Chapitre 35 : Et je t'aime ?

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Un mois plus tard,

Mi-février 1944,

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C'est de pire en pire, songea Charlus avec abattement.

Il aurait dû faire quelque chose dès le départ. Il n'aurait pas dû prendre à la légère les moues embarrassées de Dorea et son retrait progressif. Elle ne souriait plus vraiment, même lorsqu'ils étaient en tête à tête. Elle ne sortait que le lundi pour voir Sylvestra Selwyn et le jeudi pour se rendre au 12, Square Grimmaurd. Elle réglait ses autres journées comme du papier à musique, courses, promenade, ménage, repas et lecture, selon ce qu'elle lui en disait. Le soir elle était là, pour lui et avec lui, et elle n'était pas là à la fois. Il y avait comme une distance entre eux, une muraille infranchissable en train de se construire. La même que celle qui avait été érigée pendant leurs fiançailles.

Il sortit de la cabine de douche du Club de Flaquemare, une serviette autour de la taille, pour se diriger vers son casier. Il eut le temps de se rhabiller et d'enfiler ses chaussures avant qu'Enid Forty s'en mêle.

« Tu viens avec nous boire un coup à la Cave du Détraqueur ce soir ? demanda-t-elle en cherchant elle aussi ses affaires dans son casier. »

Mauvaise idée, songea-t-il en grimaçant.

Parfois, il se disait qu'il était forcément à l'origine de cette distance. Il était occupé la journée, le soir il était claqué, et le week-end ils allaient, Dorea et lui, à Godric's Hollow, dans la Maison des Potter. Depuis un mois, ils n'avaient pas vraiment passé du temps en tête à tête autrement que le soir pour dîner. Les vendredis soirs, il était sorti avec ses coéquipiers, et comme il savait que Dorea n'appréciait que peu la foule, il n'avait pas insisté pour qu'elle l'accompagne. Mais elle avait dû comprendre qu'il préférait y aller sans elle, sans doute, puisque les autres fois, elle s'était contentée de dire qu'elle avait un livre à finir, que ceci tombait bien…

Mais il y avait autre chose. Les trois samedis midis où Dorea avait invité la petite Lucretia et Ignatius à dîner lui avaient paru bien loin de l'ambiance légère du Nouvel An. La petite Lucretia semblait aussi abattue que Dorea. Elle ne riait plus, ne faisait plus les yeux doux à Ignatius… Alors que cet idiot s'était enfin réveillé et essayait plus ou moins subtilement de flirter avec elle. Il était perplexe et désappointé et si Charlus avait le malheur d'essayer d'aborder le sujet avec lui, Ignatius trouvait une excuse pour s'enfuir.

« Potter ! s'exclama Orlando.

— Ouais, je viens, accepta-t-il en grimaçant. »

Ce n'était pas comme ça qu'il comprendrait ce qu'il se passait dans la tête de Dorea, pas en passant la soirée à s'enivrer dans un tripot.

« Ton glaçon viendra aussi ? demanda moqueusement Abbott.

— Ne l'appelle pas comme ça ! s'énerva-t-il en claquant la porte de son casier. »

Orlando et Abbott s'en donnaient à cœur joie depuis la rentrée de janvier. Leurs remarques glissaient sur lui au début, puisque tout était au beau fixe avec Dorea. A présent… Il devenait légèrement irritable.

« Quoi ? Elle est pas frigide peut-être ? se moqua ouvertement Orlando. »

Il serra les dents. Elle n'était pas frigide. Du moins, elle ne l'avait pas été… pendant un mois et demi… Mais deux semaines plus tôt… Elle était crispée, encore plus que le soir de leur mariage. Un instant déstabilisé, il avait essayé de discuter avec elle, comprenant qu'il y avait vraiment un problème à son attitude. Elle s'était jetée à son cou, s'était montrée pour la première fois vraiment entreprenante, l'avait réclamé à coups de « s'il te plaît… » et il avait pensé qu'elle s'était juste perdue dans ses pensées un instant. Pourtant… Elle lui avait semblé figée… frigide… puis après l'amour, elle s'était enfermée dans la salle d'eau, et il aurait juré l'entendre pleurer. Lorsqu'il avait frappé à la porte, lorsqu'elle lui avait ouvert : rien. Elle était seulement en train de natter ses cheveux. Elle avait fermé les yeux deux secondes plus tard, et puis plus rien. Il n'avait même pas eu envie de la toucher depuis, à peine de l'embrasser tant il ne comprenait pas ce revirement de situation.

Et puis, elle ne lui avait toujours pas dit qu'elle l'aimait. Demain, cela ferait deux mois qu'ils étaient mariés, pourtant.

« Orlando, sa bourgeoise est pas frigide, râla Enid Forty. Et tu sais comment que je le sais ? J'ai été titularisée à vingt ans alors que l'entraîneur peut pas me saquer. J'suis sûre que Potter l'a fait passer sous le bureau de Godown ou de Dubois pour que…

— Mais c'est fini ! explosa-t-il en tirant sa baguette. »

Enid avait enfin fini sa période d'essai et était titularisée comme Poursuiveuse de Flaquemare aux côtés d'Orlando et Fergus Dingus. Elle le savait depuis deux semaines, et depuis deux semaines elle était intenable. Elle avait déjà débarqué chez lui à trois heures du matin cinq fois pour le lui hurler aux oreilles et réveiller Dorea au passage. À claquer, la fille. Et maintenant elle insinuait qu'il ordonnait à sa femme de s'agenouiller devant le manager ou l'entraîneur ? Mais qu'est-ce qui ne tournait pas rond dans sa tête ? Elle avait bien vu que…

« Eh Forty, son glaçon est passé sous le bureau de personne vu qu'elle passe même pas sous le sien, se moqua à nouveau Abbott.

— C'est pour ça qu'il est si frustré, continua Orlando en riant grassement. Ça te manque, hein, une bouche autour de ta…

— Ta gueule, Orlando, le coupa Forty. »

Surpris du changement de ton, il se détourna des casiers pour regarder Forty au milieu du vestiaire, face à Orlando qui était dos à la porte… sur le seuil de laquelle se tenait Dorea. Merde. Elle pinçait les lèvres à les faire devenir blanche, ses mains gantées étaient fermés en poings le long de son corps, et ses yeux… Merlin, ses yeux le fixaient d'une manière si vide qu'il fut sur le point de se jeter à ses pieds.

« Je crois que je vais plutôt attendre dehors, souffla-t-elle avant de tourner les talons. »

Le silence qu'elle laissa derrière elle lui permit d'entendre jusqu'à ses talons claquant sur le carrelage du couloir et même la porte d'entrée claquer derrière elle.

« Bravo les gars, cracha-t-il avec sarcasme. Je vous remercie ! Pourquoi est-ce qu'il n'y a que ma femme qui capte votre attention, hein ?

— Tu t'énerves tellement vite quand il est question d'elle, se moqua Abbott. On ne t'avait jamais vu à cran pour une fille. Il faut bien qu'on en profite.

— Je vais finir par t'en foutre une, Abbott, le prévint-il en verrouillant son casier d'un coup de baguette.

— Descends de tes grands chevaux, Potter, railla Abbott. A te voir t'énerver comme ça, j'ai bien l'impression qu'on dit la vérité et qu'elle est frigide. Un vrai glaçon. »

Il se concentra sur sa propre respiration, comme lorsqu'il voulait oublier les acclamations du stade pour se concentrer sur la recherche du Vif d'Or. Orlando déconnait sans voir qu'il était à bout. Et Abbott était un putain d'abruti, s'énerver contre lui ne servait à rien.

« Un jour, c'est elle qui s'énervera contre toi, Abbott, et franchement, je préfèrerai être absent ce jour-là pour ne pas devoir la dénoncer au Ministère, dit Charlus à mi-voix en traversant le vestiaire.

— Est-ce que t'essaie de me menacer ? hallucina Abbott.

— Je te rappelle juste qu'elle sait se faire comprendre. Bon week-end, lança-t-il en grimaçant. »

Il s'était bien gardé de raconter à Dorea les blagues plus que salaces que ses coéquipiers faisaient régulièrement sur elle. Déjà qu'elle était mal à l'aise lorsque lui faisait des remarques qui étaient bien plus sages que ce qu'Orlando ou Abbott pouvaient sortir, il n'imaginait pas comment elle s'offusquerait de la moitié de ce qui se disait dans un vestiaire de Quidditch. Et puis dès que quelqu'un rappelait qu'elle n'était pas très expressive, s'ensuivait une longue discussion où elle lui demandait si ceci ne le dérangeait pas, etc... Il avait été le premier à vouloir tester si ce petit côté glacé disparaissait sous la couette, il le reconnaissait, puisque sa stupidité pouvait frôler des sommets quand il s'y mettait. Il n'empêche, Abbott s'acharnait à vouloir la descendre, et ça en devenait vraiment pénible. Même Rosemary Rowle, la femme de Daran, n'était plus un sujet de plaisanterie pour Abbott et Orlando.

« Dorea ? l'appela-t-il en la retrouvant debout devant l'entrée du Club. »

Elle ne l'entendit pas. Il se rapprocha d'elle sans qu'elle l'entende. Son regard gris mouillé était fixé sur l'horizon. Ses mèches rebelles étaient fouettées par le vent du Dorset, sa bouche pincée et son visage blanc comme la neige tombée alentours. Sa robe noire se soulevait par vagues, sa cape voletait derrière elle, et le bout de son chapeau pointu ultra classique tombait tristement sur le côté. D'un regard extérieur, elle pouvait effectivement paraître stricte et… froide. Austère, même. Mais dès qu'il entourait sa taille avec son bras, son regard s'allumait, son parfum citronné envahissait l'espace et il la voyait reprendre vie.

Enfin, c'était comme cela deux ou trois semaines plus tôt.

Là, lorsqu'il passa son bras autour d'elle, que sa main vint se poser sur sa hanche et qu'il lui embrassa la joue, elle resta figée comme une statue. Son corps ne se lovait plus contre le sien de manière à ce qu'il ne reste plus un seul espace d'air entre eux. Non, c'était comme s'il essayait de câliner un arbre ou une colonne de marbre. C'était légèrement froid, légèrement rigide et légèrement… sans vie.

« Dorea ? souffla-t-il. Je… Cela me fait plaisir que tu sois venue me chercher, dit-il avec hésitation. »

Elle hocha la tête pour toute réponse et ce, sans le regarder. Il n'osa pas lui proposer d'avancer. En fait, il n'osait plus grand-chose depuis deux semaines.

