Enfiiiiiin, il est là! Tout d'abord, un grand merci à Axelines, toujours aussi rapide et efficace dans son travail de beta! J'aimerais également souligner le fabuleux travail de 246813579, qui est une précieuse alliée dans la révision complète des chapitres à des fins de publication. Ce sera un projet de longue haleine, et j'en suis encore qu'aux tout premiers chapitres, mais son aide est ce dont toute écrivaine peut rêver! Je vous en suis éternellement reconnaissante à toutes les deux!

CHAPITRE 58

Le baptême

(Kitty)

Alors que partout à Pemberley les champs changeaient de couleurs, annonçant que le temps des récoltes était imminent, la famille Darcy elle se préparait à partir pour le Hertfordshire. Une nouvelle lettre de Mary avait convaincu Lizzy de faire le voyage malgré le jeune âge de son fils, l'urgence transcendant clairement dans le message de sa sœur. Kitty était mitigée par cette nouvelle; était-ce réellement aussi grave qu'elle semblait le laisser entendre ou était-ce une autre astuce de leur mère pour faire venir ses filles à Longbourn?

C'est l'esprit troublé que Kitty fit le chemin jusqu'au cottage de la veuve Beauchamp afin d'effectuer sa dernière visite avant son départ. Ce fut la jeune mère qui vint ouvrir la porte cette fois et qui l'accueillit avec un sourire, l'invitant à entrer avant de retourner à son poêle où mijotait un repas à l'odeur alléchante. Aussitôt débarrassée de son chapeau, Kitty tendit les bras pour prendre le bébé qui se laissa faire sans rechigner.

-'Elle vous reconnaît.' Evelyne commenta avec un sourire. 'Et elle vous apprécie, ce qui n'est pas donné à tout le monde.'

La jeune fille sourit. 'Je suis contente de savoir que vous avez su trouver des amies dans vos nouvelles voisines; je partirai l'esprit un peu plus tranquille en sachant que vous n'êtes pas seule pour les prochaines semaines.'

La bonne humeur de son hôte s'assombrit un moment. 'J'espère que ce ne sont pas de mauvaises nouvelles qui vous attendent, Miss Bennet.'

-'Merci. J'ai déjà hâte d'être de retour avant même d'être partie! Que se passe-t-il, Evelyne? Je promets de vous visiter dès mon retour.'

Elle secoua la tête. 'Ce n'est pas cela. J'avais espéré…Il est peut-être effronté de ma part d'avoir supposé que vous seriez ouverte à l'idée d'assister au baptême de ma fille.'

-'Oh. Ce serait avec grand plaisir.'

-'Et j'avais pensé…Enfin, après tout ce que vous avez fait pour moi…Accepteriez-vous d'être la marraine de Kathy?'

-'Kathy?'

La maman regarda tendrement sa fille. 'Nous ne pouvions pas l'appeler Bébé éternellement... J'ai pris ma décision cette semaine; son prénom sera Catherine, en votre honneur.'

Kitty sentit l'émotion lui serrer la poitrine et elle caressa tendrement les cheveux doux et fins de l'enfant. 'Cela me ferait plaisir d'être sa marraine, Evelyne, quoi que je ne pense pas mériter un tel honneur.'

-'Sans vous, je serais probablement encore dans cette torpeur débilitante, ou même morte. Mes enfants ont à nouveau une mère grâce à votre persévérance et votre gentillesse. Ce sont vos mots et vos encouragements qui m'ont permis de me relever. Jamais je ne pourrai vous remercier assez, vous et M. O'Shee, pour ce que vous avez fait.'

Kitty rougit, peu habituée aux compliments, et se sentit étrangement légère, presque étourdie, de savoir qu'elle avait pu faire une différence dans la vie de cette jeune femme et de ses enfants. Comme cela lui arrivait très rarement, elle ne sut pas comment gérer la fierté qui germa en elle; elle chassa rapidement une larme, souriant à travers le brouillard qui s'était formé devant ses yeux.

-'Je m'efforcerai de remplir ce rôle au mieux de mes habilités, je vous le promets.'

Soulagée, le sourire de la jeune mère s'étendit d'une oreille à l'autre. 'J'aurais dû vous en parler plus tôt, mais je n'ai pas osé avant aujourd'hui. J'avais peur que cela soit une impertinence à vos yeux, mais Mr O'Shee m'a convaincue de vous le demander.'

