Guest : Un grand merci pour ton très gentil retour! Il m'a vraiment fait plaisir :D

J'espère que le chapitre qui suit sera à la hauteur. Il était long à venir (parce qu'il est long tout court, haha).


L'adresse que m'avait donné Lilith donnait sur la rue principale de Pré-au-lard ; une vieille maison qu'il aurait été difficile de distinguer des autres. Je n'aurais probablement pas dû être autant surprise, après tout elle m'avait bien donné une adresse, dans un village, composé d'habitations et de quelques rares boutiques. Mais la perspective de passer du temps avec elle, seules entre quatre murs, sans la masse d'élèves qui criaient partout dans les rues et échoppes de Pré-au-lard, avait quelque chose de saisissant ; apercevoir la maison m'avait quelque peu stressée.

À peine arrivais-je à la hauteur de la porte que celle-ci s'ouvrit. Voir Lilith dans un jean me surprit. Sa chemise était différente, plus cintrée ; ce n'était clairement pas celle de l'école. Ainsi, elle paraissait bien plus grande qu'elle ne l'était réellement.

- Bonjour, sourit-elle.

- C'est le moment où je dois me souvenir de ce que me disait mon père ? demandai-je amusée. Ne pas aller avec des inconnus… ou plutôt chez des inconnus ?

Elle secoua la tête avec un sourire, posa un court instant ses yeux sur le mur face à elle, et finit par rire. Un bruit sourd retentit immédiatement à côté d'elle en même temps qu'une petite silhouette apparaissait dans le couloir ; un Elfe de Maison, évidemment. J'en avais déjà aperçu certains dans les cuisines de Poudlard lorsque nous avions réussi à en trouver l'entrée avec Alice en deuxième année - la première fois que nous avions fait perdre des points à Serdaigle, mais n'avais jamais vu d'Elfe de Maison domestique. Il me sembla bien frêle.

- Miss Parker, fit l'Elfe de Maison visiblement inquiet, couvez-vous quelque chose ?

- Non, Mr. Kristof. Je… riais juste, ajouta-t-elle visiblement gênée.

- Rire ? Oh, très bien. Bonjour Miss Jònsson, reprit l'Elfe de Maison en se tournant vers moi. Rentrez, voulez-vous ? Vous allez attraper froid. Ce n'est pas une façon de traiter ses invités, Miss Parker, dit-il manifestement mécontent.

Je restai un instant interdite devant le spectacle avant d'obtempérer face au regard insistant de Mr. Kristof.

- C'est une vieille maison que nous avons récupérée il y a quelques siècles quand un arrière arrière… arrière ? je ne sais plus, grand oncle est décédé, enchérit Lilith alors que je passais la porte. Nous ne l'utilisons pas vraiment. Je pensais qu'être dans un environnement calme serait plus approprié pour discuter de certaines choses. Enfin, reprit-elle, discuter de certaines choses dans un environnement familier me semblait plus facile.

Mon ventre se serra alors que je me rappelais notre conversation.

- Les choses auxquelles tu ne voulais pas penser ? vérifiai-je.

- Celles-là mêmes.

Elle referma la porte et il devint évident que son anxiété après l'entrainement de quidditch n'avait rien à voir avec une potentielle crainte que je refuse de passer la journée avec elle ; Lilith appréhendait ce qu'elle devait me dire.

- Je ne vais vraiment pas aimer notre discussion, pas vrai ?

- Je ne pense pas, en effet, répondit-elle. Crois-moi, Eyrin, je donnerais tout pour ne pas être obligée d'avoir cette conversation. Mais, reprit-elle plus légère, nous pourrons en parler plus tard. Profitons d'abord de cette journée. Si cela te convient de fonctionner ainsi pour aujourd'hui, évidemment, ajouta-t-elle rapidement.

Bien qu'une partie de moi aurait préféré en finir tout de suite, son appréhension concernant cette discussion fut contagieuse et j'acquiesçai simplement. Elle reprit en se tournant vers l'Elfe de Maison :

- Après notre première conversation, je pensais également que tu aimerais rencontrer Mr. Kristof.

- Bonjour Mr. Kristof, fis-je rapidement, gênée de ne pas l'avoir salué plus tôt.

- C'est notre Elfe de Famille, reprit Lilith. Normalement, il n'est pas ici mais j'ai pris quelques dispositions pour préparer la maison avant ton arrivée.

- Très fier de servir la très noble famille des Parker, Miss Jònsson, dit-il en réalisant une pirouette.

- Vous faites partie de la famille, Mr. Kristof. Plus jeune, ajouta-t-elle en se tournant vers moi, je passais bien plus de temps avec lui qu'avec les autres membres de la famille. À l'exception de mon frère évidemment.

- Ne dites pas des choses pareilles, Miss Parker. Vous savez bien que votre oncle et votre tante sont occupés. Si ils avaient pu, ils auraient passé bien plus de temps avec vous et Mr. Parker.

- Donc d'une certaine manière, vous avez participé à l'éducation de Lilith ? demandai-je, amusée de découvrir cette partie de sa vie.

- Je sers la famille Parker, Miss Jònsson. Il est de mon devoir de veiller à ce que Miss Parker fasse honneur à son nom. Cela inclut en effet de devoir la reprendre de temps en temps.

Elle leva les yeux au ciel et je ne pus m'empêcher de sourire, autant amusée qu'attendrie. En m'invitant ici, elle avait accepté de me montrer cette part d'elle-même et j'en étais particulièrement touchée. Je redoutais vraiment ce qu'elle finirait par me dire.

Lilith me prit ma cape et m'invita d'un geste à entrer dans le salon de la petite maison. Celle-ci semblait presque s'écrouler sur elle-même, l'impression qu'elle laissait était assez étrange ; à la fois froide et particulièrement chaleureuse. Cela devait être due au fait qu'elle était étroite et petite. Le sol et les murs en pierre criaient leur vieil âge, les fenêtres étaient très petites, laissant à peine passer quelques rayons de lumière, et l'aménagement était sommaire. Après tout, ils n'utilisaient pas cette maison. L'aspect particulièrement rangé et vide contrastait avec l'aspect peu soigné des murs et des fenêtres qui semblaient pouvoir s'effondrer à n'importe quel moment.

