Bonjour tout le monde !

ça y est, on est à l'avant dernier chapitre ! J'ai du mal à y croire... snif ! Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire après ça, moi ?

Ah, je tenais à vous préciser une chose ! A un moment de ce chapitre, des personnage vont discuter du système dans le monde de Bleach avec le principe du cycle de réincarnation. C'est important pour moi de signaler que je ne crois pas à un cycle de la réincarnation, que ce soit en arbre, en insecte, en chien ou en être humain, ni à un système de karma se reportant d'un cycle à l'autre. Mais parce que j'ai décidé d'écrire une fanfiction dans l'univers de Bleach, je suis bien forcée de respecter les règles de l'univers telles qu'imaginées et écrites par Tite Kubo.

Sinon, je crois que vous allez poussé un énorme ENFIN ! Et que vous allez avoir également une ou deux surprises... Hihihi !

Un énorme merci à Soi Yo, Poivron Rouge et Xenobie pour leurs commentaires qui me donnent le sourire et la joie à chaque fois !

Et d'ailleurs, j'ai une question à vous poser. Au cours de l'écriture, j'ai mis en place un document qui reprenait tous les noms de tous les personnages, importants et anodins, que j'ai créé pour l'histoire ainsi qu'une énorme bande chronologique pour me rappeler de toutes les dates. Est-ce que ça vous intéresse que je publie ce document à la suite du dernier chapitre qui paraîtra en Avril ? Vous pouvez me répondre par message privé ou par commentaire. ^^

Bonne lecture et je vous souhaite une belle fête de Pâques !

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Chapitre 27 – Et puis un autre

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- 57 ans après la défaite d'Aizen – 17 Août -

La vie de l'Académie était paisible. Du moins, aussi paisible que pouvait l'être une école militaire préparant des dizaines de jeunes âmes parfois encore peu matures à devenir les protecteurs de leur monde.

Se promenant aux alentours, on entendait des voix discourant sur l'histoire de la Soul Society, d'autres débattant de la meilleure stratégie de défense ou d'attaque. Des exclamations de douleur ou de surprise résonnaient depuis les salles d'entraînement au milieu du choc des lames ou des coups sourds à même le corps. Et dans les cours soigneusement entourées de boucliers de kido, les invocations succédaient aux explosions des moins doués.

A l'extérieur, à travers la forêt et la prairie qui ceinturaient les bâtiments, les sifflements du shunpo faisaient comme un écho au vent tandis que des respirations précautionneuses trahissaient la présence des équipes s'affrontant pour récupérer un drapeau ou désarmer leurs adversaires.

Élèves ou professeurs, aucun ne se doutait de l'ombre silencieuse qui méditait, confortablement calée entre les branches d'un arbre, à quelque distance de là.

C'était une visiteuse régulière. Cet endroit avait longtemps représenté pour elle le seul lieu où elle se sentait suffisamment en sécurité pour fermer les yeux et se plonger dans son monde intérieur.

Au Rukongai, le danger était partout, au moment le plus inattendu. Dans les divisions, il n'y avait pas un seul instant de tranquillité et on vous dérangeait dès que l'on avait besoin de vous. L'Onmitsukido n'avait jamais été synonyme de sécurité. Toute opportunité de vérifier les réflexes de ses collègues était bonne à prendre.

Mais ici, alors que le périmètre était soigneusement gardé par les shinigamis, que des reiatsus en tout genre brouillaient la piste, que le brouhaha continu et les allées et venues incessantes permettaient à qui le voulait de se cacher en pleine vue, ici, elle pouvait relâcher sa garde un instant.

Oh, il y avait bien un autre endroit. Un lieu sûr, calme, apaisant. Mais alors qu'elle désirait faire le point sur les dernières années, elle avait ressenti l'indescriptible envie de revenir à la source. Là où elle avait entamé sa carrière de shinigami. Là où elle était pour la première fois entrée en dialogue avec son zanpakuto.

« C'était l'bon vieux temps ! »

« Ose me dire que tu regrettes cette époque-là ! »

« Bah, c'est vrai qu't'étais sacrément amochée. Mais t'avais encore la gnaque. C'est cet enfoiré d'Aizen et l'merdier qu'il a foutu qui ont fini d'te démolir. »

« Crois-tu que j'aurais réussi à m'en sortir aussi bien si je n'étais pas passée par le pire ? »

« Oh, commence pas à philosopher avec moi. On joue avec la main qu'on nous donne. T'avais une main de merde et t'as magnifiquement tiré ton épingle du jeu, grâce à ton joker personnel. Inutile de s'perdre en dissert' sur c'que t'aurais pu faire dans d'autres circonstances. On peut s'amuser à former plein d'hypothèses mais d'toute façon, on l'saura jamais. Alors autant éviter d'perdre son temps. »

« Le joker personnel, c'est toi ? »

« Qui veux-tu qu'ce soit d'autre ? » Fanfaronna l'enfant gekko.

« Je n'sais pas. Byakuya n'y est peut-être pas pour rien ? »

« J't'arrête tout d'suite. Le nobliau t'a accompagné et encouragé, oui. Il t'a surtout aidé à changer ton regard sur toi-même parce qu'il avait une bien plus haute opinion d'toi que toi-même. Mais c'est nous qui nous sommes relevés, qu'avons marché, qu'avons accepté d'flanquer des baffes aux idées noires pour remonter la pente, caillou après caillou. Si ça avait été lui et lui seul qui t'avais sorti de là, ça aurait servi à rien et ça aurait mis en danger votre couple. Fallait qu't'apprennes à marcher par toi-même avant d'être capable de marcher à deux. Fallait qu't'apprenne à le vouloir et à transformer cette volonté en acte. Fallait qu'ce changement vienne de toi, aidée par les autres et non des autres aidés par toi. Et c'est c'que t'as fait. »

« Hmm. »

« T'es pas convaincue ? »

« Mushoku ? »

« Ouais ? »

« T'es bien une part de moi, une des multiples facettes de ma personnalité ? »

« Ouaip ! La meilleure part, j'pourrais même dire ! » S'exclama avec fierté le zanpakuto.

« Je n'comprends pas alors. »

« Tu comprends pas quoi ? »

« T'es sûr qu'ils ont pas fait une erreur en ce qui nous concerne ? »

« Qui ils ? Et quelle erreur ? »

« J'ai du mal à croire à la fois que je suis encore capable de traiter Byakuya de nobliau et à la fois … que je puisse faire preuve d'une telle sagesse. »

Mushoku s'esclaffa avec un large sourire narquois.

« J'te l'ai dit ! J'suis la meilleure part de toi. Le reste vaut pas grand-chose. »

« Hé ! » S'exclama avec indignation sa maîtresse. Ce à quoi un grand éclat de rire lui répondit.

Mais il reprit bientôt son sérieux, méditant à son tour, cherchant ses mots.

« Tu peux être shinigami, espionne, lieutenante, chef de division, noble ou pouilleuse, amie ou amante, fille ou femme… mais dans tout ce que tu es, il restera toujours l'enfant du Rukongai. La petiote terrorisée, forcée de grandir trop vite, cherchant par tous les moyens à survivre. Je n'sais pas si on est là dès la conception de l'enfant, ou dès son arrivée dans la Soul Society. Mais on prend pas conscience tout d'suite de qui on est ou de ce qu'on est. Nous aussi, on est des nouveau-nés au départ, en quelque sorte. Et j'crois qu'on prend pas tout d'suite notre apparence définitive. On devient c'que notre maître a besoin qu'on soit, sans même qu'il s'en rende compte et à partir du champ des possibles qui s'ouvrent à lui par sa personnalité, son être même.

Et toi. La première fois qu'j'ai entendu ton appel, c'était un cri au s'cours. T'avais besoin de passer inaperçue, de t'cacher. Ça, c'était ton besoin conscient. Mais t'avais aussi besoin d'autre chose, sans même que tu t'en rendes compte. Quelque chose que tu connaissais pas. Plus que de te cacher, t'avais besoin de faire confiance et t'avais besoin de rire. T'avais besoin d'oublier pendant quelques secondes l'enfer dans lequel tu vivais. T'avais besoin qu'on t'aide à te sortir de la misère, qu'on t'aide à continuer à te battre. »

« Gekko qui se fond dans le décor, échappant à l'œil de ses prédateurs. L'adolescent car je ne pouvais pas faire confiance aux adultes mais je voyais bien qu'un enfant était trop petit, trop impuissant pour s'en sortir. Quelqu'un doté d'un humour douteux mais toujours capable de s'amuser d'une situation tant qu'on n'y risque pas notre peau, et surtout, toujours là pour me secouer quand j'en avais besoin. »

« J'ai un humour très fin, d'abord ! Et puis, ça reste des suppositions. C'est facile de trouver des liens après coup et d'imaginer des raisons qui collent. Si ça s'trouve, notre théorie est foireuse. Mais bon, mieux vaut une explication cohérente et fausse que pas d'explication du tout. »

« Hm, pas sûr. Parce que du coup, le jour où on se retrouve face à la vérité, l'explication fausse mais cohérente peut nous aveugler et nous empêcher d'y adhérer. »

« Pas faux. »

« Et quand est venu le philosophe ? »

« Pff, c'est juste un peu d'bon sens. Arrête avec tes grands mots. »

« Mais j'ai l'impression que toi aussi tu as changé au fil du temps. Tu n'avais pas toutes ces petites perles de sagesse. »

Le gekko haussa les épaules. « C'est venu avec l'âge et l'expérience, j'imagine. Et parce que t'as besoin de quelqu'un avec qui discuter sérieusement sur tout ce qui te chamboule en ce moment. Puisqu'on cohabite, c'est plus pratique que j'm'y mette. »

« Hm. Les dernières années ont été… riches en événements. »

« Ouais, une vraie tannée ! »

« Mais j'ai l'impression que ça va mieux maintenant. La plupart d'entre eux ont arrêté de froncer le nez quand j'approche. »

« Et les flagorneurs ont compris que la flatterie ne les mènerait à rien avec toi. »

Kohana le regarda interloqué.