-'Nous sommes tous égaux aux yeux de Dieu, Evelyne. Quand est le baptême? Je pars demain matin, cela ne laisse pas beaucoup de temps.'

-'Le pasteur a accepté de faire la cérémonie cet après-midi, si cela vous convient.'

Kitty réfléchit un moment, mais comme ses bagages étaient faits, rien ne la retenait d'y assister. Elle assura Evelyne qu'elle reviendrait avant quatorze heures et, sans attendre, prit congé pour aller se préparer. Une fois à Pemberley, la nouvelle fut reçue plus facilement qu'elle l'aurait cru.

-'Quelle excellente idée!' Lizzy s'exclama alors qu'elle faisait les cents pas dans le petit salon dans l'espoir d'endormir Bennet. 'Je sais à quel point tu aimes cette enfant.'

-'Elle les aime tous.' Georgiana ajouta affectueusement, visiblement contente elle aussi. 'Si elle pouvait adopter tous les enfants de Pemberley, je n'ai aucun doute qu'elle le ferait.'

Kitty eut un petit rire. 'Je sais bien que cela est impossible, mais il y en a tellement qui n'ont pas la chance que nous avons.'

Aussitôt elle songea à Edwina, abandonnée par son père d'abord, puis par sa mère ensuite. Elle avait beau être dans une institution scolaire adéquate, cela ne remplacerait jamais l'amour et l'affection d'une famille aimante. Comme elle devait souffrir de l'absence de ses parents!

-'Puis-je emprunter une voiture?' Kitty demanda, excitée maintenant qu'elle savait que sa sœur et son époux approuvaient de sa décision. 'Je dois aller à Lambton, en espérant qu'ils ont ce dont j'ai besoin.'

Lizzy secoua la tête, devinant son intention. 'Tu peux emprunter la robe de baptême de Bennet, elle se trouve dans la nurserie.'

-'Es-tu sûre?'

-'Kitty, tu as brodé cette robe toi-même, il serait bien égoïste de ma part de te la refuser. Et puis, une robe de baptême toute simple, si tu peux en trouver une, serait bien moins spéciale qu'une œuvre produite de tes talentueuses mains. Tu peux également prendre le petit hochet en argent, celui avec le ruban vert.'

-'Lizzie, ne veux-tu pas le garder?' Kitty hésita, mal à l'aise. 'Après tout, elle était pour—'

Elle s'interrompit en voyant l'expression dans les yeux d'Elizabeth. Cette dernière prit une grande inspiration et les mots qu'elle prononça, bien que posés et calmes, trahissaient la douleur qui y était associée. 'Tout dans cette maison me rappelle Anne; je n'ai besoin de rien pour me remémorer le peu de temps qu'elle a passé avec nous. Bennet a amplement assez de jouets, il n'a pas besoin d'un autre hochet. Et puis, tu ne peux pas te présenter au baptême les mains vides. Lambton n'est pas l'endroit idéal pour acquérir ce genre d'item.' D'une voix plus assurée, elle ajouta : 'Descends aux cuisines et demande à Mrs Brown d'emballer quelques gâteaux, une bouteille de porto et des fruits du verger.'

Posant un baiser sur la joue de sa soeur, tout en prenant soin de ne pas déranger Bennet qui maintenant dormait paisiblement dans ses bras, Kitty la remercia chaudement avant de se précipiter vers les escaliers. Une fois dans la nurserie, il ne lui fut pas difficile de repérer la robe de baptême, fraîchement lavée et emballée dans du papier de soie. Elle caressa le tissu, étrangement apaisée par la familiarité des broderies sous ses doigts, et se promit de graver dans sa mémoire la vue de sa filleule lorsqu'elle la porterait, heureuse de pouvoir y associer un deuxième évènement heureux. Le hochet fut plus difficile à trouver; caché au fond d'une boite remplie de petits souvenirs ayant appartenu à Anne, il cliqueta lorsqu'elle le souleva délicatement. Il était étrange de songer que deux ans à peine s'étaient écoulés depuis la mort de sa nièce et que cette pièce, toujours aussi vide aujourd'hui, servait maintenant de rangement plutôt que de nurserie. Elizabeth avait refusé de l'utiliser pour Bennet; de toute façon, l'héritier de Pemberley dormait avec ses parents depuis sa naissance et cela ne semblait pas être sur le point de changer de sitôt.