Il y avait un petit feu dans la cheminée, un vieux canapé en face et une table à manger derrière, contre la maigre fenêtre qui donnait sur la rue principale. Un petit escalier tentait péniblement d'exister à côté de la table. On aurait dit qu'il essayait de se fondre dans le mur. Ca rappelait les maisons de la rue qui semblaient se fondre les unes dans les autres ; l'âge de cette maison devait être particulièrement vieux.

Lilith m'invita d'un geste de la tête à m'asseoir sur le canapé, ce que je fis aussitôt.

- Mr. Kristof, pensez-vous que les Elfes de Famille puissent se libérer ? demanda Lilith.

L'Elfe de Maison se déplaça en face de nous alors qu'elle s'installait à ma droite.

- Quelle drôle d'idée, Miss Parker. Êtes-vous certaine de ne rien couver ? Le rire peut être symptomatique de certaines maladies, le saviez-vous ?

Elle fut à nouveau gênée. Je ne l'avais jamais vu ainsi.

- Mr. Kristof, fis-je soudainement en essayant de sortir Lilith de cette impasse, pensez-vous que vous avez une responsabilité vis-à-vis des autres Elfes de Mai- mhm, de Famille ?

- Non Miss Jònsson, je n'ai aucune responsabilité vis-à-vis des individus de mon espèce. Je n'ai de responsabilités qu'envers les Parker. Avez-vous un devoir à réaliser sur les Elfes de Famille, mesdemoiselles ?

- Nous sommes juste curieuses, répondit Lilith. Et ma curiosité est un peu plus juste que celle de Miss Jònsson, ajouta-t-elle manifestement satisfaite d'avoir eu raison l'autre soir.

- Une curiosité ne peut être juste, Miss Parker, la reprit Mr. Kristof alors que le sourire satisfait de Lilith disparut devant la réprimande. Vous savez pourtant que les mots ont un sens spécifique auquel nous devons prêter particulièrement attention. Votre grand-père vous le rappelle souvent.

Je ne pus m'empêcher de rire avant de m'arrêter net devant le regard noir de Lilith et celui, surpris, de l'Elfe de Maison.

- Peut-être est-ce contagieux, conclut Mr. Kristof. Je vais me renseigner auprès de mes pairs. Miss Parker, ajouta-t-il en claquant des doigts, ce que vous avez demandé est sur la table.

- Je vous remercie, Mr. Kristof.

Il disparut aussitôt, laissant derrière lui une table basse pleine de victuailles. Je ne pris cependant pas la peine d'y jeter un œil, bien trop préoccupée que j'étais par un léger point de détail. Je me tournai vers elle, son corps était encore plus proche que lorsque nous étions dans le minuscule couloir.

- On est d'accord que c'est en réalité moi qui ai raison ? demandai-je, légèrement piquée qu'elle puisse penser avoir eu raison sur la question des Elfes de Maison. La responsabilité qu'il perçoit envers ta famille l'empêche de ne serait-ce que penser qu'il puisse être responsable du sort des autres Elfes de Maison. De plus, ajoutai-je, je n'ai jamais dit qu'ils avaient une conscience de classe, simplement que s'ils n'en avaient pas, c'était précisément parce que leurs maîtres mettaient tout en place pour qu'ils n'en développent pas. Comme les appeler des Elfes de Famille ? rajoutai-je, joueuse.

- J'imagine qu'il est effectivement possible que nous ayons toutes les deux raisons sur ce sujet, répondit-elle, manifestement amusée par ma réaction. Et l'allégeance de Mr. Kristof n'est pas à notre maison, mais à notre famille. Nous avons pris l'habitude de marquer la distinction. Ses ancêtres ont toujours servi notre famille, nos histoires sont fondamentalement liées et ne peuvent se résumer à une simple habitation.

- Il n'empêche que jouer sur l'esprit de famille, commençai-je emportée par notre échange, c'est particulièrement efficace pour le maintenir à sa place.

- Il fait partie intégrante de notre famille, rétorqua-t-elle fermement. Nous ne jouons sur rien.

- Partie intégrante de votre famille, sans pour autant avoir le statut et la liberté des membres sorciers.

- Nous avons tous des statuts différents, Eyrin, et une liberté toute relative. Ma tante et ma grand-mère me vouvoient parce qu'elles ne sont pas de notre sang. Elles doivent marquer la distance. Mon frère a un statut plus élevé que moi, puisqu'il a la possibilité de transmettre notre nom. Si nous finissons au fond du lac noir, de nous deux, mon oncle sauverait le fils de son frère sans hésiter une seule seconde et sans éprouver une once de regret. Et, avec le poids de ma famille, je n'ai pas l'entière liberté de mon avenir.

Son corps frôlait le mien dès qu'elle esquissait le moindre mouvement. Ou peut-être était-ce moi qui avait tendance à me pencher vers elle lorsque je lui parlais. J'aurais été bien incapable de trancher.

- Tu ne peux décemment pas comparer la situation de votre Elfe de Maison avec les contraintes que ta famille s'inflige d'elle-même.

- Bien sûr que non. Je soulignais juste que nous sommes par définition une famille très hiérarchisée. Les différences de statut sont la norme. Chacun a une place définie. Mr. Kristof a tout autant sa place que j'ai la mienne. En ce sens, il est partie intégrante de la famille. Accessoirement, il m'a vue grandir et a toujours veillé, à sa façon, sur moi.

- Et ce que je disais avant que tu ne changes l'objet de la discussion, rétorquai-je d'un ton accusateur, c'est que la gentillesse est une façon sacrément efficace de maintenir les choses à leur place. On oublie de voir le tableau dans son entièreté et on ne voit que la situation dans laquelle nous sommes pris individuellement. Comme votre Elfe de Maison oublie de considérer l'asservissement général de son espèce aux sorciers en étant uniquement concentré sur la fierté que lui procure de servir la « très noble famille Parker » et le fait que vous semblez le traiter relativement convenablement. Il ne va pas s'amuser à se révolter puisque sa situation individuelle ne lui est pas aussi nocive que celles des autres Elfes de Maison.

