"POUR LE PLUS GRAND BIEN"


Halloween était décidément une fête à rayer du calendrier.

Entre le troll lâché dans les cachots de Poudlard, le désastreux anniversaire de Nick-Quasi-sans-tête le soir où la Chambre des Secrets s'était ouverte, la Grosse Dame découverte en lambeaux la nuit où ils avaient cru que Sirius Black s'était introduit dans le dortoir de Gryffondor, le jour où la Coupe de Feu avait recraché le nom d'Harry… ce dîner épouvantable où Rosie, en larmes, avait quitté la table en leur criant que s'ils n'étaient pas capables de passer cinq minutes ensemble sans se disputer, il valait mieux qu'ils divorcent… la lettre de Wendy reçue une semaine avant la mort d'Albus… et maintenant… il y avait vraiment de quoi devenir superstitieux.

Hermione Granger étouffa un gémissement en retombant, après une deuxième tentative pour se redresser péniblement. Ses oreilles sifflaient, un filet de sang coulait de son arcade sourcilière et elle avait probablement une ou deux côtes fêlées.

Sa main se crispa sur sa baguette qu'elle n'avait heureusement pas lâchée dans l'explosion.

Du courage, ma fille. Tu as traversé bien pire.

Elle se mordit la lèvre, rassembla ses forces et réussit cette fois à se lever sur ses jambes flageolantes. Chancelante, elle se dirigea en trébuchant au milieu des décombres vers la silhouette inanimée de son assistant.

La vague de magie qui avait soufflé dans la Bibliothèque comme un rugissement dévorant l'avait atteint de plein fouet, alors qu'Hermione, qui était encore en scaphandre après être descendue ranger Vingt Mille Lieues sous les mers, n'avait qu'été projetée dans les airs – elle avait atterri dans le tableau du Radeau de la Méduse et la toile crevée pendait à présent, béante.

Son casque rond à hublot traînait au milieu des centaines de livres éparpillés sous le dôme brisé. Des pages arrachées volaient encore, comme des oiseaux effrayés, sous la fine pluie qui s'était mise à tomber.

Ses oreilles continuaient à tinter, mais elle n'avait pas le temps de s'attarder sur sa condition. Il fallait faire vite. Les Hommes de Lettres ne seraient pas longtemps retenus par les scellés que la Bibliothèque avait dû immédiatement activer en sentant la Bibliothécaire en danger.

Elle se laissa tomber à côté de son assistant et repoussa ses cheveux emmêlés, couverts de poussière et de gravas, sur son front écorché. Elle le retourna avec précaution, priant qu'il soit toujours en vie. Ses vêtements déchiquetés fumaient et il avait le visage gonflé et complètement noirci. Un poil roux hirsute croissait rapidement sur ses membres recroquevillés.

Les yeux bruns d'Hermione s'agrandirent et se remplirent de larmes en découvrant dans quel état il était.

- Oh mon Dieu, Horace…

Elle ne le connaissait pas encore très bien – il était tellement différent de Zach que c'était dur de s'habituer à lui – mais même s'il usait sa patience quotidiennement avec ses manies de vieux garçon, elle ne lui aurait jamais souhaité un sort pareil.

Il n'avait aucune famille, aucun ami. Peut-être qu'il serait plus heureux là-bas – quel que soit l'endroit où la Bibliothèque irait se réfugier.

Hermione enleva ses gants, vérifia qu'il n'était pas blessé trop sérieusement et poussa un soupir de soulagement. À part les conséquences… inattendues… de la déflagration magique, il était couvert d'ecchymoses et de petites coupures, mais il n'avait rien de cassé. Quelqu'un pourrait certainement inverser le sortilège, plus tard, avec davantage de temps qu'elle.

Elle le secoua doucement.

- Horace ! Horace, réveille-toi…

Il entrouvrit vaguement un œil, la regarda d'un air vaseux.

- Les Hommes de Lettres vont finir par percer les défenses de la Bibliothèque si elle reste là, expliqua-t-elle à voix basse. "Je vais condamner toutes les portes, mais quelqu'un doit rester à l'intérieur pour qu'elle puisse se déplacer."

Elle avala sa salive et faillit tousser, la gorge obstruée par la poussière.

Quelque part, loin, des coups sourds ébranlaient les murs.

