not me adding more and more drama (: on approche vraiment de la fin :) en espérant qu'elle vous plaise !

rendez-vous le 20 mars :D

Alsanne : encore et toujours un grand merci ! voici la suite... avec un Akutagawa enfin en vue ;)


Chapitre Trente-trois - Tremblement(s) de terre


La jeune femme était allongée sur le dos, pensive. Elle avait beau faire de son mieux pour tenir bon malgré la situation, elle se sentait parfois épuisée par ce qui avait eu lieu et tout ce qu'elle devait désormais gérer. Elle était infiniment reconnaissante à l'inspecteur Fukuzawa, qui avait été celui qui en avait fait le plus, et de loin, pour faire face à cette situation imprévue, car s'ils avaient dû y faire face seuls, elle ignorait comment ils auraient fait.

Elle roula sur le côté, observant ainsi le ciel par-delà sa fenêtre. Elle n'était pas particulièrement croyante, et elle avait toujours été sceptique quant à l'adage qui disait que les défunts se rendaient dans le ciel pour veiller sur les vivants, créant ainsi les étoiles. C'était certes une façon très poétique de présenter les choses, mais elle avait aussi ses limites aux yeux de l'esprit plutôt rationnel de la jeune inspectrice.

Pourtant, alors qu'elle fixait ce ciel encore bleu, essayant vainement de distinguer des étoiles elle savait très bien que ce n'était pas à cette heure de la journée qu'elle allait en voir beaucoup, mais elle ne pouvait pas détacher ses yeux de cette immensité azur ―, elle se prit à espérer que cette idée soit vraie.

Elle se prit à espérer que, quelque part là-haut, Oda veillait toujours sur eux.


J+7

24 JANVIER


Akiko se redressa tant bien que mal, contemplant avec un agacement non dissimulé sa chaussure rouge dont le talon était désormais brisé. Elle n'avait aucune idée de comment cela s'était produit, mais ce constat l'agaçait. Déjà parce qu'elle adorait ces chaussures à talons rouges, et aussi parce qu'elle avait désormais l'air parfaitement ridicule.

Résignée, elle retira sa deuxième chaussure ― elle aviserait ce soir comment elle allait s'y prendre pour rentrer chez elle avec une chaussure désormais plate et l'autre toujours surélevée ― et observa les policiers autour d'elle. Ils étaient nombreux, à son instar, à avoir chuté, déstabilisés par les secousses soudaines qui avaient pris leur bâtiment ― et toute la ville sans doute.

« J'ai parfois l'impression que le monde entier a un message à nous faire passer. » Elle marmonna en lissant un pli de sa jupe, tout en vérifiant que tout le monde autour d'elle allait bien.

« Il y avait longtemps qu'on n'avait pas eu un tel séisme, commenta un policier.

Et ce n'était pas spécialement quelque chose dont on avait besoin, souffla Akiko. Allez voir si des gens ont besoin de vous en bas. »

Et laissez-moi seule, compléta-t-elle dans son esprit. Elle avait besoin que tous ces policiers qui la suivaient depuis ce matin lui donnent un peu de répit. Ils n'étaient pas méchants, et ne cherchaient qu'à obtenir des ordres clairs, mais elle n'en avait pas à leur donner. Comment formuler clairement que leur bureau n'avait pas assez de pistes pour autant d'hommes sans passer pour des incapables ? La question tournait dans son esprit depuis quelques jours.

Au moins, Gogol était en route pour venir ici, et Kaiji avait été retrouvé. Elle était à deux doigts de l'étrangler pour lui apprendre à disparaître comme ça. Elle le détestait pour son inconscience parfois. Comment avait-il pu partir aussi stupidement, dans un endroit où il serait injoignable ? Qui diable avait cette idée stupide, à part son meilleur ami ?

Elle se laissa tomber sur la chaise de son bureau en le maudissant amèrement. Evidemment, derrière cet agacement se cachait toute son affection pour son ami d'enfance, mais il ne fallait pas lui demander de la laisser éclater autrement actuellement. Elle aimait Kaiji, mais vraiment, il l'exaspérait dans ce genre de situations.

Son portable vibra, et elle décrocha rapidement après avoir lu le nom de Kunikida sur son écran. S'il m'annonce que Gogol s'est échappé à cause du séisme, je saute, songea-t-elle en observant sa fenêtre tout en prononçant :

« Oui ?

On est en bas, avec Gogol. » Cette annonce, celle qu'elle espérait, la fit se redresser et s'exclamer :

« J'arrive. Demandez à Tsujimura de vous dire quelle salle elle a mis en place pour l'interrogatoire. »

C'était logiquement la salle qu'ils avaient déjà utilisée pour Topaz, mais les deux inspecteurs étaient absents lors de ce premier interrogatoire, alors ils ne sauraient pas où aller dans tous les cas. Elle sortit de son bureau en trombe, se souvint qu'elle n'avait toujours pas de chaussures, étouffa un juron, fit demi-tour, ressortit finalement toujours sans chaussures parce qu'elle ne pouvait décemment pas porter les siennes, et descendit au rez-de-chaussée, quand bien même la salle était normalement située au troisième étage.