« Bin quoi ? »

« C'est Senbonzakura qui t'apprend tous ces mots ? J'aurais jamais cru pouvoir t'entendre prononcer celui-là un jour ! Le gamin du Rukongai a fini par étendre son vocabulaire ? » Elle arborait un sourire narquois alors qu'elle le taquinait.

« C'est d'ta faute ! A force de traîner avec la haute, j'arrive même plus à parler correctement ! J'm'en vais m'faire un bain d'culture dans l'Rukongai, tiens ! Ça t'apprendra ! »

« Ça tombe bien, il faut que j'aille faire un tour à l'orphelinat de toute façon. »

« Parfait ! »

« Tu sais, c'est marrant. Je ne voudrais revivre ces trois dernières années pour rien au monde. Mais en même temps, je suis heureuse d'en être passée par là, heureuse d'en être arrivée là, même si j'en ai bavé et que ça continue de ne pas être facile tous les jours. »

Et elle revoyait en esprit les mois écoulés, les combats, les moments de découragement, d'incompréhension, mais aussi les joies, les progrès, la paix qui s'installait peu à peu en elle. Elle revoyait les réceptions des Kuchiki aussi bien que de la Saison, alors qu'elle y prenait une part officielle en tant que lieutenante du Gotei. Elle revoyait le mépris, le dédain, la colère et l'envie des uns, mais aussi la bonté, le bon sens, la solidité et le respect des autres alors que tous comprenaient peu à peu le lien qui se formait entre elle et le chef des Kuchiki.

Elle se remémorait l'apprentissage vécu auprès de Shion et Hekima Oba-sama alors qu'elles lui expliquaient la raison de leurs traditions, la façon de mener une conversation comme un contrat, une famille comme une maisonnée, d'inspirer le respect, de susciter l'admiration, d'inspirer et de gouverner. Et Rukia qui l'aidait et l'encourageait, comprenant très bien ses appréhensions aussi bien que ses préjugés puisqu'elle avait vécu une transition encore plus brutale que celle de Kohana, depuis le Rukongai jusqu'à la très noble et très haute famille des Kuchiki.

Elle savourait à nouveau tous ces moments au côté de Byakuya, alors qu'ils volaient quelques heures à leurs emplois du temps aussi chargés l'un que l'autre, partageant mots et silence, mouvement et quiétude, échangeant conseils et connaissances, gestes tendres et sourires.

Elle listait à nouveau le moindre détail du grand projet qu'elle avait entrepris avec d'autres afin de prodiguer d'abord une maison aux orphelins et ensuite… Et ensuite. Tant de possibilités, tant de difficultés. Tant de lois à décortiquer, d'études à mener, d'esprits à convaincre, de vies à changer. Et à chaque fois que le découragement l'envahissait, elle se remémorait ces trois mots : juste un pas.

Alors, fidèle à la mémoire de l'ancien, elle arrêtait de penser, arrêtait de craindre, arrêtait de se projeter dans l'avenir ou de se noyer dans la multitude de choses à accomplir. Elle ne voyait plus que ce pas-là. Ce seul et unique pas. Et elle y jetait tout ce qui lui restait de force et de courage, d'énergie et de volonté pour l'accomplir. Juste ce pas. Alors, et seulement alors, elle pouvait songer au suivant. Et elle avançait ainsi, pas après pas, se mettant des œillères. Car il était préférable de n'accomplir qu'un seul petit pas de temps en temps plutôt que de se retrouver paralysée toute sa vie par le saut à accomplir pour atteindre l'autre côté du gouffre.

Elle revivait également les cas de conscience qui l'avaient traversée alors qu'elle cherchait à être fidèle aux préceptes de l'Ancien tout en accomplissant son devoir d'Onmitsukido. Quelles étaient les limites ? Comment allier nécessité et éthique ? Comment jongler entre information et respect, protection et invasion ? Elle avait exaspéré Soi Fon plus d'une fois avec ses interrogations. Son seul espoir, ironiquement, avait été Koshiro. Il ne comprenait pas forcément ses problématiques, raisonnant d'une façon complètement différente de la sienne, mais s'il y avait bien une manière de résoudre un problème aussi délicat, de trouver des avantages à agir de manière plus responsable, respectueuse et éthique, c'était bien lui qui pouvait les trouver. Il aurait pu chiffrer l'indescriptible. Or les chiffres étaient le meilleur argument que pouvaient entendre aussi bien Soi Fon que la chambre des 46, malheureusement.

Elle ne se souvenait pas avoir jamais été en désaccord profond avec sa supérieure. Elle la respectait profondément, lui avait juré sa loyauté, se conformait à ses ordres, proposait ses idées lorsqu'elle trouvait une meilleure stratégie. Mais pour la première fois, terrorisée par sa propre audace, elle avait remis en question leurs méthodes et leurs principes. Soi Fon n'en était pas revenue non plus. Elle l'avait même envoyé subir des tests pour vérifier qu'elle n'était pas contrôlée par quelqu'un d'autre.

Mais Kohana sentait grandir en elle une petite flamme. Certains l'auraient appelé optimisme, d'autres, plus blasés, idéalisme, et les derniers, complètement cyniques, utopisme.

Pourtant, elle n'oubliait pas d'où elle venait, ni ce qu'elle avait subi.

Pourtant, elle avait bien en tête toute la complexité de ce monde et le dangereux équilibre sur lequel il balançait.

Pourtant, elle avait conscience qu'une seule personne ne suffit pas à changer la face du monde.

Mais elle avait compris qu'une personne peut en toucher une poignée d'autres. Et ces autres, une poignée d'autres à leur tour. Et ainsi de suite, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus une personne mais toute une foule.

Finalement, c'était peut-être la plus grande victoire de l'Ancien.

Il avait réussi, des décennies après sa mort, à toucher une âme endurcie, paranoïaque et traumatisée. Une âme dégoûtée, découragée, désespérée. Il l'avait bouleversée jusqu'à ce qu'elle esquisse un demi-tour complet. Il avait déposé en elle une petite étincelle. Et de jour en jour, celle-ci devenait flamme brûlante.

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- 57 ans après la défaite d'Aizen – 15 Septembre -

Elle aimait ce lieu. Il était désormais familier, rempli de souvenirs, certains doux, d'autres pointés d'amertume. Mais c'était leur endroit, leur retraite. Elle avait l'impression que la sérénité qui s'en dégageait l'enveloppait comme un cocon à chaque fois qu'elle dépassait les derniers arbres et posait les yeux sur la rivière. Il y avait comme un sentiment d'éternité, de temps qui suspend son cours alors que les soucis disparaissent à l'arrière-plan. Quelles que soient ses craintes, ses préoccupations, chaque pas vers le cabanon et sa clairière allégeait sa respiration, détendait ses épaules, effaçait ses rides. Alors, charmée par le duo du vent et de l'eau, elle pouvait fermer les yeux.

« Bonsoir Kohana-san. »

Un sourire se dessina sur son visage en entendant sa voix et elle se tourna vers l'arrivant.

« Bonsoir Byakuya-sama. »

Il la contempla avec amusement et affection. « J'étais certain de vous trouver ici. Quelles nouvelles du Rukongai ? »

« Je suis devenue prédictible à ce point ? Soi Fon m'infligerait un blâme si elle l'apprenait ! » Au rire succéda rapidement la joie mêlée de mélancolie. « Les derniers aménagements sont terminés. Nous avons deux nouveaux arrivants. L'un d'eux est aussi paranoïaque que moi à son âge. »

« Et il a accepté de venir ? »

Elle secoua la tête. « Non, il va graviter autour de nous pendant un moment, je pense. Nous étudier, nous jauger. D'ici quelques mois, il acceptera peut-être de rester à certains des cours. Mais Sugai-san manque cruellement d'aide. Ils sont seulement deux adultes à s'occuper de la maison et votre cousine a déjà toutes les leçons qui l'occupent à temps plein. Seulement, je ne sais pas comment en trouver. »

« Yukiko-san a-t-elle lancé le mot ? »

« Oui, mais seulement à ceux qui ont l'air fiable. Il est hors de question d'introduire un loup dans la bergerie. »

« Il faudra prévenir les volontaires qu'ils auront à passer un interrogatoire avec la chef des forces de sécurité. Cela permettra de refroidir l'ardeur des moins sincères. »

Kohana se contenta de lever un sourcil, dubitative et rieuse, avant de hausser les épaules. Il lui avait fallu quelques mois pour s'habituer aux taquineries de Byakuya. Elle avait encore du mal à distinguer les moments où il était parfaitement sérieux de ceux où il plaisantait.

Un sourire lui répondit et elle eut la satisfaction d'avoir correctement deviné son intention. Ils restèrent silencieux un instant, se concentrant sur l'instant présent.

« Kohana-san ? »

Elle leva les yeux vers lui, attentive.

« Cela doit faire à peu près trois ans que vous vous êtes réveillée, avec en vous une nouvelle ambition. Vous aviez décidé de vivre. De vous battre. De faire partie du jeu, pour reprendre vos termes. C'est à ce moment également que j'ai compris que je voulais jouer cette manche avec vous. »

Il la regardait droit dans les yeux, assis à côté d'elle alors qu'il avait doucement pris sa main.

« Mais vous n'étiez pas encore prête. Vous aviez besoin de vous apprivoiser, de panser vos plaies, fermer des portes, en ouvrir d'autres. Tout cela, vous l'avez accompli durant ces trois années. Accepteriez-vous de répondre à ma question aujourd'hui ? »

Elle sentait sa main sur la sienne, son regard dont elle n'arrivait pas à se détacher, l'émotion qui lui serrait la gorge alors qu'elle réalisait à nouveau les trésors de patience de cet homme et tout ce qu'il lui avait offert durant ces trois années. Dévouement, affection, encouragements et protection, approbation et fierté, le tout sans jamais rien demander en retour si ce n'est de réfléchir.

Elle hocha la tête.

« Voulez-vous m'épouser ? »

Le voulait-elle ? Partager la vie de cet homme, son nom, son titre, ses responsabilités ? Avancer côte à côte, à travers les bonheurs et les épreuves, vieillir ensemble, fonder une famille, se supporter et s'aimer jour après jour, s'entraider, se pardonner, se réconcilier et recommencer à construire ensemble, quel qu'ait été le désaccord ou le désagrément ? S'engager pour la vie, jusqu'à la mort ?