- Oh, il conçoit l'asservissement de son espèce, il ne lui donne juste pas le même sens que toi. Cela rejoint d'ailleurs tout à fait ce que je disais : ils ne conçoivent pas leur asservissement comme la résultante d'un rapport de force entre deux espèces différentes. De plus, pour revenir au sujet, appuya-t-elle avec un regard joueur, ces conséquences involontaires ne changent rien au fait que je le considère véritablement comme un membre de notre famille.

Si on s'en référait à sa façon d'interagir avec lui, c'était même plus que ça ; elle avait été beaucoup moins distante et froide avec Mr. Kristof qu'elle ne l'était lorsqu'elle mentionnait les « Parker ».

- Il le conçoit différemment parce que les sorciers font perdurer cette idée de besoin d'allégeance qui serait un besoin naturel chez les Elfes de Maison et qui n'aurait évidemment rien à voir avec la manière dont ils sont conditionnés jeunes. Leur besoin d'allégeance, s'il existait réellement, pourrait se satisfaire autrement que par un asservissement. Et, ajoutai-je pour répondre à son deuxième point, le traiter correctement ou comme un membre de votre famille ne change rien non plus au fait que cela a comme conséquence de le maintenir dans son asservissement. Ca marche dans les deux sens.

Si notre échange m'avait particulièrement enivrée, l'intensité avec laquelle elle me regarda finit de m'achever. Je ne savais plus quoi faire de mon corps. Par Merlin, j'avais vraiment pris l'habitude de me mordre la lèvre. C'était désespérant.

- Tu rends très difficile de ne pas t'embrasser, dit-elle simplement.

Je rougis malgré moi, mais ne comptais pas pour autant me faire avoir ainsi.

- Si tu en viens à essayer de me faire rougir, c'est que j'ai de toute évidence était très convaincante.

- Oh, non. Enfin, reprit-elle, je suis d'accord avec tes idées sur la gentillesse. Ce serait déplacé pour moi de ne pas l'être, j'ai été biberonnée à la diplomatie. Mais je ne dis pas ça pour te faire rougir, même si je dois avouer que c'est un plaisir supplémentaire. Lorsque tu es comme ça, il est vraiment difficile de ne pas t'embrasser. Je n'ai cependant pas osé interrompre une Serdaigle en plein exposé. Je suis un peu trop polie pour cela.

- Oh, mais la Serdaigle a fini son exposé.

- La Serpentard avait noté.

Assises comme nous étions, mon corps se pressa contre le sien avant que mes lèvres n'eurent le temps de rejoindre les siennes. Sa réponse fut appuyée et pressante ; je souris. La cheminée, bien que petite, me sembla particulièrement efficace pour réchauffer la pièce pendant les longues minutes que nous perdirent à nous embrasser l'une contre l'autre.

- Avec tout ça, sourit-elle finalement en se reculant légèrement, je ne t'ai même pas proposé à boire.

Reprenant doucement mes esprits, je jetai enfin un œil vers la table basse. Il y avait plusieurs bouteilles différentes, une théière accompagnée de ses tasses et des muffins. Évidemment, elle avait pris soin d'y ajouter une bièraubeurre ; dans une choppe équivalente à celle que Rosmerta nous servait habituellement aux Trois-Balais, aux côtés de sucreries estampillées Honeydukes.

- C'est mignon.

- Bien élevé, corrigea-t-elle. Mr. Kristof les a cherché avant que tu arrives, mais j'imagine que la bièraubeurre s'est probablement réchauffée depuis. Je ne voulais pas qu'être présente ici avec moi t'empêche de profiter des plaisirs habituels de Pré-au-lard.

- Tu réalises que ça ne fait que rendre la chose encore plus adorable, pas vrai ?

Elle leva les yeux au ciel et j'attrapai un des muffins posés sur la table, particulièrement attendrie par ses réactions. Ce ne fut que lorsque je croquai dans le gâteau que je remarquai à quel point « tout ça » m'avait donné faim.

- Ils sont vraiment bons ces muffins.

- Une vieille recette de famille.

- Mais ce n'est pas toi qui les as fait ?

- Non.

- Donc tu n'as certainement pas le droit de frimer.

Elle rit et je n'eus plus du tout envie de savoir ce qu'elle souhaitait me dire à la fin de la journée.

- Si j'ai bien compris, commençai-je avec un sourire, ma présence doit probablement te causer quelques soucis de santé… Il va falloir que l'on soit vigilantes à ces rires intempestifs.

- Les Parker rient quand ils ont 8 ans puis finissent éventuellement par revenir à leur sens, répondit-elle d'une voix faussement ferme.

- Mhm mhm.

Devant sa moue absolument adorable, me restreindre de l'embrasser à nouveau ne fut pas envisageable. Nous nous abandonnions l'une à l'autre pendant un instant qui me parut bien trop court ; une fois de plus, Lilith eut un petit rire amusé. Je ne pus empêcher un grand sourire et elle leva les yeux au ciel.

- Ne te flatte pas, Eyrin. Il a été surpris parce que j'ai pris l'habitude de ne pas rire en présence de ma famille. C'est tout.

- Peut-être que si tu y croyais toi-même, tu serais un peu plus convaincante.

Elle se contenta de sourire en secouant légèrement la tête, et je restai contre elle. Une de ses main était posée sur ma cuisse et je glissai mes doigts entre les siens.

- Tu as mentionné un oncle, commençai-je en jouant avec ses doigts, une tante, des grands-parents, mais pas de parents…

- Ils sont décédés dans un accident de transplanage quand Ethan n'arrivait même pas encore à se tenir à quatre pattes.

Sa distance très froide avec sa famille devait probablement y trouver ici son explication.

- Tu avais… 4 ans ? calculai-je.

- C'est ça. Quel âge avais-tu, pour ta mère ?

- C'était il y a trois ans, répondis-je concentrée sur sa main. Mais elle était malade, donc on savait ce qui allait arriver.