Elle toqua à la porte du bureau de l'équipe de Tsujimura ensuite ; ce fut la jeune femme qui lui ouvrit, un air surpris sur le visage.

« Inspectrice Yosano ? Vous voulez connaître le numéro de la salle où Gogol a été emmené ?

Non, je voulais vous demander si vous n'aviez pas une paire de chaussure de rechange. » La jeune femme désigna ses pieds, uniquement recouverts par ses collants noirs. « Mon talon a cassé à cause du séisme.

Oh. »

La jeune femme hocha la tête en comprenant où elle voulait en venir, et se dirigea vers un placard pour en tirer une paire de ballerines plates. Yosano grimaça en son for intérieur à l'idée de porter ces chaussures peu esthétiques, mais elle n'avait pas vraiment l'embarras du choix. Elle les enfila en remerciant chaleureusement sa collègue, puis se dépêcha de se rendre dans la salle où Gogol avait été conduit.

En arrivant, elle aperçut en premier Atsushi et Kunikida, debout autour de la table devant laquelle Gogol avait été installé. Les deux inspecteurs la saluèrent avec un certain enthousiasme ― ils devaient être contents d'être rentrés sains et saufs. Son regard se porta ensuite sur le russe aux cheveux blonds qui lui faisait face ― Nikolaï Gogol.

Il semblait parfaitement amusé par sa situation, et Akiko repensa aux avertissements soi-disant donnés par Mori à Akutagawa. Que tout cela était prévu par Dostoevsky. Même si c'était le cas, ils n'allaient pas abandonner cette piste. Elle était trop belle. Peut-être que c'était inconscient et qu'ils allaient s'en mordre les doigts ― mais la jeune inspectrice principale ne se voyait pas renoncer maintenant. Son désir d'attraper les criminels ― Dostoevsky ― n'était que plus puissant à mesure que les jours passaient.

« Vous êtes Nikolaï Gogol. » Elle lâcha en plissant les yeux et en le toisant de haut en bas. Il s'esclaffa, bien loin d'être impressionné.

« Et vous êtes Akiko Yosano. Ravi d'enfin vous rencontrer. Comment aviez-vous trouvé mon mail ? Vous aviez eu peur ?

Je l'ai trouvé parfaitement ridicule. » répliqua-t-elle ― hors de question qu'elle admette qu'elle avait été inquiète en le lisant car il était de mauvais augure. « Mais je suppose qu'il n'avait pas pour but d'être sérieux. Vous vouliez juste nous pousser à écouter les informations de Fyodor Dostoevsky. Et nous pousser à commettre une erreur.

Vous agissez comme si vous aviez tout compris d'office, mais vous avez été bernés malgré tout. Fitzgerald a été tué juste en face de la police. Je me demande ce que l'opinion publique pense de tout ça. »

Les trois inspecteurs présents dans la pièce grimacèrent. Yosano évitait soigneusement d'écouter les médias depuis l'assassinat de Fitzgerald. Elle savait ce qu'elle allait y trouver : des soi-disant experts qui formulaient des hypothèses complètement folles sur ce qui s'était produit, et des gens qui n'y connaissaient rien du tout qui critiquaient leur façon de faire et de procéder. L'arrestation publique de Topaz, à peine quelques jours plus tôt, avait dû renforcer tout cela, même s'il avait au moins redoré auprès de l'opinion publique leur image, et prouvé qu'ils continuaient de travailler, efficacement même.

Ils avaient aussi prévu d'annoncer officiellement l'arrestation de Gogol. A ce stade, ils utilisaient ces avancées pour gagner du temps, ils devaient l'admettre. Mais si les années d'expérience avaient appris à Yosano une chose, c'était que l'opinion publique jouait bien plus qu'on ne le pensait dans les résolutions de ces crimes. Il était plus simple d'enquêter dans une ville à l'atmosphère relativement paisible, qui croyait en ses forces de l'ordre, que dans une ville où la méfiance à leur égard régnait. S'ils voulaient travailler paisiblement, et empêcher Dostoevsky de semer la panique, chose qui semblait être son objectif premier, ils devaient s'appuyer sur leurs progrès.

« Et vous, qu'est-ce que vous en pensez ? Elle lui retourna sa question, cinglante. Est-ce que tout ce que vous avez fait en valait la peine ? Maintenant que vous avez été arrêté, vous n'avez plus beaucoup de chances de ressortir rapidement.

