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Chapitre n°10 :
Sabacc
Dess s'approcha de la table de sabacc, et adressa un petit signe de tête au CardShark Bêta-4 qui distribuait les cartes aux différents joueurs. La COMBE préférait employer des droïdes automatisés plutôt que des croupiers organiques : aucun salaire à payer et aucune chance qu'un joueur astucieux puisse convaincre un droïde de tricher.
- Je suis de la partie, déclara Dess en s'asseyant à la place libre.
Le sous-officier était assis juste en face de lui. Il laissa échapper un long sifflement sonore.
- Ouah, t'es vraiment grand, toi ! lança-t-il bruyamment. Combien tu mesures ? Un mètre quatre-vingt-dix ? Quatre-vingt-quinze ?
- Deux mètres tout juste, répondit Dess sans le regarder.
La COMBE était bien obligée de prendre ses mesures pour lui fabriquer des bleus de travail, de temps à autres – qu'il devait payer, bien évidemment.
Dess inséra sa carte de crédit de la COMBE dans le lecteur situé sur la table et saisit son code. La somme nécessaire pour jouer s'ajouta à ses dettes déjà contractées, et le CardShark avança une pile de jetons dans sa direction.
- Bonne chance, monsieur, fit mécaniquement le droïde.
Le sous-officier continua de jauger Dess en buvant une longue rasade de bière. Puis, il s'esclaffa subitement :
- La Bordure produit vraiment des gars super-baraqués ! T'es sûr que t'es pas un Wookiee que quelqu'un aurait rasé et épilé pour rigoler ?
Certains joueurs rirent de bon cœur, mais s'arrêtèrent presque aussitôt en voyant Dess serrer les dents. L'haleine du soldats était imprégnée de whisky corellien, comme celle de Gerd quelques heures plus tôt, lorsqu'il avait cherché la bagarre. Les muscles de Dess se raidirent, et il se pencha en avant. Le jeune soldat moins corpulent laissa échapper un petit souffle nerveux.
- Du calme, mon garçon, déclara le capitaine d'une voix apaisante pour contrôler la situation comme il l'avait fait tout au long de la partie précédente. C'était juste une plaisanterie. Tu peux l'accepter, non ?
Dess se retourna vers le capitaine, le seul joueur de la table suffisamment bon pour représenter un véritable défi, et lui adressa un large sourire, ses muscles se détendant par la même occasion.
- Bien évidemment que je peux accepter une plaisanterie, répondit-il. Mais je préférerais accepter vos crédits.
Le silence se fit à la table un court instant, comme si tout un chacun soupirait de soulagement. L'officier gloussa et sourit à Dess.
- C'est parfait, alors. Mais jouons plutôt aux cartes.
Dess commença tranquillement, en pratiquant d'une manière classique et en se couchant régulièrement. Les mises étaient basses, et la valeur maximale d'une main gagnante limitée à cent crédits. Entre la mise initiale de cinq crédits, et les deux crédits reversés à la COMBE à chaque nouvelle partie, les cagnottes couvraient à peine le fait de s'asseoir à la table, même pour un joueur expérimenté. L'astuce était de remporter suffisamment de mises au cours des différentes parties pour poursuivre le jeu et espérer rafler la cagnotte de sabacc qui augmentait à chaque tour.
Tandis qu'il commençait à joueur, l'un des soldats tenta de lui faire la causette.
- J'ai remarqué que la plupart des mineurs humains se rasaient le crâne, déclara le soldat avec un signe de tête en direction des clients de la cantina. Y a-t-il une raison à ça ?
- Nous ne nous rasons pas. Ce sont nos cheveux qui tombent, répondit Dess. À cause des trop nombreuses heures passées dans les mines.
- Dans les mines ? Quel est le rapport ?
- Les filtres ne suffisent pas à absorber toutes les impuretés de l'air. Lorsqu'on travaille dix heures par jour dans les mines, et cela jour après jour, les produits chimiques s'accumulent dans l'organisme.
Dess parlait d'une voix neutre et sans aucune amertume, car tous les mineurs avaient accepté cette infortune comme un simple état de fait.
- Et cela provoque des effets secondaires. On tombe souvent malades, et on perd nos cheveux. On est supposés prendre quelques jours de congés par-ci par-là, mais depuis que la COMBE a signé des contrats militaires avec la République, les mines ne ferment plus. En fin de compte, on s'empoisonne lentement afin de s'assurer que vos soutes soient bien remplies lorsque vous repartez.
Cette simple explication suffit à réprimer tout autre tentative de discussion, et les joueurs poursuivirent la partie dans un silence relatif.
Une demie-heure plus tard, Dess commençait seulement à s'échauffer. Il déposa la première mise de cette nouvelle partie, et paya la part qui revenait à la COMBE, bientôt suivi par les sept autres joueurs. Le droïde-croupier distribua deux cartes à chacun, et la partie débuta véritablement.
Les deux premiers joueurs jetèrent un coup d'œil à leurs cartes et se couchèrent. Le sous-officier regarda sa main et misa le minimum de jetons pour rester dans la partie. Dess n'en fut pas surpris.
