Bienvenue à la SHINRA

Chapitre 278)Celui qu'ils n'avaient pas vu

Le jeune homme recroquevillé dans un placard retenait son souffle. Tout en tendant l'oreille pour tenter de déterminer s'il pouvait enfin sortir de sa cachette sans risques, il se demandait pourquoi cet endroit qu'il pensait sécurisé avait été attaqué de la sorte.

Il ne comprenait pas... les personnes qui se trouvaient là y étaient pour de bonnes raisons non ? Alors pourquoi venir s'en prendre à eux ? Pourquoi le faire ?

Il avait peur, il avait honte, il avait l'impression de s'être réfugié dans ce placard depuis des heures...

Il s'y était précipité au tout début de l'attaque, profitant de la panique générale pour s'y glisser. Personne ne l'avait vu faire, ni les autres gardes, ni les employés, ni les patients et surtout pas les assaillants.

Il avait eu de la chance de se trouver dans la lingerie lorsque l'attaque avait débuté, un lieu regorgeant de cachettes potentielles... l'odeur de la lessive et du linge, qu'il soit propre ou sale, avait masqué la sienne. Celui des attaquants qui n'était pas humain était passé près du placard sans sentir sa présence, son odorat sans doute saturé par les odeurs qui flottaient dans cette pièce.

Le jeune homme réprima un sanglot.

Il s'était montré lâche... il en avait parfaitement conscience... mais qu'aurait il pu faire d'autre ? Comment résister à ces deux hommes qu'accompagnait un essaim d'insectes robots munis de dards diffusant un puissant narcotique ? Tous ceux qui avaient tenté de leur résister avaient succombé en quelques secondes... il n'aurait pas fait mieux et il le savait, mais il avait tout de même honte de lui.

Il bougea avec précaution, essayant d'étendre un peu ses jambes, douloureuses après une si longue immobilité. Il ne pouvait guère remuer, le placard exigu ne lui laissait que peu d'espace pour y parvenir. La souffrance qui salua son effort lui amena les larmes aux yeux. Il était resté si longtemps que ses membres étaient ankylosés. Serrant les dents il s'efforça de soulager son corps de la douleur en massant maladroitement ses jambes. Là aussi, ce n'était pas chose facile, il avait si peu de place...

Tout en frottant ses mollets torturés par des crampes, il se mit à faire le point. Après le chaos de l'attaque des deux hommes, qu'il n'avait fait qu'apercevoir, il y avait eu une longue période de calme, puis à nouveau des bruits signalant d'autres présences. Il s'était félicité d'avoir eu la prudence de rester caché. L'appareil de surveillance qu'il avait avec lui lui permettait de se connecter aux caméras du site, mais il lui avait fallu un bon moment pour surmonter la terreur née en lui lors de l'attaque et pour se souvenir de cet avantage qu'il avait sur les intrus. Il lui avait fallu encore quelques minutes pour se résoudre à s'en servir. Il était encore choqué par ce qui était arrivé...

Il était tout jeune encore, âgé de 17 ans à peine, il n'était encore qu'un apprenti parmi les gardes, celui dont les autres se moquaient et à qui l'on confiait toutes les corvées. Il n'avait été embauché parmi eux que parce que le directeur était son père, même si sa mère n'était autre qu'une patiente, et qu'on ne savait pas quoi faire de lui. Pendant quinze ans il avait été élevé au milieu des patients enfermés dans cet endroit, traité comme eux, puis le directeur, qu'il n'avait pas le droit de nommer papa et pas d'avantage père, avait décidé qu'il était temps pour lui de mériter sa nourriture, ses vêtements et le reste. Comme il n'avait reçu aucune éducation, il avait été placé parmi les gardes, à un poste qui ne nécessitait pas qu'il ait suivi un quelconque cursus. Le directeur avait regretté de ne pas avoir pris la peine de lui faire suivre quelques cours, déplorant qu'il ne soit qu'un ignorant qui ne servirait pas à grand chose... deux ans s'étaient écoulés depuis ce jour, mais il ressentait encore la brûlure de la honte enflammer ses joues lorsqu'il y repensait. La façon dont son propre père l'avait regardé avec mépris. Comme si cela était de sa faute... comme s'il était coupable de son ignorance, qu'il aurait du chercher à étudier malgré tout, malgré le fait qu'on ne s'était jamais donné la peine de lui enseigner quoi que ce soit...

Cessant de masser ses jambes, il essuya les larmes qui commençaient à rouler sur ses joues et grimaça, elles lui brûlaient les yeux à présent, l'obligeant à les fermer dans l'espoir que cela atténue la souffrance. Son père et les autres membres du personnel avaient sans doute raison de se moquer de lui sans cesse... il était si pitoyable... enfermé dans ce placard depuis des heures... incapable de se résoudre à en sortir...

