Munich, 14 août 1943.

Draco était enfermé dans sa chambre depuis près d'une heure.

Il fuyait autant la pression de l'ensemble de sa famille que la présence dévorante de Pansy. Tout bien considéré, peut-être même qu'il fuyait les dernières directives d'Hermione et la gravité insondable de son parrain. Il ne souhaitait voir personne.

Il se préparait ou, du moins, il en donnait l'illusion. Ses mains effleuraient ses cheveux pour y plaquer des mèches indociles imaginaires. Cette pensée l'amena directement à songer à Harry. Harry et ses boucles légères, mais indomptables, Harry et ses cheveux à l'exacte opposée des siens. Draco se reprit en plaquant encore davantage les siens contre son crâne. Le résultat était parfait, il l'était déjà avant qu'il ne mette un pied dans la pièce qui jouxtait sa chambre et qui lui servait de salle de bain personnelle. Pourtant, il s'obstinait à trouver des excuses pour ne pas quitter ce cocon rassurant, la bulle de ses tourmentes toujours moins terrifiante que l'imprévisible réalité.

Le bal aurait lieu le soir même et Draco perdait d'ores et déjà le contrôle des événements. Malgré le plan minutieusement élaboré par Severus, l'inattendu ne manquerait pas d'y inscrire sa marque. L'Allemand craignait cela plus que tout. Il mourait d'envie de se joindre à Hermione et de vérifier avant tout autre la santé d'Harry. Il s'efforçait de considérer uniquement cette solution, il refusait d'émettre l'hypothèse inverse tandis que sa conscience le lui répétait, inlassablement. Et si Nott s'était débarrassé de ses prisonniers ? Draco avait beau y réfléchir, il ne parvenait pas à imaginer un scénario où leur maître-chanteur libérait ses prisonniers et mettait un terme à ce jeu abject de son propre chef. Et si c'était parce que Nott n'avait jamais prévu de leur rendre ce qu'il leur avait injustement volé ?

Draco avisa ses yeux fatigués. Sa mère lui en avait fait la remarque à son arrivée en gare de Munich et son fils n'avait pu prétendre une forme égale. Il avait prétexté une charge de travail particulièrement importante ces dernières semaines sans prendre la peine de détailler ce qu'il venait tout juste d'inventer. Il avait également présenté Hermione comme sa femme de ménage, ce à quoi Narcissa n'avait rien dit. Sans doute se doutait-elle de quelque chose, trop vive d'esprit pour prêter foi à ce grossier mensonge. Elle s'inquiétait pour sa progéniture, cela ne faisait pas l'ombre d'un doute.

— Draco ?

Les yeux de l'intéressé roulèrent dans leurs orbites. Pansy avait fini par céder à son impatience chronique et à venir chercher par elle-même son époux. Par deux fois, elle avait fait déplacer une servante et un majordome pour s'en charger à sa place.

— Je suis bientôt prêt, Pansy.

— Puis-je t'aider ?

Manifestement, et aussi étonnant cela puisse paraître, elle ne paraissait pas oser pénétrer dans l'antre. Cela ne durerait qu'un temps, Draco le savait, mais ne put s'empêcher de se montrer surpris devant ce respect inhabituel de son intimité.

— Je comprends que tu veuilles être parfait aux yeux du monde, après tout, la plupart ne t'a pas revu depuis ton départ, mais nous le serons, que tu te mettes en retard ou non.

Draco pinça les lèvres et manqua de répliquer une remarque acerbe sur le temps que pouvait réserver son épouse à sa mise en beauté. La plupart des femmes de la haute société allemande adoptait une attitude identique, trop occupées à s'attifer devant la glace pour penser un seul instant à la guerre. Pansy pénétra dans la pièce, lassée d'attendre des réponses que son mari n'avait pas cœur à lui donner. Son corps ondula dans la fine toile de soie, ce tissu finement brodé qui devait coûter une fortune et qui moulait gracieusement les formes féminines de la bourgeoise. Un sourire approbateur franchit les lèvres et Draco ne sut déterminer si elle était satisfaite de le voir la détailler de la sorte ou si le soin qu'il avait apporté à son apparence la comblait. Elle déposa un baiser sur sa joue en un battement de cil.

— Tout le monde t'attend déjà. La voiture est parée et n'attend plus que nous.