« Nous sommes le 18 février aujourd'hui, lui répondit-elle. »

Si c'était une manière subtile de lui rappeler que le lendemain ils seraient mariés depuis deux mois, il n'en avait pas besoin. Il le savait bien.

« Demain, ce sera nos deux mois de mariage, répondit-il en la faisant avancer d'une pression dans le bas de son dos. »

Il entendait les voix d'Enid et Mike derrière lui, ce qui signifiait qu'ils ne tarderaient pas à venir s'immiscer entre Dorea et lui. Et s'il pouvait éviter ce désagrément, il ne s'en priverait pas. Elle avança et ils prirent la direction de chez eux.

« Mais encore ? répondit-elle. »

Comment cela, mais encore ? Qu'y avait-il d'autre le 19 février ? Ou bien c'était insignifiant pour elle ?

« Bref, reprit-elle. Passons-nous le week-end chez tes parents ? »

Est-ce qu'il avait manqué quelque chose ?

« Je voulais passer la journée du samedi avec toi, alors j'ai dit à ma mère que nous ne viendrons que le dimanche. Nous avons à fêter, non ? lui dit-il en cherchant une étincelle dans son regard. »

Il en repéra enfin une, très faible, et qui disparut presqu'aussitôt, mais il l'avait vue. Il lui sourit largement, elle lui rétorqua son sourire crispé indémodable.

« Nous allons surtout pouvoir aller dîner chez mon Grand-père Eudes ce soir et demain, ajouta-t-elle. »

Là, il grimaça. Ce n'était pas qu'il n'aimait pas la famille de sa femme… Mais même Lucretia qui était tolérable, était pénible quand elle s'y mettait. Enfin… Elle avait été pénible. A présent, elle était éteinte, comme Dorea.

« Et nos deux mois de mariage ? insista-t-il en lui ouvrant la porte de chez eux.

— Il nous restera le soir, dit-elle presque… avec dédain. »

Il prit sur lui pour ne pas s'emporter.

« Et si je refuse ? Si je fais dire à ton Grand-père qu'il nous prévient un peu tard ? Si j'ai prévu quelque chose d'autre ? dit-il calmement en s'appuyant contre la porte d'entrée. »

Elle se retourna lentement vers lui. Dans la pénombre de l'entrée, il eut un instant l'impression de faire face à un Inferi. Elle était si pâle, si vide d'expression, si rigide face à lui…

« As-tu prévu autre chose ? demanda-t-elle simplement. »

Ce n'était même pas un reproche ou de la curiosité. C'était une simple question.

« Rien qui ne puisse être repoussé, il n'empêche qu'il nous prévient un peu tard, insista-t-il.

— Il t'a envoyé une lettre la semaine dernière, mais tu as dû la manquer, lui apprit-elle. »

Ils étaient toujours dans le couloir de l'entrée, face à face. Elle était toujours de glace, et lui était toujours aussi abattu de la voir si… absente.

« Nous ferons comme tu voudras. Aie juste la décence de l'avertir de ce que tu choisiras, je te prie, dit-elle d'un ton monocorde qui le fit se crisper de tous ses membres. »

Elle commença à avancer à nouveau dans le couloir mais il la rattrapa. Il tira sur son coude pour la tourner vers lui. Elle se laissa faire, marionnette entre ses mains.

« Arrête de prendre ce ton… arrête de fuir, s'il te plaît. Je m'étonnais juste de ne pas avoir été prévenu, ce n'est pas la peine de rentrer dans ton trou comme ça, dit-il en soupirant lourdement. »

Il la regarda prendre son inspiration et vouloir parler mais quelqu'un frappa violemment à la porte d'entrée au même moment. Il soupira rageusement et ouvrit la porte en grand.

« Quoi ? explosa-t-il.

— Parle-moi sur un autre ton, Potter, lui ordonna la petite secrétaire du Club de Flaquemare. »

Trinity, la quarantaine, des lunettes à écaille, perchée sur des talons de dix centimètres, une robe ce jour-là jaune poussin et des bas de laine, le fixait avec sévérité, les poings sur les hanches. Elle se permit d'elle-même d'entrer chez lui, de saluer Dorea d'un « Mrs Potter ! » vigoureux avant de se tourner vers lui.

« Quand est-ce que tu comprendras que passer au secrétariat avant de partir n'est pasune option ? s'exclama-t-elle furieusement. C'est la troisième fois depuis le début du mois que je dois descendre jusque chez toi pour te donner les infos, Potter ! On est en hiver, bougre de Veracrasse ! Je ne suis pas cette Esméralda qui courrait à droite à gauche sans arrêt, j'ai trois gosses à élever et un mari qui s'est tirée avec une gamine l'année dernière, tu piges ?

— Je sais, je sais, s'agaça-t-il en passant ses mains dans ses cheveux pour les ébouriffer nerveusement. Et donc ?

— Conférence de presse demain après-midi de quatorze heures à dix-huit heures. Et c'est non négociable ! s'exclama-t-elle alors qu'il s'apprêtait à protester.

— Pourquoi on me prévient toujours à la dernière minute ?! s'exclama-t-il excédé. C'est pénible ! Et si j'avais prévu quelque chose ?

— Tu te débrouilles avec le manager, je ne suis ni un hibou, ni le bureau des plaintes, lui rétorqua sèchement Trinity. A demain. Bonne soirée, Mrs Potter, ajouta-t-elle plus aimablement. »

La porte claqua derrière elle, et il tapa du poing dessus. Il avait prévu d'emmener Dorea à la mer et d'y passer la journée, rien que tous les deux. Elle avait aimé Brighton la dernière fois, il se disait que la côte du Dorset devrait lui plaire aussi. Et puis, ce serait l'occasion de prendre le temps de discuter avec elle et de comprendre ce qu'il se passait dans sa tête. Enfin… comprendre un peu. Mais tout tombait à l'eau pour une maudite conférence de presse.

« Tu veux un verre de Whiskey-Pur-Feu ? lui demanda-t-elle doucement. »

Sa voix était un peu plus vivante. Elle était même étonnement tendre. Elle répondit même à son sourire. Il se contenta de la prendre dans ses bras. Et elle répondit à son étreinte. Elle frissonnait depuis que sa main montait et descendait dans son dos en de longues caresses. Il chercha sa bouche avec la sienne, pour l'embrasser. Il se faufilait dans la moindre brèche depuis deux semaines. Le plus petit signe lui rappelant la tendresse que Dorea lui avait accordée par le passé rallumait son cœur, éteignait ses inquiétudes et le poussait à nouveau vers elle.

Il frissonna à son tour lorsqu'elle fit remonter ses doigts tremblants dans son dos et ses cheveux, sans lâcher sa bouche. Elle s'appliqua même à l'embrasser lentement et tendrement comme elle ne l'avait pas fait depuis des jours et des jours. Il redécouvrait sa bouche, ses lèvres, sa langue et son souffle chaud. Il avait l'impression de revenir un mois plus tôt.

« Eh bien, souffla-t-il lorsqu'elle rompit le baiser. »

Son front contre le sien, il sentait à nouveau son parfum citronné s'infiltrer dans son nez et dans tous les pores de sa peau. Il s'imprégnait à nouveau de son odeur et de son contact.

« Je… »

Je t'aime. Mais c'était toujours trop tôt, non ?

« Tu devrais m'embrasser comme ça plus souvent, souffla-t-il à la place. Tu obtiendrais tout ce que tu veux, ajouta-t-il mi-tendre, mi-moqueur.

— Je réserve ces baisers-là pour le jour où je veux vraiment quelque chose, murmura-t-elle. »

Le souffle frais de la bouche de Dorea s'échoua contre les lèvres de Charlus, le faisant frémir de la tête au pied.

« Dois-je comprendre que tu veux vraiment quelque chose aujourd'hui ? demanda-t-il avant de repartir se perdre contre sa bouche. »

Il en oublia de respirer tant il avait l'impression de redécouvrir la tendresse. A nouveau, tout son corps sembla s'enflammer et brûler pendant les longues secondes que durèrent le baiser. Il caressait sa taille, son dos et ses fesses avant de la pousser contre le mur pour attraper sa jambe et la faire s'enrouler autour de sa taille. Mmmh. C'était doux et violent à la fois. Ça n'avait encore jamais été si paradoxal et logique à la fois. Il l'aimait, il avait envie d'elle, il voulait lui faire plaisir et la retrouver passionnée dans ses bras. Il voulait qu'elle s'épanouisse à nouveau dans ses bras, qu'elle le laisse avoir accès à elle, à son corps, mais surtout à son cœur et à son âme. Il voulait qu'elle soit heureuse et qu'elle sourie à nouveau.

« Ma Dorea, souffla-t-il contre ses lèvres.

— Cha… Charlus, bafouilla-t-elle en reprenant son souffle. »

Il n'avait pas accès à ses iris gris argenté puisqu'elle avait fermé les yeux, mais ses joues rouges étaient un signe plutôt évocateur de son état d'esprit. Et puis, même s'il avait lâché la jambe de Dorea, elle l'avait laissée autour de sa taille.

« Tu as envie ? lui demanda-t-il à l'oreille en se pressant contre elle. »

Il l'embrassa derrière l'oreille, sur le lobe de l'oreille et dans le cou avant de retourner guetter son regard.

Douche froide. Son visage avait perdu ses rougeurs, ses yeux gris étaient grands ouverts et fixés sur un point invisible derrière lui et cet air… impassible avait à nouveau pris possession de ses traits. Elle baissa brusquement sa jambe.

« Tu ne veux pas aller chez mon Grand-père Eudes ? demanda-t-elle.

— Si, bien sûr, lui assura-t-il. Mais avant de partir, nous pourrions…

— Il faut que je me prépare, dit-elle en se tortillant pour le faire reculer. »

Et il ne trouva qu'à la laisser s'enfuir à l'étage.

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Le dîner n'était pas si mal. Il avait été placé en face d'un cousin de Dorea, un certain Hannibal. Le type semblait assez fou furieux, mais dans un sens plutôt positif. Un dur à cuire, quoi. Il était Tacticien-mage. Il s'était expatrié avec son frère Hasdrubal en Afrique du Nord pour étudier l'art de la guerre et devenir Auror en Tunisie. Il était revenu ce mois-ci en Angleterre avec son épouse, une sorcière tunisienne, et leur fils de trois ans, afin de voir ses parents et son grand-père.

Et puis surtout, Dorea reprenait vie à côté de lui depuis qu'elle discutait avec la petite Lucretia. Elle plaisantait avec sa cousine, elle parlait vivement avec son Grand-père et elle écoutait les conseils divers et variés (et farfelus) de sa mère avec un petit sourire. Il l'avait même entendu parler avec sa sœur et son frère plus tôt dans la soirée.

