"L'OMBRE, LE SANG, L'OUBLIE, L'ÉPÉE"


Arthur était presque sûr que les partitions qu'il utilisait sur le terrain étaient tirées du même bouquin que ce Chant Rivière. Il était capable de les exécuter par cœur, à présent, mais il avait reconnu immédiatement la notation musicale archaïque qu'il avait eu tant de mal à maîtriser à ses débuts.

"Encore", répétait Murcielago comme s'il était un perroquet au lieu d'un animagus chauve-souris et Arthur essuyait son front en sueur d'un revers de manche, secouait sa main douloureuse et reprenait son archer, épuisé de fatigue mais déterminé à réussir.

Il devait protéger Euphrosine.

C'était son rôle.

Cela l'avait toujours été, depuis le moment où son père lui avait dit adieu sur le quai 9 ¾ , un premier septembre pluvieux. Seulement, à l'époque, il ne savait pas comment tenir sa promesse et il avait failli la faire tuer…

Euphrosine ne se mettait plus en danger par accident, maintenant. Elle marchait délibérément dans les pires guêpiers si elle pensait que quelqu'un avait besoin d'aide.

Ça ne changeait rien. Il avait évolué, lui-aussi. À présent, il était armé, il était préparé et il était encore plus résolu que le jour où il avait réalisé que sa sœur était tout aussi décidée que lui à sauver le monde.

Quand elle s'était pointée dans sa chambre pour lui montrer sa lettre d'acceptation à l'Académie de Police Particulière, la première réaction d'Arthur avait été de la planter là et de dévaler les escaliers pour aller réclamer à son parrain d'intervenir et de faire annuler l'invitation.

Scorpius avait posé sa tasse de thé sur le plateau d'argent et s'était tamponné dignement les lèvres avec la serviette empesée que lui tendait Nestor, avant de renvoyer le vieil elfe de maison.

- Je ne t'ai pas empêché d'entrer à l'Académie quand tu m'as annoncé que tu avais été pris, avait-il dit.

Arthur n'était plus un adolescent, mais il avait ressenti pour la première fois l'envie de lui crier "tu n'es pas mon père".

Ce qui aurait été ridicule.

Scorpius était son père, tout autant qu'Albus était celui d'Euphrosine.

Il avait soupiré à la place.

- C'est différent ! avait-il insisté. "Elle est… elle est trop petite."

Scorpius s'était permis un petit ricanement moqueur : Euphrosine dépassait son frère de quinze bons centimètres depuis l'été précédent.

- Tu sais ce que je veux dire ! avait protesté le jeune homme, furieux. "Elle ne peut pas… c'est dangereux ! Je ne parle pas seulement des Mangeurs d'Ombre, mais aussi des gens, des idées – de tout ce qu'il y a là-dehors de tordu !"

Arthur venait juste d'être transféré du Service des Affaires Majeures à la Brigade des Mineurs. Scorpius et Wendy auraient préféré qu'il soit Auror et combatte uniquement les Forces du Mal, plutôt que d'être chaque jour confronté à ce qu'il y avait de plus décevant dans la nature humaine.

- Ne crois pas une seconde qu'elle vise un bureau au BPPB! Elle veut être sur le terrain et quelle que soit la spécialité qu'elle choisisse, il pourrait lui arriver n'importe quoi !

Le visage anguleux de son parrain s'était fait grave.

- Je sais, avait-il dit. "Je sais aussi que le Département des Arcanes l'intention de la recruter. Il y a des années que la section Zététique n'a pas eu de passeur d'âmes.

Arthur était devenu livide.

- Ne me dis pas que tu vas les laisser l'entraîner pour retourner là-bas.

Scorpius avait posé sa main sur l'épaule du jeune homme.

- Tu n'es pas le seul à vouloir te préparer pour ce qui viendra. Ta sœur attend depuis des années de pouvoir apprendre comment contrôler son don. Laisse-la suivre son chemin.

C'était tellement frustrant qu'il avait envie d'hurler.

- Je ne veux pas qu'elle souffre, avait-il balbutié.

- Je sais, avait répété Scorpius.