Draco acquiesça avec raideur. Les paroles moralisatrices d'Hermione lui vinrent à l'esprit. Peut-être devrait-il se montrer moins froid, moins distant et insupportable à son égard. Il n'avait pas la moindre envie de se montrer conciliant, trop accablé par ses propres soucis pour prêter attention à ceux des autres, fussent-ils ceux de sa propre femme. Il ne réalisait pas l'étendue de son égoïsme.

— Nous avons des femmes de chambre pour t'aider à te préparer, lui fit remarquer Pansy, resserrant avec précaution le nœud que portait Draco et qui l'étouffait déjà. Hermione n'est pas dans les parages ?

— Je lui ai laissé la soirée de libre, je n'ai pas besoin de ses services.

— Tu es trop à l'écoute de leur moindre besoin. Ce sont eux qui nous servent, pas l'inverse.

— Elle n'a jamais mis les pieds à Munich et je ne vais pas la payer à nous attendre ici.

Surtout que la soirée risquait fort de s'éterniser, mais cela, le blond se garda bien d'en faire la remarque. La dernière excuse donnée parut satisfaire Pansy qui s'écarta pour admirer l'allure indéniable de son époux.

— Je suis heureuse que nous puissions nous y rendre ensemble.

Draco se tendit. Tenté par la perspective de ne pas lui apporter la moindre réponse, il céda aux remontrances que lui réserverait Hermione et souffla, à demi sincère :

— Moi aussi.

Pansy sourit plus largement. Le blond détourna le regard comme pour écarter toute trace de culpabilité. Peut-être l'Alsacienne avait-elle raison, après tout. Si cette femme ne manquait pas de défauts, de faiblesses de caractère, elle méritait d'être aimée, d'être chérie, d'être respectée. Même en y mettant toute sa bonne volonté, jamais Draco ne parviendrait à tout lui offrir. Il refusait catégoriquement d'imaginer ce qu'il se produirait une fois Harry et Blaise libérés, mais la question se posait, indéniable. Supportaient-ils éternellement cette situation ? Pansy n'avait pas la moindre idée de ce qui se tramait derrière son dos et se trouvait à mille lieues d'envisager ne serait-ce qu'une maigre partie des secrets que renfermaient son époux.

— Allons-y, décréta Draco, tendant un bras galant, mais au geste quasi mécanique à la jeune femme.

Ils descendirent jusqu'à la voiture et le trajet se déroula sans encombres, à peine marqué par les commentaires de Pansy. Elle attendait cette occasion depuis des semaines et trépignait d'impatience de s'exposer à la vue de tous. Elle aimait ce jeu de dupes, ces hypocrisies, elle aimait surtout y avoir une part plus importante que les autres et bien le leur faire entendre. Elle n'était pas invisible et personne n'ignorait sa présence, surtout depuis qu'elle avait épousé le fils d'un homme aussi influent que Lucius Malfoy. Son assise dans la société allemande, dans cette société élitiste qui ne représentait en rien la misère de la plupart, ne pouvait plus être contestée et elle paradait désormais sans honte, sans craindre qu'on lui vole sa place et qu'on lui dérobe l'attention qui lui était due. Elle évoluait dans un territoire peuplé de vipères dont elle connaissait les secrets, les codes, les travers.

La voiture se gara dans un crissement de pneu et les mains de Draco se crispèrent encore davantage sur ses genoux. Il maîtrisait ses émotions à la perfection, mais ce soir, il peinait à demeurer impassible. Comment duperait-il tous ces riches personnalités ? L'excuse d'un travail trop prenant ne suffirait pas à le dispenser de longues et fâcheuses conversations. Il ne demandait déjà qu'une chose : fuir, et fuir loin. Son regard guettait l'obscurité du soir, à peine contrastée par les dernières lueurs du jour. Il y cherchait une silhouette familière, mais était-ce plutôt celle de Severus ou celle de Nott ?

Draco se tira de la carcasse du véhicule, essuya soigneusement ses mains moites sur ses cuisses tendues et laissa Pansy se pendre à son bras. Le bal avait déjà commencé, mais ni l'un ni l'autre n'en fit la remarque. Un orchestre entamait un énième morceau qui se propageait dans l'air jusqu'à bercer Munich sur plusieurs centaines de mètres. Personne n'ignorait le bal qui était donné ce soir, pas même ceux qui n'oseraient jamais espérer décrocher une invitation. Les invités avaient été triés sur le volet, les candidats exclus ruminaient déjà une revanche magistrale et ceux qui s'y présentaient pour la première fois arboraient leurs plus belles toilettes et leurs plus beaux sourires.