- J'imagine que cela ne rend pas les choses nécessairement plus faciles.

- Non, pas vraiment.

Tout était si calme et apaisant ici ; le crépitement des flammes dans la cheminée, l'odeur de ses cheveux quand Lilith approchait légèrement son visage, la chaleur de son corps qui se pressait contre le mien au rythme de sa respiration, et le sourire qui lui échappait de temps en temps. Pendant un instant, j'oubliai que nous étions censées retourner à Poudlard une fois le soleil couché.

- De quoi était-elle malade ? demanda-t-elle.

- Un cancer.

- Est-ce douloureux ?

- Ca avait l'air, oui. Mais elle ne disait jamais rien.

- C'était ta mère, dit-elle d'une voix particulièrement douce, elle ne voulait probablement pas que la situation te pèse plus encore.

J'haussai les épaules.

- La vérité, c'est que ça aurait été plus facile d'entendre que c'était difficile pour elle aussi. Il n'y a que plus grande que j'ai eu le droit de l'accompagner dans ses chimiothérapies. Le traitement moldu de la maladie, ajoutai-je devant son regard interrogateur. Enfin, ce n'est pas vraiment un traitement. A la fin, c'était surtout pour freiner la maladie plus que pour vraiment l'arrêter. Mais je n'ai compris ce que ça voulait dire que tardivement. Mes parents m'avaient expliqué, mais je n'avais pas vraiment imprimé avant que ce soit trop tard. C'était comme si mon cerveau était capable de répéter bêtement ce qu'ils me disaient, mais pas de comprendre ce que ça voulait réellement dire. J'avais attribué sa … faiblesse uniquement à la chimio, et pas à la maladie qui continuait de progresser.

- Depuis quand saviez-vous qu'elle était malade ?

- Longtemps. La maladie était d'abord partie, alors je savais qu'elle avait été malade mais je pensais qu'elle était guérie. Le cancer est revenu quand j'avais 8 ans.

- Ils ne vous ont pas laissé avoir accès à Sainte-Mangouste, constata-t-elle simplement.

- Non. Ma mère était britannique mais mon père est suédois. On vivait à Londres à l'époque, mais le Ministère a jugé que mon père étant le sorcier des deux, ne travaillant pas en Angleterre et le mariage ayant été formalisé administrativement en Suède, c'était en Suède qu'il fallait faire les démarches. Les lois magiques suédoises sont légèrement différentes.

- Ils sont stricts sur le respect du Code International du Secret Magique.

- Ouais. Ils considèrent qu'il serait difficile de mettre une limite une fois qu'ils commencent à traiter les Moldus. Pourquoi ma mère et pas un autre Moldu ? Ils ont peur que les sorciers se déclarent en couple avec des Moldus uniquement pour avoir le droit de les soigner, ce serait ingérable. De toute manière, on ne sait pas s'ils auraient réussi à faire quoique ce soit.

- Mais ils auraient pu essayer. Tu as dû être en colère.

- J'ai fini par accepter que je ne pourrais jamais vraiment savoir si ça aurait changé quoique ce soit.

Sa deuxième main quitta mon poignet pour s'amuser dans mes cheveux.

- Désolée, dis-je, la discussion n'est pas très légère.

- Ne t'excuse pas. J'ai posé les questions. Et je suis heureuse que tu y aies répondu. Malheureusement pour toi, je suis vraiment intéressée par ce qu'il se passe dans la vie d'Eyrin Jònsson.

- Tu dois vraiment couver quelque chose…

Ses doigts abandonnèrent la mèche avec laquelle ils jouaient depuis quelques minutes sur mon épaule pour remonter légèrement dans mon cou. Ma peau frissonna mais Lilith ne sembla pas s'en rendre compte, ses yeux étaient focalisés sur ses propres mouvements et son esprit paraissait ailleurs.

- Probablement, oui, répondit-elle enfin.

Elle retira ses doigts mais l'information n'eut pas l'air d'atteindre mon corps, c'était comme si elles ne les avait jamais enlevés ; ces deux mots m'avaient rendue fébrile.

- Tu… tu as dit l'autre soir que tu ne pensais pas que c'était réciproque. Depuis combien de temps… ?

Ses yeux plongèrent dans les miens et je devinai à son air réflexif qu'elle avait besoin de placer le contexte. Elle prenait souvent cet air avant de commencer ses longues réponses.

- L'année dernière était difficile pour tout le monde, commença-t-elle, mais elle m'a fait voir certaines choses différemment. Ma famille qui, pourtant, tente de tout contrôler et prédire n'avait pas prévu le retour de Voldemort. Elle avait été trop occupée avec le Brésil pour vraiment s'intéresser à ce qu'il se passait ici. Une fois le problème britannique compris, c'était trop tard. La majorité des mangemorts avaient rejoint Voldemort et étaient irrécupérables, ils étaient bien trop terrifiés pour le quitter. Le temps de la discussion et de la diplomatie était passé et nous avions manqué le coche. J'étais particulièrement en colère, ce qui ne m'était jamais réellement arrivé avant, en tout cas pas de cette façon, ajouta-t-elle presque gênée. Mais, surtout, j'ai compris la différence entre le pouvoir et le respect. Nous avions du pouvoir parce que nous étions respectés. Mais le respect est dans les yeux d'autrui et les Carrow n'en avaient rien à faire des Parker. C'était la perversité à l'état pur. Ils n'avaient aucune limite et auraient été bien incapables, de fait, de respecter quoique ce soit ou qui que ce soit. À ce moment-là, mon monde s'effondrait complètement sur lui-même et je commençais à remettre en question certaines caractéristiques de mon éducation. Je ne comprenais pas l'intérêt de tous ces sacrifices si nous ne servions à rien dans un cas pareil et si notre « pouvoir » pouvait être aussi facilement outrepassé. Tout me semblait si fragile et bancal. Même mon frère, alors en première année, était dans un tel état… J'étais complètement dépassée et impuissante. Tout s'écroulait autour de moi. Je ne contrôlais plus rien. Et j'avais cette peur étrange de mourir. Je ne l'avais jamais eu avant. J'étais soudainement devenue vulnérable même en-dehors du cadre familial.