Vous n'avez aucune preuve. A part un enregistrement à demi-mot où je reconnais avoir collaboré avec Dos. Et les accusations d'un gamin détraqué qui a commis deux meurtres. » Akiko posa les mains à plat sur le bureau, face à lui.

« Ce sont déjà des preuves suffisantes pour vous coller un procès et une mise en garde à vue. Vous avez aussi votre procès en Russie qui vous attend. » Ledit procès n'arrangeait pas vraiment leurs affaires, car de longues procédures judiciaires complexes s'annonçaient, mais ça, Akiko n'allait pas le faire remarquer.

« A condition que ce procès aboutisse. »

La jeune femme fronça les sourcils devant cette remarque, mais ne répliqua pas. Il ne servait à rien de continuer de se prendre la tête avec le jeune homme, surtout que ce devait être son but de la pousser à bout. Elle avait reçu suffisamment de formations dans sa vie pour savoir qu'entrer dans le jeu d'un criminel avec cette attitude était une très mauvaise idée. Ce n'était que lui donner satisfaction ― et augmenter les chances de commettre un impair.

« Je suppose que ce serait trop vous demander de répondre à toutes nos questions sans protester.

Ce ne serait pas amusant ~ » Les trois inspecteurs levèrent les yeux au ciel de concert. Amusant... Ils lui en ficheraient, des « amusant »...

« Vous pouvez au moins admettre que vous avez aidé Topaz.

Vous le savez déjà.

Pourquoi avoir fait cela ? Qu'est-ce que vous en retiriez ?

La reconnaissance de Dos ~ »

Akiko n'était pas femme à juger rapidement ses interlocuteurs ― mais « Dos » ? Ce surnom de Fyodor Dostoevsky était aussi inattendu que ridicule. De son point de vue, cela décrédibilisait largement le personnage. Et pas qu'un peu. Elle se demandait ce que le concerné pensait de ce dit surnom ― mais là, elle s'éloignait de son objectif principal.

« Elle vous importe tant que cela ? Pourquoi donc ? » Gogol la fixa droit dans les yeux sans rien dire. Ils se regardèrent ainsi, en chiens de faïence, sans qu'aucun mot ne soit prononcé, pendant quelques minutes. Yosano fut la première à détourner le regard pour poser d'autres questions : « Quel est votre objectif ? Qu'est-ce que vous tentiez de faire avec Katsura ? Pourquoi étiez-vous à Oulianovsk ? »

Aucune de ses questions n'obtint de réponse, pas même un battement de cil de son interlocuteur. Akiko fronça les sourcils en ravalant une exclamation d'agacement. Vraisemblablement, Gogol ne comptait pas dire quoi que ce soit, pas même la plus petite remarque. Ce qui l'agaçait assez, car ils avaient besoin de le faire parler maintenant qu'il était là.

Un coup toqué à la porte de la salle dans laquelle elle se trouvait la tira de ses pensées et de sa confrontation avec le blond, et elle alla ouvrir, désireuse de savoir si quelqu'un avait besoin de ses services ; elle tomba en effet sur Akutagawa, qui l'observa avec une mine impénétrable à la seconde où elle ouvrit la porte.

« Kaiji Motojiro attend dans votre bureau, il déclara sur un ton neutre.

Parfait, je vais aller le voir. Tu peux aller chercher Ranpo ou Taneda ? Ils doivent être en bas, avec l'équipe de Tsujimura. » Les deux jeunes hommes avaient fait un aller-retour éclair à Tokyo pour s'occuper du mandat, et n'étaient revenus que récemment. Ils devaient être épuisés, mais elle ne pouvait pas les laisser se reposer tranquillement pour le moment malheureusement. Il fallait qu'ils viennent prendre la relève. « Vois si Ayatsuji est arrivé aussi. »

Elle ajouta après une seconde de silence. L'inspecteur aux cheveux blonds ne serait pas de trop face à cette énergumène. Ryunosuke hocha la tête mais ne bougea pas alors qu'elle quittait la pièce après avoir signalé d'un geste de la main à ses collègues qu'elle devait y aller. Elle se demanda si elle avait quelque chose à leur dire, mais du coin de l'œil, elle constata qu'il avait juste passé la tête à l'intérieur avant de tourner les talons pour la suivre.

Alors que leurs chemins allaient se séparer ― elle montait au troisième étage, lui descendait au rez-de-chaussée ―, son subordonné laissa échapper, comme une remarque insignifiante, une véritable bombe :

« On a essayé de me tirer dessus tout à l'heure. » L'inspectrice principale se figea net, et se tourna dans un geste rapide et brusque.

« On a essayé de te quoi ? » Elle répéta en se rapprochant de son collègue, les sourcils haussés sous la surprise. Tout son esprit lui envoyait des signaux d'alarme intenses. (Oda aussi. Fukuzawa aussi.)