Kitty caressa le métal froid un moment. Elle se rappelait l'avoir choisi pour Anne avant sa naissance et l'excitation qui l'avait habitée à l'idée d'avoir un autre neveu ou nièce. Ce cadeau avait aujourd'hui une nouvelle chance de rendre un enfant heureux.

-'Miss Bennet?'

Sursautant plus fortement que voulu, elle faillit laisser échapper le précieux hochet. Se rattrapant de justesse, elle tourna les yeux vers la porte et ne cacha pas sa surprise d'y voir Mr O'Shee. Soudainement consciente qu'elle fixait le jouet depuis un moment, elle s'éclaircit maladroitement la gorge.

-'Pardonnez-moi, j'étais distraite.'

-'Vous aviez l'air plutôt…heureuse et triste à la fois. À quoi songiez-vous pour afficher des émotions si contradictoires?'

Devant une question aussi personnelle, Kitty sentit le feu lui brûler les joues. 'Rien de bien pertinent, croyez-moi.'

-'Pourquoi faites-vous toujours cela? Vous vous rabaissez à chaque occasion, comme si vos opinions ou vos pensées n'avaient aucune importance.'

Son ton n'était pas accusateur, mais il possédait une certaine désapprobation qui l'intimida aussitôt.

-'J-je ne sais pas.'

Le jeune homme soupira en réalisant ce qu'il venait de faire et son ton fut plus doux lorsqu'il lui dit : 'Pardonnez-moi, cela manquait de tact.'

-'Non, vous avez raison.' Kitty avoua-t-elle après quelques secondes. 'Je n'ai pas appris à assumer mes pensées ou mes opinions. Vous n'êtes pas la première personne à me le faire remarquer. J'imagine que c'est inévitable lorsque l'on grandit dans un environnement où il est mal vu d'exhiber ses émotions. Enfin, autres que celles permises.'

Il fronça les sourcils. 'Miss Bennet…n'ayez jamais honte de vos sentiments. Le cœur nous parle et nous guide; il n'y a pas de mal à cela. Ce que j'ai vu à l'instant dans vos yeux, ce n'était rien qui méritait d'être enfoui en vous. C'était vrai et pur.'

Le cœur de Kitty se mit à battre douloureusement. Pendant un moment, elle fut hypnotisée par son regard ambré, si sincère, si ouvert, l'invitant de leur étincelle à partager ce qu'elle avait voulu cacher. Pourquoi ne détournait-elle pas la tête pour camoufler sa timidité? Après tout, les yeux sont la fenêtre de l'âme et Mr O'Shee semblait pouvoir lire aisément en elle.

-'Je songeais…' commença-t-elle lentement, prise par un soudain désir d'honnêteté. 'À l'emprise du temps et aux souvenirs qui le transcendent. C'est étrange, n'est-ce pas, la manière dont certains objets ont la capacité de vous propulser dans votre mémoire. Parfois ces petits moments que l'on souhaite se remémorer sont proches, si proches qu'on croit les revivre, mais ils nous glissent entre les doigts comme de la soie, à la toute dernière seconde. Je ne me rappelle plus le visage de ma nièce, mais je me rappelle le bonheur que j'ai eu à broder cette robe, l'amour avec lequel je me suis appliquée, jour après jour, point après point. Je la regarde aujourd'hui et je ressens cet amour, sous mes doigts, et les rêves qui m'habitaient. Ces moments d'innocence, à préparer sa venue, me manquent terriblement. Ce ne sera plus jamais pareil, peu importe le nombre d'enfants en santé qui naîtra dans ma famille. Chaque nouvel espoir sera toujours accompagné de ce nuage, de cette peur que cela se reproduise. J'aurai toujours en tête que le soleil peut disparaitre en un instant pour laisser place à une tempête qui consume et détruit. Ma sœur est une femme très forte, Mr O'Shee, et de l'avoir vu tanguer au-dessus des flots pendant si longtemps, prête à tomber dans les eaux sombres, a été très déstabilisant.'

-'Mais le soleil est revenu.' Lui dit-il gentiment. 'Et aujourd'hui, votre sœur est heureuse à nouveau.'

