Épisode 14 – Partie 3

7

Elena adresse un regard en coin à son supérieur. Tous deux se trouvent dans la voiture, à attendre que Rufus en termine avec son rendez-vous. Et si Tseng n'a pas tellement apprécié l'idée de le laisser aller seul à cette entrevue avec le dirigeant du WRO, Rufus s'est contenté de lui répliquer avec un sourire ironique :

« Allons, Tseng. C'est de Reeve dont nous parlons ! Et je crois pouvoir me défendre s'il venait à se montrer… hostile. »

Ce qui n'a pas empêché son supérieur de l'envoyer vérifier que celui à attendre là-haut était bien Reeve, puis d'accompagner Rufus jusqu'au lieu dU rendez-vous en question.

À présent installée sur le siège avant, Elena découvre un Tseng dont l'expression de colère contenue ne lui dit rien qui vaille. Elle sait qu'il a passé un coup de téléphone pendant son absence et il semblerait que celui-ci ne lui ait pas donné pleinement satisfaction.

Quant à moi, je n'aimerais pas du tout être celle à qui sa colère est destinée.

Elle hésite d'ailleurs à engager la conversation avec lui, pas certaine qu'il soit prudent de s'y risquer. À la place, elle sort son téléphone portable pour y consulter à nouveau le message de Reno. Elle a hésité à lui répondre, avant de songer que ça lui ferait trop plaisir, à cet imbécile, et a donc préféré l'ignorer. Il n'empêche que tout ça continu de l'agacer et si elle le tenait en cet instant même sous la main, elle l'aurait très certainement étranglé. Juste histoire de lui faire perdre son sourire.

Qu'est-ce qu'il espère, exactement ? Que ça va me faire paniquer ?

Car elle devine sans mal le message caché derrière : bouge-toi, ma fille ! Comme si c'était aussi simple.

On voit bien que ce n'est pas lui qui se trouve dans cette situation !

Et elle espère qu'un jour, ce grand crétin tombera lui aussi amoureux et que ses sentiments ne seront qu'à sens unique. Histoire qu'il se rende compte de ce que ça fait.

Ce n'est même pas comme si je n'avais pas déjà essayé ! J'ai même plusieurs fois tenté de faire le premier pas, mais ça ne fonctionne pas. Soit il n'a toujours pas compris…

Soit elle ne l'intéresse pas et, dans le fond, Elena n'est plus tellement sûre de vouloir savoir. En tout cas, pas maintenant. Car pour l'heure, elle ne se sent vraiment pas le courage de mettre les points sur les I avec son supérieur et de voir ce qui en découlera.

Les mains jointes, serrées l'une contre l'autre à lui en faire mal, elle adresse de nouveau un regard en coin à Tseng. Celui-ci s'est laissé aller contre le dossier de son siège et, les bras croisés, regarde droit devant lui. Rappelle presque une statue, dans sa fixité.

Une statue un peu trop séduisante pour son propre bien… !

Elle doit d'ailleurs le regarder avec un peu trop d'intensité, car son supérieur finit par tourner les yeux dans sa direction. Elena se crispe, avant de tenter un sourire pas très convaincant et de questionner :

— Tout va bien, Tseng ?

Et à celui-ci de répliquer :

— Je te demande pardon ?

— Oh… heu…, bafouille-t-elle, sentant la nervosité la gagner. C'est juste que vous avez l'air un peu contrarié, alors…

Elle ne termine pas; déteste la façon dont son supérieur la fixe à présent. Elle se permet donc un petit rire destiné à apaiser l'atmosphère et va pour s'en retourner à son mutisme, quand Tseng lui dit :

— Ils vont nous poser des problèmes.

Elena bat des paupières.

— Qui… ?

— Kadaj et ses frères. Ils donnent l'impression se tenir tranquilles, mais en vérité… ils ont simplement changé de tactique.

De plus en plus perdue, Elena secoue doucement la tête.

— Comment ça ?

L'espace d'un instant, elle croit que Tseng ne va pas lui répondre. Mais après quelques secondes d'un lourd silence, il explique :

— Ils sont malins et ils savent comment manipuler les autres. Ils n'ont pas besoin d'être violents pour arriver à leurs fins, juste qu'on leur laisse du temps… et c'est exactement ce que nous sommes en train de faire.

— Il s'est passé quelque chose ?

Dans la voix d'Elena, de l'inquiétude. Elle sait de quoi ces trois-là sont capables et n'aime donc pas du tout la tournure que prend cette conversation.

