvait la nommer ainsi, elle ne l'avait pas si bien pris. Il n'avait pas daigné se sentir concerné ou coupable.
« J'ai tourné la page, dit Astoria le menton en l'air.
- Nous, les Greengrass, sommes résilientes, commenta fièrement sa mère. C'est l'une de nos meilleures qualités, je pense. »
Il ne fit aucun commentaire.
Drago lança un regard appuyé à sa mère, dans l'espoir qu'elle intervienne avant qu'il ne donne à la mère d'Astoria une raison d'avoir l'air aussi dégoûtée que si elle avait eu quelque chose de puant sous le nez. Astoria se leva et sourit. Merlin, est-ce qu'il était vraiment sorti avec elle ? Elle était jolie, bien évidemment, mais il y avait quelque chose de vide en elle. Elle ne le faisait pas réfléchir, elle ne le faisait pas s'inquiéter pour elle, il ne la remarquait pas, il ne la voyait pas.
Ou peut-être que tout cela était nouveau pour lui.
Il était possible que ce chemin qu'il avec parcouru avec Granger n'ait pas été fait pour rien. Peut-être que ça avait été aussi important pour lui que ça ne l'avait été pour elle. Peut-être qu'elle avait été son billet inconscient pour sortir de l'enfer. Peut-être qu'il avait inconsciemment pris la voie le menant à découvrir ses démons et l'aider à les surmonter, dans le but de pouvoir lui-même découvrir et surmonter ses propres démons. Peut-être qu'elle avait été la clé de tout. Et peut-être, peut-être, avait-il besoin d'elle autant qu'elle semblait avoir besoin de lui.
Rien que cette idée le rendit livide.
Sa mère plaça une main sur son épaule. « Tu te sens bien, Drago ? Tu es un peu pâle.
- Je vais bien, mentit-il. J'ai juste faim.
- Je vais voir si le dîner est prêt à être servi. » Et elle l'abandonna pour invoquer un elfe de maison.
Cinq minutes malaisantes plus tard, elle les invitait à se rendre dans la salle à manger. Narcissa lui lança un dernier regard inquiet avant de passer le seuil de la pièce. Mme Greengrass se leva et la suivit prestement, après avoir jeté à Drago et Astoria un regard indéchiffrable. Il entendit Mme Greengrass commencer à parler avec sa mère de Milan et il leva les yeux au ciel. Quand Astoria se mit en route vers la porte, Drago prit le temps de se pincer l'arête du nez avant de suivre.
Un long dîner s'annonçait.
« C'est bon de te revoir, Drago. » Elle avait dit cela d'une voix basse, mais pas inaudible. Il ralentit, espérant qu'elle saisirait le message et continuerait de marcher. Mais elle se stoppa. « Je ne t'ai pas vu depuis qu'on a rompu.
- C'est précisément ce qui arrive quand deux personnes se séparent, » établit-il d'un ton neutre.
Elle ne dit rien pendant un moment. « Je vais me marier. »
Drago la contempla. Pourquoi lui disait-elle ceci ? Il avait bien trop de choses lui envahissant l'esprit pour ne serait-ce que – il haussa lentement un sourcil en voyant qu'Astoria continuait d'observer son visage dans l'attente d'une réaction. « Félicitations, » fut tout ce qu'elle obtint en réponse.
« Avec Théo Nott, ajouta-t-elle.
- Théo ? L'intello ? »
Astoria leva sa main pour mettre son diamant en valeur. « Cet 'intello' est un homme d'affaires très riche, tu sais.
- Cool pour lui, » répondit Drago de sa voix traînante. Il n'était vraiment pas d'humeur pour ça.
« Il m'a demandée en mariage il y a deux mois, pour notre anniversaire des quatre mois. »
C'était… rapide.
« Il m'emmène dans les magasins, au restaurant, et en voyage. Il fait attention à ce que j'aime et à ce dont j'ai envie, et il me les donne. Il est tellement doux et attentionné et fidèle et drôle. Il m'aime vraiment et il m'apprécie, et il me le dit tout le temps. »
Tandis qu'Astoria divaguait sur ce que Théo faisait et disait, Drago pensa qu'Hermione arrivant comme une flèche dans sa vie, comme un parasite solitaire, n'avait pas été une si mauvaise chose. Elle s'était occupée des machines à rumeurs, avait détourné l'attention de Drago des aspects les plus troublants de sa propre vie, et lui avait évité de gaspiller son temps sur d'autres Astoria. Elle l'avait sauvé de lui-même.
« C'est Théo qui nous a envoyées, ma mère et moi, à Milan. Il m'offre tellement de liberté et il me laisse contrôler presque tout. C'est moi qui choisis où, quand, et dans quel lieu on mange. C'est moi qui choisis ce qu'on fait. C'est moi qui choisis où on va. Je crois que j'ai –
- Je pense que tu en as assez dit, l'interrompit brusquement Drago. Est-ce que tu essayes de me dire quelque chose ? »
Astoria plissa imperceptiblement les yeux. « Je veux juste que tu saches ce que tu perds. »
Il leva les yeux vers elle, soudain submergé par une envie irrépressible de laisser sortir toute la frustration de cette journée en déchiquetant les sentiments d'Astoria. « Ou ce que je ne perds pas, lui dit Drago sans ménagement. Astoria. Il. Peut. T'avoir. Je pense que je me suis fait assez clair en août dernier. J'espère que tu es heureuse avec une vie de dîners, de voyages et de shopping.
- Oui, je serai très heureuse. Je n'ai jamais eu ça avec toi. Je n'ai jamais rien eu de toi. »
Ah, c'était donc ça le réel problème et la raison pour laquelle elle lui disait tout cela. Parfait. Il avait été indisponible émotionnellement non seulement avec elle, mais aussi avec toutes les femmes avec qui il était jamais sorti. « Qu'est-ce que tu attends de moi exactement, maintenant ?
- Je veux que tu te rendes compte que tu as perdu une bonne chose quand tu m'as laissée tomber. Je –
- Je m'en fous, Astoria. » Cela lui ferma le clapet. Elle fut stoppée net dans sa lancée, et lui aussi. Drago s'avança jusqu'à se trouver devant elle, une expression vide sur le visage. « Et laisse-moi mettre les choses au clair, tu ne peux être jalouse que de quelqu'un qui possède quelque chose que tu veux. Tu ne peux être envieux que de ce que tu désires. Étant donné que je ne te veux ni ne te désire… J'espère que tu vois où je veux en venir. Tu pourras dire tout ce que tu veux, ça ne me fera ni chaud ni froid. J'espère que toi et Théo serez très heureux ensemble. »
Là-dessus, il entra dans la salle à manger et prit place à côté de sa mère. Elle lui lança un rapide regard désolé avant de se tourner et répondre à Mme Greengrass. Astoria entra et s'assit directement en face de lui, mais, fort heureusement, elle ne croisa pas son regard.