-'C'est vrai, mais le ciel ne sera plus jamais que bleu, il y aura toujours des nuages. Cela dit, ces nuages nous permettent d'apprécier la couleur du ciel, tout simplement. Et quand je regarde ces objets, je ne vois pas seulement la tempête, bien qu'elle ne soit jamais bien loin dans mes pensées, je vois aussi le soleil. C'est à cet endroit que vous m'avez trouvé à votre arrivée, Mr O'Shee. Je tentais de saisir le soleil qui habite ces objets.'

Il hocha la tête, un sourire aux lèvres. 'Vous possédez un précieux don, Miss Bennet. Celui de voir la lumière dans la pénombre.'

Kitty posa son regard sur le hochet qu'elle tenait toujours dans ses mains en espérant qu'il n'ait pas vu l'effet que son compliment avait eu sur elle. Elle se sentit drôle tout à coup, comme si le fait de recevoir son approbation lui donnait des ailes. Pour la première fois de sa vie, elle avait réussi à dévoiler une partie de ses pensées, une partie de son âme, à un homme et ce sans ressentir la terreur qui accompagnait habituellement ce genre d'aveu. Elle savait qu'elle n'aurait pas dû être si familière avec lui; un tel discours n'est certainement pas approprié entre deux jeunes gens célibataires. Cependant, elle ne pouvait se résoudre à le regretter.

-'Puis-je vous aider à quoi que ce soit, Miss Bennet? Si nous voulons arriver à temps, nous devons partir dans l'heure.' Voyant son air confus, il ajouta : 'Mrs Beauchamp m'a gentiment demandé d'être le parrain de Kathy.'

-'Oh!' s'exclama la jeune femme, surprise. 'Elle ne m'a pas mentionné qu'elle vous avait choisi.'

Il haussa les sourcils, mais l'étincelle dans ses yeux trahissaient son amusement. 'Êtes-vous déçue?'

-'Non! Bien sûr que non! Je suis heureuse qu'Evelyne reconnaisse tout le travail que vous avez fait pour elle. Seulement…je ne vous aurais pas cru ouvert à cette idée. Il y a peu vous aviez toujours en tête de quitter le Derbyshire.'

Il passa une main dans ses cheveux en bataille et Kitty se questionna soudainement sur leur texture et la sensation que cela ferait d'elle-même y passer ses doigts. Aussitôt que cette pensée lui traversa l'esprit, elle se sentit rougir. Heureusement, Mr O'Shee avait les yeux fixés sur ses chaussures et ne remarqua pas l'altération de sa complexion.

-'Je ne peux pas retourner en Irlande, au risque de me faire reconnaître et accuser de nouveau, et la protection de Mr Darcy assure ma liberté ici, mais je ne sais pas quel sort m'attend à l'extérieur du Derbyshire. Il est vrai que lors de ma libération j'avais en tête de quitter la région, surtout après avoir découvert la vérité sur l'identité de mon père, mais…après tous ces mois à travailler avec Mr Darcy et à apprendre à connaître tous ces gens…Chaque jour ébranle un peu plus ma résolution.'

Kitty hocha la tête. 'Pemberley a cette manière de vous ensorceler, n'est-ce pas? Jamais je n'ai connu un endroit aussi…'

Elle s'interrompit, incapable de trouver le mot qu'elle cherchait. Mr O'Shee patienta, observant son visage avec intérêt.

-'J'ai grandi dans le Hertfordshire.' Poursuivit-elle après un moment. 'Longbourn est un endroit que beaucoup enviraient, bien que ce ne soit rien comparé à Pemberley. Je n'ai manqué de rien, à première vue; des repas chauds tous les jours, un toit au-dessus de ma tête, un feu dans le foyer, un minimum d'éducation et même une petite allocation pour acheter ce dont j'avais envie. Cependant…Il y a plus que les conforts, n'est-ce pas?'

-'Votre sœur parle de son enfance avec une certaine nostalgie. N'est-ce pas le cas pour vous?'