La brûlure des larmes une fois apaisée, les crampes ayant cessé de le torturer, ce fut une autre part de son organisme qui prit le relais pour le tourmenter un peu plus. Sa vessie pleine lui envoyait des signaux d'alerte de plus en plus pressants. Il allait devoir sortir de sa cachette s'il ne voulait pas faire sous lui, souillant ainsi ses vêtements et rendant son séjour dans cet endroit plus pénible encore.

Mais... sortir signifiait se dévoiler... il n'était pas certain que les personnes venues après ceux qui avaient attaqué en premier étaient parties. Caressant l'espoir qu'elles aussi se soient retirées, il consulta son appareil, faisant le tour du site en s'aidant des nombreuses caméras dont il pouvait se servir. Son espoir fut vite déçu, les personnes n'étaient pas du tout parties. Non... en vérité, elles étaient toujours là. Plusieurs veillaient sur trois des patients, les autres discutaient dans une des salles. Il ne pouvait pas entendre ce qu'ils se disaient, il avait coupé le son de son appareil et n'osait pas le remettre en fonction.

Il se tortilla encore un peu, tandis que son envie d'uriner devenait vraiment trop pressante et essaya vainement de penser à autre chose.

Finalement, comme personne ne se trouvait à proximité de la pièce où il était, il se risqua à sortir du placard.

Ce fut vraiment une libération pour lui que de se traîner au dehors. Il étendit ses jambes, s'allongea un instant sur le dos, savourant le soulagement qu'il ressentait à enfin pouvoir le faire. Il n'aurait jamais cru que cela pouvait être aussi bon. Son père n'avait pas plus eu recours à des châtiments envers lui qu'il n'avait pris part à son éducation. En vérité, c'était presque comme s'il n'avait commencé à exister aux yeux de ceux qui travaillaient sur le site qu'après la mort de sa mère lorsqu'il avait 14 ans. Avant ce jour, elle seule se souciait de lui. Elle l'adorait, se démenait pour lui et s'efforçait de le protéger de tout et de tous. Après sa disparition, il avait commencé à poser problème à son géniteur et aux autres. Pendant quelques semaines, ils n'avaient su que faire de lui, puis avaient fini par lui trouver une utilité.

Il ressemblait trop physiquement à l'homme qui l'avait engendré pour que ce dernier puisse nier être son père, et c'était peut être ce qui avait permis qu'il survive. Sans cette ressemblance, que serait il advenu de lui ?

Sa vessie se rappelant à lui sans ménagement, il se releva et fit quelques pas mal assurés. Marcher était encore un peu douloureux, mais il en était capable. Il gagna les sanitaires les plus proches et se soulagea avant de pousser un soupir d'aise. Il hésita ensuite à tirer la chasse d'eau, redoutant que le bruit n'alerte les personnes inconnues, puis, après avoir vérifié qu'elles n'avaient pas bougé de la salle, il le fit malgré tout, ainsi que sa mère le lui avait appris. Elle n'avait pas pu lui enseigner grand chose, elle ne savait ni lire ni écrire, n'ayant pas reçu plus d'éducation que lui à ce niveau, mais elle avait une hygiène de vie irréprochable et avait tenu à ce qu'il en soit de même pour lui. C'était aussi elle qui lui avait appris à repérer les cachettes et à s'y glisser en une fraction de seconde, lorsque personne ne regardait. Elle l'avait formé à cet art dès son plus jeune âge, consciente qu'elle ne pourrait pas le protéger éternellement. Elle l'avait fait pour qu'il puisse échapper à d'éventuels tourmenteurs, sans se douter à quel point cela lui serait utile un jour.

Il n'avait jamais su d'où venait sa mère, ni pourquoi elle était là, chaque fois qu'il avait abordé la question avec elle, elle avait refusé de lui répondre et s'était détournée, le regard triste, ce qui le rendait honteux et lui faisait regretter de s'être montré curieux. Elle lui avait promis que lorsqu'il serait adulte, elle lui dirait tout, mais elle n'en avait pas eu le temps.

Il le regrettait, il ne saurait jamais à présent.

Une fois ses habits rajustés, il hésita sur la conduite à tenir, retourner dans le placard ne le tentait pas, il n'avait pas envie de rester encore des heures à l'intérieur. Il devait faire quelque chose... mais quoi ? Comment espérer stopper les intrus, il était seul face à eux... il n'avait aucune chance...