Hermione jeta un coup d'œil en arrière, s'efforçant de maîtriser son angoisse. Si elle ne réussissait pas à temps, ils feraient irruption dans la Bibliothèque et s'empareraient de tous les secrets de la magie… s'ils lui prenaient la Clé, ils pourraient accéder à n'importe quel recoin de l'univers… y compris au Terrier où Ron était probablement en train de piquer un somme sur la Gazette du Sorcier, inconscient du danger.

- Je vais sceller la Bibliothèque, reprit-elle d'un ton rauque, déterminé, en ôtant la Clé qu'elle portait au cou. "Tu seras désormais le Bibliothécaire. Bon courage, et n'oublie pas que les livres sont faits pour être empruntés et lus, pas pour rester alignés sur des étagères."

Il cligna des cils une ou deux fois et émit une sorte de borborygme. La lumière vacillait dans ses petits yeux noirs par moments et elle espérait vraiment que c'était seulement parce qu'il luttait pour rester conscient, pas parce qu'il était en train de perdre ses souvenirs.

Elle lui prit la main – puis s'aperçut qu'il devait s'agir en fait d'un de ses pieds et décida que ça n'avait pas vraiment d'importance.

- Écoute-moi, Horace. Quand j'aurais passé la porte, la Bibliothèque se désintégrera dans cette dimension. Elle t'emmènera… quelque part, loin, à un endroit où vous serez tous les deux en sécurité. Ne cherche pas à revenir. Si un jour… quand tout cela se terminera, si je suis toujours en vie, je te chercherais. La Bibliothèque se souviendra sûrement de moi.

Il hocha le menton, entrouvrit la bouche dans un visible effort pour parler, mais un seul un son croassant en sortit. Une grosse larme coula le long de son museau velu et ses longs doigts de cuir noir serrèrent la main de la sorcière pour monter qu'il comprenait.

- Je suis désolée, répéta Hermione, bouleversée. "Je suis vraiment, vraiment désolée."

Elle se releva en titubant, alla jusqu'à la porte la plus proche et y inséra la clé.

Elle prit une longue inspiration avant de la tourner.

La clé scintilla dans la serrure et le brouhaha paisible d'une rue s'éleva de l'autre côté du battant.

Hermione revint à son assistant et lui mit la Clé autour du cou. Elle avait à peu près dix minutes avant que le portail avec le monde extérieur ne se referme. Elle ôta son scaphandre, plia la combinaison caoutchouteuse et la glissa sous la tête d'Horace avec douceur. Puis elle tira de sa poche la petite bouteille de Polynectar qu'elle gardait toujours sur elle.

Zach lui avait chuchoté qu'elle en aurait besoin juste avant de partir et elle en avait préparé, sans comprendre pourquoi cependant jusqu'à ce qu'elle surprenne cette conversation, deux jours auparavant.

- … n'oublieront jamais cette nuit-là ! Êtes-vous prêts, messieurs ? La Terre va entrer dans une nouvelle ère et rien, ni personne, ne pourra l'empêcher. Souvenez-vous de tous ces sacrifices, de tout notre travail. Tout cela, messieurs, trouvera enfin sa récompense. Rappelez-vous toujours que nous œuvrons… pour le plus grand bien !

- POUR LE PLUS GRAND BIEN ! avaient clamé une douzaine d'autres voix, enivrées par une sorte d'euphorie sauvage.

Hermione s'était éloignée aussi vite que possible de la Salle du Globe, épouvantée. Une sueur glacée coulait dans son dos et il lui avait fallu une bonne heure avant de réussir à arrêter de trembler.

Oh Merlin, c'était donc vrai… tout ce qu'elle avait entendu de l'Autre côté du Voile, ce qu'Arthur et Euphrosine craignaient… c'était en train d'arriver… L'Histoire allait se répéter…

Les Hommes de Lettres avaient quitté la Bibliothèque quelques heures plus tard, oubliant une lampe allumée sur la table dans la petite pièce sombre enfumée par leurs cigares.

Hermione avait tiré sur la petite chaînette froide pour éteindre le globe d'or brûlant, plongée dans ses pensées.

Derrière elle, Horace rangeait en pestant à mi-voix que le tabac abimait les livres et qu'il aurait bien tordu le cou aux olibrius qui prenaient de telles libertés.