Le sous-officier mit rapidement une de ses cartes dans le champ d'interférence, pour préserver ainsi sa valeur si d'aventure un changement aléatoire avait lieu à la fin du tour.
Dess regarda ses cartes et décida de poursuivre le jeu. Tous les autres joueurs se couchèrent, et il demeura seul avec le sous-officier.
Le CardShark distribua une nouvelle carte à chacun, et Dess obtint la carte Endurance, une figure possédant une valeur de moins huit points. Il rassemblait maintenant un total de six points, une main incroyablement faible.
La réaction la plus intelligente aurait été de se coucher, car il perdrait assurément la partie si aucun changement aléatoire n'advenait à la fin de ce tour.
Mais Dess savait qu'un tel bouleversement allait se produire. Il le sentait avec autant de certitude qu'il avait où et quand mordre Gerd un peu plus tôt. Ces prémonitions n'étaient pas fréquentes, mais il avait appris à leur obéir et à leur faire confiance lorsqu'elles se présentaient. Il misa d'autres crédits, et le sous-officier le suivit.
Le droïde rapprocha les jetons au centre de la table, et l'indicateur s'éclaira devant lui en changeant de couleur rapidement.
Bleu signifiait qu'aucun changement n'avait lieu et que les cartes conservaient leur valeur. Rouge indiquait un changement aléatoire : une impulsion électronique était envoyée vers le jeu, et une des cartes de chaque joueur voyait sa valeur changer de façon hasardeuse.
L'indicateur clignota rapidement entre les deux couleurs, jusqu'à prendre une teinte violette avec la vitesse. Le clignotement ralentit, et il fut de nouveau possible de distinguer les deux couleurs : bleu, rouge, bleu, rouge, bleu...
L'indicateur s'arrêta finalement sur la couleur rouge.
- Merde ! jura le sous-officier. Ça change toujours quand j'ai une bonne main !
Dess savait que le jeune soldat mentait. Les probabilités étaient égales et complètement aléatoires. Il n'existait aucun moyen de savoir lorsqu'un changement allait se produire – à moins de disposer du même don que Dess.
La surface des cartes électroniques vacilla, et il les fixa avec attention. La carte Endurance disparut, remplacée par un sept. Il possédait désormais une main de vingt-et-un points. Ce n'était pas un sabacc, mais c'était une très bonne main quand même.
Avant le début du nouveau tour, Dess retourna ses cartes face visible sur la table.
- Une main de vingt-et-un points, annonça-t-il.
- Foutu hasard ! lança le sous-officier en jetant ses cartes sur la table, dégoûté.
Dess ramassa le petit tas de jetons composant la mise, et le jeune soldat paya à contrecœur sa pénalité dans la cagnotte de sabacc. Cette dernière s'approchait maintenant des cinq cents crédits.
Un des mineurs se leva de table.
- Allez les gars, faut y aller, dit-il. Le dernier speeder part dans vingt minutes.
Dans un chœur de grognements et de plaintes, les autres mineurs quittèrent leurs sièges et s'en allèrent en traînant des pieds. Le sous-officier les observa s'éloigner, puis il se tourna vers Dess avec curiosité.
- Tu ne pars pas avec eux, mon grand ?
- Je travaille dans l'équipe de jour, répondit brièvement Dess. Ces hommes font partie de l'équipe de nuit.
- Et où se trouve le reste de ton équipe ? demanda la femme lieutenant.
Dess comprit qu'elle tentait d'empêcher le sous-officier de contrarier davantage l'imposant mineur.
- Il n'y a vraiment plus grand monde, reprit-elle en agitant la main en direction de la salle principale de la cantina.
En effet, elle était désormais presque vide, à l'exception des soldats de la Marine de la République. En s'apercevant que quelques sièges s'étaient libérés à la table de sabacc, quelques uns se rapprochèrent pour se joindre à leurs camarades.
- Ils seront bientôt là, finit par répondre Dess. J'ai juste quitté les mines un peu plus tôt aujourd'hui.
- Vraiment ? demanda la lieutenant, d'un ton qui sous-entendait qu'elle ne connaissait qu'une seule raison pour qu'un mineur quitte son poste prématurément.
- Mon lieutenant, salua poliment l'un des nouveaux soldats prenant place à la table. Mon capitaine, ajouta-t-il en direction de l'autre officier. Pouvons-nous nous joindre à vous, mon capitaine ?
Ce dernier regarda Dess.
- Je ne veux pas que ce jeune homme puisse croire que la République est en train de se liguer contre lui. Si nous prenons tous les sièges, où iront ses amis lorsqu'ils arriveront ? Il a dit qu'ils n'allaient plus tarder.
- Mais ils ne sont pas encore là, répliqua Dess. Et ce ne sont pas mes amis. Vous pouvez donc vous asseoir.
Dess n'ajouta pas que la majorité des mineurs de l'équipe de jour ne se joindraient probablement pas à eux. Lorsqu'il jouait à une table de sabacc, ses équipiers la désertaient, car il gagnait bien trop souvent à leur goût.
Les places vides ne le demeurèrent pas longtemps.