Kitty eut un petit rire. 'Lizzie est la favorite de mon père. Elle était la seule qui pouvait le déranger dans sa bibliothèque sans qu'il se fâche et la seule dont il recherchait la compagnie volontairement. Et, comme vous avez sûrement remarqué depuis votre venue, ma sœur est assez têtue pour faire ce qui lui plaît. Elle associe Longbourn à une liberté que je n'ai pas connue personnellement. Suivre son instinct a toujours été une de ses forces, au grand désespoir de notre mère, puisqu'il la guidait dans toutes ses décisions, bonnes ou mauvaises. Une fois, lorsqu'elle a entendu que notre tante Philips était souffrante, elle s'est mise en tête de lui apporter un peu de soupe. Mère a refusé de l'accompagner et tous les domestiques étaient occupés donc elle a mis son bonnet et, panier sous le bras, elle s'est dirigée vers Meryton.'

-'Un geste bien honorable.'

-'Oh, bien sûr, son intention était sans vice. Mais elle n'avait que cinq ans et ne connaissait pas le chemin. Elle s'est perdue, bien entendu, et c'est un de nos domestiques qui l'a trouvée des heures plus tard. Elle n'avait pas versé une seule larme; en fait, elle m'a raconté qu'elle avait été bien décidée à dormir à la belle étoile. Par contre, comme elle ne voulait pas se faire manger par les loups, sa solution avait été de prendre place sur une branche d'un gros chêne, déchirant sa robe par le fait même. Un sacrifice nécessaire, selon ses dires. Ma mère s'est évanouie lorsqu'elle l'a vu revenir dans cet état.'

-'Des loups? Dans le Hertfordshire?'

Kitty haussa les épaules. 'L'imagination d'un enfant est difficile à contrôler. Quoi qu'il en soit, cela reflète bien sa détermination. Même à cet âge la peur ne l'empêchait jamais de foncer. En fait, je crois que cela la rend encore plus déterminée.'

-'Cela lui ressemble, en effet.'

-'Jane était la fierté de mes parents.' Poursuivit-elle, perdue dans ses pensées. 'Nul besoin de vous expliquer pourquoi. Jane possède une beauté sans pareille et un tempérament exemplaire. Tout le monde aime Jane, peu importe où elle va.'

-'Et vos autres sœurs? Vous êtes cinq, n'est-ce pas?'

-'Oui. Mary est née à peine un an et demi après Lizzie. Il est difficile de suivre Jane et Lizzie dans quoi que ce soit; les comparaisons sont inévitables et je crois que de nous toutes Mary a été la plus affectée par le fait que nous ne serons jamais aussi accomplies ou jolies ou intelligentes qu'elles. Elle est également la seule qui ne reçoit jamais d'invitation pour danser et ce depuis ses débuts; j'imagine que cela a contribué à son obsession pour les livres et la religion. Mes parents ne s'inquiètent pas pour elle; en fait, je crois qu'ils sont bien heureux de l'avoir à la maison pour prendre soin d'eux.'

-'Mais est-ce ce qu'elle souhaite?'

Kitty fit la grimace. 'Je ne crois pas qu'elle ait vraiment son mot à dire. Et je dois avouer que je n'envie pas cette tâche. J'aime mes parents, mais je ne pourrais pas être celle qui tient compagnie à ma mère tous les jours.'

Elle regretta aussitôt ses mots. Voyant le regard de Mr O'Shee s'assombrir, elle s'excusa profusément.

-'Oh, quelle sotte je suis. Pardonnez-moi, mon commentaire était déplacé et assurément très douloureux pour vous.'

Le jeune homme secoua la tête. 'Ne vous inquiétez pas, je peux comprendre votre sentiment, bien que je ne puisse le partager. Je dois beaucoup à ma mère. Cela n'a pas été facile de m'élever, étant donné notre situation. Elle a fait beaucoup de sacrifices pour moi et j'aurais aimé lui montrer mon respect et ma gratitude en prenant soin d'elle pour le reste de sa vie.'

-'Un jour, peut-être. Pourquoi ne pas l'inviter à vivre avec vous, lorsque vous serez installé?'

Mr O'Shee haussa les épaules. 'Je ne suis pas certain qu'elle appréciera l'Angleterre. Et puis, je ne sais pas si j'aurais les moyens de lui offrir une vie adéquate ici.' Voyant son incompréhension, il ajouta : 'La construction s'achève et mon travail sera terminé. Je n'ai pas de plan pour la suite.'

-'N'est-ce pas évident?'