Il la regardait agiter les mains en expliquant quelque chose à Lucretia lorsque d'un coup, toutes les bougies s'éteignirent. La voix de basse de son Grand-père s'éleva dans le noir, non pour réclamer à l'elfe de remettre des chandelles, mais pour entonner un chant d'anniversaire. Charlus chanta vaguement avec eux, étonné que Dorea ne lui ait pas dit qu'ils allaient chez son Grand-père pour un anniversaire… avant de comprendre.

Merlin.

« …versaire Doreaaa ! Joyeux anniversaaaire ! »

Le gâteau à la crème surmonté de vingt-quatre bougies enflammées se posa devant sa femme qui souriait de toutes ses dents dans la semi-pénombre de la pièce. Les vingt-quatre bougies allumées laissaient à peine deviner son nez un peu long et ses yeux gris ourlés de cils noirs. Il resta figé à côté d'elle, incapable de penser plus longtemps, même pour se traiter d'imbécile.

Comment avait-il pu oublier ? On n'oubliait pas l'anniversaire de sa femme ! De la femme qu'on aimait ! Il savait, pourtant, qu'elle était née le 18 février, il l'avait lu plusieurs fois sur le contrat de mariage ! Et puis il aurait dû le comprendre lorsqu'elle lui avait dit explicitement ce matin et tout à l'heure qu'on était le 18 février !

Demain. Demain il se rattraperait. Demain matin, il l'emmènerait à… à Wimbourne par exemple, ce n'était pas très loin. Il l'emmènerait… dans une librairie. Elle adorait les livres. Ou dans une bijouterie, il…

Il était nul, tellement nul. C'était pour cette raison qu'elle était bizarre depuis deux ou trois semaines ? Parce qu'il n'avait pas pensé à lui organiser une petite fête comme celle-là ? Lucretia lui donnait déjà un paquet cadeau qui contenait une paire d'escarpins d'un rouge bordeaux qui semblait ravir Dorea. Son Grand-père lui offrait une broche qui avait apparemment appartenu à sa Grand-mère. Le paquet de sa mère était au moins aussi gros que celui de Lucretia et renfermait une grosse boîte en bois contenant tout un kit de plumes et de quoi les entretenir. Et lui… rien, puisqu'il avait oublié. Personne ne lui dit rien, bien sûr, puisqu'ils pensèrent tous qu'il lui avait offert un cadeau ce matin. Mais c'était pire, finalement, puisqu'en plus, Dorea le couvrit lorsque sa mère demanda de façon toute innocente et bienveillante ce que Charlus lui avait offert. « Maman, ce n'est pas pour rien si Charlus ne m'offre pas son cadeau en public. »

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Il garda le silence jusqu'à ce qu'ils soient, Dorea et lui, de retour chez eux. Il la regarda sortir de l'âtre et ils se fixèrent un long moment sans rien se dire.

« Bon anniversaire, souffla-t-il finalement.

— Merci, dit-elle pour toute réponse avec un petit sourire crispé en prime.

— Je suis désolé d'avoir oublié ton anniversaire, s'excusa-t-il piteusement en regardant le sourire de son visage s'agrandir de manière paradoxale.

— Je préfère que tu oublies mon anniversaire plutôt que notre anniversaire de mariage, répondit-elle en faisant un pas vers lui. »

Ils étaient à moins de dix centimètres l'un de l'autre, et elle se dépêcha de les combler pour l'embrasser. Pour une fois, il n'y répondit pas du tout, bien trop honteux pour se l'autoriser.

« Charlus ? s'inquiéta-t-elle.

— J'ai plus pensé à nous avec notre anniversaire, qu'à toi, avec ton anniversaire, expliqua-t-il en baissant la tête.

— Je t'ai dit que je préférais cela. Mon anniversaire, c'est du passé, c'est… Ce n'est pas notre présent. Mon anniversaire, c'est avec ma famille de naissance. Mais notre anniversaire de mariage, c'est notre anniversaire à nous, celui de… de la famille que nous voulons construire, tu vois ce que je veux dire ? »

Sa voix était tellement tendre, tellement douce… alors qu'il était tout à fait en tort.

« Ce n'est pas pour cela que je dois oublier ton anniversaire. Il fait partie de toi, et je t'ai épousée, dit-il difficilement. »

Elle plia les genoux pour placer sa tête sous le sienne et la lui relever avec un baiser. Pourquoi ne redevenait-elle douce que lorsqu'il était affecté par cette histoire de conférence de presse ou par son oubli ? Pourquoi était-elle douce quand il avait besoin d'être consolé et non quand il voulait vivre et l'aimer ?

« Penses-y les années qui viendront alors, dit-elle en haussant les épaules, son petit sourire crispé de retour. »

Et elle quitta le salon pour monter à l'étage. Cette discussion était surréaliste, comme toutes celles qu'il avait avec elle. Il oubliait son anniversaire, et elle se retrouvait à le consoler ? C'était quoi leur problème à tous les deux ?

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Elle était à nouveau distante lorsqu'elle sortit de la salle d'eau. Elle l'ignora superbement lorsqu'elle alla s'asseoir devant son secrétaire pour ranger ses bijoux, se coiffer et enduire sa peau d'onguents. Et ce n'était pas un effet de son imagination puisque, lorsqu'il revint de la salle d'eau à son tour, elle était dans leur lit, sous les draps, un livre dans les mains. Elle ne dit rien, lui non plus, et il se contenta de se glisser dans leur lit après avoir enlevé sa robe de chambre. Il resta sur son côté gauche, la tête dans sa main, le coude sur son oreiller. Elle était loin, dans son livre, avec ses réflexions métamagiques, inaccessible mais enfin sereine et moins distante.

Il s'approcha d'elle afin de s'allonger tout contre elle. Il la sentit sursauter puis frissonner et soupira lourdement en se laissant tomber à moitié sur sa jambe, à moitié sur le lit. Il posa sa tête sur sa poitrine et passa son bras droit sur son ventre. Là, au moins, elle ne pouvait pas lui échapper.

« Dis-moi ce qui te tracasse, s'il te plaît, lui demanda-t-il à mi-voix.

— Ce qui me tracasse ? répéta-t-elle en fermant son livre.

— Oui. Tu es distante depuis deux semaines. Je… Je t'ai fait mal la dernière fois ? demanda-t-il du bout des lèvres. »

Elle resta silencieuse. Qui ne dit mot consent ?...

« Pourquoi tu ne me l'as pas dit pendant que je te faisais l'amour, ma Dorea ? J'aurais arrêté, j'aurais…

— Mais non, tu ne m'as pas fait mal, le coupa-t-elle en enfouissant sa main dans ses cheveux. »

Elle massa son cuir chevelu du bout des doigts. Il apprécia tout autant ce geste que les mots de sa femme. Où était le problème alors ?

« Je peux te demander quelque chose ? lui demanda-t-elle avant qu'il ne puisse dire autre chose.

— Tout ce que tu veux, répondit-il avec soulagement.

— Est-ce que… Demain, je sais que ce sont nos deux mois de mariage, mais… Je… Il y a… J'avais quelque chose de prévu depuis des mois.

— Ah ? s'étonna-t-il en se redressant. »

Il était assis à côté d'elle, tourné vers elle. Elle ramena simplement ses genoux contre elle afin de les entourer de ses bras.

« C'est… C'est un congrès de Défense contre les Forces du Mal qui a lieu à Pré-au-Lard et… commença-t-elle en baissant les yeux sur ses mains nouées sur ses tibias. Et il y a une dizaine de cherchomages très connus qui viennent présenter leurs découvertes. J'ai rencontré Alfonso Fontano chez Fleury et Bott un jour, et il m'a invité lui-même et… Et il sera là-bas, et il y aura aussi Leonard Goldstein, Godefroy Toucharien, Sylva Salomon, Richie O'Connell et Gaby Forotchev notamment. Je… Je ne sais pas si tu les connais, mais ils sont vraiment très intéressants et…

— Eh bien nous irons, la coupa-t-il. »

Il ne connaissait de nom que Leonard Goldstein tant pour ses découvertes que pour son histoire personnelle quelque peu médiatisée. Encore gamin, il avait fui l'URSS à cause de Grindelwald avec sa sœur, et il avait été un des premiers à raconter ce qu'il se passait vraiment là-bas.

« Tu… Tu veux y aller avec moi ? bafouilla-t-elle en relevant les yeux vers lui.

— Bien sûr, lui assura-t-il. »

Alors c'était pour cela qu'elle était si distante depuis deux semaines ? Parce qu'elle n'osait pas lui parler de ce congrès ?

« Mais… Mais il commence à neuf heures et il finit à dix-huit heures et… Et tu as ta conférence de presse, lui rappela-t-elle avec hésitation.

— Et alors ? s'étonna-t-il.

— Eh bien, je vais manquer toute l'après-midi si…

— Non, mais on y va ensemble, et à quatorze heures je te laisse seule là-bas pour aller à cette stupide conférence de presse, expliqua-t-il en levant les yeux au ciel. Je ne viens pas avec toi pour te surveiller ou je ne sais trop quoi. Je t'accompagne parce que ça me fait plaisir.

— Pour de vrai ? »

Ses yeux pétillants ne valaient peut-être pas deux semaines de distances, mais ils valaient tous les diamants du monde.

« Et puis le soir, nous pourrions allez dîner au restaurant pour fêter nos deux mois de mariage, proposa-t-il. Et ton anniversaire aussi.

— Pour… pour un dîner… romantique ? demanda-t-elle avec sa timidité pleine de pudeur qu'il avait trouvée charmante au mariage d'Ambuela.

— Pour un dîner romantique, en tête à tête, avec des chandelles si tu veux, insista-t-il. Où voudrais-tu aller ? »

Il manquait si souvent ses surprises. C'était bien mieux de lui demander directement ce qu'elle voulait.

« Nous pourrions aller à La Baguette Gourmande. La cheffe est ma marraine, Lydia Shafiq, et je ne l'ai pas vue depuis des semaines, proposa-t-elle aussitôt. J'irai la voir une fois le congrès fini, et tu n'auras qu'à m'y rejoindre. »

Et quelques minutes plus tard, ils se retrouvaient à s'embrasser comme si leurs vies en dépendaient. A un moment donné il glissa ses mains sous sa robe pour atteindre ses cuisses, et elle laissa les siennes se perdre sur son torse. Il dormit bien plus sereinement ce vendredi soir-là, bien mieux que les trois précédents qu'il avait passés avec ses coéquipiers – et coéquipière – à La Cave du Détraqueur.