Le dîner se déroula sans heurt. Il y eut beaucoup de paroles prononcées, mais peu adressées à lui. Il en fut reconnaissant. Ses pensées l'avaient gardé agité et incapable de se concentrer. Son esprit voulait qu'il réfléchisse, analyse, et tente de comprendre tout ce qui était arrivé dans la journée, mais il n'était pas prêt.
« Tout va bien, Drago ? » L'inquiétude dans la voix de sa mère était si sincère qu'il voulut presque se mettre à parler. Il voulut presque lui dire ce qu'il s'était produit chez Granger. Il voulut lui dire tout ce qu'il avait sur le cœur depuis qu'il était arrivé. Plus tard, bien entendu, mais néanmoins, il envisagea de lui donner l'opportunité d'entendre l'histoire de comment il en était arrivé là où il était.
Mais il ne le ferait pas.
Il savait par où commencer, mais ne saurait pas quoi dire.
Il répondit : « Oui. Tout va bien. »
Sa mère lui jeta un regard suspicieux. « Le repas te plaît ? » Elle fit un geste en direction de son assiette à peine entamée.
« Oui, Mère. » Le ton irrévocable de sa voix faisait bien comprendre qu'il ne voulait pas discuter de ça, ni maintenant, ni plus tard.
« Alors, Drago, finit par dire Mme Greengrass. Qu'est-ce que vous avez fait de beau depuis – » Elle lança un regard gêné à sa mère. « Enfin, vous voyez… »
Bordel de merde.
Il posa calmement sa fourchette et prit une gorgée de vin d'Elfe, breuvage vraiment pas assez puissant au vu de la conversation qui se dessinait. « Du boulot, et puis des détails dans la transmission des entreprises de mon père à mon oncle.
- Rien d'autre, Drago ? s'attarda Mme Greengrass.
- C'est tout. » Mais ça n'était peut-être pas tout.
Elle sirota délicatement son vin, posa son regard sur Astoria, puis sur lui. « Ah, je vois que vous n'avez pas trouvé de sorcière convenable avec qui vous installer, n'est-ce pas ? »
Il prit sur lui pour ne rien dire de vulgaire. « Non, de toute évidence, non… vu l'absence d'une fanfare délirante... » il leva une main en ajoutant : « … ou d'une bague de mariage.
- Vous savez, je pense que c'est réellement dommage que vous ne soyez pas casé. Vous auriez pu avoir n'importe quelle sorcière, et vous voilà. Célibataire. Vos parents se sont mariés –
- Je ne suis pas mes parents, » rappela Drago raidement.
Astoria prit une gorgée de vin.
« Et puis, Drago a des obligations de travail importantes au Ministère, ajouta Narcissa.
- Je ne peux pas imaginer une chose qui soit plus importante que celle de garder la lignée Malefoy vivante. Vous pourriez au moins sortir avec une fille.
- Tu n'as pas entendu les rumeurs, Mère ? Demanda finalement Astoria. Il sort avec Hermione Granger. »
Drago ne réagit même pas à ses paroles. Il avait entendu ceci tellement de fois, venant de la bouche de tellement de personnes, qu'il s'y était habitué. Il n'était pas sûr de ce que signifiait son absence de confirmation ou de déni, mais Granger ne l'avait jamais nié, non plus. Il s'était passé trop de choses, et personne ne les croyait de toute façon, alors pourquoi essayer, hein ?
« Oh, j'en ai entendu parler, mais il ne pourra jamais se marier avec, bien entendu. »
Astoria eut la décence de lancer un regard choqué à sa mère : « Mère ! » Il était clair qu'elle, comme sa sœur aînée, n'avait pas hérité de l'intolérance de sa mère. « Tu ne devrais pas dire ça. »
Mme Greengrass regarda sa fille. « Quoi ? Je suis sérieuse. Elle salirait –
- Abigail, la coupa sévèrement Narcissa. Personne ne parlera négativement d'Hermione Granger dans ma maison. C'est une charmante jeune femme et je l'apprécie, peu importe son sang. Si elle devait rejoindre notre famille, elle ne la salirait pas, elle l'enrichirait radicalement. J'ai failli perdre mon fils à cause de mon intolérance, mon mari s'est perdu dedans, et je n'autoriserai plus ça chez moi. Donc, si vous ne vous sentez pas capable d'adhérer à cette règle, vous êtes libre de partir. »
Il observa Mme Greengrass s'adosser à sa chaise et contempler Narcissa en face d'elle. Quand elle acquiesça, marmonna une excuse, et prit une longue gorgée de son vin, Drago se trouva assez impressionné du pouvoir qu'avait sa mère sur les autres.
Ils restèrent silencieux jusqu'à ce qu'Astoria ne demande : « Les rumeurs sont vraies ? Théo pense que non, je pense que oui.
- Les rumeurs sont… erronées, bien que ça ne te concerne absolument pas, » répondit Drago avec plus de difficulté que ne le prévoyait la situation. « Nous ne sommes pas… ensemble. » Pourtant, aussitôt que les mots furent sortis de sa bouche, il se sentit bizarre.
« Ah non ? Demanda Mme Greengrass, un sourire étrange sur le visage.
- Non. » Il se sentait mal.
Abigail Greengrass prit un air curieusement guilleret. « Eh bien, donc, peu importe ce que je pense, puisque ce n'est même pas une éventualité. »
Drago devint inexplicablement morose.
Dans un souffle, il s'excusa et sortit de table… et de la salle.
Ce n'est même pas une éventualité.
Ses jambes essayaient de fuir ces mots et la réalité qu'ils renfermaient, mais les mots arrivaient à suivre son allure rapide. Il n'y avait pas d'éventualité. Elle avait raison. Ça s'était achevé aujourd'hui, au moment où il avait vu ce baiser, et au moment où il était parti.
Ce n'est même pas une éventualité.
Et tandis qu'il parcourait le couloir, vers une destination inconnue, Drago réalisa que malgré ses soucis, malgré le fait qu'il soit paumé, malgré la quantité de travail qu'il lui restait à faire sur lui-même, il ne voulait pas que ça prenne fin.
Il voulait l'éventualité.