Pour la première fois, Mr O'Shee pinça les lèvres, son mécontentement manifeste. 'Cela est peut-être un concept étranger pour la plupart des gens de votre espèce, mais d'exploiter la richesse des autres pour améliorer sa propre position n'est pas le but ultime de tout un chacun. Il est possible de vouloir une vie simple, sans artifices, qui apporte un sens d'accomplissement. J'imagine que cela est difficile à concevoir pour quiconque a grandi dans le luxe; ce n'est jamais assez, n'est-ce pas? Il vous en faut toujours plus, à n'importe quel prix.'

Rabrouée, Kitty se sentit rétrécir sur place. Son assurance fondit comme de la neige au soleil et son cœur et ses pensées se fermèrent abruptement sous l'effet de la douleur. Était-ce réellement ce qu'il pensait d'elle? Elle s'éclaircit la gorge et s'occupa de ranger la boite de souvenirs qu'elle tenait toujours sur ses genoux, évitant délibérément son regard.

-'Je dois me changer.' Annonça-t-elle d'une petite voix.

-'Miss Bennet, attendez-'

Mais elle avait déjà quitté la pièce. Elle se dirigea rapidement vers sa chambre et ferma la porte derrière elle avant d'y prendre appui. Elle l'avait insulté, cela était clair, mais elle ne comprenait pas pourquoi. Après tout, elle avait grandi dans un environnement où saisir chaque opportunité d'avancement était naturel, attendu même. Était-ce si mal de chercher à saisir sa chance lorsqu'elle se présentait? Cela ne lui semblait pas être un crime, même après avoir mijoté la question pendant un moment. Elle se sentait blessée de sa réaction, elle qui avait si candidement partagé des détails de sa vie. Kitty soupira, sachant très bien qu'elle ne pourrait pas échapper à la suite des évènements. Elle ne pouvait se cacher dans sa chambre éternellement; la voiture serait bientôt prête pour l'emmener chez Evelyne et elle avait promis d'y être. Elle se changea donc rapidement et, rassemblant son courage, elle sortit du refuge de la solitude, déterminée à ne pas laisser l'évènement assombrir le baptême de sa filleule.

Mr O'Shee l'attendait déjà près de la voiture et elle accepta la main qu'il lui offrit pour monter, mais la retira rapidement pour prendre place sur le siège avec autant de dignité qu'elle put manifester. Les premières minutes semblèrent une éternité; chacun évitait le regard de l'autre et Kitty transpirait peu gracieusement tant la tension était inconfortable. Comment pourrait-elle supporter les prochaines heures de ce silence malaisant? Même si elle avait envie de rectifier la situation, d'ouvrir la conversation à nouveau pour expliquer son point de vue, la peur de dire quelque chose qui l'offenserait encore une fois la rendait complètement muette.

-'Miss Bennet, pardonnez-moi. Mes manières ont été abominables.' Mr O'Shee lui dit soudainement, attaquant le vif du sujet sans tourner autour du pot. 'Je n'aurais pas dû lever le ton. Je suis horrifié d'avoir déversé sur vous la frustration que cette situation crée en moi, vous n'aviez pas à en être le récipiendaire.'

Kitty réalisa alors à quel point elle avait été crispée. Ses muscles relaxèrent enfin et elle respira un peu mieux. Elle approuva d'un geste de la tête seulement; sa langue n'était pas déliée totalement encore.

-'Laissez-moi me reprendre.' Mr O'Shee poursuivit. 'Je sais que vous partagez l'avis de votre famille sur la place qui m'est due à Pemberley. Cependant, je ne crois pas que je puisse être heureux dans ce genre de vie. Je ne veux pas passer mon temps avec des gens qui n'hésitent pas à me sourire lorsque nous conversons, mais qui sont les premiers à cracher du venin dès que j'ai le dos tourné. J'ai vécu ce scénario trop souvent chez mon oncle. Vous devez comprendre que j'ai grandi avec un pied dans un monde et un pied dans l'autre; jamais assez bien pour les uns et trop différent pour les autres. Il y a longtemps que j'ai décidé que je ferais mon chemin seul dans la vie.'