Elle avait décidé de ne pas lui parler de ce qui se préparait et s'était appliquée à la place à lui démontrer que le rôle d'un Bibliothécaire n'était pas de terrifier les lecteurs mais de les guider dans les rayons : il avait encore beaucoup de chemin à faire de ce côté-là, mais elle avait de l'espoir : la Bibliothèque ne choisissait pas ses gardiens au hasard. Il y avait certainement une raison derrière le fait que cet escogriffe taciturne ait été choisi…

Deux interminables journées s'étaient écoulées, pendant lesquelles elle était restée aux aguets, derrière les portes closes de la Bibliothèque, prétextant un inventaire pour refuser les visiteurs et accusant son âge quand son assistant lui faisait remarquer qu'elle avait encore fermé à double-tour les passages entre les sections.

Elle savait que cela ne durerait pas… des hiboux finiraient par arriver. Elle n'avait pas le droit, techniquement, de bloquer l'accès à la Salle du Globe aux Hommes de Lettres…

Et puis, le soir d'Halloween, alors qu'elle montrait à Horace comment récupérer un ouvrage dans les abysses de la Section Grand Bleu, en attendant anxieusement le moment de regarder par Hypérion le premier sommet de l'Entente Cordiale Mondiale retransmis à la télévision moldue, elle avait soudain senti la Bibliothèque se tortiller comme si on essayait d'y placer un roman de plage.

Quelqu'un tentait d'entrer de force.

Le temps qu'elle donne un bon coup de pied au fond du bassin et ordonne à la corde de la remonter, les intrus s'étaient lassés de travailler à contourner les mécanismes de protection magique et s'étaient mis à frapper en réclamant qu'on leur ouvre aux différentes portes qui donnaient sur des lieux officiels.

Une bouffée de colère l'avait envahie…

… et l'instant d'après ces… ces bandits avaient fait sauter la banque de Chug Water, Wyoming.

Tous les sons avaient été engloutis alors que déferlait à travers les salles une vague de magie dévastatrice. Le dôme avait volé en éclats, des rayonnages avaient basculé et, dans un tremblement colossal, la Bibliothèque avait scellé le hall saccagé hors de ses murs.

Mais cela ne les arrêterait pas. Faire la lecture à un canon était peine perdue. Ils recommenceraient et, tôt ou tard, ils réussiraient… sauf si la Bibliothèque n'était plus derrière la porte contre laquelle ils tambourinaient.

- On ne peut pas les laisser entrer. Ils transformeront les contes en propagande et réécriront les manuels d'Histoire, de Géographie, d'éducation sociale. Ils utiliseront les connaissances rassemblées ici pour détruire et brûleront les rêves. Ils remplaceront les textes par des slogans et les interrogations sensées par des réponses absolues. Ils mettront en cage la prose et la poésie pour ne laisser aux hommes que des abréviations qui les garderont prisonniers, abâtardis. Je savais qu'ils viendraient ici en premier : les livres font peur aux dictateurs.

- Eeeeee… balbutia Horace.

Hermione eut un petit haussement d'épaules qui se termina en une grimace courageuse.

- Est-ce que ce n'est pas étrange ? Les tyrans ont peur des livres… mais ils sous-estiment toujours les lecteurs. Pourtant, même si un livre nait dans l'imagination d'un écrivain, il ne vit que parce quelqu'un le lit et donne envie à d'autres de faire de même…

Elle dévissa le flacon et laissa tomber dedans un cheveu récupéré sur le dossier d'un fauteuil de velours vert dans la Salle du Globe.

- Laisse les gens lire, Horace. Laisse-les lire tout ce qu'ils veulent, tant qu'ils ramènent les livres à temps.

Il toucha révérencieusement la Clé sur son torse, puis gémit tristement.

-Oooooouuuuu…

- Je sais, dit Hermione. "Je n'oublierai pas non plus. Merci et… À ta santé !"

Elle porta le Polynectar à ses lèvres et ferma les yeux, priant qu'aucun des Hommes de Lettres n'ait de chat.

La sensation familière lui tordit les entrailles. Son corps âgé et fragile se déforma, se plia, puis se redressa avec vigueur, s'affina, se transforma jusqu'à être celui d'une jeune femme.

Hermione, écœurée, retrouva au fond de sa poche un des bonbons au citron qu'affectionnait Zach et elle se dépêcha de le fourrer dans sa bouche, espérant que cela calmerait un peu plus vite la nausée.

Elle se changea d'un coup de baguette magique – nulle doute que la personne dont elle avait pris l'identité n'était pas du genre à se vêtir d'une robe de sorcière – et fit un ou deux essais avec sa voix pour se familiariser avec son intonation.