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Lorsqu'elle arriva à Pré-au-Lard par la cheminée du Pub des Trois Balais le lendemain, Dorea ne se rendait même plus compte qu'elle souriait tant ses lèvres essayaient de rejoindre ses yeux. Elle se rendait à ce congrès international, et elle s'y rendait au bras de Charlus. Ce n'était sûrement pas grand-chose pour lui, mais c'était énorme pour elle. Il se contentait de l'accompagner où elle avait envie d'aller selon lui, mais pour elle c'était une preuve de plus qu'il acceptait qu'elle continue son étude. Non pas qu'elle se soit cachée de lui pour étudier, mais elle avait essayé de ne pas trop le faire lorsqu'il était avec elle. Si au début elle avait cru qu'il voulait l'accompagner parce qu'il refusait qu'elle se rende sans lui dans un endroit public pour ce genre d'évènement, elle avait vite compris qu'elle avait tout faux. Il voulait l'accompagner pour lui faire plaisir, pour passer du temps avec elle, parce qu'il s'intéressait à ce qu'elle aimait.

Il n'était peut-être pas fidèle, mais il l'aimait de façon sincère.

Elle ne comptait plus les soirs où il lui avait dit aller « boire un coup » avec ses amis, ou ses coéquipiers. Elle se rappelait encore de l'humiliation cuisante qu'elle avait ressentie lorsqu'elle était tombée sur le Sorcière Hebdo de Sylvestra, ouvert sur une photographie de Charlus et d'une femme qu'elle ne connaissait pas, et de l'article sulfureux qui l'accompagnait. Et elle avait entendu Enid Forty débarquer chez eux à trois heures du matin et sauter au cou de Charlus en criant des déclarations d'amour. Et dire que Charlus… Et dire qu'il n'avait rien dit. Qu'il avait fait comme si tout était normal. Courage, loyauté, fidélité. Bien sûr… Il avait simplement pesté après Enid que ce n'était pas une heure pour réveiller les gens. Et la veille, lorsqu'elle était allée le chercher au stade, elle avait entendu la conversation qui tournait autour d'elle. Même si elle n'en avait pas tout compris, elle en avait retenu l'essentiel : elle était frigide, Charlus ne trouvait pas son compte avec elle, puisqu'elle ne faisait pas quelque chose qui semblait si important pour les hommes. Bon. Il devait trouver ce quelque chose ailleurs, dans les serveuses de la Cave du Détraqueur ou auprès d'Enid Forty. Elle essaierait de savoir un de ces quatre. Si c'était si important, elle finirait par l'entendre quelque part, non ? Ou bien, elle demanderait à Charlus directement, ce serait encore le plus simple… si elle osait lui poser la question…

Bref. Ce n'était pas important. Pas trop.

« C'est au 7, rue du Gare-loup, répéta-t-elle à Charlus une fois qu'ils furent sortis du Pub.

— Je sais Dorea mon amour, c'est la sixième fois que tu me le dis, dit-il avec légèreté avant de la tirer à lui pour embrasser sa joue. »

Elle laissa son corps se blottir contre celui de Charlus ce qui lui arracha un de ces frissons qui la faisaient se sentir si vivante. Peut-être qu'elle oubliait de faire à Charlus quelque chose qui lui était inconnu, mais elle ne pouvait pas croire que tout ce qu'elle faisait le laissât de marbre. Pourquoi prendrait-il la peine de l'embrasser sinon ? Et puis, il y avait des signes qui ne trompaient pas, non ?

« C'est que je suis vraiment contente d'y aller, s'excusa-t-elle à demi-mots.

— Je sais, puisque nous ne retournons pas aujourd'hui chez ton Grand-père et que… oh, tu me l'as dit cinq ou six fois, non ? la taquina-t-il. »

Elle fit la moue pour toute réponse et s'arrêta enfin devant le numéro 7 de la rue du Gare-loup. C'était une grande et vieille maison à colombage, comme toutes celles de la ruelle. La porte était bien trop petite pour que Dorea puisse entrer sans avoir besoin de baisser la tête et à travers les vitres des fenêtres, on distinguait déjà une petite foule de sorciers. Une affiche avait été placardée sur le mur de la bâtisse dont les lettres imprimées dans une typographie gotique indiquaient : « 876ème congrès international de Défense Contre les Arts Noirs le 19 février 1944 à Pré-au-Lard ». Une petite caricature de Leonard Goldstein (gros sourcils noirs, gros yeux noirs, gros nez, crâne chauve et bouche pleine grignotée par sa célèbre balafre en dents de scie) pointait du doigt le passant pour lui faire signe d'entrer. Dorea n'hésita pas et poussa la porte avec impatience. Son sourire tremblotait sous l'euphorie de pouvoir assister à un évènement pareil. C'était la première fois depuis dix ans que ce congrès se tenait en Grande-Bretagne.

« Tu ne frappes pas avant d'entrer ? lui demanda Charlus à l'oreille.

— Oh euh, trop tard, bafouilla-t-elle en tombant nez à nez avec Alfonso Fontano en personne. Bonjour Mr Fontano, se reprit-elle en se souvenant de sourire (mais pour une fois elle souriait déjà). »

Le vieux sorcier à la longue barbe brune la regarda plusieurs secondes en fronçant les sourcils derrière ses lunettes en écaille. Ses yeux noisette étaient plus d'une nuance verte que dans les souvenirs de Dorea, mais ses multiples rides n'avaient pas changé. Dorea attendit patiemment qu'il la reconnaisse, et elle comprit que ce fut fait lorsqu'il lui rendit son sourire et qu'une lumière s'alluma dans ses yeux.

« Mademoiselle… dit-il de sa voix profonde, ou devrais-je dire, Mrs Dorea, à présent, se corrigea-t-il en reportant son regard sur Charlus. Je suis heureux de voir que vous n'avez pas oublié mon invitation.

— Je me suis permise de venir accompagnée, ne trouva-t-elle qu'à dire.

— Le congrès est ouvert au public, mais je ne savais pas que l'un de nos Attrapeurs nationaux s'intéressait à la Défense, dit-il en tendant la main devant lui. Alfonso Fontano.

— Charlus Potter, répondit Charlus en lui serrant brièvement la main. Je suis à bonne école, ajouta-t-il en accompagnant sa remarque d'un sourire à l'intention de Dorea. »

Dorea qui rougit sous le compliment ou la taquinerie déguisée, elle ne savait pas bien. Elle fit la moue pour tout commentaire.

« Eh bien, espérons que vous ne nous voliez pas la vedette, sans mauvais jeu de mot, répondit Mr Fontano avec malice en leur désignant la salle à sa droite depuis laquelle du bruit montait. Mettez-vous à votre aise. Le congrès devrait débuter d'un instant à l'autre.

— Je vous remercie, Mr Fontano, dit-elle respectueusement en s'engouffrant dans la direction indiquée en attrapant la main de Charlus. »

La pièce devait faire trois ou quatre fois la taille d'une salle de classe et elle était bondée. Des bancs avaient été installés au milieu et ils étaient pour moitié occupés. Les autres étaient en train d'être choisis par d'autres sorciers qui rompaient progressivement leurs conversations pour se trouver une place afin d'écouter les exposés à venir. Dorea en fit de même et chercha une place le plus proche possible du large bureau qui avait été installé sur une estrade. Elle finit par en trouver deux en bout de rangée et la désigna à Charlus. D'un signe de tête, il l'enjoignit à s'asseoir.

Elle ne se fit pas prier, se glissa dans la rangée et s'assit. Charlus en fit de même. Elle s'installa ensuite pour les heures à venir. Elle sortit un livre de son sac, un rouleau de parchemin, une plume et un encrier ensorcelé qui flotta à côté d'elle.

Mr Frontano prit la parole en premier pour présenter le congrès, l'inaugurer et remercier les cherchomages étrangers d'avoir entreprit un si long voyage. Dorea applaudit poliment avec les autres auditeurs à la fin de son discours. Puis Mr Leonard Goldstein parla des Sortilèges Impardonnables et de ses avancées dans les moyens de les contrer. Son accent allemand ou ukrainien donnait un côté un peu effrayant à l'exposé, mais c'était passionnant. Lorsque Gaby Forotchev commença à parler dans son russe natal, Dorea crut avec désappointement qu'elle ne pourrait rien en comprendre. Mais rapidement, le Cherchomage se servit de l'anglais pour se faire comprendre du plus grand nombre. Ses quelques bases en français lui permirent de s'émerveiller de la présentation de Godefroy Toucharien sur un antidote en cours sur la Goutte du Mort Vivant. L'exubérante américaine Richie O'Connell renversa toutes ses certitudes sur la nature des loups-garous. Elle avança l'hypothèse que leur origine n'était pas lupine mais magique. Une forme d'expérience qui aurait mal tourné. Un peu comme les Détraqueurs selon les hypothèses de Leonard Goldstein. Iza Ben Sarat s'éleva (à moitié en arabe, à moitié en anglais) contre cette tendance à considérer toutes les créatures magiques comme des erreurs de manipulation magique et qu'il ne fallait pas mélanger les Inferi non naturel et contre-nature avec les êtres (ou non-être pour les fantômes) qui ne correspondaient pas aux canons de la créature sorcière en générale. Mr Fontano trouva sage d'interrompre le débat lorsque les baguettes des Erudits se mirent à crépiter. Il invita les auditeurs à s'approcher du buffet pour une pause. Dorea se tourna vers Charlus à ce moment-là. Les bras croisés devant lui, ses jambes longues et athlétiques étendues sous le banc devant eux, il piquait du nez par intermittence comme s'il somnolait. Un instant offusquée, elle dut se retenir de rire en l'entendant marmonner de manière presqu'incompréhensible « Mais où est-ce qu'elle m'a emmené ? ». Elle posa ses mains sur son épaule pour le secouer doucement et le réveiller.

« Charlus, dit-elle doucement. Charlus chéri, insista-t-elle en secouant un peu plus son épaule. »

Il sursauta et releva la tête d'un coup.

« Tu n'étais pas obligé de m'accompagner, tu sais, dit-elle à mi-voix. Je ne t'en aurais pas voulu.

— Non, non, protesta-t-il en roulant des épaules pour les dégourdir. Je trouve juste assez stupéfiant qu'on puisse en venir à la baguette pour des questions théoriques sur l'origine des Loups-garous.

— Tes supporters peuvent en venir à la baguette pour une histoire de faute lors d'un match, lui rappela-t-elle avec amusement.

— Certes, abdiqua-t-il en faisant la moue. Quelle heure est-il ? Treize heures ? s'étonna-t-il après avoir jeté un coup d'œil sur sa montre à gousset. Je ne devrais pas tarder mais je n'ai vraiment pas envie d'aller à cette stupide conférence de presse, se plaignit-il à mi-voix.