Il était allé jusqu'à la porte, l'avait fermée après avoir jeté un coup d'œil sévère à Drago et Wendy qui faisaient semblant d'être occupés à épousseter le couloir. Puis il était revenu à son bureau, avait jeté un sort d'assourdissement à la pièce et avait tiré d'un tiroir un dossier marqué "TOP SECRET".

- C'est pour cela que je n'ai donné mon accord au MACUSA qu'à condition qu'ils fassent de toi le protecteur du passeur d'âmes, son ancrage lorsqu'il y a besoin de s'aventurer dans le Voile. Tu as deux ans avant que ta sœur n'obtienne son diplôme, Arthur. Ils vont t'affecter à une équipe de Traqueurs où ton partenaire sera en mesure de superviser ta formation. Ce sera dur, mais je sais que tu en es capable.

Arthur avait feuilleté rapidement le dossier, puis il avait sauté au cou de son parrain.

- Merci, avait-il soufflé.

Les sourcils froncés, Scorpius regardait la porte derrière laquelle Wendy attendait et il avait soupiré.

- Ne me remercie pas et n'en parle pas à ta mère, surtout, avait-il murmuré. "Comme je te l'ai dit, ce sera loin d'être une partie de plaisir. Et Nick 'Murcielago' Cave est un drôle de zèbre, d'après ce que j'ai entendu dire."

Arthur s'était détaché de lui. Ses yeux verts pétillaient d'excitation, de reconnaissance, de soulagement et de confiance.

- Promis. Et ne t'en fais pas, je m'en sortirais ! avait-il gloussé avant de se sauver par la fenêtre et de tomber sur sa sœur qui l'attendait, les bras croisés.

Vingt-et-un ans, hein. Un âge où rien ne paraissait impossible. Scorpius s'était senti vieux, pour la première fois de sa avait eu vingt-et-un ans l'année où il avait lié sa vie pour toujours à celle d'Abus. Il avait eu dix-sept ans également – longtemps, très longtemps auparavant, dans une tombe au Brésil... – et su exactement ce qu'il ferait comme métier, lui-aussi.

Rien n'arrêterait leurs enfants, puisqu'ils avaient pris leur décision.

Tout ce qu'il pouvait faire, c'était s'assurer qu'ils aient les moyens de veiller l'un sur l'autre.

Il frissonna et revint au présent.

Le brouillard grandissait, envahissait la pièce de son haleine glacée. Zach était toujours à côté du pupitre et avait l'air complètement terrifié. Hermione Granger, toujours perchée sur son coffre, soufflait sur ses mains pour les réchauffer sans cesser de regarder furtivement autour d'elle.

Scorpius savait pourquoi.

Les chuchotements étaient de plus en plus nombreux, de plus en plus difficiles à ignorer. Ce n'était que des paroles indistinctes pour l'instant, mais elles vous faisaient inconsciemment redouter le moment où vous les comprendriez.

Hermione se méfiait parce qu'elle avait sûrement reconnu le murmure inquiétant de l'arcade au Département des Mystères.

Scorpius avait aussi fait le rapprochement, à l'époque, quand ils étaient dans les profondeurs de l'Axe. Mais personne ne l'avait écouté et, ensuite, Terrence avait franchi le pont des soupirs…

Il avala sa salive avec difficulté, s'affola quand il s'aperçut qu'il avait du mal à respirer, oppressé par l'atmosphère sinistre.

- Concentre-toi sur le violon, dit soudain Euphrosine à voix basse, près de son oreille. "Il t'aidera à ne pas te perdre."

Il voulait la retenir, la garder près de lui autant pour se rassurer que pour la protéger, mais elle s'éloigna, d'un pas étrangement flottant, pour aller prodiguer à Hermione et Zach le même conseil, sans doute, car ils tournèrent tous les deux la tête vers le Traqueur.

De la sueur brillaient sur les ailes du nez d'Arthur, mais la mélodie ne faiblissait pas. Caressante, envoûtante, impérieuse, absolue, c'était comme si sa musique dansait avec la présence grandissante du Voile, la fascinait comme une proie, la courbait sous son autorité, l'apprivoisait, l'apaisait.

Le Protecteur.