« Oui. »

Un petit mot étranglé, assourdi, un mot qui résonna comme un son de trompette pour l'homme qui lui faisait face.

Elle vit alors un visage dont peu se souvenaient, un visage transformé par la joie et la tendresse.

Et alors qu'il se penchait pour l'embrasser, c'est ce visage qu'elle garda en mémoire, rejetant les dernières ombres, les dernières craintes, les derniers souvenirs.

Mais cette intimité-là était encore trop pour elle. Elle dût s'écarter, tremblante, presque malade, alors qu'elle combattait la terreur qui l'étreignait à nouveau face à la vulnérabilité qu'elle s'était permise. Elle avait donné à cet homme le pouvoir de la détruire, de la briser en mille morceaux, de l'anéantir, en son âme, son cœur, son esprit et son corps.

Il attendait, inquiet, ne comprenant pas bien son recul même si son intuition lui soufflait la réponse. Alors il attendait, il attendait qu'elle arrive à faire la part des choses, à fermer une dernière porte, à lui accorder sa confiance, pleine et entière.

Elle revit le visage qui avait accueilli son oui. Elle revit sa loyauté sans faille, sa persévérance, sa force et le respect dont il faisait preuve en toute circonstance. Elle revit enfin chacun des gestes qui l'avaient réconfortée et apaisée, communiquant discrètement son amour et sa promesse.

Alors, levant à nouveau les yeux vers lui, ce fut elle qui s'approcha, elle qui l'embrassa alors qu'il l'enlaçait, formant de son corps un rempart entre le monde et elle.

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- 57 ans après la défaite d'Aizen – 29 Septembre -

« Sugai-san ! Ça y est, ils ont fini ! »

« Parfait, allez chercher les autres ! »

« C'est finiiiii ! On a finiiii ! Veneeeeez ! »

Madoka Sugai quitta rapidement son bureau où il était en train d'additionner les dernières dépenses. En sortant de la pièce, il remarqua le silence, inhabituel à cette heure de la journée. On n'entendait plus les marteaux, ni les rabots ou les scies. Les enfants dévalaient l'escalier pour rejoindre les ouvriers à l'extérieur et fêter la fin des travaux. Reiki Kuchiki les suivait de près, aussi excitée qu'eux mais tentant de conserver un pas digne.

Rejoignant le petit groupe dans la prairie, il contempla enfin l'œuvre de deux ans de réflexion et de travail. Ils avaient face à eux un grand orphelinat, prêt à accueillir une soixantaine d'enfants sur deux étages. Reiki avait ajouté en riant que d'ici quelques années, ils pourraient construire un deuxième bâtiment. Pour l'instant, l'argent et l'espace ne manquaient pas. Pour ces onze enfants, bientôt douze peut-être, c'était le plus beau des palais après la misère de la rue et de l'abandon.

Les charpentiers, les menuisiers et les couvreurs regardaient d'un œil amusé les exclamations de bonheur et les rires qui jaillissaient autour d'eux. Construire quoi que ce soit avec des gamins qui couraient partout et touchaient à tout, y compris et surtout aux outils les plus dangereux, n'était pas une mince affaire. Mais ils avaient été commissionnés par les chefs des Kuchiki, des Shiba et des Shihoin ainsi que deux guildes d'artisans. Autant dire qu'ils n'avaient pas songé un seul instant à refuser.

« C'est fini. » Répéta Madoka, un peu abruti face à l'ampleur des conséquences de cet instant sur sa vie.

« Non, ça commence à peine. » Répliqua sa collègue, une étincelle dans les yeux alors qu'elle contemplait la scène avec un sourire jusqu'aux oreilles.

Mais lui secouait la tête. Car à ce moment, il prenait conscience plus encore qu'avant de tout ce qui avait renversé sa vie, dans le plus grand demi-tour qu'il ait jamais été donné à une âme d'esquisser.

Bouleversé, il sentit à nouveau cette lame effleurant son cou pour se planter dans le mur derrière, alors que du sang commençait à perler de l'égratignure. A nouveau, le hurlement de son petit-fils résonna dans ses oreilles, en même temps que le murmure de l'ombre.

« Je reviendrais. »

Elle avait disparu sans un bruit alors que Hibiki déboulait dans la pièce malgré son ordre précédent. Il n'aurait jamais dû être là. Ses parents l'avaient déposé quelques heures auparavant, devant rapidement voyager à quelques jours de là pour assister à des funérailles. Il s'en était fallu de peu, de si peu, qu'il devienne témoin de l'assassinat de son grand-père, voire même qu'il soit égorgé à ses côtés.

Il s'en était fallu de peu, de si peu. Et pleurant à chaudes larmes, Madoka ne savait pas à ce moment si c'était de soulagement pour cet enfant ou de remords et de gratitude face à la merci du vengeur.

Fidèle à sa promesse, elle était revenue quelques mois après. Il l'avait attendu, interdisant à sa famille de le visiter sans qu'ils comprennent pourquoi, craignant trop un changement d'avis de celle à qui il devait une si grande dette.

Elle s'était assise face à lui, dans son bureau, sans un mot. Il l'avait tout de suite reconnue même s'il ne connaissait alors que son ombre et sa voix. Il était prêt.

Mais elle l'avait dévisagé un long moment en silence jusqu'à ce que la situation prenne un tour complètement inattendu.

« J'ai mené une enquête sur vous. Je veux croire que vous avez changé. Réellement. Complètement. »

« Je suis prêt à payer pour mes actes. Je vous dois je ne sais combien de vie. Je ferai ce que vous voudrez. Tout ce que je demande, c'est d'épargner ma famille. »

« Vous me devez des vies ? Non, vous ne me les devez pas à moi mais à eux. Et vous allez les rendre l'une après l'autre, au centuple. »

A ce moment-là, il avait pris peur.

« C…comment ? »

« En en sauvant des centaines. L'une après l'autre. En consacrant votre vieillesse aux enfants que vous avez opprimés. Je vais fonder un orphelinat. Mais je ne pourrai pas le diriger moi-même. J'ai besoin d'un gérant, de quelqu'un qui en prenne la tête, s'occupe aussi bien de l'administration que du bien-être et de la protection des enfants là-bas. J'ai besoin d'un homme de confiance. Le problème, c'est que je n'ai aucune raison de vous faire confiance. Vous pourriez jouer la comédie depuis tout ce temps. Mais je n'ai pas le choix. Vous êtes la seule personne que j'ai.

Et si je ne peux pas vous faire confiance à vous, je peux au moins faire confiance à un enfant dans ses affections. Votre petit-fils vous admire, vous respecte et vous aime. Votre fille vous le confie sans aucune crainte. Alors je veux que vous traitiez ces enfants comme s'ils étaient les vôtres. Je veux que vous les aimiez, que vous les aidiez, que vous leur tendiez une main, que vous les protégiez, que vous leur procuriez un foyer. Et moi, je serai derrière vous, à vous surveiller, à vous tester. Au moindre faux-pas, au moindre signe que vous pourriez leur faire du mal, je vous abattrai. Mais je veux vous donner cette chance. Je veux me donner cette chance. De prouver que nous pouvons aller au-delà de la haine et de la violence, que nous pouvons créer autre chose, un autre cercle. »

Il pleurait. Bouleversé, stupéfait, labouré aussi bien par la peur face au futur, à la reconnaissance face à ce pardon et cette chance, la joie de pouvoir payer sa dette et l'amertume face au labeur et l'abnégation qu'on lui demandait.

« Ne vous préoccupez pas des fonds. Aidez-moi à trouver un endroit. S'il y a besoin, nous construirons nous-même la maison. Vous pouvez y amener votre famille si vous le souhaitez. Par contre, cet endroit doit être sécurisé, caché, soigneusement protégé. Et vous ne serez pas seul. Nous chercherons d'autres personnes de confiance pour vous seconder. »

Il sentit soudain comme un étau lui serrer la gorge.

« Si jamais je refusais, est-ce que vous me tueriez ? »

Le regard qu'il croisa était froid et dédaigneux, mais il y vit également une grande tristesse. Elle ne répondit pas tout de suite, plongée dans des réflexions qu'il ne pouvait deviner.

« Non. C'est terminé. Et ça ne servirait à rien. J'ai besoin que vous vous engagiez complètement dans ce projet. Et ce n'est possible que si vous pouvez le faire en toute liberté. »

Il avait fermé les yeux. Puis, lentement, il s'était incliné jusqu'à terre face à elle.

« J'accepte votre proposition. Merci. »

Deux ans s'étaient écoulés depuis. Deux ans où il avait dit adieu à ses voisins, voyagé à travers le Rukongai pour trouver un lieu, entamé des débats avec des personnes qui n'auraient pas même pris la peine de poser un regard sur lui par le passé, démarré un chantier, accueilli des enfants, proposé à sa famille de le rejoindre, collaboré avec une jeune noble qui avait débarqué un beau matin déclarant qu'elle prenait en main l'éducation des enfants et leur obtiendrait des places d'apprentis dès qu'ils seraient prêts.

Il se retrouvait aujourd'hui face à l'achèvement de tout ce temps de préparation. C'était fini. Il n'y avait plus de retour en arrière, plus d'hésitation possible. Il avait désormais onze enfants à charge, bientôt peut-être douze, et il devrait les protéger, protéger cette jeune noble qui, malgré tout son dévouement, avait parfois du mal à comprendre le monde du Rukongai, nourrir tout le monde, gérer les conflits et les traumas, être un père, un administrateur, un garde, un soignant, un serviteur. Il se sentait si vieux, si fatigué dans sa tête et dans son corps. Et face à l'immensité de la tâche, il ne pouvait empêcher un sentiment de terreur l'envahir et une voix lui souffler « imposteur » à l'oreille.

« Sugai-san ? »

La voix de sa collègue le tira de ses pensées. Clignant des yeux, il regarda autour de lui. Les enfants étaient rentrés à l'intérieur, les ouvriers rangeaient leurs outils et démontaient leurs échafaudages, un homme d'âge mûr se tenait à côté de la Kuchiki.