— Pense à ce soir, l'encouragea-t-elle en se levant. »

Il se leva à son tour et s'éloigna du banc. À peine avait-elle fait de même qu'il glissa son bras autour de sa taille pour la tenir contre lui. Si au début ce genre de familiarité en public avait pu la surprendre et la mettre mal à l'aise, c'était tout l'inverse à présent. C'était… naturel et agréable.

« Ce soir, approuva-t-il.

— Où vas-tu ? s'étonna-t-elle alors qu'il les menait vers la sortie.

— C'est l'heure de manger, non ? dit-il.

— Mais… Il y a le buffet et puis… Le congrès reprend dans une demi-heure, je… »

Il s'arrêta de marcher pour se tourner vers elle.

« Il faut que je mange vraiment avant d'affronter ces vautours de journalistes, la prévint-il. Ils vont sûrement encore une fois me poser des questions personnelles qui vont me mettre hors de moi au lieu de m'interroger sur la saison à venir. Je vais y aller maintenant, et on se retrouve à La Baguette Gourmande ce soir vers… dix-neuf heures, ça te va ?

— Merci, répondit-elle avec gratitude. »

Il lui embrassa la joue un peu plus longtemps que nécessaire et elle sentit son cœur s'emporter dangereusement. C'était stupide comme un simple baiser pouvait rendre son corps si faible. Un peu plus, et elle aurait pu tourner de l'œil : pathétique. Elle rouvrit les yeux lorsqu'elle sentit les doigts de Charlus se perdre sur sa joue et remettre une mèche de cheveux rebelle derrière son oreille.

« Tu pourras m'expliquer ce qu'ils ont dit parce que je n'ai pas compris grand-chose, souffla-t-il en faisant la moue.

— Je n'ai pas tout compris non plus tu sais. Godefroy Toucharien parlait en français et Iza Ben Sarat parlait vraiment vite.

— Je n'ai même pas tout compris des explications en anglais, avoua Charlus en grimaçant. Et toi, tu me parles du français et de l'arabe, s'amusa-t-il en riant jaune. »

Elle ne réussit à faire rien d'autre qu'à rougir et à rire avec embarras. Il lui embrassa à nouveau la joue avant de disparaître dans la foule et de quitter la salle. Une partie des auditeurs étaient sortis, peut-être même définitivement, et on pouvait un peu mieux se déplacer que lorsqu'elle était entrée dans la pièce. Elle repéra dans un coin de la salle quelques sorciers qu'elle avait déjà vus lors de conférences sur la Magie. Elle avait fini par comprendre qu'ils appartenaient au Départements des Mystères et au service de Ste-Mangouste. A chaque fois, une pointe au cœur la lançait, et elle se disait qu'elle aurait pu être parmi eux si…

« Mrs Potter, entendit-elle et elle se retourna pour tomber nez à nez avec un homme d'une trentaine d'année qui lui disait vaguement quelque chose. »

Elle finit par le remettre en apercevant la broche à l'effigie du Département des Mystères sur le col de sa robe. Elle s'était retrouvée assise deux fois à côté de Tiberius Fawley lors de conférences au Ministère, et elle avait échangé deux ou trois mot avec lui. Sa conversation était intéressante.

« Mr Fawley, dit-elle en retour. Je vois que les nouvelles vont vite, dit-elle avec embarras en référence à la manière dont il l'avait appelée.

Sorcière Hebdo s'est longuement épanché sur votre mariage. Toutes mes félicitations, dit-il avec un sourire en coin. Et puis, Mr Potter vous a accompagnée, et on ne peut se méprendre sur la nature de votre relation. »

C'était l'attitude de Charlus qui indiquait plutôt clairement qu'ils étaient mariés. Non que ceci la dérangeât.

« Je vous remercie. Vous prendrez la parole ensuite ? préféra-t-elle demander.

— Ce n'est pas encore pour cette fois, reconnut-il avec un haussement d'épaule. Mon projet patine depuis quelques temps. Mais je ne perds pas espoir, insista-t-il aussitôt. Qu'avez-vous pensé de l'hypothèse de la Professeure O'Connell ?

— Intéressante, mais la Professeure Ben Sarat n'a pas tord non plus.

— A quel point de vue ?

— Il ne faudrait pas qu'on en vienne à prendre comme référentiel autocentré la nature sorcière de manière systématique au lieu de comprendre les espèces pour elles-mêmes.

— Je vois… Il faut éviter des calques et des assimilations, ou des démarches analogiques. J'en conviens. Mais sa théorie reste intéressante. Si un homme ne peut féconder une louve ou un loup une femme, il faut convenir qu'un peu de magie extérieure se trouve dedans. A moins que ce ne soit le résultat d'une métamorphose incomplète d'un homme en loup, comme O'Connell l'a avancé, rappela Tiberius Fawley. On ne peut plus rester sur l'idée que les loups-garous forment une espèce à par entière. Ce serait rétrograde et terriblement faux.

— Pas forcément, Tiberius, intervint Alfonso Fontano. Une fois par mois, le loup-garou est une espèce à par entière.

— Donc le loup-garou relève de deux espèces à la fois suivant le jour du mois ? ironisa Mr Fawley. Voyons, Alfonso, on ne peut pas relever de deux espèces à la fois, ce n'est pas possible.

— Le refuser revient à nier la réalité, insista Mr Fontano. Si vous partez du principe que le loup-garou relève de deux espèces à la fois, vous reconnaissez qu'il est distinct suivant qu'il est homme ou loup. Vous reconnaissez donc qu'on ne peut condamner le loup comme on condamnerait l'homme.

— L'homme et le loup… L'homme est le loup, Alfonso, insista Mr Fawley.

— Vous êtes encore trop jeune, Tiberius, conclut Mr Fontano.

— Ce ne sont pas parce que nos opinions sont divergentes que…

— Que vos opinions divergent des miennes m'importe peu, Tiberius. C'est votre entêtement à rester sur vos acquis qui me pousse à retarder la présentation de vos recherches et à continuer à vous faire garder le silence, le coupa Mr Fontano. »

Dorea tira ce qu'elle voulait de cette conversation avant de s'éloigner. Relever de deux espèces à la fois était quelque peu problématique d'un point de vu scientifique. Mais d'un point de vue étique, c'était cohérent, en effet, puisque l'homme ne se souvenait jamais de ce que le loup avait fait. Il n'y avait plus qu'à attendre quelques années pour qu'on trouve une réponse plus censée et cohérente en tous points…

Elle s'approcha du buffet pour se servir une tasse de thé et emporter un petit four. Elle balaya la pièce du regard. Sylva Salomon discutait vivement avec Iza Ben Sarat. Et Leonard Goldstein écoutait Lysander Yaxley avec attention. Elle se demanda vaguement si un jour, elle oserait aller leur parler. En attendant, elle se contentait de lire et écouter ce qu'ils disaient.

Elle retourna s'asseoir lorsqu'Alfonso Fontano invita les auditeurs. Sylva Salomon, israélienne par son père et australienne par sa mère, fit un long développement sur les arts noirs sylvestres. La mise au service des Arts Noirs de la nature même était quelque peu effrayante. Les racines s'enfonçaient tant sous terre qu'elles pouvaient contaminer toute une végétation sur parfois un cercle d'un kilomètre de diamètre. Elle avait observé les cas les plus graves dans les mangroves australes, où il avait fallu brûler les plantes infectés avant qu'elles en contaminent d'autres. Sachant que les mangroves poussaient directement sur l'eau, l'entreprise avait été plutôt… ardue. Ceci leur avait pris pas loin de six ans. Son ancienne professeure à Poudlard, Galatea Têtenjoy présenta aussi une partie de ses recherches sur les fantômes. Elle avait travaillé en collaboration avec les fantômes de Poudlard, particulièrement avec le Baron Sanglant et les fantômes de Beauxbâtons aux côté de l'allemand Friedrich Von Düssel. Ce n'était pas ce qui passionnait le plus Dorea, mais c'était aussi intéressant. Marco Campellino présenta quant à lui une recherche précise sur le sortilège Doloris, les effets, les conséquences étudiées et hypothétiques et les pistes trouvées pour y résister. Il disait ses phrases en italiens avant d'en donner une traduction approximative ce qui donnait un drôle de rendu. Iza Ben Sarat fit un topo fabuleux sur le sortilège d'animalisation cérébrale grâce à la Légilimancie qui mit presque mal à l'aise Dorea tant les effets qu'elle décrivait du sortilège lui rappelait ceux qu'elle avait éprouvait face à son père. Néanmoins, elle comprenait mieux pourquoi elle continuait d'entendre parfois la voix de son père dans sa tête. La Légilimancie laissait comme une marque, une empreinte ou une blessure dans l'esprit, qui cicatrisait mais ne disparaissait pas vraiment, et ce, de façon plus… brutale qu'une simple discussion verbale.

Après une nouvelle courte pause, Alfonso Fontano prit encore la parole pour présenter d'abord un résumé de ce qui s'était dit et inviter Xi Tse Chang à parler des Inferi. Là, pour le coup, comme c'était en chinois, elle ne comprit rien. Mais elle ne devait pas être la seule puisqu'elle vit plusieurs auditeurs s'endormir ou s'en aller. Elle relut les notes qu'elle avait prises jusqu'à ce qu'Alfonso Fontano reprenne la parole. Il fit un bref résumé des propos de Xi Tse Chang tout en assurant qu'une traduction serait bientôt disponible à la librairie les Petits Livres Rouges sur le Chemin de Traverse, dans la Revue de Défense Contre les Arts Noirs. Quelqu'un ironisa que le fait qu'Aflonso entendait un an pour rapidement, et tout le monde se mit à rire car les revues scientifiques prenaient toujours leur temps pour paraître. Enfin, Alfonso Fontano présenta ses recherches sur le sortilège de la Mort, celui qui intéressait tant Dorea. Il donna un court explosé sur la première mention du sortilège Avada Kedavra dans les manuscrits, bien plus ancienne que ce dont Dorea se souvenait. Il insista sur le fait que cette formule se prononçait de la même manière depuis plusieurs centaines d'années en Europe en citant ses sources pendant bien un quart d'heure. Selon lui, cette approximative unité tenait au fait que la mort était une chose puissante et à la conséquence… relativement identique pour chaque être. Elle était appréhendée de la même manière à quelque chose près depuis des siècles et par les différentes communautés européennes. Ces mots n'étaient pas perfides (petits rires de la salle sous la référence à son derniers ouvrage Se Protéger Des Mots Perfides), et ressemblaient à une déformation d'une pseudo-formule abracadabra moldue, à moins que ce ne soit l'inverse. Cette moquerie sur ce sortilège si terrible confirmerait que la mort faisait peur, et qu'il fallait la dédramatiser ou bien rester sceptique devant une formule si puissance. Il parla ensuite surtout de l'action de ce sortilège sur le duelliste, sur la fracture de l'âme comme image de l'instabilité émotionnelle que provoquait cette formule. Il avait enquêté à Azkaban, et tous les sorciers qui avaient un jour lancé un Avada en ressortaient toujours avec des séquelles plus ou moins importantes. Il donna une longue liste de dommages, et ce qu'il avait fait pour les soigner plus ou moins. Il était déjà dix-huit heures quinze lorsqu'il posa le point final à son exposé.