« De me tirer dessus. Sans le séisme, je n'aurais pas vu venir la balle. » Difficile de croire que le jeune homme évoquait l'éventualité de sa mort sur un ton aussi détaché.

« Tu as vu d'où elle venait ?

Sans doute d'un des immeubles face à moi, mais je n'ai pas aperçu le tireur. »

C'était bien dommage, car ce tireur avait sans doute beaucoup de choses à leur dire. Ce n'était pas moins de la quatrième fois que les membres de leur équipe se faisaient attaquer par un sniper : Oda d'abord, puis Ranpo, Fukuzawa, et maintenant Akutagawa, même si ce dernier n'avait pas été blessé. Oh, elle pouvait même compter une cinquième fois : lorsque le jeune homme aux cheveux bicolores s'était fait tirer dessus à Tokyo. A ce stade, et dans cette période de temps aussi courte, on ne pouvait plus parler de coïncidence ; quelqu'un leur en voulait personnellement. Allié de Fyodor ou non.

« Bon. Informe Ranpo, Kunikida et Atsushi qu'un sniper se balade toujours et aime bien s'en prendre aux membres de notre équipe. Et demande à la mairie si on peut avoir les extraits vidéos des caméras de surveillance autour du lieu de l'attaque d'ailleurs, c'est un ordre, pas une demande.

C'était devant le domicile de Kaiji Motojiro. » Bon sang. Ryunosuke ne pouvait-il pas donner toutes les informations majeures d'un coup ?

« Et place la mère de Kaiji sous surveillance policière. »

Elle acheva en se massant les tempes, avant de repartir grimper les étages restants. Considérant que le sniper avait visé Ryunosuke, il était peu probable que ce fusse son ami qui était visé... Mais le sniper n'avait pas pu s'installer en un temps record non plus. Il était sûrement déjà là quand Ryunosuke et Kaiji étaient arrivés. Ce qui était très mauvais signe. Dostoevsky comptait-il éliminer son ami pour le contraindre au silence ? Jamais, se promit-elle. Elle ne laisserait pas cela arriver.

Elle gravit rapidement les marches qui la séparaient de leur pièce de travail, et ouvrit la porte rapidement, d'un geste si brusque qu'il fit sursauter les deux policiers qui devaient attendre de lui faire un quelconque rapport. Elle devinait, depuis la porte entrebâillée de son bureau, que Kaiji l'y attendait.

« Donnez-moi vingt minutes et je suis à vous. »

Elle coupa les deux hommes qui avaient ouvert la bouche avant d'entrer dans son bureau et d'en fermer la porte sans plus de cérémonies. Elle soupira ensuite longuement. Elle avait à peine dormi ces derniers jours, et sentait que cela n'allait pas changer tout de suite vu la quantité de choses qu'elle devait encore traiter d'urgence. Elle allait bientôt demander des conseils à Ango ― elle savait que le tokyoïte était un spécialiste des nuits blanches causées par la charge de travail.

« Akiko ! » La voix de Kaiji lui rappela tout ce qu'elle devait encore traiter maintenant et elle se tourna vers lui pour le foudroyer du regard avec ses orbes mauves.

« Kaiji... Je te l'ai déjà dit, mais t'es un idiot. » Elle lâcha avant d'aller s'asseoir à son bureau pour lui faire face. Son ami fit la moue.

« Comment je pouvais deviner que tu allais avoir besoin de moi ?

C'est juste du bon sens. Quelle idée de partir sans prévenir qui que ce soit que tu vas être injoignable ?

En soi, j'ai prévenu ma mère. Si tu l'avais appelée, tu aurais su que...

Ta mère ne répond pas au téléphone. » Parfois, elle se demandait si Kaiji vivait vraiment dans le même appartement que sa génitrice.

« Oh. C'est vrai. Elle n'aime pas ça »

Akiko se massa les tempes en essayant de dissimuler le vague sourire qui se dessinait sur ses lèvres. Elle devait être en colère et professionnelle face au jeune homme, pas sourire parce qu'il restait égal à lui-même et que son inconscience n'avait d'égal que son talent pour les limonades.

« Bon. Il faut que tu nous donnes toutes les informations que tu possèdes sur Pushkin. Notamment comment vous avez mis en place la transaction, comment vous avez échangé l'argent et les outils, et tout ce qu'il a pu dire.

Il est resté très évasif, admit Kaiji, il a juste mentionné une carrière et des pierres à casser.

Juste cela ? Il n'a pas dit pourquoi ?

Non.

Et comment vous avez mis en place l'achat ?

On s'est entretenus au téléphone, puis on s'est retrouvés dans un lieu public.

Où précisément ?