Draco et Pansy pénétrèrent à l'intérieur par la porte ouverte après que l'homme chargé de la sécurité de tous eut vérifié leurs invitations. Une modalité qui ne parvint pas à tirer le blond de ses inquiétudes. Son regard errait entre les corps, entre les discussions animés, entre les quelques rares danseurs de ce rassemblement mondain et important. La rumeur courait qu'Hitler lui-même assisterait au bal, mais aucun n'en avait la certitude. On disait le Führer proche de la paranoïa après les plusieurs tentatives d'assassinat qui l'avaient visé depuis son arrivée au pouvoir. Les deux derniers en date remontaient à mars 1943 et confortaient Hitler dans ses certitudes. Il appartenait à une race infiniment supérieure, il n'avait rien en commun avec les mortels qu'il côtoyait. Sa confiance en ses généraux décroissait d'ailleurs tandis qu'il réchappait toujours à ces attentats par miracle. Un sujet de conversation que certains alimentaient dans le plus grand secret.

— Monsieur Malfoy, quel plaisir de vous revoir.

— Le plaisir est partagé, monsieur.

L'attention de Draco se déporta immédiatement et si vite qu'il ne mémorisa même pas les traits de son interlocuteur. Déjà, ils s'intégraient à cette foule homogène qui discutait, riait, vivait sans une once de scrupule. La splendeur des lieux où se tenait le bal ne paraissait étonner personne. Les joailleries, les peintures, les sculptures en or massif, rien n'était trop beau pour prouver la supériorité du Reich. Les sourires, sur tous les visages, communicatifs et surtout obligatoires, le prouvaient dans une bien commune mesure. Ici, on parlait de la guerre à demi voix, il ne s'agissait surtout pas de se mettre à dos une de ces grandes personnalités qui grouillaient autour d'Hitler. On mesurait ses paroles et n'abordait les sujets les plus sérieux qu'avec des personnes de confiance. Telles étaient les règles de pareils événements.

— Et, dites-moi, comment se passe votre séjour à Strasbourg.

Alors que Draco tardait à répondre au curieux, son épouse prit le relais et, il l'en remercia en silence :

— Oh, vous savez, ce n'est pas précisément des vacances. Mon mari est débordé de travail, le Français reste ancré dans leurs mœurs et il semblerait que les détacher de ces maudites influences patriotiques soit moins aisé que ce qui était soupçonné.

Leur homologue, un homme au visage joufflu et affublé d'un verre qu'il ne cessait de remplir, en buvant le contenu en l'espace de quelques minutes, parut se surprendre. Draco profita de ce moment pour lui fausser compagnie. Il n'avait pas encore croisé le chemin de son mère et avait vaguement aperçu son père, trop occupé à débattre en compagnie d'hommes de son influence pour le remarquer. Quelque part, cela le rassura.

Il avait beau jeter des œillades discrètes, la silhouette de Nott ne se détachait pas de cette uniformité presque écœurante. Severus avait été chargé de garder un œil sur lui au cours de ce début de soirée. Il était hors de question qu'il ne leur échappe pendant que George et Hermione libéraient les deux prisonniers. Draco l'imaginait sans mal son ennemi juré discuter avec de grandes personnalités allemandes, se présenter comme un honnête homme et tenter de se faire une place parmi ces figures élitistes. Après tout, il s'agissait de la raison de son chantage, le fourbe enviait la place de rival et souhaitait partager avec lui tous ses privilèges, peut-être même les lui voler. Le blond en avait la nausée rien qu'à y songer.

— Draco, tu ne te sens pas bien ? Le champagne n'est pas frais, peut-être que…

— Je vais bien, j'ai simplement besoin de prendre l'air un instant.

Elle était sur le point de le suivre, de lui emboiter le pas et de l'accompagner à l'extérieur. Draco rencontra le regard de Severus qui grignotait sans appétit l'une des gourmandises qui garnissaient les plats. Il se reprit :

— Profite de la fête, je ne serai pas long.