« Une pensée particulière à Mrs Ivana Bolchakova, victime directe de Grindelwald. Elle a été mon mentor en Défense dès mes débuts. Elle aurait dû diriger ce congrès et bien d'autres encore. Je vous remercie de votre attention. »

Des applaudissements respectueux s'élevèrent, comme il avait été de même après chaque intervenant. Selon les journaux, Ivana Viktorovna Bolchakova, 132 ans au moment des faits, avait été approchée par un proche de Grindelwald puis par Grindelwald lui-même depuis plusieurs mois lorsque des sortilèges délirants (selon les journaux) avaient jailli de sa maison. Habitués à ce qu'elle s'essaie à des expériences, les habitants de son village n'étaient pas intervenus… jusqu'à ce que son absence se fasse vraiment sentir dans son village et qu'on se rende chez elle pour y découvrir son corps.

Dorea secoua la tête en grimaçant. Les méthodes de Grindelwald étaient bien trop… Son père… Non, ne plus y penser. Elle se leva avec fébrilité du banc avec les autres auditeurs. Elle enroula son rouleau de parchemin, ferma son encrier volant et les rangea dans son sac à main avec le livre qui lui avait servi de support et la plume. Avec un peu de chance, Lydia ne serait pas encore débordée en cuisine et elle pourrait lui parler un peu.

Elle embrassa une dernière fois la salle du regard, repensa à la présence de Charlus ici, avec elle, à ce congrès, sentit son cœur exploser de joie à cette idée, et se dirigea vers la sortie. Alfonso Fontano était à la porte en train de saluer un couple d'un certain âge. Elle attendit que le vieux couple sorte pour pouvoir s'approcher à son tour de la porte.

« Je crois comprendre que ce fiancé dont vous doutiez est un mari tout attentionné, Dorea, entendit-elle alors qu'elle posait la main sur la poignée. »

Elle se retourna avec surprise. Elle avait oublié ce qu'elle avait pu dire sous le coup de l'abattement à Alfonso Fontano cinq mois plus tôt. Ceci lui revenait plutôt bien à présent.

« Comment vous appelez-vous ?

— Dorea, souffla-t-elle en sentant sa gorge se nouer.

— Quel joli prénom, commenta-t-il en tournant la plume au dessus du livre comme s'il cherchait ce qu'il pouvait écrire. Et votre nom ?

— Il changera bientôt, ça n'a pas d'importance, souffla-t-elle en reniflant discrètement.

— Le fiancé ne vous plaît pas ? demanda-t-il avec surprise.

— Oh si, reconnut-elle malgré elle. Mais je ne sais pas si je plais au fiancé. »

« Vous trouvez ? demanda-t-elle malgré elle en se sentant rougir.

— Vous en doutez toujours ? demanda-t-il avec un étonnement flagrant.

— Il faut du temps pour arriver au cœur de la pomme lorsqu'on pense avoir choisi la meilleure du panier, dit-elle avec hésitation.

— Une fois que la pomme est mordue, on peut tout de suite aller au cœur, Dorea, dit-il avec malice.

— Mordue ? répéta-t-elle. »

Charlus était… mordu comme… amoureux ? Peut-être… Elle l'avait cru elle aussi. Elle le sentait.

« Je fête mes cent ans le mois prochain, j'en ai connu, des pommes, répondit-il avec un sourire agrémenté d'une dent en argent. Où étudiez-vous, Dorea ?

— Chez moi, répondit-elle à mi-voix en grimaçant. »

Lui, il était entré à l'Académie de Moscou, l'une des plus réputées, sitôt sorti de Beauxbâtons, puis il avait passé plusieurs années à Madrid d'où il était originaire, pour finir au Département des Mystères britanniques. Entre temps, il avait parcouru le monde, rencontré des gens et des lieux que Dorea ne pouvait pas imaginer et…

« Vous êtes amatrice éclairée alors, c'est admirable, ajouta Mr Fontano. Si l'envie vous prend d'accéder à une formation plus solide et… professionnelle, n'hésitez pas, voulez-vous. Au plaisir.

— Au plaisir, Mr Fontano, bafouilla-t-elle avec fébrilité en poussant la porte. »

Mais qu'avait-elle dit ? Qu'est-ce qui lui avait pris de parler de pomme pour parler de Charlus ! Et puis de parler de Charlus tout court ! Et ce Amatrice éclairéeadmirable ? Stupide oui, surtout à côté d'Alfonso Fontano… Elle se ferait discrète à l'avenir. Plus un mot.

Elle entra aux Trois-Balais, prit un peu de poudre de Cheminette dans sa poche et donna l'adresse du Chaudron Baveur. Elle s'empressa de gagner le restaurant de sa marraine Lydia Shafiq. La Baguette Gourmande n'était pas encore ouverte. Elle frappa tout de même à la porte. Elle attendit quelques secondes avant qu'un serveur ne lui ouvre.

« Je viens voir Lydia, je suis sa filleule, Dorea, se présenta-t-elle car elle ne reconnaissait pas le serveur. »

Celui-ci pourtant devait la reconnaître puisqu'il la laissa passer avec un bref sourire et une salutation.

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« Mr Potter, j'ai une question pour vous ! intervint cette insupportable Abigail Abercrombie de Sorcière Hebdo. »

Un jour, il faudrait vraiment que Dubois se contente d'inviter Balai-Magazine, et la Gazette à la rigueur.

« Je vous écoute, dit-il sous le regard insistant de Dubois. »

Il n'avait pas fait preuve de beaucoup de bonne volonté depuis toute à l'heure. Le manager fulminait sur place. Mais c'étaient ses deux mois de mariage ! Et le lendemain de l'anniversaire de Dorea ! Il avait autre chose en tête que cette conférence de presse ! Il devait trouver l'écritoire qu'il avait cherchée en vain à Pré-au-Lard. Ce serait plus pratique pour elle lorsqu'elle se rendrait à une prochaine conférence ou congrès. Ce serait un joli cadeau d'anniversaire, non ? Alors il savait qu'il devait sauter de sa place si tôt dix-huit heures tapantes pour filer à la boutique magique du Chemin de Traverse. Il ne pensait qu'à ça depuis le début de la conférence de presse. Mais les aiguilles tournaient bien trop lentement.

« C'est au sujet de votre mariage…

— Où est le lien avec la future Coupe d'Europe ? la coupa-t-il avec agacement.

— J'y viens, Mr Potter, dit-elle d'un tout doucereux. Ne pensez-vous pas que vous serez déconcentré lors des matchs cette année ? Nos lecteurs doivent-ils s'inquiéter de l'attention que vous accordez à votre épouse et à vos maîtresses ou…

— Mes maîtresses ? demanda-t-il, tout à fait éberlué.

— Tout le monde sait que vous êtes très demandé, Mr Potter, votre épouse aussi le sait bien puisque…

— Je suis fidèle à ma femme, fin de la discussion, dit-il avec raideur sous le regard un peu plus noir de Dubois.

— Je vois, se permit de continuer Abigail Abercrombie avec un petit ton condescendant horripilant. Mais vous savez, lorsqu'on est quelqu'un d'aussi important que vous, on peut se permettre quelques entorses à…

— Je suis joueur de Quidditch, pourrait-on s'en tenir au Quidditch, je vous prie ? la coupa-t-il à nouveau. Votre question était, si je ne m'abuse, si je serai assez concentré sur le Vif d'Or la prochaine saison malgré mon mariage de deux mois aujourd'hui précisément, insista-t-il en direction de Dubois dont le regard réussit à se faire encore plus noir. Je vous rassure, les femmes ne sont pas les seules à savoir faire deux choses à la fois. Je peux gérer mon ménage et le Quidditch !

— Gérer votre ménage ? Parce qu'il y a des complications ? s'enquit cette insupportable fouine d'Abercrombie (pauvre Dany… avoir une cousine au second degré pareille, quelle tragédie).

— Si vous mettez votre nez dans mes affaires, alors oui, il y aura…

— Question suivante ! intervint Fergus Dingus de sa voix de gorille. »

Il s'enfonça à nouveau dans la chaise. Dans la salle de repos du Club de Flaquemare, sept chaises avaient été disposées devant une longue table, derrière laquelle les sept joueurs étaient assis. Balai-Magazine, la Gazette et bien sûr Sorcière Hebdo avait accouru dans la salle à l'annonce de la conférence de presse. La Flaquette, le mensuel local du Dorset sorcier était aussi présent. Mais le vieux journaliste épiait déjà assez les joueurs pour connaître toutes leurs techniques et leurs petits secrets. Quelques fans hystériques trainaient au fond de la pièce, là où Dubois avait accepté qu'ils s'installent.

Encore une demi-heure et il pourrait s'en aller.

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La demi-heure passa à une vitesse de tortue. Mais elle finit par passer, et sitôt dix-huit heures sonnées, Charlus le fit savoir à Dingus qui, lui aussi las de toute cette médiatisation, se leva et leva la séance du même coup. Il laissa Dubois se débrouiller avec les journalistes pour les mettre dans la cheminée. Il préféra se dépêcher de repasser chez lui récupérer les quelques lignes qu'il avait écrite à Dorea durant l'insomnie qui l'avait frappée cette nuit et emprunter le réseau de Cheminette pour gagner le Chaudron Baveur. Après la visite de deux boutiques, il finit par trouver Chez Wellington une écritoire de seconde-main, usée mais pratique et solide. Il paya comptant, la fit emballer et réduisit la taille du paquet pour la ranger dans la poche intérieure de sa cape. Il arriva pile à dix-neuf heures devant la Baguette Gourmande.

Il poussa la porte, entendit le carillon tinter et écarta les lourds rideaux pourpre pour accéder à la salle de restaurant. Il était venu quelques fois à la Baguette Gourmande, pour de grandes occasions. Et il est vrai qu'aujourd'hui était une grande occasion… un anniversaire, deux mois de mariage… un coin de bonheur.