Kitty hésita un moment, mais comme il s'était ouvert à elle, elle devait maintenant lui offrir la même courtoisie. 'Comme vous voulez, Mr O'Shee. Cela est votre décision et nous la respecterons. Cependant…il n'y a aucune honte à accepter de l'aide, lorsqu'elle est nécessaire. Voulez-vous réellement passer les prochaines années de votre vie à travailler à gauche et à droite en espérant avoir assez d'argent pour offrir à votre mère un endroit sécuritaire où elle pourrait vieillir? Attendre cinq ou dix ans avant de vous marier et d'avoir des enfants? Il n'y a rien de mal à vouloir occuper un emploi si cela est ce que vous souhaitez, mais vous aurez du mal à faire votre place sans l'aide de Mr Darcy. Et si accepter son aide pour vous trouver un travail est acceptable, pourquoi son aide monétaire, qui pourtant vous est due, vous rebute?'

-'Ce n'est pas l'argent qui me rebute, Miss Bennet, mais les conditions qui viennent avec. Mr Darcy s'attend à ce que je prenne ma place à ses côtés si j'accepte mon héritage et je ne suis pas prêt à payer ce prix.'

-'Lui en avez-vous parlé?'

-'Non.' Admit-il après une pause.

-'Alors vous ne savez pas s'il compte réellement mettre des conditions.'

-'Tout a un prix, Miss Bennet. Vous avez vu assez du monde maintenant pour savoir que cela est la vérité.'

Kitty poussa un long soupir, ayant trop de facilité à trouver des exemples appuyant cette affirmation. 'Oui…Tout a un prix et parfois ce sont les autres qui le paient.'

Le jeune homme l'observa un moment. 'Vous faites référence à votre sœur, n'est-ce pas? Mrs Wickham.'

-'Lydia a toujours été…' Kitty prit une grande inspiration, chassant l'anxiété qui monta en elle comme chaque fois qu'elle pensait à sa cadette. 'Elle a toujours été très gâtée. Elle était la favorite de ma mère, qui était beaucoup trop indulgente envers elle. Elle a toujours eu cette soif de plus que vous avez mentionnée, comme si rien n'était jamais assez bien pour elle. Elle n'hésitait pas à agir pour ses propres intérêts et ma famille a payé le prix de ses étourderies bien des fois…et moi celui de sa langue acérée. Déjà enfant elle savait comment me plier à son autorité, comment me manipuler et me faire du mal. Elle aimait me rappeler à quel point j'étais insipide et que sans elle, je n'étais rien. Pendant un moment elle m'a même convaincue que grâce à elle, j'aurais tout dans la vie, que je n'avais qu'à rester à ses côtés pour que mes rêves se réalisent. Elle savait mettre de la vie dans ma tristesse, mais elle savait également comment me plonger dans une noirceur terrible.'

-'Et vos parents? Ne voyaient-ils pas l'effet que votre sœur avait sur vous?'

-'Peut-être. Je ne sais pas.' Avoua-t-elle en haussant les épaules. 'J'ai toujours senti que je n'avais aucun intérêt à leurs yeux, que je n'avais pas autant de valeur que mes sœurs. Ma mère a toujours été très impatiente avec moi et mon père a toujours préféré le silence de sa bibliothèque à la cacophonie de six femmes dans un petit salon.'

Mr O'Shee eut l'air très sérieux tout à coup. 'Je comprends mieux maintenant. Votre affection pour les enfants, votre patience…vous leur offrez ce que vous avez toujours souhaité, mais jamais reçu.'

Sentant les larmes lui brûler le coin des yeux, Kitty baissa la tête. Pourquoi avait-elle avoué tout cela? Pourquoi s'était-elle ouverte à lui avec tant de facilité, encore une fois? Et qu'allait-il penser d'elle maintenant qu'il savait à quel point elle était puérile, même à vingt-deux ans?

La main de Mr O'Shee apparut soudainement dans son champ de vision, son index se posant sous son menton afin de lui relever le regard.

-'Je vous l'ai dit, Miss Bennet : n'ayez pas honte de vos sentiments ni des motivations qui vous poussent à être qui vous êtes. Et vous êtes tout sauf insipide.'

Kitty sentit la boule au fond de sa gorge grossir, l'empêchant de répondre quoi que ce soit. Mr O'Shee soutient son regard et elle s'y perdit pendant un moment, incapable de comprendre ce qui se passait en elle. Heureusement, la voiture était arrivée devant la maison de la veuve Beauchamp et le moment se brisa. Reprenant ses esprits, elle descendit, Mr O'Shee la suivant de près.