Et qu'importait s'il devait l'être, il n'aurait aucun mal à prétexter un malaise. Draco, sans attendre une quelconque approbation, se déroba et se faufila entre les corps et les conversations. Il atteignit enfin la porte et put inspirer une profonde bouffée d'air frais. L'air nocturne atténua la brûlure de son angoisse, mais il dut s'allumer une cigarette, comme si le geste le calmait davantage que la nicotine qu'il exhala. Ici, la musique lui paraissait moins forte et la tension, moins insupportable. Son cœur battait si fort qu'il en souffrait. Cette soirée venait de commencer et elle était déjà un enfer.

Il tourna la tête et découvrit une ombre familière accoudée au balcon.

— Mon ami Malfoy, ricana Nott, un sourire déchirant ses lèvres.


Dans la nuit, Munich prenait des allures de géantes et son calme, loin de l'agitation du bal annuel, se faisait mortel. Les ombres qui dansaient serpentaient le long des allées et des places désertes pour de longues heures encore.

Hermione se mêlait à ces spectres portées, la peur lui nouant l'estomac. Elle tâchait de ne rien laisser paraître, emmitouflé dans un châle qui lui couvrait les épaules. Elle maudissait sa jupe à chaque pas alors que chaque pas se voyait ralenti par l'étoffe. George Weasley se tenait à ses côtés et lui emboîtait le pas dans un silence qui paraissait le mettre au supplice.

— Tu aurais dû mettre quelque chose de plus confortable.

— C'est bien une phrase d'homme, ça.

Hermione n'avait pas envie de débattre à ce sujet, surtout pas dans un pareil instant. Elle aurait volontiers enfilé un de ces pantalons que les hommes portaient en toute occasion, mais elle n'en possédait aucun. En voler un dans la penderie d'Harry ne lui avait pas paru correct, alors elle s'était résolue à porter l'une de ses jupes immenses qui découvraient à peine ses chevilles.

— C'est à droite.

Suivant l'indication, l'Alsacienne obtempéra. Elle n'était pas de très bonne compagnie, ce soir, et elle peinait à en avoir conscience. George conservait le silence de rigueur, bien que ce mutisme lui fût aussi peu coutumier qu'il lui était insupportable. Bavard intarissable, cette règle que personne n'avait jamais prononcée, mais qui faisait écho au silence de la ville endormie.

Ils parvinrent devant la demeure. Hermione l'observa comme d'une chimère, d'un monstre affreux dont elle devrait avoir peur.

— On dirait que c'est abandonné.

— Et pourtant, ça ne l'est pas. C'est qu'il cache bien son jeu, le bougre !

Hermione acquiesça sans rien ajouter de plus. Elle consulta sa montre tandis que George sortait une cigarette de la poche interne de sa veste. Une brise légère s'y engouffrait et la chaleur harassante de l'après-midi avait laissé place à de fraîches températures. Il l'alluma et exhala un nuage qui se confondit avec la pénombre nocturne.

— Je peux te poser une question.

Jamais George ne s'était gêné pour questionner quelqu'un et cela désarçonna Hermione qui battit des cils. Qu'avait-il à lui demander ?

— C'est une question personnelle, n'est-ce pas ?

— Plutôt.

— Pose-la, je n'y répondrai pas si j'estime que c'est trop personnel.

— Sauf que c'est une forme indirecte de réponse.

— Pose ta question.

Ils se connaissaient peu. Hermione avait déjà rencontré quelques fois les jumeaux Weasley avant que la guerre ne commence. Elle connaissait cette famille atypique et attachante depuis quelques années, mais la guerre les avait éloignés plus qu'il ne saurait l'admettre. L'Alsacienne réalisait à peine que l'impression risquait d'être identique si son chemin croisait à nouveau celui de Ron.

— Qu'est-ce qu'il y a entre Ron et toi ?

Elle s'octroya un court moment de réflexion avant de répondre, d'une voix égale, mais tout en fuyant singulièrement le regard que George déposait sur elle.

— Ce ne sont pas tes affaires, George.

— Tu es consciente que c'est une réponse quand même ?

— Je sais, mais ce n'est pas précisément le moment de discuter de ma vie sentimentale.

— Et de celle de mon frère, précisa le rouquin.

La pénombre lui ôtait une partie de son air mutin, ses tâches de rousseur disparaissaient dans le chaos d'ombres qui le dévorait. Seule sa silhouette longiligne se traçait dans la nuit, et son visage à laquelle on aurait arraché son expression. George acheva sa cigarette alors qu'Hermione ne demandait plus qu'à aller aux devants du danger, de la menace qu'elle avait repoussée de son mieux jusqu'alors.