Lilith attrapa à nouveau la mèche qui semblait l'avoir beaucoup distraite tout à l'heure. Je n'avais jamais pensé à ce qu'avait pu être l'année passée pour elle et me sentis quelque peu coupable. Il était évident que l'année dernière avait fait rupture, mais elle semblait avoir remué des choses bien différentes chez Lilith que chez le reste d'entre nous.

- Tu ne dois pas t'en souvenir, reprit-elle alors qu'elle passait ses doigts dans mes cheveux, mais tu m'as croisé un jour dans les couloirs avec Stevens. Je ne sais plus exactement quand c'était, mais vous aviez déjà commencé à résister. Tu m'as regardé droit dans les yeux, tu m'as dit bonjour, et je me suis sentie vivante. C'était quelque chose que je n'avais jamais ressenti, alors j'étais déboussolée, mais le ressentir quand je n'avais plus de contrôle sur quoique ce soit était vraiment… inespéré.

Mon esprit plia sous l'intensité du moment ; j'étais complètement sidérée. Je ne me souvenais en effet pas de ce dont elle parlait et en éprouvai de la culpabilité. Lilith arrêta enfin de jouer avec mes cheveux pour planter ses yeux dans les miens ; mon cerveau fit la seule chose qu'il savait faire dans ce genre de situation.

- Heureusement que je suis polie. Je devrais remercier mes parents de m'avoir bien élevée.

- Merlin, soupira-t-elle en détournant les yeux, je suis vraiment ridicule… Je ne sais même pas pourquoi je te dis ça.

- Non mais continue, implorai-je.

- Hors de question, Jònsson. Ca semble te faire beaucoup trop plaisir.

- Miss Parker, ce n'est vraiment pas une façon de traiter ses invités.

- Peut-être mon invitée pourrait-elle au moins avoir la décence de renvoyer le souaffle, rétorqua-t-elle avec un regard appuyé.

Je me redressai légèrement et fus la première surprise de ne pas avoir autant de difficultés que d'habitude à parler de ce genre de choses. Soit discuter avec Lilith devenait bien trop facile, soit je commençais à apprécier de pouvoir me sentir aussi vulnérable avec elle.

- Je ne sais pas trop, Lilith. Je crois que… Enfin, il est évident que je t'avais remarqué relativement tôt. Je veux dire, il est difficile de ne pas te remarquer. Mais à la rentrée, avant notre premier cours de potion avec Shadlakorn, tu m'as regardé et ça m'a complètement déstabilisée. D'habitude, tu étais toujours si distante, comme si tu n'étais pas réellement avec nous autres, et j'ai eu l'impression de faire partie de ton monde pendant quelques secondes. La sensation était vraiment agréable. Après, je crois que… Je ne sais pas, je pensais bien trop souvent à toi sans aucune raison valable, ça n'avait aucun sens.

Alors que le visage de Lilith se rapprochait à nouveau du mien, ses cheveux dans mon cou me firent frissonner. Son souffle chaud remonta lentement jusqu'à mon oreille. Mr. Kristof devait avoir ajouté de nouvelles bûches dans le feu sans que nous nous en soyons aperçues, le salon se réchauffa brusquement.

- Tu devais couver quelque chose, souffla-t-elle enfin à mon oreille.

- Probablement, oui, répétai-je en échos à ce qu'elle avait dit plus tôt.

J'entendis son sourire autant que je le sentis contre mon oreille, et tournai mon visage pour lui faire face. Elle m'embrassa tendrement avant d'enfouir son visage dans mon cou. Ce fut mon tour de jouer distraitement avec ses cheveux.

- Puisque tu en parlais tout à l'heure, commençai-je au bout d'un moment. Comment est-ce que c'était, pour Serpentard, l'année dernière ?

- Difficile. Te souviens-tu de la dispute entre Clyde et Griffin ? demanda-t-elle avant de continuer après mon acquiescement. Clyde est un véritable idiot mais il avait raison lorsqu'il disait que votre résistance a empiré les choses pour tous les autres élèves.

Lilith n'avait pas parlé du début de l'année ; de toute manière, peu d'élèves en parlait réellement. Je n'avais pu le faire qu'avec mon père cet été. D'après ce que Lilith disait, notre résistance avait eu comme conséquences évidentes de mettre les Carrow dans une humeur pitoyable. Les choses auraient visiblement été gérables si elles s'étaient arrêtés là, mais les Carrow avaient eu besoin de cobayes pour leurs petites démonstrations de force. Les élèves qui ne nous avaient pas rejoints s'étaient, logiquement, retrouvés relativement peu nombreux par promotions ; c'était ainsi les mêmes qui étaient obligés de participer aux activités pédagogiques des mangemorts. Plus nous étions nombreux à partir vers la salle sur demande, plus le poids que nous faisions reposer sur les épaules de ceux qui restaient était grand.

Il avait été particulièrement attendu des Serpentards qu'ils soient volontaires. Pour les Carrow, cela avait été une évidence que les élèves de Serpentard prendraient du plaisir au changement pédagogique qu'ils introduisaient. Évidemment, cela avait créé des attentes particulières. Sauf que la majorité des élèves de cette maison avait été terrifiée, y compris les « apprentis mangemorts qui avaient la lâcheté de suivre papa dans sa quête d'ambition individuelle » pour reprendre les mots exacts de Lilith, et les Carrow s'étaient attendus à bien plus de volontarisme et de cruauté de leur part. Un Serpentard qui disait non n'avait pas le droit au même traitement que tout autre élève qui se serait opposé. Ce n'avait pas été évident à gérer pour les élèves, comme on pouvait s'y attendre. À ce moment, la plupart des élèves étaient totalement détruits et auraient été bien incapables de s'opposer à quoique ce soit. Pour Lilith, Clyde était un bon représentant de cette espèce. Ils n'étaient plus que l'ombre d'eux-mêmes et avaient simplement obéis par peur ou instinct de survie. Mais notre résistance avait grandie et la pression mise sur les élèves qui restaient s'était alourdie.