Il se mordilla la lèvre supérieure.

Peut être que si le portail n'avait pas été refermé, il pourrait quitter la propriété... s'enfuir, aller prévenir d'autres personnes... même s'il n'avait pas la moindre idée de qui, et encore moins d'où les trouver.

Son cœur se mit à battre plus vite dans sa poitrine.

Quitter la propriété... ce serait la première fois qu'il le pourrait. Il était né et avait grandi entre ces murs, le monde extérieur se limitait pour lui au peu qu'il pouvait apercevoir depuis la grille. Tout juste un bout de chemin, des rochers et quelques plantes. Il ignorait totalement ce qu'il y avait plus loin.

Le directeur et les autres employés avaient toujours pris grand plaisir à lui dire que le monde extérieur était dangereux et qu'il ne devait pas s'y aventurer, mais ne faisaient pas cela pour se moquer de lui ? Ils riaient si souvent de son ignorance et de sa naïveté...

Si le monde au dehors était si dangereux, pourquoi les rares visiteurs qu'ils avaient n'avaient ils pas d'armes pour se protéger ? Parce qu'ils venaient toujours à plusieurs, ou parce qu'ils étaient assez forts pour ne rien craindre ?

Dans le doute, et parce qu'il restait encore des intrus, il fit un détour par la salle de repos des gardes où il savait qu'il trouverait des armes, ils en laissaient toujours. De fait, il en trouva plusieurs et opta pour un petit calibre, l'arme qui lui faisait le moins peur. L'objet noir une fois en main, il ne se sentit pas vraiment plus tranquille, mais il avait au moins l'assurance de pouvoir se défendre en cas de besoin.

Il était surpris du faible poids de l'objet qu'il avait pris. C'était la première fois qu'il en tenait un, n'ayant pas le droit d'en prendre un d'ordinaire. On l'estimait trop jeune et pas assez fiable pour l'y autoriser, ce qui lui convenait parfaitement en temps normal. Il détestait l'idée même de s'en servir, n'étant pas du tout porté sur ce genre de choses.

Alors qu'il progressait avec lenteur en direction de la sortie, il se souvint que l'un des patients était l'ami de sa mère, le seul avec qui elle se soit entendu, un vieil homme qui était gentil avec lui également.

Il se souvint également l'avoir vu sur les images de vidéos surveillance, endormi profondément.

Soudain inquiet pour lui, d'autant plus qu'il avait vu plusieurs des intrus se pencher sur lui, il décida d'aller s'assurer qu'il allait bien.

Il bifurqua donc en direction de la chambre du vieil homme, priant pour qu'aucun intrus ne se trouve encore sur place, que ceux qui surveillaient un peu plus tôt se soit retirés du secteur.

Le couloir de la chambre qu'il voulait rejoindre était désert, pour son plus grand soulagement.

Poussant la porte, qui n'était pas fermée à clef et s'ouvrit sans peine, il entra dans la chambre et se dirigea vers le lit, afin de s'assurer que l'homme âgé allait bien, de voir s'il était sur le point de sortir du sommeil. Peut être pourraient ils prendre la fuie tous les deux...

Mais, alors qu'il ne lui restait plus que quelques pas à faire, un bruit de pas qui approchaient lui fit tourner la tête.

Un animal de grande taille et au pelage tigré de noir sur fond roux, qu'il avait déjà eu l'occasion de voir sur les images de vidéo surveillance, venait d'entrer et le regardait avec une visible surprise.

Effrayé par cet être impressionnant, dont il ne savait rien, le jeune homme braqua son arme dans sa direction, ses mains tremblantes avaient du mal à la tenir, elle glissa entre ses doigts, et, alors qu'il essayait de la rattraper, il appuya sans le vouloir sur la détente, une balle s'échappa du canon de l'arme et toucha l'animal à l'épaule, sous la douleur, il laissa échapper un grondement qui acheva de paniquer le jeune homme, un second tir toucha le fauve sur le côté de la tête et il s'effondra.

Le jeune homme, horrifié par ce qu'il venait involontairement de faire, laissa choir l'arme, déclenchant un troisième tir qui se perdit dans le plafond. Il se laissa ensuite tomber à genoux, les mains plaquées sur la bouche, tandis que des larmes commençaient à rouler sur ses joues.

Qu'avait il fait ? Avait il tué cette créature ? Ce n'était pas ce qu'il voulait... il n'avait jamais voulu faire de mal...

Il se traîna jusqu'à l'être gisant à terre et attira la tête ensanglantée sur ses genoux. Il ne pensait plus à fuir, plus du tout, dévasté par ce qu'il venait de causer.

À suivre