Maintenant Scorpius comprenait mieux ce que signifiait le titre donné à son filleul.

Leurs âmes auraient été happées, englouties dans cette opacité froufroutante, s'ils avaient été seuls, mais la musique les couvrait de son aile, grondait pour faire reculer le néant, ramenait inlassablement vers eux leurs souvenirs, leurs désirs, leurs rêves.

Lentement, le brouillard s'éclaircissait.

Ils étaient toujours dans la Salle de Musique – non, ils n'y étaient pas. C'était comme s'ils avaient basculé dans un miroir, comme s'ils avaient essayé d'attraper un reflet dans l'eau ou comme s'ils étaient dans un rêve. Ils étaient , ils se sentaient vivants, ils pouvaient toucher la mousse et les dalles sous leurs pieds, ils voyaient les carpes butiner à la surface de l'étang et ils respiraient le parfum des nénuphars… mais dans le coin de leur œil, les choses tremblotaient, indistinctes, floues – et parfois ils avaient du mal à se souvenir de leurs noms ou des visages qui les entouraient.

Le violon se tut et ils étouffèrent un sanglot involontaire, irrépressible.

- C'est la fin de la partition, dit Arthur en fronçant un sourcil.

Il regarda autour de lui, un peu étonné.

- On y est toujours ?

Euphrosine hocha le menton. Dans ses yeux gris tombait une pluie d'étoiles.

- On y est toujours.

Arthur fronça les sourcils. La magie s'arrêtait d'ordinaire lorsqu'il cessait de jouer et il n'avait jamais accompagné sa sœur de l'autre côté. C'était nouveau – et inquiétant. Faudrait-il recommencer le morceau pour sortir ? Il n'était pas certain d'y arriver. Le Voile brouillait sa perception de la réalité, mais il devinait que son t-shirt était trempé de sueur et l'imperceptible tremblement de ses doigts l'avertissait que son corps – physique, celui qu'il avait laissé dans la vraie salle de musique – était à la limite de ses forces.

- On ne peut pas rester trop longtemps, dit Euphrosine. "Tu es beaucoup trop spécial pour que cette petite ligne entre les deux mondes supporte ta présence sans se déchirer. Et si ça arrive, soit on tombera du mauvais côté et dans ce cas, sauver le monde deviendra le cadet de nos soucis, soit une nouvelle brèche s'ouvrira."

Arthur eut un long frisson à cette idée.

- On ferait mieux de se dépêcher, dans ce cas.

Zach hocha vivement la tête. Il s'était rapproché et était encore plus pâle que dans la Bibliothèque, mais son regard bleu était résolu.

- D'abord nous devons convoquer les livres, dit-il.

Hermione accepta l'aide de Scorpius pour descendre du coffre. Elle tira sur les basques de sa veste et brossa sa jupe.

- Je vais le faire, dit-elle. "Les Contes de la Dame du Lac, c'est bien ça ?

Elle leva les bras, secoua légèrement sa baguette, se racla la gorge et prononça l'incantation d'une voix claire.

Ils attendirent un instant, retenant leur souffle, persuadés qu'ils allaient entendre l'objet glisser à toute vitesse à travers la Bibliothèque et entrer en trombe dans la salle.

Mais il n'y eut rien d'autre qu'un léger gargouillis.

Puis Zach se pencha et repêcha dans les roseaux un livre dégoulinant dont la couverture d'écailles bleues était pleine d'algues.

Hermione faillit s'étouffer.

- Qui a rangé… commença-t-elle.

Puis elle tut brusquement quand Euphrosine prit le livre des mains de Zach et se mit à le feuilleter : à l'intérieur, il était parfaitement sec.

- Voilà les runes, dit la jeune femme d'une voix rauque en retournant le recueil de contes pour leur montrer la page. "Mais je ne peux pas les lire."

Arthur jeta un coup d'œil sur la page et plissa les paupières.

- Moi non plus, dit-il en même temps qu'Hermione.

- Elles bougent comme celles qui se trouvaient dans le bracelet de Muirgen, ajouta pensivement le Traqueur.

Ils se tournèrent tous en même temps vers Scorpius.