Alors certains élèves, comme Smith, chez Serpentard, et Lewis, chez nous, avaient pris sur eux d'obéir volontairement aux mangemorts. Ils avaient permis à d'autres élèves de ne pas avoir à le faire et de relâcher la pression sur l'ensemble de la promotion. Les Carrow avaient semblé contents de juste pouvoir mettre en scène leur petite leçon de terreur. Tant qu'ils avaient des volontaires, ils étaient trop pris par leur spectacle pour voir que certains n'obéissaient pas. Alors Smith et Lewis avaient étés volontaires pour chacune des horreurs qui était passée par la tête des mangemorts.

- Ils ont essayé de limiter les dégâts à leur façon, conclus-je. Mais ce sont eux que les Têtes Chercheuses de Traitres suivent partout.

- L'humiliation des vaincus est une réponse récurrente des vainqueurs après les guerres, répondit-elle calmement. La Gazette des Sorciers a la décence de ne mentionner que les Aurors qui traquent les mangemorts en fuite, mais je pense que tu n'aimerais pas nécessairement savoir ce qu'il se passe dans les villages envers les personnes suspectées d'avoir aidé Voldemort.

- Ce n'est pas parce que d'autres personnes le font qu'il est juste de le faire également à notre échelle. Et Serpentard n'a pas participé à la guerre en tant que Serpentard. Vous n'êtes pas des soldats de l'autre bord. Vous n'êtes pas des vaincus. Vous êtes des élèves comme nous. Des victimes comme nous.

Lilith se releva et j'eus froid aux endroits contre lesquels son corps s'était blotti tout ce temps.

- Tu as l'air particulièrement inquiète pour Serpentard, constata-t-elle.

- Les Gryffondors semblent… je ne sais pas, en proie à des dynamiques particulières. Je me demandais si c'était la même chose chez vous. Si il y a bien une personne qui peut observer l'évolution de la situation dans votre salle commune, c'est toi. Je me demande ce que tu en penses

- Vous me flattez, Madame la préfète, s'amusa-t-elle.

- Je suis sérieuse, ton avis m'intéresse vraiment.

- Les plus jeunes sont en colère car ils ne comprennent pas ce qu'ils ont fait de mal et ce que les Gryffondors leur reprochent, répondit-elle. En obéissant aux Carrow, ils n'ont fait que ce que les professeurs leur ont demandé comme ils font maintenant ce que les professeurs leur demandent. Obéir maintenant aux professeurs n'est pas problématique, mais avoir obéi l'année dernière l'est. Dans un sens, la réponse des Gryffondors est très déstructurante pour eux. Ils ont du mal à comprendre pourquoi ils sont traités de cette façon, comme ils ont du mal à comprendre qu'on puisse leur reprocher quelque chose d'aussi évident qu'obéir à des professeurs. En ce sens, la réaction des Gryffondors leur semble… démesurée, injuste, et la colère est une réponse assez naturelle au sentiment d'injustice.

Ce fut la première fois que j'eus l'impression de pouvoir appréhender ce qu'il se passait chez les Deuxièmes Années – puisqu'il paraissait évident qu'elle parlait de ces élèves. Avec les autres préfets, nous manquions probablement de sens pratique. Même si les élèves en deuxième année parlaient très peu de ce qu'il se passait chez eux, comme en avait témoigné l'épisode de l'endoloris, il existait une fine probabilité que les frères et sœurs plus âgés soient au courant - au moins de quelques détails ; ou qu'ils aient repéré des changements de comportement chez leurs frères et sœurs. Nous aurions dû y penser plus tôt. Cela valait le coup d'essayer.

- Comment va ton frère ? demandai-je.

- Il avait déjà ses problèmes avant tout cela. L'année dernière l'a… brisé et il a du mal à trouver sa place parmi les autres. Le décalage n'est jamais évident pour les gens comme nous, mais avec tout ce qu'il se passe, c'est encore plus difficile pour lui. Je fais ce que je peux pour le soutenir, mais je ne suis pas à sa place. Je ne sais pas ce dont il a vraiment besoin. J'ai l'impression de me tromper une fois sur deux, ajouta-t-elle en soupirant. Enfin, peu importe. Chez les plus âgés, reprit-elle sans que je ne m'oppose au changement de sujet, il y a un peu plus de diversités. La plupart des élèves se sentent coupables, ou ont honte, beaucoup sont… dans un état psychologique particulier. Mais personne n'ose en parler, probablement par honte ou peur de faire ressurgir quelques souvenirs, et chacun essaye de gérer sa détresse dans son coin ou en tête-à-tête. Ce n'est évidemment pas très efficace. Quelques rares élèves arrivent à extérioriser, mais je ne suis pas sûre que ce soit particulièrement plus efficace. Plus rares encore sont les élèves qui pensent que Voldemort aurait dû gagner, mais parmi ceux-là, il est difficile de savoir si ils le pensent vraiment ou si ils pensent juste qu'ils ne seraient pas dans la situation pitoyable dans laquelle ils sont actuellement s'il avait gagné. Ils imaginent souvent qu'ils seraient dans une position sociale plus avantagée, qu'ils ne seraient pas le poids de l'école et que, de fait, ils iraient individuellement bien mieux. Ce qui est bien évidemment faux. Mais ils se raccrochent à cette idée.

- Ils ne sont pas en colère ?

- Chez les plus âgés ? Ceux qui défendent Voldemort le sont, mais encore une fois, ils se comptent sur les doigts d'une main et il est difficile de faire la part des choses entre leurs fantasmes et leurs réels idéaux. Ils pourraient tout aussi bien être en colère contre Voldemort ou contre eux-mêmes sans être capables de le réaliser.

Comme à chaque fois, son analyse était impressionnante et me laissait complètement admirative.

- Pourquoi n'es-tu pas préfète ? soupirai-je. Les choses seraient bien plus faciles à gérer.

- Lucy semble plutôt faire du bon travail. D'ailleurs, elle m'a dit du bien de toi.

- Quoi ? Harper ?