Il s'arrêta et ouvrit la première porte sur sa gauche. Une salle de bain. Drago entra, ferma la porte, et s'aspergea le visage d'eau, dans l'espoir que ça le calme. Il laissa le robinet couler en s'asseyant au sol. Pour la deuxième fois, il se trouvait dans une salle de bain, à réfléchir. Et l'amertume que provoquait toute cette situation se diffusait dans toutes les cellules de son être. Il y avait forcément un certain degré d'ironie impliqué dans le fait de prendre conscience qu'il n'avait pas simplement des sentiments pour Granger, mais qu'il rêvait d'une relation. D'une relation. Après tout ce temps passé à ne pas savoir, il avait compris ça en quelques mots.
C'était une putain d'ironie.
Ou peut-être que l'ironie n'est pas impliquée, du tout, pensa-t-il en appuyant sa tête en arrière contre le mur. Peut-être qu'il y avait juste un timing de merde dans ce genre de prise de conscience. Cela n'aurait pas dû être si surprenant, tout bien considéré. Drago réfléchit, tergiversa, avant de rejeter cette pensée de son esprit. Et puis merde, c'était d'une ironie prodigieuse. Et il disait cela dans son sens le plus sardonique et sarcastique possible.
Il leva les yeux vers le plafond, puis les ferma pour se calmer.
Ce n'est même pas une éventualité.
Rien ne pouvait égaler le sentiment de prendre conscience qu'il rêvait de quelque chose qu'il ne pouvait avoir.
Et cela fit comprendre à Drago qu'il fallait qu'il prenne des décisions.
Il décida de se donner une seconde pour se demander s'il n'aurait pas dû rester. Une seconde pour se demander s'il n'aurait pas dû entrer dans la pièce, les alerter de sa présence, et dire quelque chose – n'importe quoi. Il se donna deux secondes pour dégager cette idée de sa tête.
Drago décida de se donner une minute pour se demander s'il n'avait pas interprété, à tort, le baiser entre eux comme le signe qu'elle avait pris sa décision. C'était arrivé si vite. Il se donna deux minutes pour se demander pourquoi ça le préoccupait, en fait. Après tout, c'était impossible.
Il décida de se donner une heure pour se demander si Granger ne finirait pas par déterminer ce qu'elle ressentait pour lui, avec le temps. Deux heures pour se demander si – avec le temps – il n'aurait pas été assez mature pour s'embarquer dans plus qu'une amitié avec elle. Trois heures pour se demander s'il n'aurait pas pu être l'homme dont elle aurait pu avoir besoin. Et quatre heures pour bannir ces pensées et idées.
Il se donna une journée pour se demander si avoir des sentiments pour une femme comme Granger n'était pas malsain. Deux jours pour arrêter de s'interroger sur la réponse parce qu'il n'y avait toujours aucune éventualité. Trois jours pour réaliser que l'absence d'éventualité était une bonne chose. Quatre jours pour clore définitivement le tome « Granger ». Cinq jours pour réaliser qu'il avait réellement fait la bonne chose en s'éloignant… en lâchant prise.
Partie Trois : Parti
Hermione prit la direction indiquée par les elfes de maison, et s'engagea dans l'escalier de droite, puis le long des couloirs, bifurquant à droite et à gauche dans le labyrinthe des corridors du Manoir Malefoy, jusqu'à atteindre la bonne porte.
Elle s'accorda un instant pour reprendre sa respiration. Elle venait tout de même d'aller de pièce en pièce à la recherche de Drago. Elle ne savait pas vraiment pourquoi, mais le fait qu'il s'en aille lui avait filé des frissons le long de toute la colonne vertébrale. Elle était allée chez Blaise, chez Pansy, à son travail, et chez lui – sans succès. Et là, les Elfes de Maison lui avaient dit qu'il était ici. Alors, quoi ?
Eh bien, elle n'avait pas réuni ses pensées ni fait de pense-bêtes, mais il lui restait du temps et il était trop tard pour qu'elle reparte. Narcissa avait dû être alertée de son arrivée. Il serait malpoli qu'elle reparte sans rien dire. Donc, elle poussa la double porte.
Narcissa avait des invitées pour le dîner.
Deux.
Elles se tournèrent et elle eut droit à plusieurs regards, un surpris, un incrédule, et un la jaugeant. Hermione savait qu'elle avait l'air totalement décalée et perdue, et elle savait qu'elle était actuellement jugée par les deux inconnues. Mais elle s'en fichait, parce qu'il y avait des choses bien plus importantes lui trottant en tête.
Sans surprise, Narcissa fut la seule à l'accueillir avec le sourire. Elle lui envoya un baiser dans l'air. « Eh bien, c'est une agréable surprise. Souhaites-tu te joindre à nous ?
- Oh, je – » elle baissa les yeux sur ses habits, embarrassée. « Je ne suis pas habillée pour dîner. »
Narcissa balaya ses paroles d'un geste de la main. « Oh, ne t'en fais pas pour ça, voyons. Tu dois te joindre à nous ! Oh, je suis tellement contente que tu sois venue. J'ai tellement de choses à te raconter concernant mon voyage. Je dois te raconter comment j'ai mis à profit nos leçons d'Italien, et – » Elle s'interrompit et regarda Hermione d'un air curieux. « Au fait, pourquoi es-tu ici ? »
Hermione eut l'impression qu'un énorme projecteur était braqué sur elle. Elle eut soudain le trac. « Eh bien, je suis venue ici pour parler à Drago. » C'était la vérité. Aussi simple que cela. Même si Hermione n'était pas tout à fait sûre de ce qu'elle allait lui dire. Les deux autres sorcières échangèrent des regards, et Hermione les regarda sans trop d'intérêt.
« Il est sorti de la pièce il y a environ dix minutes, dit la plus jeune des deux invitées.
- Est-ce qu'il a dit qu'il revenait ? Demanda-t-elle en se forçant à garder une voix posée.
- Je suis sûre qu'il va bientôt revenir, lui assura Narcissa avant de frapper dans ses mains. J'ai une idée. Tu devrais t'asseoir. Je vais te faire apporter un plat par Mimzy. » Et avant qu'Hermione n'ait pu décliner poliment, Narcissa avait appelé l'elfe de maison, demandé un autre plat pour leur nouvelle invitée, et l'avait présentée aux deux sorcières : Astoria et Abigail Greengrass. Hermione remarqua la manière dont Astoria grimaça quand elle demanda « Greengrass ? Vous avez un lien avec Daphné ? ».
Pour dire vrai, Hermione ne connaissait Daphné que parce que de temps à autre, Pansy mentionnait le fait qu'elle avait besoin d'enterrer la hache de guerre et reprendre contact avec sa vieille camarade de classe. Il y avait une lettre à moitié écrite destinée à Daphné qui traînait sur le bureau de Pansy, que sa fierté ne l'avait pas encore laissée compléter.