— Il aimerait te rejoindre à Strasbourg, il en parle depuis des mois.

— Il ne devrait pas le faire pour moi.

— Il ne comprend pas pourquoi tu ne viens pas alors que plus rien ne te retient.

— Strasbourg est chez moi.

— Belfort n'est pas annexée, Ron a beau être mon petit frère, je dois quand même avouer qu'il serait capable de te protéger.

— Je n'ai besoin d'aucun homme pour me protéger.

Elle avait prononcé ces paroles du bout des lèvres. Peut-être était-ce pour cette raison qu'elle ne souhaitait pas le revoir, qu'elle appréhendait le jour où elle devrait l'affronter ? Ron l'enfermait dans une relation qui n'avait pas survécu à la guerre, qui s'était effritée et qu'Hermione considérait comme morte depuis de longs mois. C'était cruel pour lui et parce qu'elle peinait à se l'avouer. Comment le lui annoncerait-elle ?

— Je ne pensais pas qu'il tenait à ce point à me revoir, avoua-t-elle, à mi-voix.

— Il n'a plus le temps de t'écrire des lettres aussi souvent, mais je t'assure qu'il me parle de toi comme si tu étais l'une des merveilles du monde. Je connais mon frère, ce n'est pas, mais alors pas du tout, ce genre d'hommes.

Hermione déglutit. George ne paraissait pas réaliser qu'il la plongeait dans une tourmente plus grande encore. Elle aurait aimé que Ron l'oublie, qu'il trouve une femme merveilleuse qui saurait l'aimer. Et dire qu'elle s'apprêtait à risquer sa vie aux côtés de son propre frère pour sauver l'homme qu'elle aimait. La vie était injuste. Injuste et cruelle.

— Tu lui diras que je suis désolée.

— Ça ne suffira pas.

— Dis-lui ce qu'il te plaira !

George secoua la tête. Il paraissait étonnamment sérieux à présent que le sujet de conversation touchait à son petit frère, comme si son attitude se voyait dicter par un désir protecteur. Hermione ne s'en voulut que davantage. Elle avait le sentiment d'être une garce affreuse qui se serait jouée des sentiments d'un homme bon et honnête.

— Il y a la guerre, George, Ron peut le comprendre. Je n'ai pas l'esprit à tout ça, à me dire qu'il faut que je lui avoue que c'est terminé, qu'il n'y aura plus rien et peut-être même qu'il n'a jamais rien eu. Je te promets que je lui parlerai moi-même une fois que cette guerre de malheur sera finie.

George parut avoir une réponse au creux des lèvres. Et si l'un d'eux n'était plus en vie avant que ce conflit sans fin arrive à son terme ? Ils n'auraient que les regrets pour vivre cette vie amputée d'une part d'elle-même. Plutôt que de prononcer ces paroles, ces dires qu'il n'aurait jamais pensé prononcer un jour, mais que les horreurs qu'il avait traversées et commises lui avaient inspiré, il décréta :

— L'homme qu'on va sauver, c'est lui, hein ?

— De quoi parles-tu ?

— Le deuxième type qui est coincé là-dedans, c'est celui-là que tu aimes ?

Hermione parut considérer la question avec une certaine nervosité avant de parvenir à souffler, avec peine :

— Oui.

George ne trouva rien à ajouter. Il laissa couler quelques secondes, une furieuse envie de lâcher une blague, n'importe laquelle, dans le seul but de détendre cette atmosphère étouffante. Il s'en voulut d'y avoir ajouté ce poids supplémentaire. Qu'irait-il dire à son frère, l'un de ces braves qui risquaient leur peau pour une France libre ? Il n'était pas certain d'en avoir la force.

— Désolée, murmura-t-elle, sans trop savoir de quoi elle s'excusait.

— C'est l'heure, faut qu'on y aille.

La tension écrasa l'Alsacienne et, l'espace d'une dizaine de secondes, elle fut incapable du moindre geste. Ses muscles figés, son cerveau liquéfié, elle attendit immobile que le sort la libère. Cela ne dura qu'un instant, et elle put enfin rejoindre George qui sortait une lampe de torche, redoutable d'efficacité. Hermione s'efforça de taire la voix sage dans sa tête qui l'invitait à la prudence, qui lui soufflait que sa présence n'était pas requise, que le rouquin s'en sortirait très bien sans elle. La voix de celui-ci s'éleva, comme s'il venait de deviner l'objet de ses pensées :

— Tu peux m'attendre ici.