« Êtes-vous le gérant de cet orphelinat ? »

Il hocha la tête, encore un peu déboussolé par ce brusque éveil dans le présent.

« J'en ai entendu parler dans un drôle d'endroit. Une auberge. Quand on m'a expliqué de quoi il en retournait, j'ai eu un moment un espoir fou. Qu'il n'était pas mort, qu'il avait réussi à reconstruire une maison, à sauver à nouveau des enfants. Je… je suis désolé, vous devez n'y rien comprendre. Il y a très longtemps, une maison comme ça existait. On l'appelait entre nous la maison des paumés. Elle était tenue par un vieil homme. Il recueillait les enfants et leur donnait une chance. Je viens de là-bas. A peine un an après les avoir quittés pour faire mon apprentissage, j'ai voulu leur rendre visite. Il n'y avait plus rien à part quelques débris calcinés. J'ai imaginé le pire mais impossible de savoir ce qui s'est déroulé là-bas. Enfin, bref, tout ça pour dire… J'ai cru que… Mais ce n'est pas grave. J'ai entendu dire que vous aviez besoin d'aide. Je suis venu pour travailler avec vous. Je suis maître tailleur mais je sais aussi travailler la terre. Nous avons tous appris là-bas, pour nourrir ceux qui ressentaient la faim. Et j'ai gardé contact avec certains de mes aînés. Quand ils découvriront l'orphelinat, ils chercheront tous à participer d'une manière ou d'une autre. Aucun de nous n'a oublié les leçons de l'Ancien. »

Était-ce cela la providence ? L'aide au moment où on lance un appel de détresse du fond de son âme ? Madoka en avait presque les larmes aux yeux.

« Soyez le très bienvenu. Mais avant de vous accepter définitivement, vous devez comprendre que les enfants sont notre priorité absolue. Si jamais vous les mettez en danger de quelque manière que ce soit, je ne donne pas cher de votre peau. Est-ce bien compris ? »

« Tout-à-fait. »

« Il est également possible qu'une shinigami vienne enquêter sur votre passé et vous fasse passer un interrogatoire. Elle est très méfiante mais vous vous y ferez. »

« Heu… d'accord ? »

« Comment vous appelez-vous ? »

« Sho.»

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- 58 ans après la défaite d'Aizen – 7 Octobre -

Les membres du conseil entraient au fur et à mesure, s'inclinant d'abord face à leur chef puis se saluant entre eux, échangeant les nouvelles, avant de prendre leur place.

Il attendit que la dernière personne se soit assise et que les portes soient fermées avant de prendre la parole.

« Bienvenue à tous. Un événement récent vient s'ajouter à notre ordre du jour. Kohana Mumei a répondu agréablement à ma demande. Nous sommes désormais fiancés et il va nous falloir décider de la date du mariage ainsi que des détails du contrat entre nos deux familles. »

Il entendit des murmures et des soupirs dans la salle, certains de soulagement, d'autres de résignation. Mais au fameux mot de contrat, les murmures s'amplifièrent jusqu'à remplir la pièce.

« Ce serait sans doute plus simple si elle avait une famille. Mais que peut-on établir entre des Kuchiki et une Mumei ? »

Le nom avait été prononcé avec dédain et découragement. Mais Byakuya ignora soigneusement la deuxième partie de sa remarque.

« Il est d'usage, au cas où un shinigami n'a plus de famille, que ses supérieurs lui tiennent lieu de parenté. Nous en avons discuté au préalable avec eux et le capitaine Soi Fon ainsi que l'ancien lieutenant Omaeda ont accepté de tenir ce rôle auprès de ma fiancée. » Et il insista légèrement sur le dernier mot afin d'intimer aux récalcitrants un minimum de respect.

« Devons-nous nous estimer heureux qu'elle ne fasse pas partie de la Onzième ? » Commenta ironiquement un autre, sans pour autant paraître trop insolent.

Un frisson collectif parcourut l'assemblée. Au moins, Soi Fon et Omaeda étaient de leur monde même s'ils appartenaient à des familles subalternes. Imaginer Kenpachi Zaraki à l'une de leurs réceptions avait de quoi faire frémir les plus stoïques.

« Il serait peut-être temps de nous mettre au travail. Et puisque tout le monde a oublié les convenances et la courtoisie, permettez-moi d'être la première à vous féliciter et vous souhaiter tous mes vœux de bonheur, Byakuya-sama. »

« Merci Shion oba-sama. »

Cette intervention de la tante rappela à l'ordre les dissidents et tous s'empressèrent d'offrir les mots d'usage, certains avec plus de sincérité que d'autres. Il n'y avait toutefois pas de réelle opposition. Aidée de Shion, Kohana avait fait preuve d'une conduite irréprochable en toutes circonstances, ramenant les plus opposés à de meilleurs sentiments par son sérieux et son sens du devoir. Sa familiarité avec leurs coutumes avait réussi à faire oublier qu'elle ne venait pas de leur monde, tandis que son rang au sein de l'Onmitsukido et sa position de lieutenante prouvaient la confiance que lui accordaient les plus puissants du Gotei. Ils savaient qu'ils n'auraient pas à rougir de leur dame et qu'elle prenait ses devoirs à cœur. C'était déjà beaucoup.

« Quant au contrat lui-même et pour éviter des débats superflus, sachez déjà qu'il ne sera pas question de pousser Kohana-san à démissionner. Toute interférence avec notre vie conjugale et la naissance d'un héritier est également proscrite. De tels sujets doivent rester dans l'intimité d'un couple. Enfin, je compte sur vous pour lui accorder votre respect et pour la seconder dans ses devoirs. »

Cette fois-ci, ce n'est pas un murmure mais un brouhaha qui s'éleva.

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- 58 ans après la défaite d'Aizen – 21 Novembre -

Des chiffres.

On pouvait faire dire une chose et son contraire à des chiffres.

Tromper des statistiques en jouant sur le milieu d'études, choisir des mots plein d'ambiguïté pour que l'autre comprenne l'inverse de la vérité, montrer seulement une portion de la courbe… C'était si facile.

C'est pourquoi Soi Fon demandait à tous les rapports contenant des chiffres de préciser à chaque fois toutes les conditions de l'étude dans des détails aussi méticuleux que barbants.

Elle était l'une des seules capable de les lire jusqu'au bout. Mais au moins, elle pouvait alors faire confiance aux résultats qu'on lui montrait.

Mais comment faisait-on lorsqu'on se retrouvait soudain à quelque chose qui n'avait jamais été chiffré… et qui se retrouvait à présent exposé en taux, barèmes, facteurs et variables ?

Elle l'avait su dès le départ pourtant, que si elle avait le culot de lui confier une telle mission, ce serait à elle de déchiffrer le compte-rendu final.

Un long soupir de lassitude échappa à ses lèvres alors qu'elle baissait la tête.

Koshiro lui jeta un regard surpris.

« Capitaine ? Ai-je oublié quelque chose ? L'une des données est fausse ? »

« Non… Non. Vous êtes sûr de vous ? »

Il prit un moment pour réfléchir à la question.

« Vous voulez dire sûr de mes prémisses, sûr de mes calculs, sûr de mes conclusions ou sûr de mes capacités ? »

« Sûr de vos prémisses, calculs et conclusions. »

Patience. Patieeeence.

« Le principe d'une hypothèse, c'est que c'est une supposition, comme son nom l'indique, et qui reste à prouver en créant l'environnement nécessaire pour mener une expérience. Si celle-ci donne les résultats prévus, on peut alors l'élever au rang de théorie. Quoique même certaines théories actuelles le sont parce qu'elles fonctionnent et sont utiles mais pas parce qu'elles sont vraies. Ce qui pose un véritable problème puisque l'on fonde nos sciences sur l'utile plutôt que sur le réel. C'est très embêtant. Et d'ailleurs, même lorsqu'on mène l'expérience nécessaire pour ratifier ou non l'hypothèse, le fait qu'on doive créer l'environnement nécessaire à l'expérimentation, ou tout simplement le fait d'introduire des outils de mesure durant les périodes d'observation, peuvent complètement modifier les résultats du fait de nos interférences. Finalement, il est parfois beaucoup plus efficace de chercher la vérité avec ses propres yeux en regardant ce qui est déjà autour de nous. »

« Honda-san, pour l'instant, concentrons-nous sur cette hypothèse-là. »

« Hé bien dans ce cas, il me faudrait quelques années pour mettre en place les systèmes de mesure et de retours dans les différents niveaux du Rukongai afin de vérifier que les fonctions sont exactes et influent comme prévu sur les dérivées. »

« Combien d'années ? Combien de moyens ? »

« Je dirais deux ans pour faire un état des lieux et le vérifier puis cinq ans d'expérimentation sur différentes variables à différents endroits avec différents niveaux de vie et enfin, à nouveau deux à trois ans pour calculer les résultats et vérifier. Mais ce serait plus efficace si j'avais dix ans d'observation au lieu de cinq. Des changements comme ça se calculent sur le long terme, le temps que les gens s'habituent à un nouveau mode de vie. Plus on peut observer sur le long terme, plus probants sont les résultats. Par contre, il y a deux ou trois conclusions qui reposent sur des faits déjà observés par le passé et qui sont donc presque garanties.

