Chapitre 54 : La vérité sur la légende, partie 4 : La faiblesse des chevaliers
Arthur avait pris sa décision. S'il parvenait à rentrer à Camelot en un seul morceau, il ne garderait le pouvoir que quelques temps. Plus précisément, il le conserverait jusqu'à ce que vienne le moment de sauver Merlin en lui révélant sa volonté d'autoriser la magie. D'après Aithusa, cela coïnciderait avec l'attaque de Mordred sur Camelot : il faudrait donc que l'alliance des royaumes soit définitivement conclue d'ici là, afin que leur armée commune puisse repousser l'ennemi aux côtés d'Emrys et de tous les sorciers qui se battaient avec lui. Une fois Mordred repoussé et Merlin informé des intentions du jeune roi, celui-ci pourrait alors faire ce qu'il aurait dû faire depuis bien longtemps : légaliser la magie et libérer les sorciers de l'oppression. Il ferait honneur à Gilli, tombé entre les mains de Fergus pour avoir résisté aux hommes de Mordred.
Une fois ces tâches accomplie, le fils d'Uther Pendragon renoncerait enfin au trône. Il laisserait son successeur prendre la tête du royaume et le diriger à sa manière. Il faudrait que cette personne soit innocente, qu'elle n'ait pas le passé chargé d'Arthur. Peut-être Emrys ?
Le roi avait l'impression d'être une coquille vide. Un chagrin sans nom l'habitait. Ce n'était qu'aujourd'hui qu'il prenait pleinement conscience de ses crimes passés, de l'impossibilité de se racheter et de son aveuglement. Tout son être lui criait d'abandonner immédiatement, de se laisser terrasser par ses émotions. Il ne se raccrochait au moment présent que par nécessité :
Sauver Merlin, autoriser la magie, honorer Gilli.
Poursuivre l'alliance des royaumes, repousser Mordred.
Les sorciers de la cour restaient dans l'attente. Arthur était à présent le seul prisonnier face à Mordred. Il ne voyait toujours pas de moyen de se sortir vivant de cette situation. Pouvait-il tenter la fuite ? Il n'avait aucune chance face à tant d'ennemis. La négociation ? Il n'avait rien à échanger.
Comptait-il sur l'arrivée de ses chevaliers ? Pas vraiment. Même s'ils avaient pu suivre sa trace, ils n'avaient aucun moyen de lutter contre les forces qui le retenaient prisonnier. Il avait beau retourner le problème dans tous les sens, son seul véritable espoir restait Emrys.
Il ferma les yeux, s'efforçant d'ignorer les sons qui émanaient de la tour où Fergus avait emporté Gilli.
-Il y a encore une chose, dit le druide.
Arthur rouvrit les yeux. Le regard de Mordred était braqué sur lui, ses yeux bleus plus sévères que jamais. Peut-être le jeune garçon faisait-il volontairement traîner les choses pour mieux le torturer. Si c'était bien là son but, cela fonctionnait à merveille.
-Une autre épreuve simple à laquelle je souhaiterais vous soumettre.
-Nous avons assez joué. Si tu souhaites m'exécuter, ne perds pas plus de temps et fais-le maintenant.
Arthur regretta tout de suite ses mots. Si des renforts devaient arriver, il aurait été judicieux de gagner du temps, et non d'accélérer les choses. Fort heureusement, le jeune mage l'ignora et donna un ordre à ses gardes :
-Amenez les autres prisonniers !
Le sang du souverain ne fit qu'un tour. Les autres prisonniers ?
Un escadron de soldats en uniforme émergea de l'entrée principale du château. Ils escortaient trois captifs, enchaînés et avançant en file indienne. Le premier était Elyan, qui marchait tête baissée.
Non…
Derrière lui, Arthur reconnut quelqu'un d'autre : le seigneur Gauvain, les sourcils froncés et le visage crispé.
Ce n'était pas possible…
Le chevalier avait dû retrouver leur trace et se faire capturer sur la plage, comme cela avait été le cas pour Arthur. Les guerriers invisibles étaient une ligne de défense redoutablement efficace pour empêcher les intrus d'envahir l'île. La question était de savoir si Gauvain était venu seul ou avec une partie de l'armée de Camelot. Et si oui, qu'était-il arrivé à ceux qui l'avaient accompagné ?
La troisième personne de la file avait une silhouette féminine. Il s'agissait probablement de Guenièvre, même si Arthur n'arrivait pas à la reconnaître de si loin. Si Elyan était de retour, cela devait aussi être le cas de la jeune femme. Il était toutefois étrange qu'elle soit réveillée et tienne debout, car elle lui avait paru à bout de forces quand il l'avait vue pour la dernière fois quelques instants plus tôt.