La cérémonie fut rapide et familière pour Kitty, qui avait assisté au baptême de son neveu peu de temps auparavant. Cette fois, par contre, elle y tenait un rôle d'honneur et c'est avec une grande fierté qu'elle resta aux côtés du pasteur avec l'enfant dans ses bras. Elle sut rapidement la calmer lorsque la petite s'insurgea de l'eau qui lui fut versée sur le front et ses mots doux murmurés à l'oreille la firent rigoler lorsqu'elle commença à s'impatienter. Le petit repas de célébration fut partagé dans la bonne humeur et Kitty fut déçue d'avoir à redonner l'enfant à sa mère lorsqu'il fut l'heure de partir. Ce n'était pas la première fois qu'elle ressentait ce désir, celui de tenir son enfant dans ses bras, mais il lui semblait que plus elle vieillissait, plus il devenait ardent. Kitty eut du mal à ne pas laisser ce sentiment teinter son humeur, mais elle s'efforça de rester joviale jusqu'à son départ. Ce fut Mr O'Shee qui l'aida à nouveau à monter dans la voiture, mais cette fois il ne prit pas place en face d'elle.

-'Je dois retourner à mes quartiers. Ce n'est pas très loin d'ici, je ferai le chemin à pieds.' Il hésita un moment, sa main contre la portière. 'Vous aviez l'air dans votre élément, Miss Bennet.'

-'À l'église?' demanda-t-elle, confuse.

-'Avec un enfant dans vos bras.'

Kitty sourit tristement. 'J'avoue que pendant un moment…Pendant un moment je me suis imaginée la maman de la petite Kathy, que c'était vers moi qu'elle levait ses yeux adorateurs. J'ai droit à quelques-uns de ses sourires, mais ce regard…Vous savez, celui d'un bébé qui regarde sa mère comme si elle était la lumière du monde, comme si rien d'autre n'était plus sécurisant et merveilleux? Je rêve du moment où ce regard sera celui de mes enfants et où je pourrai, à mon tour, les observer avec autant d'amour.'

-'Un des plus beaux spectacles dans ce monde, Miss Bennet. Vous m'avez demandé tout à l'heure si je voulais attendre cinq ou dix ans avant de me marier et d'avoir des enfants. Cela m'a fait réfléchir et je mentirais si je disais que je n'ai pas, moi aussi, cette envie grandissante de voir ce souhait se réaliser.' Il s'éclaircit la gorge, soudainement mal à l'aise. 'Bon voyage, Miss Bennet.'

Il s'inclina rapidement puis tourna les talons, son pas plus vif qu'à l'habitude. Kitty resta figée un moment, incapable de déterminer s'il y avait eu un message derrière ses mots. Plus d'une fois elle avait pu l'observer avec les enfants Beauchamp et chaque fois elle avait songé au fait que, le temps venu, il serait un père patient et aimant. Pourquoi ces pensées exacerbaient-elles son désir d'être mère? Après tout, il ne lui avait jamais prêté d'attention particulière. Pourquoi le ferait-il? Il ne comptait pas prendre sa place dans la société, préférant garder son titre de paysan plutôt que d'être un gentleman. Une association entre eux étaient donc absolument inenvisageable.

Kitty secoua la tête pour se reprendre. Elle ne devait pas perdre son temps avec des fantaisies qui lui apporteraient plus de mal que de bien. Certes, Mr O'Shee était un homme qu'elle appréciait de plus en plus, mais elle ne devait pas se faire d'illusions; elle n'était pas pour lui et il n'était certainement pas pour elle.

Alors que la voiture dépassait le jeune homme sur le chemin, Kitty combattit l'envie de tourner la tête et de lui jeter un dernier coup d'œil. Mais alors que la route bifurquait pour se diriger vers Pemberley, sa curiosité l'emporta. L'image qui resta dans sa mémoire fut celle d'un homme dont les yeux renfermaient les regrets des non-dits et de la fatalité de ses choix.

(-*-)

Merci à tous mes lecteurs/lectrices pour votre patience, je sais que les chapitres tardent à chaque fois, et merci pour les reviews, ils me donnent beaucoup d'énergie créative! Il n'y a rien de mieux pour m'encourager que de m'envoyer un petit commentaire me faisant part de vos opinions! D'ailleurs, à quoi devra s'attendre Kitty dans les prochains chapitres selon vous? Quel destin est-ce que je lui réserve? J'aimerais bien entendre vos impressions!