Hello, me revoilà !

Lolibellule : Le dernier chapitre était clairement un tournant dans la relation d'Aina et Embry. Et je ne voyais pas l'intérêt de faire durer ce mauvais moment entre eux trop longtemps, ça aurait été les torturer inutilement et de façon très sadique ahaha ! Tout est bien qui finit bien pour eux !

WhiteAir : Clairement l'imprégnation ne disparaîtra pas et Embry ne peut absolument rien y faire donc... Comme tu dis, autant faire avec quoi qu'il arrive. Bon du coup je t'ai fait attendre deux semaines, ce n'était clairement pas prévu que ce soit si long mais aujourd'hui je remédie à la situation ;)

En vous souhaitant une bonne lecture de ce nouvel extrait de carnet, je vous dis à bientôt (aussi vite que je le peux, promis) !


Carnet n°4 : Partie 1

Pour la première fois de notre vie, James et moi avons posé pied sur le territoire français. Au départ, j'ai eu du mal à réaliser que nous avions changé de pays, mais en entendant les gens parler autour de nous, il est vite devenu évident que James et moi étions des étrangers ici. Et me sentir étrangère au pays, ça m'a fait me sentir étonnamment bien. Ici, plus rien ne semble me rattacher à quoi que ce soit, comme une nouvelle page – même si cette idée là n'est pas sans être associée à énormément de culpabilité.

Nous ne savons pas encore ce que nous allons faire dans ce nouveau pays, comment nous allons y vivre, mais James est plein de ressources et je suis persuadée qu'avec lui, tout ira bien.

xxx

Si tout nous avait semblé si beau à notre arrivée dans le nord de la France, nous avons vite déchanté. Assez rapidement, nous avons pris connaissance par d'autres immigrés que, tout récemment, une épidémie avait commencé à frapper la région. Une épidémie de choléra. Et plus James et moi descendions dans les terres, plus la misère à laquelle nous assistions était pire.

Nous avons rapidement décidé de nous orienter vers l'ouest tant qu'il en était encore temps, avant que l'épidémie nous frappe à notre tour.

xxx

C'est alors que James se mettait en spectacle dans la rue, faisant la démonstration de ses talents d'acrobates et de théâtre pour nous faire gagner un peu d'argent, que nous avons croisés la route d'autres itinérants. A la façon dont ils se sont intéressés à lui, j'ai eu une impression de déjà-vu. J'ai été transportée en arrière, jusqu'à ma rencontre avec « la vieille ».

Quand le numéro a été terminé, un barbu est venu à la rencontre de James. Il lui a d'abord parlé en français, sans que James puisse le comprendre, puis, en constatant le barrage langagier, il a appelé un jeune homme aux cheveux flamboyants, bien plus que les miens, qui frisottaient en tous sens autour de sa tête.

Méfiante de leurs intentions, je me suis rapprochée de mon ami pour faire front à ses côtés, au cas où ces gens étaient malintentionnés. Quand je suis arrivée, le jeune homme aux cheveux roux parlait de l'intérêt du barbu pour les compétences de James, qu'il aimerait beaucoup le compter parmi les talents de sa caravane itinérante.

A ce moment là, j'ai échangé un regard hésitant avec James. Nous avions quitté notre précédente caravane, était-ce vraiment pour en retrouver une nouvelle dans un pays étranger ?

James a dit au jeune homme qu'il nous fallait réfléchir un instant, seuls, et nous nous sommes donc isolés. Mon ami m'a immédiatement demandé ce que j'en pensais, il m'a dit qu'il se plierait à mon jugement, quel qu'il soit. Je lui ai néanmoins demandé son avis à lui, et il m'a avoué que notre situation serait plus confortable aux côtés de ces gens, vu la faiblesse de nos moyens financiers actuels. Ainsi, en dépit de mes réticences à l'idée de retrouver une vie en communauté, j'ai tranché que nous devions le faire. Au moins temporairement, le temps de retomber sur nos pieds.

James a acquiescé, et même s'il ne l'a pas montré, je savais qu'il était très heureux de retrouver une nouvelle troupe. Il avait beau avoir une âme de vagabond, il n'était pas solitaire pour autant, et cette communauté nous permettra certainement d'encore beaucoup voyager.

xxx

Si nous avons repris une vie de route aux côtés de nouveaux compagnons, je prends un soin tout particulier à ne pas me lier aux autres. Je ne veux pas que la situation devienne trop difficile au moment où nous devrons les quitter. Ou du moins, quand je devrais les quitter, parce que je n'obligerais jamais James à me suivre où que ce soit, quand bien même sa présence à mes côtés est rassurante.

James ne fait pas preuve de la même réticence. Il se lie aux autres comme il sait si bien le faire, sans pour autant me laisser de côté trop longtemps. Je l'admire parce qu'il sait s'attacher sans se rendre dépendant des autres. Je sais que s'il devait quitter tous ces gens du jour au lendemain, il n'aurait pas de difficultés particulières à le faire. Il s'attache mais sait se détacher aussi facilement. C'est du moins l'impression qu'il me donne.

Il apprend beaucoup de notions de français au contact de Gus, ce jeune homme roux qui sait parler l'anglais presque aussi bien que le français. Un peu à distance, je m'efforce d'apprendre les rudiments de la langue de notre pays d'accueil, moi aussi. Je me dis que ça peut toujours être utile.

xxx

Parfois, quand je m'isole, je surprends les regards de James. J'ai l'impression qu'il s'inquiète pour moi mais je voudrais bien le rassurer, lui dire que tout va bien.