Tseng prend une inspiration.

— Reno est en train de s'attacher à eux.

Une exclamation échappe à la jeune femme. Tseng poursuit :

— Au moins à Kadaj, mais ce n'est qu'une question de temps avant qu'il n'en soit de même pour les deux autres.

— Qu'est-ce qui vous fait penser ça ?

— Tout à l'heure, explique Tseng en redressant sa position pour se caler plus confortablement contre son siège. Je l'ai vu en compagnie de Kadaj, quand nous passions en voiture. Il ne le suivait pas, il marchait à ses côtés. Et je suis sûr qu'ils discutaient.

Elena sent une boule se former au niveau de son estomac. Voilà donc la raison de la mauvaise humeur de son supérieur.

Ce crétin n'en rate vraiment pas une !

Et non seulement il n'en rate pas une, mais en plus, c'est un peu comme s'il les poignardait dans le dos après ce qu'elle et Tseng ont vécu entre leurs mains.

— C'est à lui, n'est-ce pas… ? Que vous avez téléphoné tout à l'heure ?

— Oui, mais notre conversation a tourné court. Enfin, lui et Rude ne devraient pas tarder à nous rejoindre. On en saura plus à ce moment-là…

L'esprit un peu ailleurs, Elena se contente d'opiner du chef. Certaine que la conversation à venir ne va pas lui plaire du tout.

8

— Il y a aussi cette histoire de gisements de pétrole…

Rufus conserve le silence, préfère laisser à son interlocuteur tout le loisir de s'exprimer avant de lui donner son avis sur la question. Car il se doute déjà de quoi celui-ci va l'entretenir. Et où, également, se situe le problème. D'ailleurs, il peut voir l'expression de Reeve se durcir quand celui-ci reprend :

— Sans parler de ceux qui appartenaient déjà à la Shinra, nous savons que vous les rachetez les uns après les autres… en tout cas, ceux que l'on daigne vous vendre. Et même si certains propriétaires s'obstinent à refuser vos offres, il est évident que vous cherchez à avoir le monopole sur cette nouvelle source d'énergie.

— Ce qui serait un problème… ?

— Oui. Le monopole de la Shinra sur la Mako nous a conduits à la situation actuelle. Non, rectifie Reeve en secouant la tête. Nous a conduit à bien des drames qui auraient pu être évités. Ce n'est pas moi qui vais vous rappeler les guerres et autres atrocités qui ont été commises en son nom, et si la même chose devait se reproduire pour le pétrole, je…

— Le WRO craindrait-il que je ne cherche à créer un nouveau gouvernement mondial ?

— C'est également une de nos inquiétudes, oui. Ça ne se fera sans doute pas tout de suite, j'en suis bien conscient… il a fallu du temps à votre père pour mener sa compagnie là où elle était avant sa chute. Seulement, nous ne pouvons pas nous permettre qu'une telle chose se reproduise. Et quand on a l'argent, le pouvoir, mais aussi la mainmise sur la principale source d'énergie du monde et que certains continuent de vous résister, alors…

— Ça mène à plus de guerres.

— Et à plus de drames encore.

Un doigt porté à sa tempe, la tête légèrement inclinée sur le côté, Rufus peut sentir son sourire lui revenir. Donne sans doute l'impression à Reeve qu'il est en train de se moquer de lui, alors qu'en vérité…

— Je comprends ces inquiétudes… d'autant mieux que mon but est bel et bien de faire renaître la Shinra. Et en tant qu'entreprise, il lui faut un produit à vendre…

— À l'origine, lui rappelle Reeve, la Shinra produisait des armes.

— Et tu ne t'es jamais demandé si ce n'est pas, justement, ce qui a conduit à la situation dont nous parlons ? Mon père avait déjà tout l'armement dont il avait besoin… non, il était même en avance sur tous les autres, à ce niveau. Il n'a donc eu aucun mal à créer ses propres armées et à les équiper de ce qui se faisait de mieux. Et puis les armes apportent de l'argent, beaucoup d'argent, et c'en sera ainsi tant que l'humanité existera…

— Donc, vous êtes en train de m'expliquer que vous comptez arrêter la production d'armements ?

À cet instant, Rufus ne saurait dire si l'idée soulage ou non son interlocuteur.

— Je suppose… qu'il y aura toujours une branche de la Shinra pour s'y consacrer. Au moins pour son propre usage personnel – nous avons beaucoup d'ennemis et il nous faudra bien nous défendre. Mais je ne tiens pas à m'investir là-dedans autant que mon père l'a fait. Alors le pétrole, pourquoi pas ?