Mais alors que la femme qu'il voyait s'approchait d'une démarche titubante, le jeune roi comprit que ce n'était pas son épouse. Peut-être Gwen était-elle en sécurité auprès des chevaliers qui avaient accompagné Gauvain ? Mince espoir, mais Arthur devait s'y raccrocher.
Alors, qui était cette femme ? Elle semblait plus âgée, et son visage évoquait un vague souvenir au roi. Il attendit de la voir de plus près, et soudain la réponse le frappa : c'était Hunith, la mère de Merlin ! Contrairement aux chevaliers, elle avait l'air de voir la lumière du jour pour la première fois depuis une éternité. Elle plissait les yeux face au soleil, et l'état de ses vêtements indiquait qu'elle était captive depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Arthur frémit en imaginant ce qu'elle avait dû subir. Que lui voulait donc Mordred ? Que faisait-elle ici ?
-Je pensais vous imposer cette épreuve-là à vous seul, reprit le druide, mais il semblerait qu'Elyan soit de retour avec ni plus ni moins que le seigneur Gauvain ! Ils pourront donc participer aussi. Cela démontrera encore mieux les choses. Il est temps de révéler l'inefficacité de la caste des chevaliers en tant que système de défense d'un royaume. Grâce à vous trois, nous allons voir jusqu'où peut aller le ridicule.
-Et la mère de mon valet ? coupa Arthur. Que fait-elle ici ?
-Bonne question, souligna Mordred en gardant pourtant une expression neutre. L'un des premiers villages que nous avons attaqués était Ealdor, il y a quelques semaines. Elle était si facile à capturer dans cette petite maison sans protection, alors nous n'avons pas hésité. L'avoir en otage représente un avantage non négligeable et, hier, quand nous vous avons capturé, j'ai décidé de mettre sa présence à profit pour vous inciter à donner le meilleur de vous-même dans le petit jeu que je m'apprête à vous proposer. Si vous manquez à cela, elle en paiera le prix aux mains de Fergus.
Merlin aurait été horrifié de savoir sa mère ici, prisonnière depuis des semaines. Otage d'une guerre menée contre Arthur. Encore une fois, le roi était responsable.
Il se sentit faiblir à nouveau. Il devait résister à ces émotions qui menaçaient de l'écraser, se concentrer sur sa mission.
Sauver Merlin, autoriser la magie, honorer Gilli.
Il ne devait pas penser à Gilli.
Poursuivre l'alliance des royaumes, repousser Mordred.
Il ne devait pas penser à tout ce qu'avait dit le jeune druide.
Protéger Hunith, sauver Elyan et Gauvain.
Il ne devait pas penser à ceux qui avaient souffert ou perdu la vie par sa faute.
En vérité, une seule pensée dominait le tourbillon qui semait le chaos son esprit. En toile de fond, elle se trouvait dans chacun des souvenirs qui l'assaillaient :
Je pensais être un homme bon. Je pensais être un roi juste.
Lorsqu'il avait découvert la vérité sur la Purge et les sorciers, c'était surtout le fait de découvrir qui était réellement son père qui avait heurté Arthur. Il s'était bien sûr senti coupable et honteux, mais il ne s'était pas complètement confronté à sa responsabilité. Aujourd'hui en revanche, face à Mordred et ses discours, face à cette foule de gens brutalisés par la haine de la magie, la culpabilité et la honte le submergeaient.
-Quelle est cette épreuve, Mordred ? demanda-t-il.
Elyan et Gauvain l'observaient avec inquiétude. Ils sentaient probablement qu'il n'était pas dans son état normal. Qu'il n'était que l'ombre de lui-même.
-C'est très simple. Vos chevaliers et vous devez affronter l'un de mes sorciers. Vous pouvez vous-même le choisir pour avoir la garantie que je ne vous mets pas face à un ennemi excessivement puissant.
Arthur croisa les bras et avisa une nouvelle fois la foule qui les entourait. Cette fois-ci, ses membres paraissaient partagés. Certains avaient l'air de n'attendre qu'une chose : l'opportunité de se mesurer à un Pendragon. D'autres détournaient le regard, ne souhaitant sans doute pas être choisis. Était-ce par peur ? Ou bien par refus d'avoir le moindre contact avec lui ? Quoiqu'il en soit, le souverain n'avait aucune envie d'affronter ces gens, et encore moins dans un affrontement perdu d'avance.