Horace la regardait d'un air horrifié, mais les coups devenaient de plus en plus forts. La Bibliothèque tremblait. Elle n'avait pas le temps de s'occuper des états d'âme de son assistant.

Elle avait bu du Polynectar un jour pour se faire passer pour Bellatrix Lestrange – elle ne pouvait pas tomber plus bas.

Hermione posa sa paume à plat sur le carrelage noir et blanc jonché de bouts de verre, de livres retournés, de planches de bois, de flaques d'eau dans lesquelles surnageaient des pages jaunies dont l'encre se brouillait.

- Adieu, ma vieille amie, murmura-t-elle.

Puis elle se leva et marcha avec détermination vers la porte en ogive. Une main crispée sur sa baguette et l'autre sur le loquet en laiton, elle se retourna une dernière fois, enveloppant de son regard embué la salle dévastée sous le dôme de verre, le bassin dans lequel Moby Dick et le Hollandais Volant avaient cessé de se poursuivre pour la contempler, pressés derrière la vitre, les coins de leurs couvertures cornés comme pour lui faire signe, et le Bibliothécaire métamorphosé en orang-outang qui se redressait péniblement.

Quand elle serait dehors… la porte se fermerait définitivement…

Oui, cela en valait le sacrifice.

Les Hommes de Lettres allaient retourner l'Amérique pour la retrouver, mais Rosie, Hugo, ses petits-enfants et Ron seraient en sécurité, là-bas, en Angleterre.

Elle inspira profondément, glissa sa baguette dans sa manche et sortit en claquant la porte derrière elle, murmurant le sortilège.

Elle sentit distinctement le moment où la Bibliothèque se détacha d'elle – comme une main familière qui quittait son épaule – et elle étouffa un sanglot, éblouie par le soleil automnal.

- Hé ben, moi c'que j'dis, c'est qu'ça va être un sacré bazar, dit quelqu'un à côté d'elle. "Vous ne pensez p…"

La voix s'éteignit.

- Oh, pardon, M'dame. Je-je savais pas que vous étiez là… j'croyais que le sommet était filmé en direct…

L'homme toucha son Stetson et s'écarta craintivement, comme s'il avait peur de sa réaction.

Hermione se redressa instinctivement et prit son air le plus hautain. Elle ignora les autres excuses balbutiées derrière elle et traversa la rue.

Les gens étaient sur le pas de leurs portes dans cette petite ville – Okay, Oklahoma, d'après le sortilège de localisation qu'elle fit discrètement apparaître dans le creux de sa main. Apparemment ils avaient regardé le discours dans la vitrine du magasin de téléviseurs et le commentaient tous ensemble. Des pickups étaient arrêtés au milieu de la chaussée, des gamins excités couraient autour, déjà déguisés pour la soirée d'Halloween. Des femmes groupées sur un trottoir discutaient à voix basse, l'air inquiet. L'une d'elle aperçut Hermione et prit un air alarmé. Elle rappela ses enfants et les fit hâtivement rentrer.

Les conversations se turent peu à peu sur son passage et Hermione pressa le pas en sentant l'atmosphère étrange. Tout le monde n'était pas hostile, mais on la regardait intensivement.

Elle devina qu'elle avait dû apparaître sur l'écran – qu'elle avait probablement fait un discours.

Il fallait qu'elle se sorte rapidement d'ici, qu'elle trouve un endroit pour transplaner et qu'elle rejoigne… rejoigne quoi ou qui, exactement ? Le MACUSA était clairement infiltré par les Hommes de Lettres. Dakota Moore était partenaire d'Harold Saxon pour le Projet Entente Cordiale ! Si elle n'était pas complice de ce qui se préparait, alors elle allait probablement mourir bientôt…

Hermione sentit son cœur se serrer dans sa poitrine.

Qui pouvait-elle croire ? A qui pouvait-elle faire confiance ? Elle était en cavale, dans un pays encore plus grand que l'Angleterre… et toute seule, cette fois-ci…

La dernière fois, au moins… elle avait Harry et Ron avec elle…

Elle tourna au coin d'une allée, se réfugia dans une ruelle qui sentait l'urine et les oignons moisis et se mordit les lèvres pour ne pas pleurer, pressant contre sa bouche le petit sac en perles soumis au sortilège d'extension indétectable qu'elle avait ressorti d'un carton avant de partir à la Bibliothèque ce matin-là.

Ron l'avait aperçu et il avait froncé les sourcils.

- Alors c'est du sérieux, ce qu'on entend à la radio, avait-il dit.