« Oui. Daphné est ma fille aînée. Astoria est ma plus jeune.
- Oh. » Hermione ne savait pas que Daphné avait une sœur, mais l'expression sur le visage de la sorcière lui conseillait de ne pas le confesser. Elle était sûrement restée invisible longtemps. Elle gratifia Astoria d'un petit hochement de tête : « C'est un plaisir de vous rencontrer, Astoria », avant de se tourner vers sa mère et hocher la tête de nouveau : « De même que vous, Mme Greengrass.
- Le plaisir est pour nous, Miss Granger, » dit Abigail, mais Hermione ne la crut pas. Elle ne cachait pas son dégoût pour elle dans son ton sec et son air pincé. Hermione ne prendrait même pas la peine d'essayer de comprendre pourquoi Mme Greengrass ne l'appréciait pas et pourquoi Astoria avait l'air si perplexe qu'elle soit là. Néanmoins, elle déglutit vaillamment et prit place autour de la table, jetant un rapide coup d'œil vers l'assiette à peine entamée de Drago.
Hermione se rendit compte qu'elle n'avait pas très faim.
En fait, elle se sentait un peu nauséeuse.
« Miss Granger, vous avez l'air un peu rouge, remarqua Mme Greengrass.
- Appelez-moi Hermione, je vous prie. » La sorcière lui fit un regard curieux, mais elle l'ignora : « Et je vais bien. Juste un peu fatiguée. » Le visage de Narcissa lui montra très clairement qu'elle ne la croyait pas un instant. Merde. Elle perdait la main. « Comment se sont passées vos vacances ? »
Narcissa se dérida. « Les îles Fidji, c'était magnifique, vraiment. Ça m'a donné le break mental et physique dont j'avais besoin après Lucius. » La lueur dans ses yeux vacilla, mais pas longtemps. « J'ai tellement adoré que j'y ai fait des prolongations. » Elle sembla se perdre dans ses pensées un instant avant d'acquiescer : « La météo était superbe. La communauté sorcière était vraiment charmante, et j'ai ramené des cadeaux pour tout le monde. Le tien est toujours dans ma chambre, mais peut-être qu'après le dîner je pourrais aller le chercher pour – »
Les portes s'ouvrirent, et Drago entra – ou plutôt, il serait entré, s'il ne s'était pas immobilisé dès l'instant où il l'avait vue. Hermione fut choquée en le voyant. Robe noire, traits pâles, cheveux soignés, posture sévère, léger renfrognement. Normal, si elle devait donner son avis, mais quelque chose n'allait pas. Il était plus pâle que d'habitude, et un peu tourmenté.
« Qu'est-ce que tu fais ici, Granger ? » prononça-t-il d'un ton maussade, surpris et fâché.
Était-il possible de ressentir toutes ces émotions en même temps ?
Pour une personne lambda, oui, mais pas pour un homme comme Drago Malefoy.
Elle ne faisait pour sa part rien d'autre que ressentir, mais Drago – ses émotions étaient probablement aussi inédites pour lui que déconcertantes. Il avait dû en ressentir à un moment donné elle l'avait vu et en avait entendu parler, mais après la guerre il semblait que Drago avait enfoui ses émotions au plus profond du manteau de la Terre. Et pas seulement ça, il semblait aussi être attentif à chaque parole qu'il prononçait – enfin, pas ces derniers temps et pas avec elle.
« Eh bien ? » dit-il d'un ton agressif.
La tête d'Hermione tambourinait. La tension dans la pièce était-elle le fruit de son imagination ou était-ce leur faute ? Au fond d'elle, elle connaissait la réponse. La tension était là depuis des mois, étouffante, pesante, presque vivante elle aurait pu émaner d'elle aussi bien que de lui. Astoria avait l'air aussi mal à l'aise que sa mère. Il attendait toujours. Hermione supposa qu'il fallait sûrement qu'elle parle, en dépit du fait qu'elle n'avait toujours pas de plan. « Je, enfin. » Merde, les mots ne sortaient pas comme elle le voulait. « Je. » Ses épaules s'affaissèrent. « Tu es parti. »
Le petit rire de Drago était nerveux. « Dix points pour Granger.
- Drago ! » le réprimanda Narcissa.
Il garda les yeux braqués sur Hermione quand il répondit : « Reste en-dehors de ça, Mère.
- Cela peut au moins attendre la fin du dîner.
- En fait, non.
- Tu ne peux pas être fâché contre moi, aboya finalement Hermione. C'est toi qui es parti.
- Et regarde-moi bien le faire une deuxième fois. » Là-dessus, il se retourna et sortit de la salle à manger.
Hermione resta plantée là, sous le choc, seulement un instant avant de se lever et se lancer à sa poursuite sans même prendre le temps de s'excuser. La dernière chose qu'elle entendit avant que la double porte ne se referme en claquant derrière elle, ce fut Astoria disant : « Qu'est-ce que c'était que ça ? » suivi par le grognement de Mme Greengrass : « On repassera pour le fait qu'il n'y ait pas d'éventualité. » Hermione n'était pas certaine de savoir de quoi elle parlait, mais elle était trop occupée à talonner furieusement Drago, le long d'un couloir du Manoir Malefoy, hurlant son nom.
Il ne répondait pas.
Elle se mit à accélérer jusqu'à l'attraper par le bras. « Est-ce que tu pourrais juste – »
Drago se dégagea de son emprise. « Ce serait une bonne idée que tu t'en ailles.
- Et ce serait une idée encore meilleure que tu me dises ce qui ne va pas avec toi. »
Il la dévisagea. Il y avait une lueur dans ses yeux qu'elle ne déchiffrait pas. « Je ne jouerai pas à ça avec toi. »
Hermione l'agrippa par la manche de sa robe quand il essaya de fuir encore une fois. « On allait bien, tout à l'heure. » Et elle se rendit compte qu'elle parlait encore à sa nuque. Sa voix s'adoucit, pas sa poigne. « Je pense que je mérite de savoir pourquoi tu n'as pas attendu pour moi. »
Il se tourna brusquement vers elle, son regard si intense qu'Hermione crut qu'elle allait se réduire en cendres. « Et je veux savoir pourquoi tu es là.