Le premier point, c'est que la puissance du Gotei 13 n'a jamais été aussi faible. Même lors de son fondement, le capitaine commandant avait réuni des individus exceptionnels qui avaient connu des années de combat avec des forces externes comme internes. Aujourd'hui, on a d'une part des shinigamis qui se sont habitués à ce temps de paix et sont donc moins poussés à se démener pour survivre. Les seuls éléments qui se démarquent sont ceux qui ont bénéficié d'un entraînement rigoureux dès le plus jeune âge ou ceux issus des secteurs les plus dangereux du Rukongai. D'autre part, dès qu'il y a besoin d'une action discrète et immédiate, celle-ci est freinée par les processus administratifs. Lorsqu'on doit décrire précisément sur le papier l'action très rapide et très secrète que l'on doit mener et argumenter sa nécessité, celle-ci a tendance à devenir tout de suite beaucoup moins rapide et secrète qu'on ne l'espérait. »

« Seriez-vous en train de faire de l'humour, Honda-san ? »

« Je vous demande pardon, capitaine. Le lieutenant m'avait laissé croire que c'était le genre de commentaire que je pouvais me permettre en votre présence. »

« Il n'y a pas d'offense, Honda-san. Je suis entièrement d'accord avec votre conclusion. Je n'ai simplement pas l'habitude d'entendre ça venant de votre part. »

« Ha. »

« Et même si la paperasse est un frein, elle permet d'éviter que des capitaines peu avisés prennent des décisions hâtives aux conséquences regrettables et irréparables. Le seul moyen serait de définir à l'avance le genre d'actions à mener pour une situation bien précise, de définir des seuils limites à partir desquels elles peuvent être menées et d'obtenir les autorisations aussi bien que de vérifier les précautions à prendre des années avant qu'il n'y ait besoin d'en arriver là. Ce qui demande également une veille active pour redimensionner les paramètres et les limites avec les changements se produisant dans les différentes sociétés. »

« Ça serait intéressant… » Commenta Koshiro avec une note d'espoir dans sa voix et une drôle d'étincelle dans les yeux. « Et très utile ! » Ajouta-t-il précipitamment, espérant obtenir l'adhésion de son capitaine avec un argument qui la touchait.

« Vous avez déjà un projet suffisamment complexe comme cela, Honda-san. Il est hors de question que vous vous lanciez dans une nouvelle entreprise avant d'en avoir terminé avec celui-là. »

Ses épaules s'affaissèrent légèrement. « Bien, capitaine. »

« Continuez. »

« Ah ! Où en étais-je ? Ah oui, la puissance du Gotei 13. Le deuxième point, c'est qu'en même temps que le Gotei 13 a appris de ses ennemis, ses ennemis ont appris d'elle. Ils décèlent de plus en plus rapidement ses vulnérabilités et attaquent précisément là où nous sommes pris au dépourvu. Pour l'instant, nous avons réussi à les vaincre simplement parce que nous avions l'avantage en nombre ou en puissance. Contre Aizen, nous n'avions plus cet avantage et nous avons été plusieurs fois sur le point de perdre, simplement parce qu'il avait parfaitement compris nos faiblesses, notamment l'absence de communication, de collaboration et de confiance entre les divisions ainsi que leur mode de fonctionnement radicalement différent de l'une à l'autre. »

« Une question. »

« Oui, capitaine ? »

« Avez-vous vraiment mené cette étude seul ? »

Koshiro se racla la gorge, gêné.

« J'ai reçu de l'aide pour des éléments plus… psychologiques que j'avais oublié de prendre en compte, capitaine. »

« Je vois. Reprenez. »

« Le problème, c'est que nos ennemis montrent une courbe de progression, de créativité notamment, supérieure à la nôtre. Nous ne pouvons nous permettre de continuer sur cette tendance. Surtout s'ils utilisent le Rukongai contre nous. Le Seireitei n'a aucune chance de survivre seul, que ce soit en termes de renouvellement de nos forces, de production de ressources en général mais surtout par rapport à la production alimentaire, étant donné que nous sommes les plus gros consommateurs et les plus faibles producteurs. »

« Deux points non négligeables en effet. Mais la sécurisation du Rukongai est-elle le seul moyen ? Et surtout, est-elle possible ? »

« C'est à partir de ces questions que j'ai mené mon étude. Non, ce n'est pas le seul moyen. Par contre, les calculs que j'ai mis en place tendent à montrer que c'est un moyen nécessaire. Quant à sa réalisation, sans aborder pour l'instant les moyens techniques et humains pour sa mise en place elle-même, je me suis d'abord penché sur l'impact que cela aurait sur l'équilibre entre nos mondes. »

« Et ? »

« Disons, pour simplifier le problème, que nous avons deux courbes. La courbe des morts naturelles et la courbe des morts par cause extérieure. Aujourd'hui, la courbe des morts par cause extérieure est très largement supérieure à celle des morts naturelles, dans le Rukongai du moins. Mais ça se vérifie aussi dans le Seireitei avec la population des shinigamis. Les soldats meurent rarement de vieil âge.

Si l'on stoppait brusquement les causes des morts accidentelles, le temps que la courbe des morts naturelles aient le temps de combler l'écart, il y aurait effectivement un énorme nombre d'âmes bloquées à la Soul Society et un déséquilibre tel que les trois monde, celui des vivants, le Hueco Mundo et nous-mêmes seraient en danger. Mais il est de toute façon impossible de stopper tout cela immédiatement.

Si l'on établit par étapes des moyens de sécuriser le Rukongai, en faisant cela par tranches de décennies, on donnerait le temps à la courbe des morts naturelles de combler l'écart. Il y aurait un petit déséquilibre constant pendant les siècles que cela prendrait à instaurer mais rien qui devrait a priori menacer le système. Alors que permettre des guerres de plus en plus meurtrières, voire une guerre civile ravageant le quart de la population actuelle, aurait des effets désastreux avec le pic soudain de morts. »

Soi Fon hocha la tête pensive.

« Cette conclusion-là est à peu près certaine. Ce qu'il reste à faire, c'est déterminer les étapes par lesquelles passer et leur fréquence afin d'assurer un changement stable au sein des populations et sans compromettre l'équilibre des mondes. »

« Et pour cela, dix ans d'expérimentations pour des données à peu près fiables. »

« Oui. »

« Et quels moyens ? »

« Choisir des quartiers avec des niveaux de vie très différents et dans chacun d'eux, s'appliquer à démanteler les réseaux et trafics existants, permettre l'alimentation nécessaire à toutes les âmes souffrant de la faim, instaurer une milice avec un règlement strict, s'assurer le concours des habitants, voire proposer aux volontaires d'intégrer la milice, ce qui règle à la fois notre problème d'effectif et le problème d'intégration et de mise en confiance dans le quartier, mettre en place un système judiciaire pour gérer les conflits, juger et punir les coupables. Décider des paliers de progression et étudier soigneusement les résultats au fur et à mesure pour ensuite les intégrer à mes équations et mes fonctions et vérifier si celles-ci tiennent la longueur ou non. »

« Mais à qui répondraient ces milices ? Il nous faudrait un référent. Et le capitaine-commandant a déjà suffisamment à faire avec le Gotei 13. »

« Il faudrait effectivement tout une chaîne de commande avec en tête une personne en relation avec le Gotei 13 et la chambre des 46. Et pour s'assurer de l'intégrité de la chaîne de bout en bout, j'ai imaginé un système d'inspecteurs formés par l'Onmitsukido et résidant ici, qui voyageraient de secteur en secteur pour enquêter et vérifier l'absence de corruption. »

« Bien. Je vais présenter ce rapport à la chambre des 46 et au capitaine-commandant. Nous attendrons leurs décisions avant d'entreprendre quoi que ce soit. Il est probable qu'ils vous fassent comparaître devant eux pour vous poser leurs questions. »

A cette idée, Soi Fon s'arrêta brusquement, terrorisée.

« Le lieutenant Mumei a entrepris de vous familiariser avec les interactions sociales et surtout à ce que l'on peut se permettre de dire ou de ne pas dire, non ? »

« Oui, capitaine. »

« Mais elle est trop occupée en ce moment pour vous préparer à leur interrogatoire. Bon, pas le choix. Venez ici à l'heure du déjeuner et je vous entraînerai personnellement. Je ne peux pas vous permettre la moindre bourde devant eux. »

Koshiro ressentit le besoin de déglutir et son souffle s'affoler. Il ne savait pas lequel de son capitaine ou de lui craquerait en premier cette fois-ci. Avait-il moyen de l'amadouer en lui inventant un nouveau casse-tête ? Il ne voulait pas mourir si jeune et surtout alors qu'il n'avait pas encore résolu tous ses calculs !

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- 58 ans après la défaite d'Aizen – 2 Juillet -

La voix de Rukia résonnait avec assurance dans le champ d'entraînement. Les shinigamis suivaient scrupuleusement ses ordres, changeant appuis et positions afin de répéter les différentes formations de combat.

Elle allait de groupe en groupe, vérifiant que chacun était à sa place, prodiguant un conseil, testant leurs capacités.

Non loin de là, confortablement installés dans le bureau du capitaine de la treizième, Les capitaines Kyoraku et Ukitake observaient l'exercice d'un œil appréciateur, tout en dégustant une tasse de thé pour le malade, une coupe de saké pour l'ami qui venait le visiter.

« La petite Kuchiki se débrouille bien. »

« Oui, c'est très rassurant. Je sais que la division est entre de bonnes mains lorsque je ne suis pas en état. »

Shunsui observa d'un œil inquiet son collègue. Atteint d'une maladie incurable, celui qui aurait pu rivaliser en puissance avec lui se trouvait alité la moitié de son temps, secoué par des quintes de toux interminables qui le laissaient épuisé et au bord de l'inconscience. Malgré tous ses efforts, Unohana n'avait jamais trouvé de remèdes, seulement quelques herbes qui permettaient d'apaiser la toux et de soulager la douleur tout en essayant de fortifier l'organisme. Malgré cela, alors qu'il vivait avec une sentence de mort permanente, il avait réussi à survivre pendant des siècles et à protéger lui aussi ce monde qui l'hébergeait. Ses apparitions sur le champ de bataille étaient rares, seule la plus grande nécessité le faisait intervenir. Mais son génie tactique les avaient tirés de mauvaises passes plus d'une fois. Sans ses stratégies, de nombreuses batailles auraient mené à la défaite ou à des pertes importantes.

Il compensait son immobilité forcée par un sens de l'observation accru et, même depuis son lit, il se tenait soigneusement informé de tous les vents de changement et rumeurs qui traînaient dans le Seireitei. En cela, il aurait pu donner des leçons à l'Onmitsukido.

Alors qu'il buvait tranquillement une bonne tasse d'infusion médicinale et de miel, il ressassait justement les informations qu'il avait dégotées ces derniers mois.