- Et toi ?

Zach n'avait rien dit, il semblait attendre.

Malefoy serra le poing. Il prit une longue inspiration, puis glissa deux doigts sous le col de sa chemise et en tira une longue chaînette au bout de laquelle pendait un petit flacon de cristal.

Le frère et la sœur eurent le même mouvement de recul. Ils lachèrent le livre et celui-ci se mit à flotter tranquillement devant eux.

- Encore une prophétie ?

- Non, dit l'homme aux cheveux blancs très vite. Il eut un petit sourire triste. "Non, pas une prophétie. Mais un souvenir. Celui que je t'ai pris, Euphrosine."

Il décrocha le flacon, l'ouvrit. Un Une délicate volute bleutée s'en échappa avec un soupir, s'éleva dans les airs, chuchotant des mots indistincts.

- J'ai oublietté tous les autres, dit Scorpius. "Même votre mère. J'ai fait disparaître toutes les copies. Je pensais… je pensais que si personne ne s'en souvenait, si personne ne prononçait jamais ces mots, alors…"

Ses yeux gris s'embuèrent.

- Alors peut-être que vous n'auriez pas à combattre, jamais, souffla-t-il.

La gorge d'Hermione se noua. Arthur prit la main de sa sœur, entrelaça ses doigts avec les siens tandis que le souvenir flottait, immatériel, dans la direction d'Euphrosine.

- Mais je ne pouvais pas lancer le sortilège sur toi pour effacer ta mémoire – tu étais trop faible, cela aurait pu te tuer. Alors je t'ai pris le souvenir de ce moment – une fraction, en tous cas. Vous aviez vécu trop de choses douloureuses, il était éparpillé, incrusté trop profondément. J'ai pris les mots, au moins – c'était moi qui te les avais donnés, j'en avais le droit. C'était le plus important. Mais je n'ai pas réussi à les détruire. C'était comme… comme s'ils résistaient."

Le mince fil d'argent hésitait, comme s'il ne savait plus qui était son propriétaire. Arthur souffla doucement dessus et le souvenir frissonna, se remit à onduler. Il effleura la joue d'Euphrosine qui n'osait pas bouger, se lova comme une mèche de cheveux sur sa tempe, puis fondit soudain.

Les voix résonnèrent, froufroutantes, autour d'eux, comme un écho lointain brouillé par un cours d'eau.

- "Et mon fils, Malefoy ?... S'il y a un moyen de sauver mon fils, est-ce que tu vas me l'interdire ?... Je l'ai lu... Elles servent de clé… Il n'y a pas de formule, ni de rituel, Wendy. C'est un poème !"

Euphrosine tressaillit violement. Elle chancela et son frère la rattrapa.

- Je sais, dit-elle soudain d'une voix rauque. "Je sais ce qu'elles veulent dire."

Elle tendit les mains, agrippa le livre ouvert à la page où les runes continuaient à s'entortiller.

- L'ombre, dit-elle.

Un petit livre mince poussa entre deux dalles, sur une petite motte de terre. Hermione étouffa un petit cri et le ramassa, brossa la couverture jaune sur laquelle restait une marguerite déracinée.

- Les Contes de Beedle le Barde !

- Le sang, dit Euphrosine en hésitant.

Il y eut un bruit sourd sur une des étagères, qui leur fit tourner la tête. Zach se haussa sur la pointe des pieds et prit le volume qui venait de tomber. Il était relié de cuir vert patiné, avec une gravure représentant la pleine lune.

- Les Contes du Passeur d'Âmes, murmura Arthur.

- L'oublié, dit Euphrosine, dévorée de curiosité.

Un souffle courut autour d'eux, ébouriffant les cheveux de Zach, mais aucun livre n'apparut.

Scorpius ferma les yeux, parce qu'il connaissait la dernière rune.

- L'épée, souffla Euphrosine.

Les ombres grandirent brusquement dans la salle de musique. Pendant un instant ils se crurent engloutis, puis une faible lueur brilla dans les ténèbres. Ils s'en rapprochèrent instinctivement, le cœur battant.