- Je – je pense que j'ai bien montré que j'étais là pour te parler. » Son impulsivité à le trouver avait fait perdre un temps précieux à Hermione pour se préparer, et elle se maudit pour cela. Elle préférait réfléchir à ce qu'elle allait dire, retourner les mots encore et encore dans sa tête jusqu'à être sûre d'avoir réglé chaque aspect, chaque recoin, chaque imperfection. Peut-être à cause des nombreuses erreurs qu'elle avait faites, mais elle s'en fichait. Elle avait besoin de temps pour s'organiser et Drago ne la laisserait pas faire marche arrière.
C'était frustrant.
Il contracta son autre main. « Je pensais que tu voudrais un peu de temps seule… pour te refamiliariser. » Et sa voix sonnait creuse et vide.
« Mais je suis là. »
Il ferma les yeux et prit ce qui semblait être une longue inspiration. « Arrête. »
Le problème, entre eux, c'était qu'à un moment donné, ils étaient tombés et avaient volé en éclats. Il y avait bien trop de morceaux – tellement de non-dits entre eux, qu'Hermione ne savait pas comment les recoller. Les éléments brisés avaient la manie de faire ça. Elle pouvait dire ce qu'elle voulait pour combler certains trous, elle n'arrêtait quand même pas de s'étrangler sur ses mots et sur son courage une sensation inconnue était bloquée dans sa gorge, et elle n'arrivait pas à l'en ôter. Cela ne faisait qu'empirer les choses. Drago parlait, mais il ne lui donnait rien. Ils avaient deux conversations différentes. Elle argumentait et il se défendait. Il se battait pour se sauver – d'elle.
Et cela la déconcertait.
Si quelqu'un devait se sentir blessé dans cette affaire, c'était bien elle.
Si quelqu'un s'était déjà senti blessé, c'était elle.
Alors pourquoi était-il si appliqué à se protéger ?
Drago, pour une fois, dévoila sa frustration en se passant une main dans les cheveux. Hermione l'observa s'humidifier les lèvres pour dire quelque chose, mais il se retint. « Je ne veux pas faire durer ça. » Il semblait au bout du rouleau. « Tu as pris ta décision, j'ai pris la mienne, aussi.
- De quoi parles-tu, au juste ?
- De ça, fit Drago en montrant le vide entre eux de la main. Tu as pris ta décision et j'ai laissé tomber.
- Laissé tomber quoi ? » Quand il plissa les yeux, elle ne lâcha pas l'affaire. En fait, elle fit tout le contraire. « Ne me regarde pas comme ça, je ne suis pas une Voyante ! Je ne peux pas rentrer dans ta tête et lire tes pensées. Sois clair avec moi !
- Je le suis !
- Non, tu ne l'es pas ! » Hermione soupira d'exaspération.
« Tu veux plus que ce que je ne peux donner, parce que là tout de suite, tout ce que je veux faire, c'est te crier dessus. Je suis sorti de cette salle à manger en prenant la décision que je serai mieux sans ça, fit-il en refaisant le même geste entre eux deux, qui me barre la route. » Il dégagea de nouveau la main d'Hermione de sa robe. Elle n'avait pas réalisé qu'elle l'agrippait toujours. Drago rit sombrement et il n'y avait pas la moindre trace d'humour, seulement de l'amertume et de l'aigreur. « Je ne peux pas gagner avec toi, hein ? Dit-il en fermant les yeux. Je me libère de toi, et tu es là. Tu es toujours là. J'essaie de respecter ce que tu souhaites. »
Hermione le dévisagea, incertaine quant à la manière dont elle devait se sentir. « Tu ne sais pas ce que je souhaite. »
Il eut un autre rire dénué d'humour. « Eh bien, toi non plus. »
Elle voulait lui dire autre chose elle avait besoin de lui dire tellement de choses tellement de choses refoulées, enfouies à l'intérieur, prêtes à exploser. Mais les mots – ils lui échappaient toujours. Et elle comprit pourquoi. Avec les mots venaient les définitions, et les définitions étaient effrayantes et définitives. Une fois qu'elle donnait la définition de ses mots et sentiments, alors ceux-ci étaient à risque d'être déformés, et elle était à risque d'être blessée. Et c'était plutôt inattendu parce que même si elle savait tout cela, elle était là, debout au bord du précipice.
« Pourquoi es-tu là ? Demanda brusquement Drago.
- Quoi ?
- Pourquoi. Es. Tu. Là ? Répéta-t-il lentement.
- Je – » Hermione se racla la gorge par réflexe, dans une tentative de déloger ce truc qui y était bloqué.
Et Drago tourna prestement les talons et s'éloigna.
Ce fut la goutte de trop. Ce fut l'impulsion dont elle avait besoin pour ravaler ce qui était coincé. Et avec cela, des choses étranges se mirent à bouillonner : des mots, des sens, des buts – tout s'éclaira soudain. Pendant un instant, Hermione tenta de reprendre sa respiration, s'empêchant de vomir les mots sur lesquels elle s'étranglait depuis ce qui semblait être des heures.
Elle comprit ce qu'avait ressenti Drago ce soir-là sur sa jetée.
Il tourna à l'angle du couloir et elle se lança après lui, sa détermination se décuplant à chaque pas qu'elle faisait. Elle passa l'angle pour le voir à mi-chemin du grand escalier. « Si tu pouvais juste rester et écouter. »
Elle n'était pas du genre à facilement laisser tomber sa fierté, parce que c'était tout ce qu'elle avait jamais eu, pendant longtemps. Mais là, elle déballait tout sur la table en espérant de tout cœur qu'elle ne serait pas une nouvelle fois blessée. Elle était disposée, non pas parce qu'elle en avait besoin, mais parce qu'il importait plus que sa fierté. Drago importait, et c'était la raison pour laquelle elle voulait qu'il reste – la raison pour laquelle elle avait toujours voulu qu'il reste.
Prendre conscience de ça lui donna l'impression d'être tombée à la renverse dans un escalier en pleine nuit. Une fois la chute commencée, impossible de se rattraper à quoi que ce soit. C'était brutal, inopiné, et bien entendu, douloureux. Son centre de gravité avait disparu, et elle essayait d'attraper quelque chose – n'importe quoi – pour s'y raccrocher.
Mais Drago s'arrêta au bas des escaliers, à sa grande surprise. Il s'arrêta, mais ne se retourna pas. Cela ramena immédiatement Hermione à la conversation qu'ils avaient eue sur son palier. Seulement à présent, elle était en haut des marches et lui en bas.
« Tu devrais rentrer chez toi, lui dit Drago d'une voix étrange.