« Le capitaine commandant t'a communiqué le rapport sur le Rukongai ? »

Shunsui sourit, habitué à lui servir de source de renseignements, et hocha la tête. « Je n'ai pas eu le courage de le lire jusqu'au bout. J'imagine qu'il t'en a envoyé une copie également ? »

« Oui. Je l'ai reçu il y a deux mois et j'ai eu le temps de me pencher dessus longuement. Je ne sais pas quelle combinaison de cerveaux a réussi à mettre ça au point, mais si c'est vrai, c'est terrifiant. »

« Tu as des raisons de douter de sa véracité ? »

Juushirou secoua la tête.

« Non. Tout est écrit noir sur blanc, j'ai essayé de refaire les calculs par moi-même même si certains me passaient au-dessus de la tête. Et tout est extrêmement cohérent. C'est finalement ça qui m'effraie le plus. Tout était là, devant nos yeux, mais parce que nous y étions habitués, nous n'avons pas songé un seul instant à y regarder à deux fois. »

« Ne te flagelle pas trop vite. Si je me rappelle bien, tu as souvent tiré la sonnette d'alarme auprès du capitaine commandant. »

« Ce n'était pas suffisant. Je ne pensais pas que la situation s'était autant détériorée. Je me rendais compte de notre affaiblissement progressif sans pour autant être capable d'y trouver un remède, mis à part un recrutement plus intensif, une meilleure gérance de nos ressources et de nos soldats et un entraînement beaucoup plus sévère. Mais je ne prenais pas en compte le Rukongai. Ça a été ma plus grande erreur. »

« Aucun de nous n'arrive à le voir. Nous le parcourons à toute vitesse pour combattre des hollows avant qu'ils ne déciment la population locale, puis revenons tout aussi rapidement pour que nos blessés soient soignés à temps. Nous nous promenons parfois dans les premiers districts mais ceux-ci sont un reflet du Seireitei par leur opulence et l'ordre qui y règne. Seuls ceux qui ont vécu dans les districts les plus défavorisés sont à même de comprendre ce qui s'y passe. Mais dès qu'ils ont une possibilité de partir, ils la prennent pour ne jamais remettre les pieds là-bas. Ils sont donc incapables d'observer les changements qui s'y produisent. »

« Kohana Mumei. »

« Quoi ? La petite lieutenante de Soi Fon ? Celle qui va épouser Kuchiki ? C'est vrai qu'elle revient de loin. »

« Elle a fait partie de l'Onmitsukido avant d'intégrer la deuxième division. Elle en porte toujours l'uniforme. Il est probable que ses missions l'aient forcée à retourner là-bas plus souvent qu'elle ne le souhaitait. C'est peut-être une parmi une poignée qui a connu l'enfer de là-bas et a dû y retourner à plusieurs reprises pour observer. »

« Tu penses qu'elle est à l'origine du rapport ? »

« Ce n'est pas elle qui l'a écrit, ni même qui a fait les calculs. Elle n'en est pas capable. Par contre, elle a dû réussir à convaincre Soi Fon de la nécessité d'une telle étude. Je ne sais pas comment elle s'y est prise mais elle a réussi à mettre en branle un ordre établi depuis des siècles. »

« Un lanceur d'alerte. »

« Oui, et sans doute bien plus que cela. J'ai entendu une rumeur il y a quelques temps. Un orphelinat que l'on construisait dans un coin reculé du Rukongai. Ils cherchaient des financements mais avaient mis en place toute une charte soigneusement rédigée à laquelle il fallait s'engager avant de pouvoir faire quoi que ce soit pour l'orphelinat en question. »

« Paranoïa digne de l'Onmitsukido. »

« Exactement. »

« Intéressant. » Un fin sourire se dessinait sur les lèvres du capitaine de la huitième alors qu'il prenait une nouvelle gorgée de saké. « Et c'est justement cette petite qui va épouser le chef du clan Kuchiki. Manipulation, accord commun ou… »

« Byakuya est trop observateur pour se laisser manipuler. » L'interrompit Juushirou. Il était bien placé pour le savoir, ayant servi de mentor au jeune noble alors qu'il sortait à peine de l'adolescence. « Sauf par la colère. » Ajouta-t-il après une pause. « Quand à un mariage de convenance, un simple accord, il nous a prouvé aussi bien par son premier mariage que par son long veuvage que ce n'était pas une option pour lui. »

Ils restèrent longtemps en silence, méditant sur leurs échanges.

« Kohana. » Prononça enfin Kyoraku. « Petite fleur. Hmm, je me demande ce que cette petite fleur-là va semer. »

Et ils trinquèrent tous les deux à la santé des futurs mariés.

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- 58 ans après la défaite d'Aizen – 8 Août –

« Alors, c'est grave ? Ce n'est pas un blocage comme ce qui s'est passé avec Kohana ? »

« Non. Il s'agit ici d'une cause naturelle complètement bénigne et qui se résoudra d'elle-même d'ici quelques mois. »

« Comment ça ? »

Unohana rangea ses outils et se retourne tranquillement vers Rukia, un sourire aux lèvres.

« Le reiatsu est votre manifestation d'énergie. Votre corps régule naturellement cette manifestation par rapport à vos réserves et à l'état de votre corps. Vous pouvez l'inciter à réduire ou accroître cette manifestation consciemment, comme quelqu'un apprendrait à réguler son souffle, ou inconsciemment par les émotions que vous ressentez. Mais il y a une occurrence pendant laquelle un corps va concentrer toute son énergie vers l'intérieur et la camoufler, vous donnant ainsi l'impression qu'elle disparaît. Elle forme comme un cocon autour de l'enfant afin de le protéger des reiatsus environnants alors qu'il n'est pas en mesure de les supporter. Votre reiatsu est toujours là, mais il se consacre tout entier à un autre rôle. »

« Vous… vous voulez dire que ? »

« Félicitations, Kuchiki-san. Vous êtes enceinte. L'enfant semble en bonne santé et vous devriez accoucher d'ici huit mois. »

« Je… C'est magnifique ! Merci, merci ! Il faut que je prévienne Ichigo. »

Le sourire de Rukia aurait allumé un tas de bois trempé tellement il était contagieux. Malgré tout, Unohana avait du mal à se réjouir complètement pour elle. Gardant son professionnalisme jusqu'au bout, elle se contenta de rappeler à l'ordre la jeune lieutenante qui était prête à partir trouver son mari sur le champ.

« Lieutenant ? Vous devrez en informer votre capitaine le plus tôt possible. Les haut-gradés de votre division devront faire particulièrement attention à contenir leur reiatsu, de sorte à ce que celui-ci n'ait aucune chance de passer outre vos défenses et blesser l'enfant. Vous comprendrez également que toute tentative de shunpo ou de kido pourrait se révéler extrêmement hasardeuse et dangereuse. Vous devrez vous limiter à la supervision des entraînements et à la gestion de votre division jusqu'à la naissance. Je vous ferai aussi parvenir les recommandations nécessaires sur votre alimentation. Enfin… »

Et le médecin marqua un temps d'hésitation.

« Il est de mon devoir de vous prévenir que les premiers mois d'une grossesse sont souvent hasardeux, d'où toutes ces précautions. Une femme shinigami a cette difficulté en plus qu'elle est constamment entourée de reiatsus puissants. Votre mari n'est pas non plus réputé pour son contrôle dans ce domaine. Je vous suggère de demander à un membre de la corporation de kido de poser un bouclier supplémentaire supprimant les reiatsus environnants tout en préservant le vôtre. Cela évitera des accidents. »

« Quelles seraient les conséquences d'un tel scellé ? »

« Le temps de récupération sera beaucoup plus long. Pendant huit mois, vous aurez vécu sans reiatsu environnant puisque ceux-ci seront refoulés dès qu'ils s'approcheront trop de vous. Il faudra vous y habituer à nouveau, en plus de votre rééducation physique. De toutes les manières, il est recommandé aux mères de prendre un congé d'un à deux ans. »

« Deux ans ? Mais je ne peux pas abandonner ma division pendant deux ans ! »

« Il s'agit de votre vie et de celle de votre enfant. Je suis sûre que votre division pourra se priver de vous pendant ce temps. Et rien ne vous empêche de continuer toutes les tâches de gestion et d'administration. Mais imaginez que vous retourniez au combat, ou même simplement à l'entraînement avec des capacités moindre que celles auxquelles sont habitués vos collègues. A un moment donné, ils donneront un coup que vous auriez dû être en mesure de bloquer, ou alors tenterons une formation mais vous ne serez pas encore suffisamment rapide pour vous coordonner avec eux. Tant que vous n'aurez pas récupéré l'intégralité de vos capacités, ou du moins la majeure partie, il serait trop dangereux, pour vous comme pour les autres, que vous repreniez du service actif. »

Le visage de Rukia se fit méditatif.

« Je comprends. Je vais en parler avec mon capitaine. Par rapport aux reiatsus, y-a-t-il un danger immédiat ? »

« Je vous conseille de faire poser le scellé le plus rapidement possible et de prévenir votre division. Moins votre enfant sera exposé, plus il aura de chances de survivre. Pour l'instant, je vais poser un scellé temporaire. Il ne tiendra pas longtemps et ne sera pas aussi efficace que celui de la corporation de kido mais cela vous dépannera en attendant. »

« Oui, je pense que c'est plus sage, en effet. Merci capitaine. »

Unohana lui sourit et la congédia après avoir posé le scellé. Mais une fois la porte fermée, toute trace de sourire disparut de son visage.

S'asseyant à son bureau, bras serrés sur son ventre, elle ferma les yeux et serra les dents.

Elle était jalouse.

Jalouse de cette jeune mère qui allait porter un enfant, le mettre au monde, l'accueillir avec son époux, l'éduquer, le voir grandir, l'aimer.

Avoir un enfant ne lui aurait jamais traversé l'esprit par le passé. Mais depuis qu'elle avait épousé Kenpachi, depuis qu'ils avaient fondé cette petite famille un peu bancale, un peu bizarre mais parfaite pour eux, elle avait ce désir qui lui brûlait le cœur. Elle voulait connaître cette joie, ce don total, cet amour de mère.