Dans le quartier des affaires, près de la Fitzgerald Corp. »

La jeune femme nota ces indications sur une feuille abandonnée sur son bureau ― pourquoi en revenait-on à Fitzgerald ? Était-ce un pur hasard que cette transaction ait eu lieu non loin de là, ou y avait-il une autre explication ? A force d'essayer de voir des liens entre tous les événements, elle devenait presque aussi paranoïaque que Dazai.

« Quel moyen de paiement ?

Liquide. » Intraçable quasiment.

« Combien de temps a duré la transaction ?

Je ne sais pas... Dix minutes ? Le type était pressé, mais on a quand même échangé quelques mots, il m'a expliqué à ce moment-là ce qu'il allait faire avec mes inventions. » La jeune femme immobilisa son stylo au-dessus de la feuille quelques secondes.

« Il t'avait acheté tout ton stock, se souvint-elle, qui était composé de quoi ?

Euh, Akiko, si tu crois que je m'en souviens...
Oui. » Son ton était ferme et sans appel, et elle ancra son regard dans celui de son interlocuteur, lequel se gratta le crâne en réfléchissant intensément.

« Il y avait pas mal de babioles, admit-il, comme des lunettes pourvues d'essuie-glaces, des gants aux motifs léopards, une clé qui peut ouvrir toutes les serrures, un appareil photo pourvu de filtres...

Attends. Un passe-partout ? Tu as prétendu inventer un passe-partout ?

C'était mieux qu'un passe-partout ! protesta Kaiji. C'était une clé dont la pointe était en pâte à modeler. Quand on la mettait dans une serrure, elle prenait la forme de la serrure en question. » L'inspectrice resta sans voix quelques secondes, avant de lâcher :

« En quoi cette invention est-elle un échec ?

Bah, la clé casse trop facilement, et on ne peut pas l'utiliser longtemps parce que la pâte à modeler durcit, et ça devient une banale clé de porte. En plus, c'est difficile à transporter car il faut la mettre dans une boîte spécifique. »

Elle avait du mal à croire au fait que son ami avait mis au point une clé de ce type, mais cela pouvait expliquer pas mal de choses si cette clé avait atterri entre les mains de Dostoevsky d'une manière ou d'une autre. Après tout, il avait montré un certain don pour se faufiler partout. Mais s'il avait vraiment utilisé la clé de Kaiji, il avait dû l'améliorer considérablement, non ?

« Je n'arrive pas à croire que tu en savais autant sur cette affaire, elle finit par laisser tomber.

Je ne savais rien. Je pensais que c'était juste un fan. » Le concept même d'un fan de Kaiji était louche, songea Akiko, elle aurait dû s'en douter dès le début.

« Difficile d'imaginer qu'ils avaient eu le culot de te parler à toi, ami d'une inspectrice. Il faut croire qu'ils ne reculent devant rien pour nous rendre ridicules.

Vous allez pouvoir attraper ce Dostoevsky maintenant ?

Pas sûr encore, soupira Akiko, il faut voir ce qu'on peut déduire de tes informations. On comprend un peu mieux comment il a réalisé certaines choses, mais on est encore loin de savoir où il se cache. Et je ne suis pas sûre qu'on puisse l'apprendre en retraçant les déplacements de Pushkin. »

Elle détestait être défaitiste, mais elle commençait à l'être de plus en plus face à la situation dans laquelle elle se trouvait ― et puis au moins, elle n'était pas déçue ensuite par les résultats puisqu'elle s'y attendait déjà. Elle continua de griffonner sur sa feuille, essayant de rassembler les éléments qui leur restaient ― et Kaiji garda le silence, chose dont elle lui était reconnaissante.

Primo, ils avaient établi l'identité d'un nouveau complice de Dostoevsky, Alexander Pushkin ; et s'ils n'avaient pas encore localisé celui-ci, ils avaient averti toutes les patrouilles d'ouvrir l'œil dans l'espoir de l'apercevoir. S'il était un allié du même acabit que Topaz, ils parviendraient sans doute à le repérer... Elle l'espérait du moins.

Secundo, ils avaient découvert une potentielle cachette, ou au moins un lieu important pour Dostoevsky : une vieille cavité rocheuse dans laquelle des extractions semblaient pratiquées. Ils n'avaient pas encore envoyé une équipe pour y enquêter, désireux de ne pas affoler leurs ennemis et de perdre la seule piste viable dont ils disposaient... La jeune femme aux cheveux noirs plaçait sans doute trop d'espoir dans cette piste, mais elle ne parvenait pas à s'en empêcher, même si les chances d'y trouver Fyodor étaient proches du zéro.

Tertio... Il y avait Gogol. Complice assuré de Dostoevsky, et participant du meurtre de Fitzgerald. L'avoir mis sous les verrous, lui et Topaz, était un progrès considérable, mais ils parvenaient encore difficilement à mesurer son impact. Oui, deux alliés ― ou pions ― de Fyodor Dostoevsky étaient tombés, mais combien en restait-il ? Et surtout, avaient-ils une véritable importance ? Yosano craignait de découvrir que leur arrestation ne changeait en rien les plans du russe.