- Je devrais probablement, mais je ne le ferai pas. » Elle se mit à descendre les marches. Elle avait l'air bien plus confiante qu'elle ne l'était réellement, et c'était tant mieux. « Pas tant que tu ne m'auras pas parlé franchement. » Hermione ne s'arrêta pas avant d'être à trois marches de lui. « Si c'est à propos de la semaine dernière, sur le ponton – »
Drago se retourna.
Il y avait peu de choses qu'elle pouvait s'expliquer concernant Drago, et encore moins dont elle fût absolument certaine. Ce qu'il avait avoué la semaine précédente n'en était qu'une preuve. Il était comme un livre – un livre laissé derrière lui par un voyageur, dans un pays où personne ne saurait le lire. Elle avait l'impression que tout ce qui le concernait était juste devant son nez, mais elle n'arrivait pas à le comprendre. Peut-être était-ce sa faute à elle, mais elle refusa de se tenir responsable de mal le déchiffrer, parce qu'il n'était pas à elle. Peut-être qu'elle s'était tellement laissée entraîner dans le réapprentissage d'elle-même qu'elle n'avait pas pris le temps d'étudier son langage à lui. Et pour la première fois, Hermione se demanda ce que cela aurait été si elle l'avait fait. Elle se demanda comment les choses auraient évolué si elle avait eu le pouvoir de le faire s'ouvrir, de voir et de sentir et d'être tout ce qu'était Drago.
La peur accompagnait cette curiosité, comme il y avait trop à penser.
Hermione savait qu'elle ne verrait plus ce qu'elle voulait voir en Drago, et elle ne ressentirait plus ce qu'elle voulait ressentir pour lui. Elle serait capable de voir au-delà de la réticence et de la colère et de l'obstination, elle serait capable de voir au fin fond de ses problèmes – ses problèmes vis-à-vis d'elle. Elle serait capable de ressentir tout ce qu'il avait ressenti sans jamais le montrer. Et à en juger par le regard qu'il avait en cette fraction de seconde, ce serait sûrement plus que ce qu'elle ne pouvait supporter.
Mais ça ne fut pas assez pour la faire changer d'avis ni la retenir de descendre les deux dernières marches jusqu'à être une au-dessus de lui – face à face.
Et son visage. Eh bien, il n'était pas très content, et c'était un euphémisme. « Ça n'a rien à voir avec ça, et tout à voir avec aujourd'hui. »
Elle se retrouva de nouveau perdue. « Qu'est-ce qu'il s'est passé aujourd'hui ? »
Drago serra les mâchoires. « Ne fais pas comme si tu ne savais pas. » Il ferma les yeux une seconde et se pinça l'arête du nez. « Vas-y, dis-le. »
Le ton démoralisé de sa voix l'alarma. « Dire quoi ?
- Dis-moi que tu es venue ici pour me le dire, lui intima Drago les dents serrées. Dis-moi que toi et la Belette, vous avez ranimé une putain de flamme de ce que vous aviez dans votre putain de passé. Dis-le, qu'on en finisse avec ça.
- C'est donc pour ça ? Tu parlais de Ron ? Lui demanda Hermione d'un air éberlué.
- Ce n'est pas que j'en parlais c'est que j'ai vu – »
Et elle comprit enfin sa réaction. « Tu as peut-être vu ça, mais tu n'as pas tout vu. Tu ne m'as pas vue le repousser. Tu ne m'as pas vue lui dire que nous ne pouvions pas être ce que nous avons été autrefois. »
Si Drago fut surpris, il ne le montra pas. Il ne fit que contracter les doigts le long de ses flans, et elle ne savait pas ce que cela signifiait.
« Je ne suis pas... » Hermione s'interrompit pour organiser les paroles qui menaçaient de se déverser. « Si je ne faisais ne serait-ce qu'envisager de retourner avec Ron, pourquoi je serais venue ici ? »
Drago cligna des yeux deux fois.
Hermione baissa les yeux, prit une inspiration, et les releva sur lui. « Je ne suis pas la même Hermione que celle que j'étais à dix-huit ans. Je ne suis pas sûre de qui je suis, en fait. » Hermione ne pouvait pas croire qu'elle disait ça à Drago, et en même temps, cette discussion n'avait que trop tardé. « Il veut quelque chose que je ne peux pas lui donner. Il veut une famille, il veut une femme, il veut des enfants… et je ne veux rien de tout ça pour l'instant. »
Drago baissa les yeux sur ses pieds.
Il n'allait pas dire un mot, mais ce n'était pas grave, parce que c'était au tour d'Hermione de parler.
« On ne progresse pas quand on est parfait, donc je ne veux pas la perfection, lui dit-elle avec sérieux. Je ne veux pas de mots, je veux des actes. Je suis en processus de guérison et de redécouverte et je veux quelqu'un qui le soit aussi. Quelqu'un qui m'ait vu dans les pires moments et qui soit resté malgré tout. Je veux qu'on se batte en priorité, parce que ça ne nous rendra que plus forts et connectés plus profondément.
- Pourquoi tu me dis tout ça ? » demanda-t-il, plantant son regard dans le sien pour la première fois.
Bordel, c'était violent. Pas étonnant que Drago ait été si furieux. Hermione aurait juste aimé tout laisser en plan et se barrer. Elle aurait aimé lui hurler dessus comme il lui avait hurlé dessus, et sûrement pour la même raison : elle mettait en danger le peu de contrôle qu'elle avait sur ses émotions et sentiments, et c'était putain de terrifiant. Qu'il y ait des sentiments ne voulait pas toujours dire qu'il y avait des garanties. Et il se tenait là, lui faisant ressentir des choses dangereuses dont elle n'avait ni l'envie ni le besoin. A présent que c'était identifié, Hermione se rendit compte que ça leur traînait autour depuis plus longtemps que ce qu'elle pensait.
Bordel, si lui avait pu être honnête – à sa manière – alors elle aussi le pouvait.
« Il fallait que tu saches. »
Il sembla assimiler la signification de ses paroles petit à petit, et les traits durs de son visage s'adoucirent. Il relâcha la contraction de ses mains, et à cet instant, on aurait dit la limpidité incarnée.
« Tu –
- Tu n'es pas le seul… à avoir ces sentiments. » Hermione tritura le bas de son t-shirt pour éviter de s'arracher les cheveux. « Tu… tu es important pour moi. »
Et le silence qui suivit fut très malaisant. Elle aurait voulu se jeter dans un chaudron bouillant prêt à exploser. Elle se dandina sur ses pieds, fourra les mains dans ses poches, et attendit qu'il dise quelque chose. Assez bizarrement, elle était à peine capable de maintenir le contact oculaire, et passa son temps à alterner entre le sol marbré et lui. Elle eut l'impression qu'une éternité s'était écoulée avant que Drago ne demande : « C'est tout ce que tu as à dire ?