Oh, elle aimait Yachiru comme sa propre fille mais cela ne lui suffisait pas. Yachiru était Yachiru. Elle ne l'avait pas accompagné dans ses premières années, n'avait pas partagé avec elle ses premiers mots, ses premiers pas, décelé dès le plus jeune âge sa personnalité et observé chacun de ses développements. Yachiru, malgré son apparence et cette stagnation dans l'enfance, était une âme plus âgée que de nombreux vieillards du Rukongai. Et même si elle n'en assumait pas toutes les responsabilités, elle était lieutenante du Gotei, suivant les traces de son père adoptif pour dessiner autour d'elles son propre chemin.

Et à chaque fois qu'elle se retrouvait face à son mari, se remémorant leur premier, leur seul combat et la blessure qu'il lui avait laissé, à chaque fois qu'elle devait combattre et refouler son envie de se mesurer contre lui, de croiser à nouveau leurs lames, de mener enfin un combat où elle pourrait déchainer toute sa puissance, tout son talent, toute sa rage, à chaque fois qu'elle songeait à leur famille, leur couple, à lui, et qu'elle refoulait péniblement sa combativité, gardant le silence et vérifiant discrètement que sa cicatrice était bien cachée, elle devinait qu'il y avait une chose, une seule qui pourrait à jamais fermer ces portes-là.

La pensée d'un être qu'ils auraient conçu, qui aurait grandi dans son corps avant de naître et de pousser son premier cri, prendre son premier souffle, poser son premier regard sur le monde. Un petit enfant qui deviendrait sa raison d'être.

La guerrière impitoyable avait rangé ses griffes et s'était faite médecin, mais ça n'avait toujours été qu'un camouflage, prêt à craquer à la première fissure. Se retrouver face au seul adversaire capable de lui offrir un combat digne de ce nom et l'aimer avait été sa plus grande malédiction, la plus grande ironie de sa vie. AU départ, elle avait songé à lui révéler la vérité. Mais à ce moment-là déjà, elle savait que l'issue de ce combat serait bien différente de leur première rencontre.

Ce jour-là, dans le Rukongai, elle avait été remplie d'une joie sauvage à la vue d'un tel potentiel et elle lui avait laissé la vie, désirant le rencontrer lorsqu'il serait à même de la faire reculer. Lorsqu'elle l'avait revu, des siècles plus tard, une petite fille sur son épaule et un haori déchiré dans ses mains, elle s'était dit qu'elle n'aurait plus longtemps à attendre. Il ne l'avait pas reconnu et elle avait pris soin de ne jamais lui laisser voir sa cicatrice. Il n'était pas encore prêt. Il n'était qu'une brute qui n'avait jamais pris soin de raffiner son potentiel, ignorant la voix de son zanpakuto qui hurlait de ne pas être entendu.

Mais il avait tout de même fini par détecter quelque chose chez elle. Peut-être un souvenir inconscient avait-il refait surface dans sa mémoire? Il avait éprouvé de la curiosité à son égard, voulant tester ses capacités et la provoquer en duel.

Elle avait toujours refusé, gardant le silence, comptant les années, observant chacun de ses progrès.

Et sans s'en rendre compte, elle s'était liée d'amitié avec lui. Un drôle de lien fait de moqueries et d'impassibilité, d'échanges rituels, une routine presque. Son erreur avait été d'accepter de discuter avec lui, de l'aiguillonner dans la bonne direction pour qu'il s'améliore sans cesse. Elle avait alors constaté l'intelligence et l'honneur qui se cachaient derrière le reiatsu imposant et la soif perpétuelle d'un combat à sa mesure. Une soif qui était aussi la sienne.

Elle avait appris à le respecter, à l'estimer, à l'aimer. Mais toujours, elle gardait le silence, songeant à ce duel final.

Un soir, comme tous les autres, il lui avait proposé de se battre, l'asticotant comme à l'accoutumée. Et elle s'était contentée de sa réponse habituelle. Ce soir-là, il avait cassé leur routine, brisé cet équilibre ténu qui existait encore, fracassant d'un pas toutes ses barrières. Puisqu'elle lui refusait un combat, il avait une autre idée en tête. Et avant qu'elle n'ait le temps de réagir, il l'avait embrassée.

Elle aurait dû tout stopper à ce moment-là. Elle n'avait pas pu, pas voulu. Et le jour où elle s'était engagée envers lui, elle s'était jurée de garder à jamais le silence, créant ce même soir le kido de camouflage qui dissimulerait sa cicatrice aux yeux de tous, y compris de son mari. Elle avait fait l'abandon de ce désir qui lui avait permis de tenir des siècles durant dans un rôle à l'opposé de sa personnalité. Elle ne mourrait pas au combat, tuée par un adversaire digne de ce nom, après un échange digne des plus grandes épopées guerrières. Elle ne pourrait jamais déchaîner toute sa puissance et sa fureur, réduisant en miettes les limites qu'elle s'était imposées pendant si longtemps face à un ennemi qu'elle respectait profondément.

Parce qu'elle ne pourrait jamais tuer l'homme qu'elle aimait ni supporter l'idée qu'il vive avec la mort de sa femme comme un suaire autour de son cœur.

Et elle n'avait pas même osé lui révéler la vérité, préférant se réserver le poids et le supplice de ce combat intérieur. La douleur de cette déchirure s'était apaisée avec le temps mais elle n'avait jamais complètement disparu, ressurgissant par moment comme une peine aiguë et soudaine, la laissant au bord des larmes et de la nausée.

Et peu à peu, face à ce renoncement, un autre désir avait pris place. Celui d'un enfant. De leur enfant. Il y avait comme une logique dans ce souhait. Comme si l'aboutissement de son don dans la maternité permettrait de rétablir un équilibre par rapport à tout ce qu'elle avait abandonné. Et c'était plus que cela. C'était aussi l'aboutissement de leur couple, de leur famille, une pierre finale qui avait le pouvoir de guérir cette déchirure en la remplaçant par autre chose.

Cependant cette certitude-là venait avec une autre. Si elle voulait qu'ils conçoivent un enfant, elle devait d'abord tout avouer à Kenpachi. Car si jamais son passé revenait à la surface par la suite, il aurait le pouvoir de déchirer leur couple, leur famille. Et il était hors de question de faire subir cela à leur fils ou leur fille.

Pourtant, c'est ce qu'elle risquait d'infliger à Yachiru en avouant son mensonge aujourd'hui. Et elle ne savait pas si c'était cette crainte-là qui la retenait, ou la peur que son mari choisisse son propre combat idyllique plutôt que la famille qu'ils avaient fondée.

Quelle hypocrite elle faisait ! Elle prônait sans cesse la confiance et la prise de risque dans les relations à Kohana alors qu'elle cachait depuis tout ce temps la vérité à Kenpachi. Alors qu'elle n'était même pas capable de lui faire confiance par rapport à la promesse qu'il lui avait faite, l'engagement qu'il avait prononcé envers elle.

La découverte de l'état de Rukia avait été la dernière goutte d'eau. Elle ne pouvait plus vivre comme cela. Elle devait trouver le courage nécessaire et tout révéler. Et elle n'avait aucune idée de comment s'y prendre.

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- 58 ans après la défaite d'Aizen – 13 Août –

« Yachiru ? »

La petite détourna la tête de la part de gâteau qu'elle était en train de déguster avec ravissement, ponctuant chacune de ses appréciations sonores d'un balancement de jambes, jouant à l'équilibriste sur un tabouret de cuisine.

Son regard maintenant fixé sur sa mère adoptive, elle attendit la suite avec un sourire.

« Je dois avoir une discussion très importante avec ton père. Une conversation qui va être difficile et nous mettre peut-être en colère. Accepterais-tu de nous donner un peu de temps et d'espace pour que nous arrivions à gérer cela ? Est-ce que l'une de tes amies pourrait t'héberger pendant quelques nuits ? »

« Pourquoi est-ce que vous allez vous mettre en colère ? Kenny a fait une bêtise ? Tu veux qu'j'aille le gronder ? »

« Non. Non, Yachiru. C'est plutôt moi qui ai fait une bêtise. Enfin, je crois. »

Retsu soupira, l'air défait.

« Comme je te l'ai dit, c'est compliqué. Et je ne veux pas que tu nous voies nous disputer. Je veux au moins t'épargner cela, même si je sais que tu es une grande fille. »

« Qu'est-ce qui va pas, Re-chan ? »

« Je dois d'abord en parler à ton père. Après, nous te mettrons au courant. Car cela va sans doute changer des choses pour notre famille. »

« Tu vas pas nous quitter, hein ? »

Elle n'avait jamais vu Yachiru affolée et elle eut l'impression de recevoir un coup de poignard en plein cœur.

« Non, Yachiru. J'aime ton père et je t'aime, toi. Je ne vous quitterai jamais volontairement. »

La petite la regarda attentivement, sourcils froncés, plongée dans une réflexion complexe.

« Bon, j'vais squatter chez les filles, on va en profiter pour organiser une soirée pyjama et quand j'reviens, faut qu'vous vous soyez expliqué. Sinon, j'vous enferme dans une pièce jusqu'à c'que ça aille mieux. Tiens, j'pourrai en profiter pour faire une blague au matheux. »

« Au matheux ? »

« Bah oui ! L'type de la seconde. Il est super bon avec les chiffres. Maint'nant, j'lui apporte les calculs pour la division et il les fait tous comme ça, sans réfléchir. Et en échange, j'lui explique des trucs. »

« Des trucs ? »

Même après des années de cohabitation, suivre les méandres des pensées de sa fille n'était pas chose aisée.

« Des trucs sur les gens. Il y comprend rien du tout, c'est fou ! J'sais qu'j'fais des gaffes, mais lui, à côté, c'est un champion ! »

« Tu parles de Koshiro Honda, c'est cela. »

« Ah oui, c'est ça son nom. »

« Ne le tourne pas trop en bourrique quand même. Et surtout, évite de trop crier ou t'agiter autour de lui. Il est hypersensible aux bruits, aux mouvements, aux émotions et pourrait mal réagir ou paniquer si tu commences à créer un tintamarre autour de lui ou à te mettre en colère. »

« Hmm, j'ferai attention. Il a pris l'habitude d'mettre des trucs dans les oreilles à chaque fois qu'il me voit débarquer. Ça doit être pour ça. Mais z'avez intérêt à rapidement régler c'qui va pas tous les deux. »

« C'est promis, Yachiru. Merci. »

Et Retsu fit un câlin à sa fille, lui embrassant le haut de la tête avant de la laisser partir à la recherche de ses amies.