« Bonsoir Monsieur, entendit-il. »

Il baissa les yeux et trouva un serveur d'une quarantaine d'années devant lui. Il ôta son chapeau précipitamment.

« Bonsoir Monsieur, répondit-il aussitôt. Je viens rejoindre ma femme. Grande, brune, belle, élégante et… elle est là-bas, la reconnut-il. »

Elle lui faisait un signe de main depuis le fond de la salle encore en partie déserte. Il lui répondit d'un sourire.

« Je vous en prie, se contenta de répondre le serveur. »

Elle avait à nouveau cette aura mystérieuse qui émanait d'elle. Elle avait refait son chignon (elle finissait toujours par le refaire au moins une fois dans la journée, il l'avait déjà remarqué). Elle semblait même s'être maquillée un peu plus que ce matin. Ses joues rosirent lorsqu'il s'approcha de leur table, et elle baissa un instant les yeux sur ses mains gantée de gris depuis ce matin. Elle avait déjà un verre de vin devant elle qu'elle avait siroté de moitié et elle avait défait le pliage de sa serviette de table qu'elle maltraitait du bout des doigts, signe évident de nervosité chez elle.

Il ne résista pas à s'emparer de ses doigts nerveux pour y déposer un baiser avant d'ôter sa cape et de l'accrocher au porte manteau avec son chapeau. Lorsqu'il se retourna, il surprit le regard attentif de Dorea sur lui et il sourit un peu plus. Là, il la retrouvait, c'était à nouveau elle.

« L'après-midi était aussi bien que la matinée, Dorea mon amour ? lui demanda-t-il en s'asseyant en face d'elle.

— Tout autant, reconnut-elle à mi-voix. »

Il laissa le silence se prolonger entre eux pour la détailler tout à sa guise. Son grain de beauté sur sa joue gauche ressortait encore plus dans la semi-pénombre toute romantique dans laquelle était plongée la salle de restaurant. Il tendit la main par-dessus la table pour effleurer sa pommette du bout de son pouce. Elle ferma les yeux et il sourit lorsqu'il la sentit frissonner. Il rapatria sa main devant lui pour s'emparer de la sienne sur la table.

« C'est-à-dire ? demanda-t-il avec amusement. »

Et elle lui raconta. Et il comprit tout ce qu'elle lui expliqua. Elle devait utiliser des mots plus accessibles pour un non-initié comme lui. Oui bien c'était sa voix douce, lente et profonde qui le captivait plus.

Il la laissa choisir le dessert après s'être contenté de dire qu'il prendrait la même chose qu'elle. L'air perplexe du serveur amusa Dorea, et il se contenta d'un sourire en coin en direction de son épouse accompagné d'un haussement de sourcil.

« Qu'y a-t-il de drôle ? demanda-t-il néanmoins.

— Ta manie de toujours vouloir taquiner ou déstabiliser les gens, répondit-elle en souriant un peu plus.

— Tu sais qu'une fois sur deux, je ne le fais pas exprès, avoua-t-il. Je ne me préoccupe simplement pas de ce que les gens pensent, de la bienséance et je dis les choses comme elles me viennent.

— Je sais, dit-elle naturellement. C'est… C'est ce que j'aime avec toi, dit-elle avec plus de réserve. Je n'ai pas besoin de réfléchir à ce que je devrais dire… Je veux dire, je n'y arrive pas, et en plus, je n'en ai pas besoin et… au lieu de me mettre à mal à l'aise, ça me plaît, continua-t-elle.

— La spontanéité ? demanda-t-il pour la relancer. »

À chaque fois, sans qu'il ne le voie venir, elle lui faisait une micro déclaration. Elle lui ouvrait un tiroir de sa vie ou de ses sentiments avant de le refermer aussitôt. A chaque fois, c'était comme si son corps se liquéfiait : il ne pouvait plus bouger, il ne voulait plus bouger pour l'écouter ouvrir tous les tiroirs et tous les rouleaux de parchemin de ses sentiments jusqu'à ce qu'elle lui dise qu'elle l'aimait. À chaque fois, la frustration faisait repartir son corps car elle changeait de sujet et clôturait l'interlude.

« De la spontanéité qui se teinte toujours d'impertinence, précisa-t-elle en rougissant. »

Elle baissa les yeux seulement un quart de seconde.

« Et toi ? demanda-t-elle timidement. Qu'est-ce… Qu'est-ce que tu aimes… qu'est-ce que tu ressens de spécial quand nous sommes ensemble ? »

C'était ce soir, n'est-ce pas ? C'était ce soir qu'elle mettait enfin un mot sur ce qu'ils ressentaient ? C'était ce soir qu'elle s'en inquiétait verbalement ? C'était ce soir qu'elle se laissait aller à lui dire qu'elle l'aimait et qu'elle l'avait épousé lui comme elle n'aurait jamais épousé un autre, non ?

« Je me sens bien, répondit-il simplement. »

Il n'y avait plus qu'elle en face de lui et autour de lui. Son sourire se fit à nouveau crispé.

« Je me sens juste bien et paisible quand tu es à mes côtés, développa-t-il, comme ceci ne m'était jamais arrivé, avec personne. C'est comme si… Je découvrais que la personne que j'avais toujours voulu être était celle que j'étais finalement, mais qu'il me manquait auparavant ta… douceur et ta… tendresse pour me guider… »

Il pouvait peut-être…

« … et aussi ton amour, ajouta-t-il du bout des lèvres. »

Il la regarda s'immobiliser, pincer les lèvres, avaler lentement sa salive et quitter sa fourchette des yeux pour le regarder lui. Le serveur posa les desserts sur la table sans que ni lui ni elle ne détourne le regard. Il se demanda un instant si elle lisait dans ses pensées. Mais comme la dernière fois, au Nouvel An, il avait sentit une présence lui chatouiller les globes oculaires, elle ne devait rien en faire actuellement.

« Mon amour ? finit-elle par répéter en baissant les yeux. »

Il aurait pu faire semblant de répondre à un surnom, pour alléger l'atmosphère ou pour détendre Dorea, mais l'instant était trop important.

« Notre amour, oui, souffla-t-il en attrapant sa main. Dorea, ma Dorea, mon amour, mon unique amour…

— Chut, souffla-t-elle nerveusement. Je… je ne suis pas ton unique amour.

— Ah bon ? s'étonna-t-il sincèrement. J'espère que tu ne te penses pas en concurrence avec le Quidditch ou pire, avec ma mère, dit-il en serrant ses doigts entre les siens.

— Charlus, s'il te plaît, peux-tu te… te contenter de parler d'amour sans dire unique ? le pria-t-elle en fermant les yeux. »

Il crut même la voir trembler. Après un instant d'étonnement, il se demanda ce qu'il se passait dans sa tête. Elle devait penser à Nina et Esmé, c'était la seule explication.

« A ce jour, tu l'es, ma Dorea, et tu l'es depuis un bout de temps, insista-t-il.

— Charlus, s'il te plaît, je… Je ne te demande pas d'être fidèle, mais au moins d'être discret et de ne pas me mentir, dit-elle le cœur au bord des lèvres. »

Il se retrouva comme un imbécile à cligner des yeux par-dessus leurs coupes glacées. Mais de quoi parlait-elle, bon Dieu ? Il était fidèle ! Il lui était fidèle ! Depuis le début ! Il poussa leurs coupes glacées sur le bord de la table (elle semblait ne plus avoir d'appétit et il n'en avait plus non plus de toute façon).

« Qu'est-ce que tu racontes ? Bien sûr que je te suis fidèle ! Et bien sûr que tu as à me demander de l'être ! »

Il avait parlé un peu fort, mais l'avantage de la Baguette Gourmande c'était les sortilèges de brouhaha qui transformait toute discussion des clients en brouhaha, justement.

« Ne t'énerve pas, s'il te plaît, je… bafouilla-t-elle en ajoutant son autre main sur la sienne.

— Qui t'a mis en tête que j'étais infidèle ? Quelle idiote s'est fait passer pour ma maîtresse ? lui demanda-t-il durement.

— Je… »

Esméralda s'en tamponnait le coquillard, et puis elle était retournée en Bolivie. Il ne se souvenait pas forcément de toutes les filles qui avaient traversé sa vie, ou plutôt dont il avait traversé le lit, mais…

« Aucune, aucune, c'est… S'il te plaît, ne te fâche pas, je… ce n'est pas grave si…

— A quelle fille penses-tu ? la coupa-t-il avec exaspération. »

Si c'était la faute de Sorcière Hebdo

« Sorcière Hebdo

Il allait les étriper.

« … disait, photo à l'appui, qu'Antoinetta Abercrombie…

— La sœur de Dany ? Mais enfin, Dorea, c'est la sœur de Dany ! Un des Batteurs de l'équipe ! Ils ont dû prendre une photo quand elle est venue voir son frère pour une histoire de famille et que je l'ai saluée, comprit-il. »

C'était il y a deux ou trois semaines… Donc si elle était distante depuis deux semaines…

« Enid t'a fait une déclaration juste devant moi, en pleine nuit, alors que nous étions au lit et… »

Mon Dieu. Pendant trois semaines elle avait cru qu'il courrait à droite à gauche et… c'était plutôt évident qu'elle ait été si froide et distante tout ce temps ! Misère, combien de temps cela aurait-il duré s'il n'avait pas prononcé ce mot d'unique.

« Enid aime les femmes, dit-il le cœur au bord des lèvres en voyant son visage décomposé. Je pensais que tu l'avais compris. Elle ne s'en cache pas vraiment.

— Mais…

— Elle était ivre morte et trop heureuse d'être enfin titularisée, anticipa-t-il. Elle fait des déclarations d'amour aux gens qui croisent sa route dès qu'elle est ivre. Dorea, mon amour… Je t'appelle mon amour, bon sang, et toi tu penses que…

— C'est que je… j'aime… je t'aime plus que je ne devrais, réussit-elle enfin à dire. Alors, j'ai… j'essaie de comprendre comment faire pour… »

Elle l'avait dit. Enfin. Elle l'aimait. Le reste était bien égal. Plus qu'elle ne devrait ? On n'aimait jamais assez. Il se pencha par-dessus la table pour sceller leurs lèvres avec amour. Elle garda sa bouche contre la sienne, d'une manière chaste et délicieuse. Une pression de leurs lèvres l'une contre l'autre, ce qu'il y avait de moins indécent à faire en public parmi tout ce qu'il avait en tête afin de ne pas gêner Dorea et se faire mettre à la porte. Elle disait qu'il avait de l'impertinence à revendre, mais il avait tout de même un peu d'éducation.