Lentement, l'obscurité reculait à nouveau. Les contours des choses émergeaient à la lumière, l'étang scintillait en se reflétant dans les vitres de la baie en arcades. Des delphiniums croissaient partout dans la pièce à présent, une foison de fleurs violettes aux corolles douces comme de la soie.

- Des pieds d'alouette, marmonna Hermione. "Neville en est féru, même si ce n'est pas une plante magique. C'est de plus en plus bizarre."

Ce qui brillait sur le piano prenait forme peu à peu.

C'était un livre aussi, enveloppé dans un grand bout de velours écarlate. Euphrosine le déplia doucement.

- Le Livre Noir de Camarthen, dit Zach avec référence. "Maintenant ils sont tous là."

Ils frissonnèrent, se retournèrent pour scruter la pièce silencieuse… et sursautèrent quand Hermione lâcha un petit couinement de surprise.

Ils n'étaient plus seuls en effet.

Quatre silhouettes translucides se dessinaient dans les ombres.

- Qui êtes-vous ? demanda Scorpius d'une voix mal assurée.

Arthur fit un pas pour se placer devant Euphrosine qui le poussa de côté, agacée.

- Terrence ? Si tu es là, montre-toi.

Les formes indistinctes restèrent immobiles, mais les chuchotements du Voile reprirent, bruissant autour d'eux et se répétant inlassablement. Certains mots émergeaient de temps à autre et ils tendirent l'oreille pour essayer de les comprendre.

- "Reviens… chargé… protecteur… sauver… pour toujours… appel… trahi… encore… étoile… matin… cherche… de retour…"

Scorpius fronça les sourcils.

- C'est du charabia. On dirait qu'il y a une mauvaise communication.

- Avec l'au-delà ? pouffa Arthur malgré lui. "Il faudrait peut-être leur proposer d'y installer l'Hypérion."

Son parrain le fusilla des yeux.

- Ils sont apparus quand tu as lu les runes, dit Hermione en posant sa main sur le bras d'Euphrosine. "Peut-être que tu devrais juste les redire."

- Voilà la sorcière qu'il nous fallait, s'écria Zach. "Je le savais bien, que c'était vous la plus intelligente !"

Tout le monde se tourna vers lui et il se tut brusquement, plaquant les mains sur sa bouche comme si les deux phrases lui avaient échappé.

- Je commence à me demander s'il n'a pas plusieurs personnalités, ce type-là… marmonna Arthur entre ses dents, à l'attention de son parrain qui hocha lentement la tête.

Euphrosine, qui avait entendu son frère, lui enfonça son coude dans les côtes.

- Tu n'aides pas, siffla-t-elle.

Elle avait l'air au bord des larmes.

- Je suis désolé, dit Arthur immédiatement. "C'est le stress, Zo, pardon. Tu devrais faire ce que Tante Hermione propose. On n'a pas cherché ce livre pendant aussi longtemps pour rien, les runes sont sûrement une clé ou une formule."

Euphrosine avala sa salive.

- Okay, dit-elle bravement.

Et sans quitter son frère des yeux – parce que ces quatre ombres incompréhensibles la terrifiaient – elle prononça très vite les quatre mots, trois fois d'affilée, comme quand elle était petite et essayait de se convaincre que quelque chose n'était pas dangereux.

- L'ombre, le sang, l'oublié, l'épée. L'ombre, le sang, l'oublié, l'épée. L'ombre, le sang, l'oublié, l'épée.

Une flamme d'or s'éleva dans les yeux d'Arthur. Un vertige le saisit, il porta la main à sa tête, recula, perdit l'équilibre et serait tombé dans l'étang si Scorpius et Zach ne l'avaient pas rattrapé.

- Art' ! cria sa sœur, éperdue.

Le sang battait trop fort dans ses oreilles, il voyait qu'elle lui parlait, qu'elle pleurait, qu'elle avait l'air affolé, mais il ne parvenait pas à répondre. Ses membres étaient très lourds, ses jambes fléchissaient sous lui, ses tempes bourdonnaient, sa langue lui semblait de plomb.

Ah. Il avait certainement trop abusé de sa magie pour ouvrir ce passage dans le Voile.

Zut. Euphrosine allait galérer à ramener tous les autres.