- Elle te trouve… perspicace, je crois que c'est le mot qu'elle a utilisé. Perspicace, mais animée. Honnêtement, c'est un honneur. Son répertoire contient bien plus de qualificatifs négatifs que positifs.

- J'ai surtout l'impression que, venant d'elle, « animée » n'est pas spécialement positif.

- En effet, répondit-elle avec un sourire. Cela dit, tu as gagné des points avec les Serpentards de manière générale après l'incident des Têtes Chercheuses de Traitres et après avoir accepté de tomber de ton balais durant le match, ajouta-t-elle amusée.

- Je crois que je dois remercier vos batteurs pour cette faute grossière qui m'a permis certaines… excentricités en fin de match, rétorquai-je. Vous êtes amies, avec Harper ?

- Non, pas réellement. En tout cas, pas dans le sens où tu l'entends. Notre relation est plutôt ambiguë. Nous ne nous apprécions pas particulièrement, mais nous partageons un destin commun que peu de personnes sont à même de comprendre. Alors nous passons du temps ensemble parfois. Plus par… convention, qu'autre chose.

- A cause de votre éducation.

- Entre autre, mais c'est une toute autre discussion. En tout cas, notre relation n'a rien à voir avec ce que vous semblez partager, Stevens et toi.

- Eh bien, on se connait depuis longtemps.

- Nous nous connaissons depuis nos cinq ans avec Lucy. Ce n'est pas le temps passé ensemble qui fait une relation. Même si, pour être honnête, j'ai du mal à saisir ce que quelqu'un comme toi peut trouver chez quelqu'un comme Stevens.

- Vous êtes en réalité pas si différentes que ça, visiblement. Toutes les deux dans le jugement ?

- Je juge après avoir rassemblé des informations, rétorqua-t-elle manifestement piquée, Stevens juge après avoir lu son dernier numéro de Sorcière Hebdo.

La remarque par rapport au magazine préféré d'Alice me surprit et elle s'en aperçut immédiatement.

- Elle le lit en cours d'Histoire de la Magie, expliqua-t-elle. Binns doit être aveugle au-delà d'être mort. Mais, reprit-elle, je ne voulais pas me montrer insultante à son égard. Elle a l'air d'être une personne importante à tes yeux et je suis sincèrement curieuse d'en savoir plus à son sujet. Et, ajouta-t-elle comme si elle était en train d'avouer une faute, il est évident, de par le profond silence qui règne dans nos cours ces derniers temps, que quelque chose s'est passé entre vous. Je me demandais si je pouvais, je ne sais pas, être d'un quelconque soutien… Enfin, c'est peut-être idiot, je ne sais pas. Je te présente mes excuses, c'était une façon maladroite d'amener le sujet sur la table.

Alice n'était pas un sujet de conversation que j'avais particulièrement envie d'aborder de manière générale ; encore moins avec Lilith, mais le fait qu'elle ait tenté volontairement de placer la blonde dans la conversation pour pouvoir m'en parler m'émut.

- Alice apprécie juste la légèreté des magazines, répondis-je, ça lui permet de se rappeler que tout dans la vie n'a pas besoin d'être grave et compliqué. Elle a une certaine légèreté naturelle, mais ce n'était pas facile pour elle de la garder avec la montée de Voldemort et tout ce qu'il s'est passé à Poudlard depuis que nous y sommes entrés. Je pense que, pour elle, c'était comme si la première année l'avait sortie brusquement de son monde. Elle était naïve et légère, toute excitée qu'on soit à Poudlard ensemble, et d'un seul coup, on a un évadé d'Azkaban dans l'école et tout le monde semble grave et sérieux et panique pour quelque chose qu'on ne voit pas. Elle s'est sentie en décalage, elle me disait souvent qu'elle avait l'impression d'être obligée de s'inquiéter pour des choses qui lui passaient pourtant au-dessus. Comme si elle n'était pas normale de ne pas être stressée ou paniquée comme les autres à cause de Black. Les élèves se retrouvent beaucoup autour de leurs inquiétudes, alors quand tu ne les partages pas, ça peut être difficile de créer du lien. Donc ça lui fait du bien de lire ces choses. Elle est la première à les trouver stupides, mais je crois que cette année ça la rassure particulièrement qu'on vive dans une période où on peut encore se permettre d'écrire ou de parler de choses stupides ou superficielles. Mais ouais, soupirai-je en regardant mes mains, elle est légère et me fait rire, toutes ces années, ça m'a beaucoup aidé à gérer la situation avec ma mère, et elle est normalement très loyale.

- La plupart du temps, fit Lilith tout à fait calmement, les personnes impliquées dans un conflit ne réalisent pas qu'elles ne parlent pas exactement de la même chose.

Je relevai les yeux avant de les détourner rapidement.

- Eh bien, soupirai-je, premièrement nous ne parlons pas du tout, ça règle la question. Et ensuite, je suis pratiquement sûre qu'on est d'accord sur le sujet de notre dispute.

- Suis-je le sujet de votre dispute ?

Je la regardai, surprise.

- Tu fuis mon regard depuis que tu as commencé à parler d'Alice, expliqua-t-elle.

- Ca n'a rien à voir avec toi. Alice est juste une connasse.

- Oh, et je suis dans le jugement ?

Je ne pus empêcher un rire devant sa réaction tout à fait spontanée et elle eut l'air satisfaite d'elle-même pendant un court instant, avant de baisser brusquement les yeux sur la table basse. Son attitude changea complètement.

- Considérant ce que je dois te dire, je suis vraiment gênée que tu te sois disputée avec ta meilleure amie à mon sujet.

Elle avait l'air triste et embarrassée ; mon cœur se serra.

- Il y a une dernière tradition des Parker dont je dois te parler. Je t'ai déjà parlé de l'importance du nom. La pureté du sang reste importante malgré tout. Nous restons une vieille famille de Sang-Purs.

J'eus un mauvais pressentiment et son silence n'arrangea rien. Elle avait toujours démontré une certaine facilité à parler des sujets difficiles – dans ce genre de moment, son discours était structuré, fluide et elle semblait savoir où elle voulait en venir, comme si elle avait répété la chose plusieurs fois dans sa tête, qu'elle puisse éprouver une quelconque difficulté maintenant m'angoissa au plus haut point.