- Eh bien, je ne sais pas. J'espérais que tu répondrais quelque chose – n'importe quoi, fit Hermione en se mordant la lèvre. Tu as changé d'avis ? »
Drago leva la tête vers le plafond et ferma les yeux un moment avant de la regarder à nouveau dans les yeux. « Ce serait plus facile de dire que oui, mais non. Je n'ai pas changé d'avis. » Elle était sincèrement surprise de voir à quel point il semblait honnête. « Je suis persuadé que c'est trop tard pour ça.
- Tu n'es pas le seul à avoir peur.
- Je n'ai pas peur, lui dit-il.
- Ah non ? Poursuivit Hermione en broyant son vêtement. J'espérais vraiment que tu aurais peur.
- Non.
- Je suis foutrement terrifiée, » déballa Hermione, qui, quand elle s'ouvrait à quelqu'un, le faisait à fond. « Je ne m'attendais pas à tout ça. Je – je ne me suis pas réveillée ce matin en ayant conscience de mes sentiments… pour toi –
- Granger – »
Drago avait l'air réellement mal à l'aise, mais elle ne pouvait pas s'arrêter. « C'est difficile à expliquer, dit Hermione en secouant la tête. Je ne suis pas prête pour ça. »
Il eut un rire bref, ironique. « Bienvenue au club. »
C'était un moment rare d'honnêteté entre eux, et Hermione ne pouvait mettre de côté le fait que c'était venu naturellement. Elle ne pouvait pas non plus s'empêcher d'être soulagée qu'il comprenne ce qu'elle ressentait. « Je n'ai pas réfléchi à mes sentiments pendant longtemps. Il y a toujours eu quelque chose d'autre, quelqu'un d'autre qui avait besoin de moi. Je n'ai pas eu de temps pour moi. Et maintenant que c'est le cas, c'est bizarre de penser à ce dont j'ai envie et besoin.
- Alors, qu'est-ce qu'on fait ? Marmonna Drago d'un air embarrassé.
- Quelle paire insolite on fait. Imparfaits et incomplets on n'est pas là où on veut être. Aucun de nous deux ne veut être ici, aucun de nous deux n'a besoin d'être ici, mais on est là… et on ne peut pas bouger. »
Elle entendit la frustration dans son soupir et comprit tout à fait ce qu'il ressentait.
« On est où, exactement, Granger ? »
Elle haussa les épaules. « A la croisée des chemins, j'imagine.
- La quoi ?
- On peut prendre deux directions, maintenant. On peut aller à droite et ignorer tout ce qui a été dit depuis une semaine… ou on peut aller à gauche et essayer de tout comprendre… » elle se tut, laissant le dernier mot en suspens.
Ensemble.
« Quelle direction tu veux prendre ? » demanda Hermione.
Parce qu'elle avait le sentiment qu'une fois la décision prise, il n'y aurait pas de retour en arrière.
« Quelle direction tu veux prendre ? » rétorqua Drago.
Et elle prit sa décision sans y penser à deux fois, mais elle était bouffée d'angoisse : « A gauche, peut-être. »
Partie Quatre : La pente vers la folie
A gauche.
Elle voulait aller à gauche.
Drago ne savait qu'en penser.
Elle n'était pas censée être celle qui prenait les décisions, du moins, pas si vite. Hermione avait toujours été celle trop effrayée pour faire un pas en avant parce qu'elle ne voulait pas faire d'erreur. Et là, elle était là, sur cette marche qui les mettait face à face, à lui dire qu'elle voulait aller à gauche. Tout en réfléchissant, il ne la quitta pas des yeux. Elle avait les yeux vrillés sur ses affreuses chaussures, ses cheveux flottant autour d'elle de telle manière qu'il ne pouvait pas voir son visage. Il valait sûrement mieux, de toute façon.
Drago ne parvenait pas à supprimer l'expression sidérée de son propre visage.
A droite, c'était plus facile, mais à gauche, c'était… plus gratifiant. Ça le mettait en désaccord avec son propre caractère, mais avoir des sentiments pour Granger aussi. Et ils en étaient là. Et il en était là. C'était de la folie. Il ne s'était pas attendu à cette soudaine tournure des événements.
« Et toi ? Demanda-t-elle en levant les yeux vers lui. Qu'est-ce que tu veux, Drago ? »
Et il se maudit parce qu'il avait toujours l'impression de frôler les limites de la santé mentale à chaque fois qu'elle le regardait de cette manière. « Mais – »
Elle fit craquer ses phalanges et murmura d'un air gêné : « C'est un peu plus facile quand on n'y réfléchit pas trop. »
Ne pas réfléchir ? Il la regarda comme si une deuxième tête lui avait poussé. Comment pouvait-il ne pas réfléchir alors qu'il était déjà largement sorti de sa zone de confort ? « Au moins un de nous deux doit réfléchir à ça. C'est fou. Ça ne marchera jamais parce qu'on a tous ces trucs –
- Tu as raison, mais je n'ai jamais dit que ça marcherait entre nous. J'ai juste dit qu'on pourrait essayer et démêler tout ça. Qui c'est qui saute aux conclusions, maintenant ? » C'était censé être sarcastique, mais la nervosité de sa voix était douloureusement évidente.
« J'aime la stabilité.
- Moi aussi.
- J'aime la certitude.
- Rien ne l'est dans la vie, tu le sais aussi bien que moi.
- Mais –
- Tu n'es pas médium, Drago. Tu ne peux pas prédire l'avenir. » Il ouvrit la bouche pour argumenter, mais elle le fit taire. « Encore une fois, j'ai dit qu'on pouvait essayer.
- Écoute –, essaya-t-il de la couper une nouvelle fois mais elle était si proche qu'il n'arrivait plus à penser.
- Peut-être que je ne suis pas la seule à avoir peur –
- Je n'ai pas peur.
- Je sais beaucoup de choses et je… ressens beaucoup de choses que je n'ai pas ressenties depuis longtemps, mais écoute-moi bien. Tu es important à mes yeux, et je suis importante à tes yeux. C'est tout ce qu'on a pour l'instant, mais je ne pense pas qu'on ait besoin de quoique ce soit d'autre. Je sais que c'est plus complexe que ça. Je sais que nous sommes plus complexes que ça. »
Il ricana silencieusement.