« Je crois que je t'aime encore plus et que je ne t'aimerai jamais assez, souffla-t-il contre ses lèvres.

-Tu crois ? »

Son souffle s'emballa contre sa bouche. C'était doux, tendre et si… si… puissant.

« J'aimerai être ton amant avant d'être ton mari, trouva-t-il intelligent de dire en se rasseyant sagement sur la chaise rembourrée. »

Il trouva cela moins malin en voyant le sourire de Dorea s'effriter. Bon Dieu, qu'avait-elle encore compris de différent que le fait qu'il l'aimait elle, et rien d'autre, et pas parce qu'elle était son épouse ?

« C'était censé te faire plaisir, dit-il rapidement. Je t'aime qu'il y ait ou non un contrat long d'un mètre de parchemin et que tu portes mon nom. »

Ses joues rouges et la moue embarrassée qui ravagea son visage lui firent hausser un sourcil.

« Tu pensais que je parlais de sexe ? lui demanda-t-il, tout à fait éberlué. »

Il savait qu'il n'était peut-être pas le plus littéraire et délicat d'eux deux, mais tout de même.

« Chut, ne trouva-t-elle qu'à marmonner.

— Tu pensais que je pensais à ça alors que tu me dis enfin que tu m'aimes ? insista-t-il.

— Écoute, tu… tu es un homme, je te l'ai dit, je peux comprendre tout… tout ça, je te demande juste de ne pas me l'étaler sous les yeux, de ne pas me mentir et de…

— Allez, ça suffit, s'agaça-t-il pour de bon. »

Il posa la serviette de table sur la nappe blanche, et se leva pour aller chercher leurs capes et leurs chapeaux. Il ne savait pas s'il était en colère qu'elle pense cela de lui, qu'elle se force à accepter cela alors que visiblement c'était loin d'être facile ou qu'on lui ait appris qu'une telle attitude était normale et recevable de la part d'un mari. Il ne savait pas s'il était en colère contre elle, désespéré ou vraiment triste et horrifié qu'elle puisse tolérer qu'il ait pu l'humilier de cette manière. Il lui avait pourtant dit de ne pas lire Sorcière Hebdo au risque de ne lire que des mensonges. Il lui avait donné la devise des Potter.

« Charlus ? Écoute, je ne suis pas stupide, tu ne vas pas à la Cave du Détraqueurpour… »

D'accord, c'était ça. Il allait y remédier.

« Je ne sais pas ce qu'il faut que je te dise pour que tu comprennes que je t'aime vraiment, que je te suis vraiment fidèle du cœur comme du corps, dit-il en accrochant sa propre cape puis en déposant celle de Dorea sur ses épaules. Les gars doivent être à la Cave du Détraqueur, donc nous allons aller les rejoindre. »

Il s'approchait déjà de la sortie pour régler leur note sans tenir compte de la voix à la fois paniquée et perplexe de Dorea qui essayait de le retenir en l'appelant par son prénom. Il laissa ce qu'il fallait pour payer et sortit avant d'attraper Dorea par les épaules pour lui répondre.

« Oublie ce que tu crois savoir sur les hommes, s'il te plaît, et essaie juste d'exiger amour, confiance, loyauté, fidélité, respect et tout le reste de ma part. Nous sommes… nous sommes des passionnés, lui rappela-t-il. Alors aimons-nous passionnément, d'accord ?

— Mais tu ne vas pas m'emmener dans une maison de passe ! éructa-t-elle en se dégageant violement. Tu… Tu n'as vraiment aucune décence ! Je…

— Mais je n'y vais pas pour les filles, bon Dieu ! explosa-t-il en attrapant son poignet pour la tirer derrière lui. On n'y va pour la discrétion, nom de nom ! On est sûr d'être tranquille là-bas !

— Arrête ! Arrête ! Mais lâche-moi !

— J'ai dit, ça suffit ! »

Il l'attrapa par la taille pour la jeter sur son épaule, tout à fait hors de lui. Merlin, il avait un instant oublié qu'elle était plus grande que la moyenne pour une femme, et plus lourde que les idiotes qu'il avait dragué par le passé. Il chancela un instant, puisqu'elle continuait de se débattre, se rattrapa au mur, et remonta le Chemin de Traverse en ignorant royalement les hoquets outrés des passants. Il se donnait en spectacle, et Dorea aussi. Avec un peu de chance, personne ne les reconnaitrait et il ne rencontrerait personne de leurs familles et amis.

Il tourna dans l'Allée des Embrumes, évita une Harpie qui trainait contre le mur, et posa enfin Dorea par terre. Il fit craquer son épaule pour l'étirer en vitesse et tenter de chasser la colère de ses membres. Ce n'était pas de la faute de Dorea : on lui avait appris ceci, et il y avait assez d'exemple d'hommes (et de femmes) de ce genre dans le monde pour qu'elle en tire elle-même une leçon. Il n'empêche…

« Il t'aurait suffit de m'y accompagner une seule fois en trois semaines pour voir par toi-même ce qu'on y faisait. Et discute avec Rosemary Rowle un de ces quatre, ça te rassurera et ça la décoincera aussi avec un peu de chance, marmonna-t-il avant de pousser la porte sans lâcher le poignet de Dorea. »

Il la tira derrière lui sans tenir compte de ses ultimes protestations. On avait beau dire, la Cave du Détraqueur était un bel endroit si on n'allait pas trop au fond du pub (enfin, c'était un bordel, disons le honnêtement). Au fond, sous les trappes ou derrière des rideaux, une dizaine de filles travaillaient à l'horizontale, pendant qu'une demi-dizaine d'autres faisait le service dans la salle. Plus on s'enfonçait, plus ça devenait glauque. Il ne laissa pas le temps à Dorea de découvrir ce milieu si loin du sien, et obliqua directement vers la droite, derrière une porte où l'énorme pancarte PRIVÉ trônait contre le bois qui aurait mérité un coup de verni. Il poussa la porte sans demander la permission et tomba sur ses coéquipiers en train de jouer aux cartes en buvant Whiskey-Pur-Feu et Brandy-Pur-Fruit pour Daran. Romsemary était assise à côté de lui, droite et froide. Enid était écroulée de rire avec Mike à côté d'elle dans un état semblable. Dingus engueulait Abbott qui fumait le cigare en regardant distraitement ses cartes pendant qu'Abercrombie faisait les yeux doux à la serveuse qui lui tendait une Bièreaubeurre. Bien. Mike n'avait pas encore acheté les services d'une fille pour la soirée, et Enid non plus. Fort bien. Dorea aurait ça de moins à gérer.

« Potter ! s'exclama Enid Forty en se précipitant sur lui. T'es enfin venu ! On t'a attendu hier soir, et rien, même pas un hibou ! On pensait que tu viendrais pas ce soir et… Mais ça y est, tu nous l'as amenée ! Ah ma belle, ça faisait un bail qu'on lui disait de…

— Ça va Enid, râla-t-il. »

Qu'elle ne se mette pas à draguer Dorea sous son nez, ce serait la fiente de chouette sur la bouse de dragon pour cette soirée qui tournait au n'importe quoi. En plus, Dorea ne s'en rendrait pas compte, à tous les coups.

« Qu'est-ce que tu veux boire, ma belle ? C'est moi qui t'invite, insista Enid en traînant Dorea derrière elle, la main autour de sa taille comme Charlus avait l'habitude de le faire. Une Bièreaubeurre ? Ou bien tu es plutôt Cocktail ? proposa-t-elle en lui tirant une chaise que Dorea accepta aussitôt. Je sais, tu es une dame, toi. Qu'est-ce que tu dirais… Fila, ajoute un Cœur-de-Dragon sur ma note, tu seras gentille. Et ramène-le à M'dame Potter, c'est ma F.G.F. de la soirée ! »

Ladite Fila jeta un coup d'œil perplexe à Dorea, puis à Charlus et enfin à Forty avant d'exploser de rire et de sortir de la pièce.

« FGF ? lui demanda Dorea lorsqu'il se laissa tomber à côté d'elle.

— C'est Forty, répliqua-t-il en grimaçant. »

Future Girl Friend… Il donnerait de ses nouvelles un de ces quatre à Enid Forty. Au moins dans tout ça, Dorea avait retrouvé le sourire, et lui il n'était plus fâché contre elle mais contre Forty qui avait jeté son dévolu sur Dorea ce soir, Dorea qui effectivement, ne se rendait compte de rien pour changer.

« Eh Forty, viens sur moi, j'ai besoin d'une femme, là, finit par gueuler Mike, ivre mort.

— Va te faire voir, Orlando, répliqua-t-il avec mépris. J'ai bien plus intéressant à faire ce soir que de te trouver de la compagnie, minauda-t-elle en détaillant Dorea sans gêne. »

… Dorea qui ne comprit pas du tout le sous-entendu pendant que Charlus fulminait littéralement sans pouvoir rien dire. C'était le problème avec Enid Forty : on ne savait jamais vraiment quand elle était dans la déconne, et quand est-ce qu'elle était sérieuse. Mais Dorea n'aurait rien vu quel que soit le sous-entendu qui serait sorti de la bouche d'Enid, ou de n'importe qui. Et il parlait en connaissance de cause, hein.

Il croisa ses yeux brillants de larmes et sa vision se flouta elle aussi pendant que Dorea lui envoyait des images mentales. C'était la nuit, et sa Dorea était penchée sur lui, qui était endormi. Le je t'aime qui résonna dans sa tête le fit trembler de la tête aux pieds. Il s'empara de la main de Dorea, l'embrassa trop longtemps pour convenir aux convenances et essaya à son tour de lui souffler combien il l'aimait en la regardant dans les yeux et en y pensant le plus fort possible. Lorsqu'il la vit rougir, il crut qu'il avait réussi. Puis elle se pencha à son oreille, ignorant totalement le discours d'Enid qui lui expliquait le contenu de son Cœur-de-Dragon.

« Ne pense pas à moi nue dans notre lit lorsque tu penses à notre amour, sinon l'image remplace ce que tu veux me dire, souffla-t-elle avant d'embrasser brièvement son oreille. »

Oups.

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.

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(Eh, c'était l'avant-dernier chapitre, ça me fait tout drôle. Le prochain aura plus des airs d'épilogue ou de transition avec la prochaine fic qui suivra directement après (oui, il y aura une suite (et même plusieurs héhé)).

Merci Titou Douh ! Et la vraie vie est à portée de main pour Dorea x) Ils ont peut-être mis des trucs en ligne à l'aquarium de Brighton avec les confinements... à voir ;)

Sinon je mets dans la semaine le dernier chapitre des Quatre Filles d'Arcturus Black (enfin aha). à très vite !)