- Lilith ?

Elle ferma un court instant les yeux – réflexe auquel je commençais à m'habituer, et inspira.

- Mon mariage est planifié pour la fin de mes études, répondit-elle enfin. C'est un mariage convenu avec une famille canadienne, ajouta-t-elle rapidement.

Peut-être aurais-je besoin de piquer le dernier Sorcière Hebdo d'Alice en rentrant ; avec un peu de chance elle l'avait déjà abandonné dans un coin du dortoir et ne remarquerait pas son absence. Plus le temps passait, plus cette année devenait compliquée. J'étais épuisée.

- Je pensais que c'était quelque chose dont tu devais avoir connaissance, rajouta-t-elle simplement.

- A la fin de l'année prochaine, m'assurai-je abasourdie, ta famille va te marier à une autre famille ?

- Oui, après nos A.S.P.I.C.S. Probablement durant l'été, ce n'est pas encore très clair.

- Comme si tu étais une monnaie d'échange ? Des gallions qui passent de main en main ? Tu es sérieuse, Lilith ?

Elle parut soudainement nerveuse, elle triturait ses mains et était incapable de me regarder. Je ne savais pas quoi faire, j'étais le témoin d'une scène qui me dépassait complètement. Mon corps ressentait des choses, mais mon cerveau ne les enregistrait pas. J'étais complètement sous le choc et la voir ainsi ne m'aidait pas à reprendre pieds avec la réalité. Lilith ferma les yeux pendant un temps qui me sembla particulièrement long jusqu'à ce qu'elle prenne cette fameuse inspiration.

Elle se retourna vers moi dans un calme assourdissant. Son visage s'était recomposé et elle se tenait à nouveau droite.

- Je ne te demande pas de comprendre ma situation, reprit-elle doucement, et je ne te demande pas de t'indigner. Je suis celle qui doit vivre avec. Je souhaitais que tu aies connaissance de ma situation. Peut-être aurais-je dû te le dire plus tôt, ou peut-être plus tard, je ne sais pas quel est le moment le plus approprié pour parler de tout ça. Je veux dire… J'ai bien conscience qu'on se connaît à peine et que cela peut faire beaucoup à gérer pour toi. Cela te force à penser à une temporalité à laquelle tu ne devrais pas encore penser et cela te force également à te projeter alors qu'il n'y avait pour toi aucune projection à faire pour le moment. Mais pour être honnête, ça me semblait étrange de t'en parler tout de suite comme ça me semblait étrange d'attendre plus longtemps. Cette contrainte fait partie intégrante de ma vie et je l'ai constamment à l'esprit. Je ne me voyais pas continuer sans t'en parler, ce n'est pas honnête, même si cela… Même s'il est fort probable que tu ne veuilles plus me voir après.

Sa voix se brisa en même temps que mon cœur.

- Par Merlin, souffla-t-elle, je n'arrive pas à croire que je suis en train de faire ça… Ce que j'essaye de dire, c'est que… si … enfin… Si par un quelconque miracle, il est envisageable, à tes yeux, que nous puissions passer le temps qu'il me reste ensemble, c'est quelque chose que j'aimerais vraiment beaucoup. Je ne sais même plus parler convenablement, soupira-t-elle.

L'expression qu'elle avait employé me fit l'effet d'une douche froide ; « le temps qu'il me reste », j'eus l'impression d'entendre ma mère. Elle n'eut pas l'air de se rendre compte de ce qu'elle venait de dire tandis qu'elle me laissait complètement pétrifiée.

- Tu réalises que tu pourrais en avoir marre de moi dans trois semaines ?

- Ca me semble peu probable, Eyrin. Mais j'entends ce que tu dis. Je me suis mal exprimée. Je ne souhaitais pas sous-entendre que nous serons forcément… ensemble tout ce temps, mais simplement-

- J'avais compris, Lilith. J'essayais juste… Peu importe, soupirai-je.

- De toute évidence, je suis en train de te blesser, reprit-elle soudainement. Je fais peser sur toi des contraintes qui ne sont pas les tiennes. Tu n'as pas à les subir. Je n'aurai pas dû… Je ne sais pas ce qui m'a pris. J'aurai dû accepter que ce n'était pas possible et ne jamais t'envoyer ce mot. Je le sais pourtant, ce genre de choses n'est pas pour moi. Je te présente mes excuses, ajouta-t-elle en se levant subitement, c'était égoïste de ma part.

- Quoi ?

Sa réaction me raccrocha enfin, péniblement, à la réalité et je me levai à mon tour du canapé ; elle semblait dans le même état de panique qu'après notre match, sauf que j'avais cette fois-ci le droit de partager certaines de ses pensées.

- Lilith, non, repris-je en attrapant sa main alors qu'elle sembla vouloir se retourner. Tu n'es pas égoïste. C'est vraiment un des derniers mots que j'utiliserai pour te décrire. Et je suis vraiment contente qu'on ait passé cette journée ensemble. C'était… C'était la meilleure journée que j'ai passé depuis vraiment très longtemps. Comme je suis vraiment contente que tu aies décidé de m'envoyer ce… première année même si c'est une pratique très étrange, tu sais. Ce n'est pas très respectueux, ils ont toujours du mal à dire non à des élèves plus âgés. Mais vraiment, je suis contente que tu l'aies fait. Je ne sais pas ce que je pense de toute cette situation et honnêtement, je ne pense pas réellement comprendre tout ce qu'elle implique. J'ai besoin de me poser et j'ai besoin que les choses arrêtent de bouger autour de moi, parce qu'il y a toujours autre chose à gérer et tout ça fait effectivement beaucoup pour moi. Il est évident que j'ai envie d'être avec toi et de passer d'autres journées comme celles-ci, mais il est aussi évident que toute cette situation ne peut se résumer à ce dont j'ai envie. D'une certaine manière, je… Je dois à mon tour me décider à suivre ou non mes envies.


Et voici pour le chapitre 13 :)