Serait-ce pourtant la vérité pure ? Je ne pourrais pas nier que certains tracas ne me quittent pas, qu'une partie de mon cœur est tellement attiré vers les Cornouailles, là où je sais que mes deux enfants se trouvent, et qu'une autre partie pleure encore mon enfant perdu, ma petite Laoghaire.

Quand je pense à petite Laoghaire, mais aussi à mes enfants que je ne suis pas en mesure de voir grandir et se construire, je me fais une promesse solennelle : celle de ne plus jamais avoir d'enfants.

Dans ma situation, celle dans laquelle je semble toujours aussi irrémédiablement bloquée, je ne veux plus prendre à nouveau ce risque. Je ne veux plus avoir à perdre d'autres enfants. Mon cœur a déjà été bien trop déchiré pour toute une vie.

Parfois, j'aimerais pouvoir parler de tout ça à James, mais je ne sais pas prédire quelle serait sa réaction. Me prendrait-il pour une sorcière ? pour un monstre ? pour un démon ?

Une petite voix dans ma tête veut croire qu'il sera aussi bienveillant avec moi qu'il l'a toujours été, qu'il cherchera même des réponses avec moi. Cependant, c'est un bien lourd secret que je partagerais là avec lui. Suis-je prête à prendre un tel risque ? Suis-je prête à remettre ma vie — parce que ça reviendrait presque à ça — dans les mains de celui que je nomme mon ami mais que je suis loin de parfaitement connaitre ?

Car je ne sais pas grand chose du passé de James. Ni lui ni moi n'évoquons jamais nos passés respectifs, nos vies avant d'avoir rejoint la caravane qui nous as permis de nous rencontrer. La seule fois où j'ai voulu m'enquérir de son enfance, il a changé de sujet. Quand j'ai voulu lui demander pourquoi il avait fait ça, plus tard, il m'a expliqué qu'il ne voulait pas vivre dans le passé, qu'il ne voulait même pas y penser. A travers ses mots, j'ai deviné qu'il n'avait sûrement pas eu une enfance facile, pas de celle dont on veut se souvenir. Quand il m'a demandé si je désirais, moi, parler de mon passé, j'ai immédiatement répondu par la négative. Par un accord muet, nous avons donc tous les deux convenus de ne plus jamais nous questionner sur nos vies passées.

Pourtant… Ce passé a tendance à me peser plus que je ne le voudrais. Et si James semble n'avoir aucune difficulté à tenir le sien à distance, ce n'est pas mon cas. Le désir de me confier m'apparaît de plus en plus. Je ne veux pourtant pas y céder. L'idée est tentante, c'est vrai, mais elle ne me parait vraiment pas raisonnable. Mais peut-être qu'un jour… peut-être que tout sera différent. Seul l'avenir me le dira.

xxx

Je n'avais jamais escompté demeurer aussi longtemps aux côtés de cette nouvelle troupe. Pourtant, la vie à leur côté a été si simple. J'avais juste à me laisser porter et j'admets que c'est une sensation agréable de n'avoir à prendre aucune décision, de juste se laisser vivre.

Pourtant, inévitablement, le besoin de m'en aller a fini par se présenter à moi. Au bout de cinq longues années à les accompagner tout autour de la France.

J'ai longuement hésité avant d'en faire part à James, mais il fallait bien que je me confie à lui à un moment donné. Je me sens si fatiguée de cette vie de route, trop fatiguée. Le besoin de souffler, de me poser quelque part, est de plus en plus fort. Je ne veux pourtant pas empêcher James de quoi que ce soit. Lui semble s'être tellement bien accommodé à cette vie et je n'ai pas l'impression qu'il y ait la moindre lassitude chez lui.

Aujourd'hui, c'est décidé, je lui en parle.

xxx

Comme je le craignais, James souhaite m'accompagner où que j'aille. J'ai eu beau m'insurger, lui interdire de faire le moindre sacrifice pour moi, il n'a rien voulu entendre. Il m'a dit que je disais des bêtises, qu'il ne faisait pas le moindre sacrifice pour moi. Je lui ai donc demandé pourquoi il tenait tant à rester à mes côtés, alors que tant d'autres possibilités s'ouvraient à lui. Il m'a seulement dit qu'il tenait trop à moi pour me laisser m'éloigner, d'autant plus à cause des dangers qui existaient pour moi, en ma qualité de femme.

Pourtant, j'ai eu l'impression qu'il y avait bien plus qu'il ne le disait. Je me suis alors demandé : se pourrait-il que James m'aime un peu plus qu'un simple ami n'est censé aimer ? Et si c'était le cas, qu'en penserais-je alors ?

Je ne pense pas que je serais en mesure de partager ses sentiments, mon cœur continuant à appartenir à Jørgen en dépit des années qui passent, mais… cette éventualité me trouble néanmoins.

En tout cas, je sais que je ne parviendrais pas à faire changer James d'avis. Il m'accompagnera quoi que je décide, et je déteste l'idée qu'il se prive à cause de moi. Mais que puis-je y faire s'il l'a décidé ainsi ?

Pourtant, James ne pourra pas rester éternellement à mes côtés. Peut-être commence-t-il à réaliser que je ne change pas le moins du monde, qu'aucune marque de vieillesse ne vient ternir mes traits, et que, plus que tout, je ne tombe jamais malade, quand bien même nous affrontons parfois des trombes d'eau et que l'entièreté de la caravane finit éventuellement par attraper un coup de froid. Sauf moi.

Il ne m'en a jamais parlé, mais il doit pourtant parfois se questionner. Que pense-t-il de tout ça ? Cela l'effraie-t-il ? Impossible de le savoir. Ce n'est certainement pas moi qui oserais aborder le sujet avec lui.