Oh.

Un vague sourire, celui d'un ivrogne ou de quelqu'un qui a subi une concussion de trop, se dessina sur ses lèvres quand une paire d'yeux bleus comme des morceaux de ciel se pencha sur lui. Une tignasse de cheveux noirs s'agita, il entraperçut un flash de pommettes anguleuses et le menton le plus buté qu'il avait jamais vu.

- M-m-merlin, bredouilla-t-il. "C'est t-t-toi ? Est-ce que c'est encore un d-d-e tes stupides sortilèges ? Je d-d-dois entraîner les Chevaliers, ce n'est p-p-pas le moment…"

- Oui Sire, non Sire, je ne pense que ce soit une bonne idée, Sire, répliqua une voix ironique, qui le fit glousser de joie. "Ma parole, vous êtes en un sale état. Je ne peux pas vous laisser hors de ma vue deux minutes."

- C'est toi, répéta Arthur avec satisfaction.

Et il s'évanouit complètement.

Pour reprendre conscience presque aussitôt, toussant comme un noyé, le cœur haletant.

Euphrosine se jeta à son cou avec un sanglot.

- Arthur ! J'ai cru que tu étais mort !

Le visage ridé d'Hermione semblait absolument bouleversé et Scorpius était assis à côté de lui, sa main froide crispée sur le bras de son filleul, l'air aussi sérieusement secoué.

- Je vais bien, dit Arthur dès qu'il eut réussi à reprendre le contrôle de sa langue pâteuse, tout en tapotant le dos de sa sœur qui tremblait contre lui. "Qu'est-ce qui s'est passé ?"

- Il y a eu un, euh… ça a dû provoquer un… choc, je pense, balbutia Hermione.

Scorpius se mordit la lèvre.

- Pendant un moment, l'Autre t'a chassé de ton corps et nous avons… nous avons un peu perdu la tête, je crois.

- Il aurait pu se perdre ! Vous ne réalisez vraiment pas ! Un choc ! C'était un tsunami dans la magie ou dans le Voile, surtout ! cria Euphrosine en se redressant, larmes et exaspération peintes en marbrures rouges sur son visage constellé de taches de rousseur. "Ils sont là, Arthur. Ils sont tous là !"

Elle s'écarta un peu, sans lâcher le t-shirt de son frère et il écarquilla les yeux, stupéfait.

Ils étaient toujours dans la salle de musique – il n'arrivait pas à distinguer de quel côté du miroir – mais les silhouettes transparentes étaient maintenant parfaitement nettes.

Oh. Mer. Lin. Ils se ressemblaient tellement, comment personne ne s'en était-il jamais aperçu avant ?

Terrence Swanson enfonça les mains dans les poches de sa blouse blanche et rejeta d'un coup de tête sa longue queue de cheval blonde en arrière.

- Nous n'avons jamais été rassemblés tous au même endroit, dit-il avec une grimace d'excuse qui fit glisser ses lunettes. "Ceci explique cela."

- Bien souvent, les gens ne voient que ce qu'ils souhaitent voir, dit Albus Dumbledore en hochant la tête pensivement. Il prit le sherbet citron que lui tendait Zach et le mit dans sa bouche avec délicatesse. "Oh, merci. Tu es le nouveau, alors. Bienvenue, mon garçon."

- Je suis le dernier, en fait, dit timidement l'assistant de la Bibliothèque en rougissant. "Celui que l'Ordre a préparé sur vos instructions". Il passa une main nerveuse dans ses cheveux, les embrouillant encore davantage. "J'espère être à la hauteur."

- C'est pas gagné, grommela le quatrième personnage présent, qui était appuyé contre un des rayons de la bibliothèque, les bras croisés, et avait comme les autres une silhouette longiligne aux épaules un peu tombantes, des traits assez ingrats, un nez aquilin et des yeux d'un bleu vif à la fois très vieux et très jeunes. "Hello, Arthur Potter. Désolé pour la bousculade. Il fallait que je vérifie que mon Arthur était bien là, dans cette enveloppe. Ah, je ne me suis pas présenté. Désolé. Enchanté, Merlin."