Elle posa son crayon après avoir référencé toutes ces informations, sous la forme de plusieurs schémas indéchiffrables pour les autres ― et même pas forcément très clairs pour elle. Elle avait le sentiment de stagner malgré ces progrès, cela l'ennuyait. Ils arrivaient à la fin du mois de janvier, ce qui signifiait que plus de deux mois s'étaient écoulés depuis l'évasion de Topaz et le début de l'implication de Dostoevsky dans leurs problèmes quotidiens. Cela devenait trop long à son goût ― certaines affaires étaient faites pour durer dans le temps, mais celle-ci leur était bien trop désavantageuse.

« Il y a ce fichu sniper aussi..., souffla-t-elle tout haut ― elle avait quasiment oublié la présence de Kaiji face à elle. Je ne sais pas s'ils sont plusieurs ou s'il n'y a qu'un depuis le début.

Un sniper ? » Kaiji lui rappela sa présence avec cette exclamation ― apparemment, Ryunosuke ne l'avait pas tenu au courant. Elle essaya de prendre des gants pour lui dire :

« Il y avait un sniper devant chez toi. Il a essayé de descendre Ryunosuke, mais le séisme l'a déséquilibré. » Elle compta jusqu'à trois ensuite avant d'entendre :

« QUOI ? » Kaiji s'était redressé, stupéfait ― même si, avec son écharpe miteuse et ses lunettes de premier de la classe, il donnait l'air d'être un personnage tout droit sorti d'un dessin animé pour enfants.

« Il y a plus de chances qu'il se soit trouvé là pour s'en prendre à Ryunosuke, rassure-toi, elle soupira. Plusieurs membres de notre équipe ont essuyé ces tentatives de meurtre ces dernières semaines.

Mais c'est grave !

Oui, ça l'est, mais concentre-toi plutôt sur ton propre bien-être. Nous, on s'occupe de ce sniper. On a quand même fait venir ta mère pour qu'elle soit sous protection policière aussi. On ne peut pas être trop imprudents. » Son meilleur ami l'observa en silence quelques secondes, avant de soupirer.

« Je suis inquiet pour toi. J'ai l'impression que toute cette affaire ne fait que devenir plus dangereuse.

Oui, mais on ne peut pas abandonner maintenant. » répliqua-t-elle fermement. Il y avait trop de risques que Dostoevsky fasse d'autres victimes. S'il continuait d'aider ainsi des jeunes qui ne voulaient que se venger... D'autres personnes risquaient de perdre la vie.

« Sois prudente, lâcha finalement son ami.

Bien sûr. Tu sais que nous le sommes tous ici. »

Elle le rassura d'un sourire. Elle savait qu'il était juste inquiet pour elle, comme toujours depuis qu'elle avait commencé son travail à la brigade criminelle. Pour autant, rien ne lui était jamais arrivé ― à part ce petit épisode avec Ivan Goncharov. Et puis, cet incident du sniper mis de côté, ils étaient toujours restés prudents. Rares étaient les fois où ils s'étaient retrouvés vraiment en danger à cause d'une inconscience...

« Inspectrice Yosano ! »

La susnommée releva les yeux pour observer la porte de son bureau qui venait de s'ouvrir sur un Atsushi à l'air plutôt paniqué et essoufflé. La jeune femme fronça les sourcils. Qu'est-ce qu'il s'était encore produit ?

« Qu'est-ce qu'il y a ? Elle se redressa et alla à sa rencontre.

C'est l'inspecteur Dazai. » La jeune femme leva les yeux au ciel. Quoi, encore ?

« Qu'est-ce qu'il a fait ? Il a encore envoyé un de ses plans dont il a le secret ?

Il est parti voir la carrière. » Les yeux d'Akiko manquèrent de jaillir de leurs orbites.

« Il a fait quoi ?

Il a voulu profiter du séisme pour prendre les ouvriers par surprise. L'inspecteur Ango vient de tout nous expliquer.

L'inspecteur Ango ?

Il est en bas. Avec une dizaine d'ouvriers arrêtés là-bas. » L'inspectrice principale se massa l'arête du nez avant de lâcher :

« Et alors ? Où est-ce qu'il est, que je puisse l'étrangler de mes propres mains ?

Justement, c'est le problème. Il s'est volatilisé. »


Il fallut à Ango une vingtaine de minutes pour expliquer correctement à tous ses interlocuteurs ce qui s'était passé dans la carrière. La partie la plus délicate était évidemment d'expliquer comment Dazai avait disparu. Akiko était à deux doigts d'imploser en constatant leur inconscience ― comment avaient-ils pu agir de la sorte ? Elle ne comprenait pas leur cheminement de pensée.