— Non.

Il n'insista pas et s'engouffra à l'intérieur. Il agissait en prévision d'une offensive ennemie, comme s'il se trouvait au beau milieu d'un champ de bataille. Une guerre personnelle qui se tiendrait au cœur d'une guerre plus vaste, aux conséquences plus dramatiques.

Hermione frissonna. La lampe éclairait une faible parcelle et elle s'attendait à voir surgir, d'un instant à l'autre, une silhouette gigantesque qui les écraserait sans le moindre effort. Elle imaginait sans mal les coups de feu retentir, les balles fendre la peau dans un éclat vif de douleur. Elle connaissait les dégâts irréparables sur le corps, elle qui avait appris à les soigner et retenait sa respiration en attente de ce scénario horrifique où elle serait la victime et non le médecin.

Cette situation lui était inconfortable, invraisemblable même. Ils luttaient pour libérer deux hommes prisonniers de la folie d'un seul. Jamais elle n'aurait songé que cela puisse se produire en temps de paix, mais la guerre exaltait la folie des hommes et leur inspirait des actes aussi regrettables et abjects que les combats. Le genre humain se complaisait dans ses bassesses et redoublait d'ingéniosité lorsqu'il était question de se nuire.

Mais rien ne vint jamais. Ils descendirent des escaliers, puis débouchèrent sur un couloir sombre et étroit où Hermione eut la sensation de suffoquer. Ce moment se suspendit, s'éternisa, avant de s'achever. Une porte solide se dévoilait au bout du sous-sol, la seule qu'ils croisèrent. George, sans jamais briser le silence qu'ils nourrissaient, rencontra son regard et acquiesça. La jeune femme se plaça légèrement en retrait tandis que le rouquin enroulait ses doigts autour de la clenche. Elle retint sa respiration et adressa une prière à un Dieu qui paraissait les avoir abandonnés.

La porte résista et le souffle de George s'interrompit à ses lèvres. Son cerveau s'enflamma au même titre que son visage. La honte le surprit couplé à un sentiment d'urgence absolu.

— Les clés, souffla-t-il, conscient que cela ne les ferait pas apparaître.

Hermione se mit à chercher frénétiquement un trousseau, étourdie par l'odeur écœurante de renfermé qui l'étouffait. Il existait forcément un double ici, quelque part. Un individu venait s'occuper d'Harry et Blaise, se pourrait-il que Nott n'ait pas prévu un double des clés ?

Enfin, alors que George braquait sa lampe dans sa direction, elle remarqua un renfoncement dans la pierre. Elle y glissa sa main, tâta à l'aveugle les briques glacées et en ressortit un trousseau avec un soulagement indicible. Leur plan avait failli échouer à un détail aussi évident, aussi grotesque. Elle tendit l'artefact au rouquin qui s'en empara sans attendre. Chaque seconde comptait et ils craignaient tous deux que Draco n'ait pas parvenu à retenir suffisamment Nott au bal. Elle tendait l'oreille à la fois pour déceler d'éventuels bruits de pas et pour surprendre des plaintes de l'autre côté de la porte. Un signe de vie qui la rassurerait instantanément sur l'état d'Harry et de Blaise. Mais partout, le silence régnait. Rien que le silence.

George enfouit l'une des clés à l'intérieur, puis une deuxième, répétant le geste jusqu'à ce que la porte cède enfin. Jusqu'à ce que le déclic minime s'élève et que l'issu ne s'ouvre sur la pièce qu'elle renfermait.


C'est tout pour ce lundi et pour ce quarante-septième chapitre (ça commence sérieusement à chiffrer). Une fois encore, un chapitre coupé en deux parties et je veille à m'arrêter là pour préserver un peu de suspens. Vous aurez le fin mot (ou pas) d'ici deux petites semaines. J'espère que ce chapitre vous aura plu, on arrive bientôt au dernier tournant de la fanfiction et à la dernière phase de celle-ci. Il faut déjà, pour cela, achever celle qui concerne Nott. Quels sont vos pronostics ?

Je vous souhaite une belle semaine et, dans certains cas, d'agréables vacances !