— Mais comme je vous l'ai expliqué…, tente Reeve.

— Tu crains que je n'en vienne à reproduire ce qu'il s'est passé avec la Mako. Seulement, ce n'est pas dans mes projets. Je veux que la compagnie redevienne puissante, c'est un fait, mais je crois que c'est mieux si elle ne dépasse pas une certaine limite.

— Une limite que vous serez seul à définir.

Rufus ne répond pas tout de suite. Et quand il le fait, c'est pour expliquer :

— Le problème de la Mako, ce n'était pas seulement que nous en avions le monopole. C'est également que son utilisation aurait pu, à terme, détruire cette planète. Dans ces conditions, ça n'aurait pas changé grand-chose que nous soyons seuls, ou plusieurs, à l'exploiter.

— Les guerres…, veut rappeler Reeve.

— Oui, les guerres. Le Wutai et pas seulement lui. Toutes ont été des erreurs. Mais je suis un homme intelligent et je ne tiens pas à marcher dans les pas de mon père. Du reste, nous n'avons pas encore suffisamment de recul sur ce nouveau combustible. À l'époque, mon père avait bien commencé à l'exploiter, mais les recherches à son sujet n'ont pas été bien loin. C'est pourquoi je ne peux m'empêcher de me demander : et si nous nous rendions compte, au final, que l'utilisation du pétrole pourrait nous conduire à une nouvelle catastrophe planétaire ?

— Alors, il nous faudra trouver autre chose…

— En effet. Mais quand il y a de l'argent en jeu, renoncer devient compliqué. Et beaucoup, vois-tu, préféreront en poursuivre l'exploitation, plutôt que de se reconvertir. La concurrence n'y aidera pas, crois-moi, et tous ceux qui auront leur part du gâteau voudront la défendre jusqu'au bout… surtout si la chose ne doit pas les impacter directement. Notre existence est courte, aussi pourquoi se soucier des générations futures ?

— Et donc, votre solution est que son exploitation reste entre vos seules mains ?

— Quelque chose comme ça. Bien entendu, je me doute qu'il y en aura d'autres pour partager le gâteau avec moi, mais, comme je te l'ai dit, je ne compte pas marcher dans les pas de mon père. Je n'emploierai donc pas la force contre ceux qui ne voudront pas me vendre leur gisement. La plupart le feront, de toute façon, alors peu m'importe les quelques irréductibles : du moment qu'ils se tiendront tranquilles, je ne viendrai pas me mêler de leurs affaires. Tout ça pour te dire que si demain, nous devions découvrir que le pétrole risque de nous conduire à notre perte, il nous sera alors plus facile d'en arrêter l'exploitation, vu que j'en serais presque l'unique exploitant. Et ceux qui continueront de s'accrocher malgré tout… eh bien, ce sera un problème dont nous pourrons facilement nous occuper.

— Parce que vous renonceriez aussi facilement à votre business, monsieur le président ?

Il y a de la suspicion, tant dans l'expression de Reeve que dans son ton. Chose dont Rufus pourrait difficilement lui tenir rancune. Car en vérité, il comprend…

— Tu te doutes bien que la Shinra ne compte pas se contenter de cette seule marchandise, lui répond-il. Et une fois celle-ci à nouveau sur pieds, nous investirons dans la recherche d'autres énergie. Car il doit bien en exister… sans doute même de plus intéressantes. Seulement, leur découverte ne demande pas seulement du temps, mais surtout des moyens.

— Et vous avez ces moyens…

— Plus que tu ne le crois.

Oui, la fortune que lui a laissée son père est colossale et elle ne fera que croître une fois la Shinra revenue dans la course. Il n'est donc pas inquiet à ce sujet.

— Cependant, reprend-il. Aussi vrai que je suis un homme intelligent, je suis également ambitieux. Je ne peux donc pas affirmer que je me fais entièrement confiance et c'est pourquoi je compte sur le WRO pour m'arrêter si je devais prendre un chemin qui nous mènerait à nouveau vers la catastrophe…

Peut-être prend-il un risque en avouant tout ceci à son interlocuteur. La spécialité de la Shinra, et la sienne en particulier, lui qui a passé une bonne partie de sa vie au contact des Turks, est la dissimulation. Ceux qui n'appartiennent pas à leurs rangs n'ont pas besoin de savoir ce qu'il s'y trame. Néanmoins, il pense qu'il est important que même quelqu'un comme lui ait un garde-fou… parce qu'il sait que le chemin sur lequel il s'apprête à s'engager est parsemé de pièges et que l'attrait du pouvoir reste chez lui un problème qui pourrait bien de nouveau lui monter à la tête. Ce qu'il veut éviter absolument !