Enfin, dire qu'elle était surprise était un demi-mensonge. Pour être exacte, elle reconnaissait bien là l'idiotie de Dazai ― si son intelligence était hors normes, elle n'avait d'égale que sa stupidité complète. Elle n'était pas en mesure de comprendre ce qui s'était passé dans son esprit quand il avait décidé de se rendre dans cette fichue carrière, et elle ne savait pas si c'était parce que c'était trop intelligent ou trop stupide.

Sans doute trop stupide.

Bon sang qu'est-ce qu'il pouvait l'agacer.

« Et donc, Dazai est entré dans un cul de sac mais n'est pas ressorti ? » répéta Kunikida une fois qu'Ango eut fini de tout raconter au petit groupe qui s'était réuni d'urgence après l'arrivée du jeune homme et des interpellés.

« Ce n'est probablement pas un cul-de-sac, répondit Ango en remontant ses lunettes sur son nez, mais je ne pouvais pas prendre le temps de le fouiller avec tous ces ouvriers que je devais surveiller. En tout cas, je pensais que c'en était un, mais il n'en est pas ressorti, donc il devait mener ailleurs.

Ou alors Dazai se vide de son sang dans ce même cul-de-sac, fit remarquer Ayatsuji, une remarque qui ne fut pas spécialement bien accueillie par son entourage.

Cela signifierait qu'il y avait quelqu'un d'autre avec lui. Or, vous n'avez vu personne non ? souleva Taneda.

Quelqu'un aurait pu se cacher dès le début, corrigea Ranpo, et aucun de vous deux ne l'avait vu.

Qui est-ce que cela pourrait être alors ? intervint Akiko. Encore un allié de Dostoevsky ?

Ou Dostoevsky lui-même ? » lâcha l'inspecteur au gavroche. L'hypothèse les fit tous tressaillir et échanger des regards interloqués.

« Dans tous les cas il faut qu'on trouve Dazai, soupira finalement l'inspectrice principale, ou au moins qu'on retourne explorer ce cul-de-sac. Ryunosuke, Nakajima, je compte sur vous deux. » Son regard se posa successivement sur les deux inspecteurs qui hochèrent la tête ; l'un avec un enthousiasme mêlé d'angoisse, l'autre avec indifférence. « Ango, Kunikida, essayez de trouver l'identité de tous ces types et surtout de vérifier s'ils ont un permis de séjour ou que leur arrivée a bien été enregistrée quelque part.

Je vais mettre les bases de données de Tokyo à votre disposition aussi, appuya Taneda. Surtout celles pour les hauts-gradés, il précisa en échangeant un regard avec Ango.

Ranpo, Ayatsuji, vous voulez bien vous occuper de Gogol ? Il sait des choses, c'est certain. Vous êtes nos meilleurs profileurs. » Les deux hommes hochèrent la tête positivement.

« Et toi ? demanda Ranpo ensuite. Qu'est-ce que tu vas faire ?

Je vais essayer de débusquer Pushkin avec l'équipe de Tsujimura. Et il faut que j'organise la protection provisoire des Motojiro. »

Plus les comptes-rendus qu'elle devait encore lire et écouter, et les demandes triviales dont elle allait devoir se charger... La masse de travail était sans fin. Elle regrettait parfois de s'être laissée convaincre d'accepter ce poste à hautes responsabilités. Tout lui semblait plus simple quand elle n'était qu'une simple inspectrice ― ou alors, tout était plus simple quand l'inspecteur Fukuzawa était encore là pour les cadrer, elle ne savait pas exactement.

Elle finit par laisser tout le monde retourner à ses occupations, et retourna dans son bureau d'où Kaiji n'avait pas bougé. Il semblait en pleine conversation par messages ― sans doute harcelait-il une pauvre entreprise pour les convaincre d'acquérir ses inventions ― mais releva la tête en entendant la jeune femme revenir.

« Tu as fini ta journée ? demanda-t-il en observant l'heure sur l'horloge.

Loin de là. Tu devrais descendre. On a du café et quelques biscuits au rez-de-chaussée. Et tu y rencontreras ceux qui sont chargés de veiller sur ta mère et toi. » Elle tira un document et griffonna quelques mots dessus avant de le lui tendre. « Tiens, voici leurs noms. Dis-leur de passer me voir s'ils ont des questions concernant cette tâche.

Et toi ? Tu devrais te reposer. » Elle sourit à son meilleur ami.

« Kaiji, j'ai un inspecteur qui a disparu, deux criminels en liberté, un autre mis en examen que je dois faire parler et un sniper qui se balade et tire sur mes collègues. Pour le moment, je ne peux pas me reposer. » Elle soupira, passa une main dans ses cheveux de jais, et lui fit un signe avec l'autre. « Mais toi, va le faire. Je dois travailler de toute manière.