Elle espérait de tout cœur que ce n'était pas la dernière fois.

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« Yachiru est pas là ? »

« Non, elle va passer la nuit chez ses amies. Je crois qu'elle compte organiser une soirée pyjama. »

« C'est quoi c'truc ? »

« Une invention du monde des vivants. Des amies se réunissent pour bavarder, regarder des films, faire des activités de filles entre filles. Du moins, de ce que j'en ai compris. »

« Hmm. Elle va encore faire la folle toute la nuit et dormir toute la journée. Va falloir que j'trouve un remplaçant pour l'entraînement des bleusailles. »

Retsu ne put s'empêcher de sourire en dépit de la situation. Mais l'appréhension ne la quitta pas longtemps. Elle sentait son estomac se tordre à l'idée de la soirée qui les attendait.

« Kèke chose va pas ? »

Et bien entendu, son mari était plus observateur qu'on ne le pensait. Enfin, puisqu'il fallait prendre le taureau par les cornes, mieux valait ne pas retarder davantage l'échéance.

« J'ai à te parler. A vrai dire, l'idée n'est pas venue toute seule à Yachiru. C'est moi qui le lui ai demandé afin que nous puissions discuter tous les deux. »

Kenpachi fronça les sourcils mais s'assit sans dire un mot sur le canapé.

Elle prit un fauteuil en face de lui, rassemblant ses idées avant de se lancer.

« Il y a quelque chose que je ne t'ai pas dit sur mon passé, sur qui j'étais avant de devenir médecin en chef du Gotei 13. Au départ, j'attendais le bon moment pour te le dire, car cela te concernait… te concerne tout autant que moi. Et puis, sans que je le prévoie, nous avons commencé à nous rapprocher. »

Elle ferma les yeux, perdue dans ses souvenirs. « Tu étais tellement plus que ce que j'avais deviné. Et pas encore ce que j'attendais de toi. Je gardais le silence jusqu'à ce que tu sois prêt, sans me rendre compte que je glissais du respect à l'estime, et de l'estime à… »

Kenpachi était à la fois inquiet et embarrassé. Les discussions à cœur ouvert n'étaient pas son fort. Et Retsu ne l'avait pas non plus habituée à des effusions. Mais parce qu'elle le lui avait demandé, et parce que cela semblait avoir une grande importance pour elle, il la laissa continuer.

« J'ai commencé à t'aimer. Et cela a bouleversé tous mes plans. J'ai tenté de rester sur le chemin que je m'étais tracée pour nous deux, mais tu as tout bouleversé, une fois de plus. »

Elle leva les yeux vers lui, un petit sourire aux lèvres alors que ses mains étaient des poings crispés. « Alors j'ai renoncé à mon souhait le plus cher. Et je me suis jurée de garder le silence jusqu'au bout. Et pourtant, tu méritais de savoir. Ce passé, je le partageais avec toi. Ce désir aussi. Je t'ai volé ta décision, j'ai caché la vérité toutes ces années. »

Et lentement, elle défit la tresse qui cachait son cou, révélant aux yeux de son époux la cicatrice géante qui y traçait un x, comme une cible.

« Et je t'ai refusé ce à quoi tu aspires depuis tout ce temps. Un combat sans aucune limite, un combat où nous pourrions, pour la première fois de notre vie, déployer toute notre expérience, toute notre puissance, toute notre énergie l'un contre l'autre. »

Elle le regardait droit dans les yeux, guettant une réaction, un signe, quoi que ce soit. Mais elle ne pouvait rien lire sur son visage et cela l'effraya encore plus.

« Si tu souhaites ce combat en dépit de tout, je ne te le refuserais pas. Mais je ne le désire plus. Tu sais comme moi quelle serait l'issue d'un tel affrontement. Et je préfère encore vivre avec mon mari aussi longtemps que possible plutôt que d'obtenir le duel dont j'ai toujours rêvé, si cela signifie que je risque de le tuer, ou lui moi. »

Seul le silence lui répondit. Il restait là immobile, visage figé, mâchoires serrées, regard dans le vide.

Elle attendit ce qui lui sembla une éternité avant de briser cette chape de plomb.

« N'as-tu rien à dire ? »

Et elle réalisa à ce moment qu'il était resté perdu dans ses pensées tout ce temps, lui, l'homme d'action qui refusait de perdre plus de deux secondes en délibérations.

Il réagit enfin au son de sa voix, tournant la tête vers elle, sourcils froncés.

« J'avais complètement oublié ton visage. Mais j'ai toujours dans la tête chacun des détails de not'combat. Et ton prénom. J'ai jamais oublié ton vrai prénom. J'l'ai donné à la p'tite parce que c'était le prénom d'la seule personne que j'admirais. La seule personne qui n'avait pas peur face à moi. J'me suis juré d'te r'trouver tout c'temps. Et j'm'en suis rendu compte trop tard. »

Elle prit une brusque inspiration. Que voulait-il dire ?

« J'me suis réveillé une nuit. J'sais pas comment tu l'avais caché jusque-là, mais cette nuit-là, elle était bien visible. » Et il fit un geste vers la cicatrice qu'il lui avait laissé.

« Tu d'vais être crevée. Mais quand j'l'ai vu, j'ai tout d'suite compris. J'ai compris pourquoi je t'admirais et j'te respectais autant, pourquoi on s'comprenait aussi facilement, pourquoi, dès que j't'ai vu dans l'Gotei, j'me suis posé des questions sur toi et sur tes capacités. »

Il regarda ses mains, les serrant en poings fermés avant de les rouvrir lentement.

« Et à la fois, j'y comprenais rien. J'savais à c'moment qu'tu voulais ce combat autant qu'moi. Mais t'avais jamais rien dit. Même avant qu'on s'tourne autour. Et j'étais furieux. »

De nouveau, il la regarda droit dans les yeux.

« J't'en ai voulu. J'voulais t'réveiller, t'crier dessus, engager le combat tout de suite. Parce que tu savais parfaitement qui j'étais dès l'départ. Et pourtant, t'avais fait exprès d'cacher ta cicatrice tout c'temps. Alors j'suis parti, loin, j'sais pas où et j'sais pas combien d'temps. »

Elle se rappelait ce moment. Elle ne s'était pas étonnée de retrouver la place à côté d'elle vide et froide au lever. Il était matinal et partait souvent le premier même si elle n'était pas non plus une lève-tard. Il était resté absent une semaine. D'habitude, il emmenait Yachiru et la prévenait qu'il partait en mission, ou à la recherche d'un bon combat. Cette fois-ci, la fillette avait déboulé étonnée dans sa chambre en disant qu'elle ne sentait plus Kenny. Il avait dû parcourir une sacrée distance pour que sa fille adoptive ne repère plus sa présence. Elle l'avait rassurée tant bien que mal, rongée par sa propre inquiétude. Lorsqu'il était revenu, il n'avait pas dit un mot sur la raison de son absence, se contentant de tapoter la tête d'une Yachiru enragée qu'il soit parti s'amuser tout seul.

« J'ai dû défoncer pas mal d'arbres et raser une montagne ou deux. J'me souviens plus bien. J'avais besoin de faire le tri dans ma tête. Et puis après, j'ai essayé d'réfléchir comme toi, pour piger c'qui t'avais pris de t'cacher comme ça. C'est à c'moment qu'j'ai compris à quel point on était semblable. Toi aussi, tu voulais un adversaire à ta hauteur. J'avais perdu la première fois et tu voulais que j'devienne plus fort. Tu voulais un vrai combat. »

Elle baissa la tête, bouleversée.

« Et après, j'ai foutu en l'air tous tes plans, hein ? J'crois qu'on s'y attendait pas, ni toi, ni moi. » Il eut un rire moqueur. « Les gens nous prendraient pour des cinglés si on leur apprenait qu'on était marié et qu'on formait la p'tite famille parfaite. Sauf qu'y a rien d'parfait. On fait comme les autres, on essaye du mieux qu'on peut et on pose des choix. Toi, tu l'as posé quand on s'est marié. Mais moi, il a fallu que j'le pose à c'moment-là, perdu dans la cambrousse, entouré par des débris de bois et d'rochers, alors que j'comprenais qu'ma femme était aussi l'adversaire qu'j'avais toujours voulu affronter. J'en ai chialé, Retsu. Chialé comme un môme à l'idée d'renoncer à c'combat. Et j't'en voulais à mort. J'étais furieux. Mais à la fin, j'ai posé l'même choix qu'toi. »

Cette fois-ci, c'est elle qui sentit les larmes couler sur ses joues. Elle venait de recevoir la plus belle preuve d'amour de la part de son mari.

« Parc'que comme toi, j'avais trouvé aut'chose. Et j'pouvais pas l'détruire comme ça. »

Une fois de plus, elle était désarmée par les trésors qu'elle découvrait en son époux. Tout ce temps, elle avait refusé de lui faire confiance en lui ôtant ce choix. Et aujourd'hui, face à ce pardon informulé, cette renonciation, ce renouvellement de sa promesse, elle se retrouvait remuée de fond en comble par la gratitude, l'admiration et l'amour qu'elle éprouvait envers lui.

Elle l'entendit se lever avant de sentir ses bras autour d'elle. Ils restèrent là, en silence, de précieuses minutes. C'est le son d'une pluie battante qui les tira de leur méditation et il se redressa pour aller fermer les fenêtres avant de se retourner vers elle.

« Par contre, qu'est-ce qui t'as décidé à tout déballer comme ça ? »

Retsu l'observa, amusée, remplie de joie et de certitudes.

« Je veux un enfant. »

Il la dévisagea, complètement abasourdi, ne comprenant pas ce qu'elle venait de dire, avant que le fracas de la chute de son corps sur le sol, genoux coupés par le choc, ne résonne à plusieurs kilomètres à la ronde.