« Je sais que je ne suis pas vraiment la personne la plus facile envers qui avoir… ehm, des sentiments, mais toi non plus, Drago. Tu as autant de problèmes que moi et autant de choses que tu ne dis pas. Je sais qu'aucun de nous deux n'est prêt, mais… » Hermione s'interrompit un instant. « Si j'ai bien appris une chose ces derniers mois, c'est qu'il faut tenter sa chance quand on peut. J'ai tenté ma chance avec toi quand je t'ai dit ce qu'il s'était passé entre moi et Harry. Tu as tenté ta chance avec moi quand ton père est mort.
- Et où veux-tu en venir, exactement ? Demanda doucement Drago.
- Tout ce que je dis, c'est que tu ne devrais pas dédaigner les gens trop rapidement. Ils pourraient te surprendre. » Elle lui jeta un regard entendu et ajouta : « Je pourrais te surprendre. »
C'était trop tard. Hermione l'avait surpris et laissé sans voix.
Elle avait les pieds à moitié sur la marche elle se trouvait bien trop près. Elle tremblait, mais sa voix était ferme. « Gauche ou droite, Drago ? Parce que je ne suis pas sûre de savoir combien de temps je peux rester là, à espérer quelque chose que je ne devrais même pas vouloir. Je ne suis pas sûre de pouvoir rester longtemps sans me mettre à tout sur-analyser… à te sur-analyser. »
Drago voulait analyser ça à mort. Et il en aurait été capable si elle n'avait pas été là, à lui demander de tenter sa chance avec elle. Il aurait pu réfléchir, s'il n'avait pas été alarmé par le simple fait que Granger, la peur incarnée, acceptait tout ça mille fois mieux que lui. Et il décida que si elle pouvait être honnête et s'ouvrir sans avoir peur du jugement si elle pouvait essayer sans réfléchir… alors peut-être qu'il le pouvait, lui aussi. Parce qu'il le voulait. Et lentement, mais avec toute sa persévérance, il parvint à un genre d'équilibre bancal. Et au sein de cet équilibre fragile, il répondit.
Mais il ne le fit pas avec des mots.
Il répondit en attrapant la main d'Hermione agrippée si fort à son t-shirt. Il la couvrit de la sienne et la tint, se sentant un peu stupide alors qu'il l'avait déjà fait auparavant. Mais il le désirait. Il désirait. Il était stupide et c'était stupide et – les yeux de Granger se fermèrent involontairement. Et il fut cloué sur place. Distraitement, ses doigts caressèrent sa joue et elle frémit, et il ne savait pas si c'était un frisson de peur ou d'autre chose. Elle avait la mâchoire contractée, les lèvres serrées, et les yeux froncés. C'était une expression de courage pur, mais Drago connaissait la vérité. Le langage de son corps et les larmes qui menaçaient hurlaient la vérité.
Elle avait peur.
Quand il souleva son menton, Hermione ouvrit subitement les yeux, et c'était encore là. Ce sentiment. Ce regard. Elle essayait encore de le faire. De le lire, de le comprendre, de le connaître, de le voir. Elle essayait de l'examiner, sûrement pour les mêmes raisons qu'il essayait de l'examiner ; à la recherche de doute, d'une excuse, d'une raison de s'empêcher de faire le plongeon le plus haut de toute sa vie. Un plongeon auquel il n'avait pas été préparé.
Drago ne savait pas ce qui était le pire, le fait qu'elle n'ait rien trouvé lui donnant envie de faire marche arrière, ou le fait que lui non plus n'ait rien trouvé. Parce qu'il y avait un milliard de raisons pour lesquelles il aurait pu se raviser, et seulement une raison pour laquelle il ne pouvait pas.
Il murmura les quelques mots qui lui donnèrent la parfaite échappatoire, Hermione sembla hésiter une fraction de seconde avant de se pencher vers lui. Quand Drago hocha la tête en retour, elle mordilla sa lèvre inférieure. Il était clair qu'elle ne faisait pas cela sans peur. Mais à cet instant, alors qu'il l'observait, il savait qu'il était devenu fou.
Drago voulait ceci – plus qu'il ne l'avait jamais imaginé. Et il se pencha en avant, juste assez pour effleurer ses lèvres des siennes. Drago pouvait la sentir trembler, mais elle ne bougea pas, ne répondit pas. Hermione respirait et tremblait comme une souris aux prises d'un chat joueur. Il relâcha sa main pour entourer sa taille et la serrer contre lui. Drago n'arrivait pas à se défaire de la sensation qu'Hermione était petite et fragile face à lui. Il avait peur de la briser.
Peut-être qu'il le ferait, un jour.
Ou peut-être qu'elle le briserait.
Quand elle se cala contre lui, Drago se dit, à son grand désarroi, que cela serait la deuxième option.
Il se souvenait du jour où il l'avait anéantie. Cela n'avait pas été son intention, mais c'était ce qui était arrivé. Il l'avait anéantie, mais en même temps, il avait allumé une flamme qui avait silencieusement grandi et s'était propagée. Le temps qu'il le réalise, les flammes étaient trop puissantes pour qu'il les contienne. Et à présent, il se tenait devant elle la peau brûlée et un goût de cendre dans la bouche et de la suie sur les doigts.
A présent, il se tenait devant elle, vaincu.
Quand il caressa ses lèvres des siennes une seconde fois, Hermione eut l'air aussi mal à l'aise qu'il l'était. Elle n'était rien d'autre que pâleur et traits figés, mais au moins ses yeux étaient fermés. Et une fois encore, elle ne bougea pas ni ne répondit. Il envisagea de mettre fin à ce qui avait été un moment embarrassant de pseudo-baisers, d'excuses pour lui, de non-réaction pour elle, et d'appréhension pour eux deux.
Mais il repoussa cette pensée et l'embrassa, prenant son temps en l'étoffant. Il sentit son exclamation et ne laissa pas sa raideur le dissuader. La façon dont il bougeait les lèvres était contrôlée, résolue, mais toujours timide. Il calculait, se familiarisait avec la situation étrange, et éloignait mentalement toute signification et analyse de ses actions. Ce n'était pas important. Non.
Enfin, si.
Et quand il se mit à l'embrasser sincèrement, à l'embrasser profondément, il sentit une larme rouler sur la joue d'Hermione. Et quand elle commença à répondre, elle rendit la sincérité et il eut l'impression qu'un poids s'ôtait de ses épaules. Elle posa sa main sur son épaule et de son autre main attrapa la sienne, et Drago essaya d'ignorer à quel point elle tremblait violemment, mais c'était impossible.
Elle avait peur.
Tellement peur.
Mais lui aussi.
Le meilleur chapitre de cette fiction… Si si je suis très objective.
Hihi.
A bientôt…