Tu n'as plus besoin de moi pour Pushkin ?

Pas pour le moment. Je te ferais signe si besoin. »

Elle le mit ensuite gentiment à la porte, avant de s'affaler sur son bureau de nouveau. Se reposer, elle en rêvait, mais elle commençait à croire que ce serait pour quand elle serait morte. Telle que la situation se présentait, tant que Dostoevsky était toujours en liberté ― et Dazai volatilisé ―, elle ne pourrait pas espérer se reposer convenablement.

Elle rassembla ses notes sur Pushkin avant de passer un coup de fil à Tsujimura pour l'inviter à venir la voir. Elle l'incita aussi à ramener les dossiers dont elle disposait sur les vols de voiture ― Ango leur avait expliqué que des véhicules de chantier se trouvaient près de la cavité. S'ils avaient été dérobés, peut-être trouveraient-ils d'autres indications utiles.

Sa collègue se présenta à elle une dizaine de minutes plus tard, une grosse pile de dossiers dans les bras. Akiko oubliait parfois à quel point ils avaient connu une longue période où seuls ces vols avaient rythmé leurs journées. Depuis l'évasion de Topaz, et l'assassinat de Fukuzawa, ils n'avaient pas eu une minute à eux.

« J'ai essayé d'isoler des vols d'engins de chantier, précisa Tsujimura en lui désignant un plus petit dossier, mais je ne suis pas sûr qu'il y ait ce qu'il nous faut. »

Akiko la remercia d'un signe de tête et prit le document pour le feuilleter. En effet, elle ne voyait là que de petits engins qui ne correspondaient pas aux véhicules décrits par Ango, et qui avaient en plus été restitués depuis d'après les rapports. Seule une poignée d'entre eux n'étaient pas retournés à leurs propriétaires, et ils ne correspondaient pas vraiment aux descriptions.

« Ils auraient fait du troc ? réfléchit-elle tout haut.

Avec d'autres engins ailleurs vous voulez dire ?

Ce serait l'explication la plus logique. Ils ont volé ces véhicules qui ne sont pas revenus, et les ont offerts à d'autres ouvriers qui en avaient besoin, en échange des engins qu'Ango a vu.

Mais si c'est le cas, aucune chance que cela ait été signalé. On ne trouvera pas leur origine ou l'identité de ceux qui ont fait la transaction.

On a les ouvriers avec nous, soupira Yosano, essayons déjà de les faire parler. J'ai mis Taneda et Ango sur le coup.

Et pour Dazai ? s'enquit Tsujimura. Des nouvelles ? »

L'inspectrice principale consulta ses messages, aussi bien sur son téléphone que sur son ordinateur, avant de secouer la tête négativement.

« Non. Mais je ne suis même pas sûre que les hommes que j'ai envoyé enquêter aient atteint la carrière.

Vous pensez qu'il lui est vraiment arrivé quelque chose ?

Difficile à dire, admit Yosano. Ç'a toujours été dans ses habitues de disparaître sans crier gare. Mais je reconnais que cette fois-ci, c'est particulièrement suspect. Il était avec Ango, c'est étrange qu'il ne soit pas revenu. Mais bon, le connaissant, il a tout aussi bien pu trouver une piste qu'il ne pouvait pas abandonner. Si c'est le cas, il se manifestera de nouveau, c'est certain. Et il rira de nous pour nous être inquiétés ainsi. »

En attendant, ils ne pouvaient pas juste rester sans rien faire, songea-t-elle, et c'était pour cela qu'elle avait envoyé des hommes à sa recherche. Les deux jeunes femmes se désintéressèrent finalement du sort du brun pour reprendre leurs propres tâches. Elles contactèrent diverses entreprises de location d'engins de chantier, leur demandant s'il était possible de louer les véhicules qu'Ango leur avait décrit.

Cette première tentative se solda par un échec ― toutes les entreprises de location disposaient de tous leurs véhicules, donc ils n'avaient pas été loués. Elles contactèrent ensuite des entreprises du bâtiment, se faisant cette fois passer pour des particuliers du même domaine qui proposaient un échange de véhicules. Elles notèrent le nom de ceux qui répondirent positivement, prévoyant d'aller y faire un tour plus tard.

Après une bonne heure de ces démarches, la sonnerie du téléphone d'Akiko les interrompit dans leur besogne, et elle décrocha rapidement, tombant sur Ryunosuke au bout du fil.

« Vous avez trouvé Dazai ? s'enquit-elle immédiatement.

Non. Mais on sait où il est parti, indiqua son subordonné.

Il a laissé un message ?

Un émetteur, intervint Nakajima. Il a laissé le récepteur plus précisément.

Et, reprit Ryunosuke, d'après toutes les preuves à notre disposition, il est parti avec Fyodor Dostoevsky. »