Travailler pour construire un monde meilleur… n'était-ce pas déjà le slogan de la précédente Shinra ?

Et sans pour autant renoncer à ses propres méthodes qui, peut-être, sembleront brutales aux yeux du monde, il est bien décidé à faire de son mieux pour suivre cette voie.

Ce sera ma façon de payer ma dette envers cette planète…

Même si cette dette est avant tout un fardeau paternel.

— Et en parlant de moyens, reprend-il. J'ai cru comprendre que le WRO avait reçu des financements récemment.

— Des financements plus qu'importants, confirme Reeve. Malheureusement, leur donateur a tenu à rester anonyme.

— Parfois, les catastrophes éveillent chez certains une forme de générosité. Je suis certain que vous devez vous attendre à en recevoir d'autres de sa part.

— Et ce serait pour nous une aide précieuse. Tout ce que j'espère, c'est que ce mystérieux bienfaiteur ne s'imagine pas pouvoir, à terme, nous acheter.

Reeve soutient son regard à présent. Son petit sourire flottant toujours sur ses lèvres, Rufus incline la tête sur le côté.

Tu as déjà compris, bien sûr…

Même si Reeve a sans doute encore certains doutes, qu'il n'est pas décidé à balayer.

— Je crois que tu n'as pas à t'en faire à ce sujet, répond-il en se levant. Ce genre de personne ne distribue pas ainsi leur argent sans savoir à qui ils ont affaire. Et ce n'est pas compliqué de comprendre qu'il sera difficile de te corrompre.

Comprenant que l'entretien est terminé, Reeve se lève à son tour et, après une seconde d'hésitation, tend la main en direction de Rufus. Celui-ci vient la serrer et dit :

— Bonne chance pour la suite, Reeve.

— J'aimerais vous souhaiter la même chose, monsieur le président. Mais j'ai peur de ne pas pouvoir.

— Je m'en remettrai, lui assure Rufus, avant de lui lâcher la main et d'ajouter : une dernière chose, tout de même. Nous sommes peu ou prou sur un pied d'égalité, à présent. Peut-être n'est-il plus utile pour toi d'être aussi protocolaire.

— Sans doute pas, reconnaît Reeve. Mais je crois que je préfère qu'il en soit ainsi.

Rufus opine du chef, comprenant bien ce qu'il sous-entend. Il va donc pour tourner les talons, mais Reeve, après une seconde d'hésitation, s'enquiert :

— Pourquoi m'avez-vous demandé si Cloud était entré en contact avec moi ?

C'est au tour de Rufus d'hésiter. Il serait amusant de dévoiler le pot aux roses maintenant. Amusant et si simple. Surtout qu'il aurait adoré être aux premières loges pour voir l'expression de Reeve quand celui-ci apprendra la nouvelle, mais…

— Je l'ai vu récemment, dit-il. Et il m'a tenu le même discours que toi, à propos de nos entrepôts. Je pensais donc qu'il pouvait t'avoir demandé de prendre les choses en mains.

Là-dessus, il incline la tête en guise d'ultime salut et se dirige vers la porte…

9

Des murmures s'échappent de la foule. La bataille a été rude, menée par deux adversaires aux compétences presque similaires – arrachant à tour de rôle la victoire à l'autre, avant que tout ne soit de nouveau brouillé au niveau suivant. Mais maintenant que les résultats sont tombés, il n'y a plus aucun doute sur le vainqueur.

Avec un petit bruit de gorge, Steve repose son arme dans son socle. Puis repousse ses lunettes sur son nez d'un doigt et dit :

— T'es un bon adversaire, Rude. Cette victoire, tu l'as clairement pas volée.

Rude émet un grognement en réponse. Son téléphone portable en main, il consulte les derniers messages reçus au cours de sa partie. Steve se tourne vers lui et, enfonçant les mains dans ses poches, questionne :

— Tu me laisserais ma revanche ?

Rude referme le clapet de son téléphone et range celui-ci dans la poche interne de sa veste.

— J'ai du travail, répond-il.

Et à son interlocuteur d'opiner du chef, un sourire en coin apparaissant sur ses lèvres.

— Alors ce sera pour une prochaine fois.

— Ouais… !

Car pour l'heure, il semblerait qu'une tuile soit arrivée…