Elle avait ri légèrement.

- Je veux juste le montrer à Horace, avait-t-elle prétendu.

Il l'avait contemplée sans rien dire, puis il avait souri. L'âge éclaircissait ses yeux bleus, mais ses taches de rousseur semblaient plus foncées sous le bonnet qu'il s'enfonçait sur la tête, comme son père autrefois, pour protéger son crâne dégarni.

- Hum. Fais attention à toi, Her-mignonne, avait-il finalement dit, en s'asseyant dans son fauteuil près de la fenêtre, posant sa tasse de thé sur le rebord encombré de plantes vertes.

- Rosie a dit qu'elle viendrait avec les enfants, avait répondu Hermione, la gorge obstruée. "J'ai fait une tarte et il y a du jus de citrouille dans le frigo. Ne laisse pas les garçons manger des prunes dirigeables, ils se sont donné une indigestion la dernière fois."

Ron avait marmonné quelque chose, mais elle savait qu'il ne l'avait pas écouté. Elle avait soupiré, tripoté la Clé autour de son cou.

- A tout à l'heure, Ronald.

Elle n'avait pas attendu qu'il réponde et elle était entrée dans la Bibliothèque, avait soigneusement refermé la porte derrière elle et s'y était appuyée, les yeux remplis de larmes.

Est-ce qu'elle le reverrait ? Elle n'avait aucune idée du moment où ils mettraient leur plan à exécution… Chaque jour, des gens disparaissaient, des choses changeaient, de façon si subtile que c'était presque impossible de le remarquer à moins de chercher des signes.

Si elle leur échappait, s'en prendraient-ils à sa famille ?

Ron était inoffensif. Il ne s'était jamais mêlé de politique, même quand il était Auror. Personne n'allait venir le tirer de sa retraite paisible pour lui demander s'il complotait contre le gouvernement. Il n'avait jamais fait la moindre remarque sur le Projet Entente Cordiale, à part pour dire "ça aurait été coton si on avait eu aussi les Moldus aux trousses à l'époque". Comprenait-il vraiment ce qui était en jeu ? Probablement pas. Elle espérait, non, elle priait qu'il n'ait rien remarqué, comme d'habitude.

Ron était un idiot – son idiot, son vieil idiot. Oh, s'ils lui…

Elle inhala brusquement, se tapota les joues, se jeta de l'eau à la figure, s'obligea à stopper net la ronde affolée de ses pensées.

Route de la Pantoufle Rose. Elle pouvait déjà aller chez Wendy et Scorpius, voir ce qu'ils pensaient – ce qu'ils savaient de la situation. Allons. Elle avait encore de la ressource.

Elle cambra fièrement le corps mince qu'elle avait emprunté, releva le menton… et se décomposa en apercevant son reflet dans la vitre d'une voiture qui venait de se garer à l'entrée de la ruelle.

Un visage angélique avec de grands yeux de biche, une masse de bouclettes noires sur un front bombé au teint d'amande, une bouche charnue peinte en rose vif et des sourcils à l'ovale parfait…

Oh non.

Elle avait pris l'identité de Tamora Monroe, cette conseillère d'orientation no-maj aux discours fanatiques qui avait été arrêtée un plus tôt dans l'année pour avoir tiré à l'arbalète sur un adolescent. Ça n'avait pas été prouvé, mais on disait qu'elle avait tout un réseau de soi-disant "veilleurs" tout aussi enflammés qu'elle, dont la devise était "un bon loup-garou est un loup-garou mort."

Hermione avait de nouveau envie de vomir. De toutes les personnes qui avaient assisté à cette réunion "pour le plus grand bien", il avait fallu qu'elle prenne l'identité de… oh, Mer. Lin. Cela voulait dire que cette folle furieuse était non seulement réhabilitée, mais invitée à prendre des décisions dans le cadre du Plan Entente Cordiale…

Ce n'était pas étonnant que les gens l'aient dévisagée avec crainte dans la rue.

Et ce n'était pas le moment de se perdre en lamentations sur sa situation. Elle devait agir, se mettre en route, changer rapidement de tête si elle ne voulait pas avoir très vite à peu près toute l'Amérique à ses trousses, rejoindre Arthur et écouter ce discours qu'elle avait manqué et qui, apparemment, avait sonné le glas de l'ère de paix, pour mieux comprendre comment elle pourrait se rendre utile.

Elle prit une autre longue inspiration, souffla lentement, puis leva sa baguette et transplana.