-Votre adversaire portera une lame toute simple, poursuivit Mordred, et je vous rendrai vos armes. La seule chose que vous devez faire, c'est le désarmer. Rien de plus. Trois chevaliers contre un sorcier moyen et son épée. Si vous échouez, comme je m'y attends, vous aurez prouvé la faiblesse de la caste des chevaliers et le ridicule d'un système de défense qui refuse de faire appel à la magie.
Arthur devait admettre que l'une des raisons pour lesquelles il avait longtemps accepté la vision de son père était la crainte pure et simple que lui inspirait la sorcellerie. Même un groupe de chevaliers surentraînés se trouvait désavantagé face à elle. Cela faisait-il de son armée un adversaire risible, comme le sous-entendait Mordred ?
Celui-ci fit signe à ses hommes de laisser Elyan et Gauvain aux côtés d'Arthur, mais de garder Hunith à l'écart. Puis, il demanda à ce qu'on leur rende leurs armes et qu'on leur prête des armures. Les chevaliers prirent un air déterminé lorsqu'ils récupérèrent leurs épées. Le jeune roi, lui, garda la même expression morne au moment où on lui remis Excalibur entre les mains. Il ne ressentait rien. Aucun élan de courage ne le traversait. Sans réagir, il laissa les gardes le vêtir des couches successives d'une armure très similaire à celles qu'ils utilisaient à Camelot.
-Faites votre choix, dit Mordred. Qui choisissez-vous d'affronter ?
Arthur était obligé de s'exécuter. Il ne pouvait pas laisser Hunith aux mains de l'homme qui torturait déjà Gilli.
La mère de Merlin restait silencieuse et courbée. Ses semaines de captivité l'avaient sans doute durement affectée.
Sa présence avait pris le roi de court, comme la plupart des actes et des paroles de Mordred depuis le début de cette confrontation. Ce dernier avait largement dominé l'échange, et il avait surpris le souverain plus d'une fois. Mais, cette fois-ci, cela n'avait pas de sens. S'il avait un otage depuis le début, pourquoi ne l'avait-il pas utilisé plus tôt ? Pourquoi ne pas avoir contraint Arthur à répondre à son énigme de cette manière, plutôt qu'en libérant Elyan et Gwen ? D'ailleurs, même sans Hunith, il aurait très bien pu faire pression sur le roi en menaçant les autres prisonniers. Alors, pourquoi avoir préféré libérer Gwen et Elyan ?
-Qui souhaites-tu affronter ? répéta Mordred, impatient.
Arthur serra les poings. Protéger Hunith n'était pas suffisant.
-Je veux combattre Fergus, dit-il.
Cela tiendrait le sorcier à l'écart de Gilli, au moins pour un temps.
Le druide haussa un sourcil. Il n'avait pas dû s'attendre à cette manœuvre.
-Très bien, dit-il.
Puis, s'adressant à ses gardes :
-Allez chercher Fergus.
Il fallut moins d'une minute aux hommes de Mordred pour entrer dans la tour concernée et en ressortir avec leur adversaire, à présent équipé d'une longue épée. Visiblement contrarié par cette interruption mais toujours aussi féroce. Gilli n'était pas avec lui.
Les chevaliers se placèrent aux côtés d'Arthur, prêts au combat, et Fergus prit position en face d'eux, à quelques mètres de distance. A son doigt, brillait toujours la bague du malheureux villageois de Willowdale, qui avait osé lui faire face.
-Où est Gilli ? demanda nerveusement Elyan.
Arthur plissa les yeux.
-Il était avec lui, souffla-t-il en fixant son ennemi du regard. Il a dû rester dans la tour. Tant que Fergus reste ici, il ne peut plus lui faire de mal.
La lassitude qui menaçait d'emporter Arthur était toujours présente.
Je pensais être un homme bon. Je pensais être un roi juste.
Il fit de son mieux pour l'ignorer, sentant malgré tout qu'il n'était pas au meilleur de sa forme.
Protéger Hunith et Gilli.
Libérer Elyan et Gauvain.
Poursuivre l'alliance des royaumes et repousser Mordred.
Sauver Merlin et autoriser la magie.
Garder tout cela en tête lui demandait un effort conscient. Il sentit la sueur perler à son front, tandis que Fergus et lui se dévisageaient.
Puis, le combat s'engagea.
Note : Merci à Lison Doute, Sapindetin, Didine Halliwell, Gwenetsi et Shinzo Sumi pour vos reviews, ainsi qu'à Mikoaj480 qui a ajouté cette histoire à ses favoris ! 😉
