Prologue

Harry

-Vous devriez faire une pause dans votre carrière, monsieur Potter.

La sentence est tombée. Au fond, je m'y étais préparé, l'issue de cette convocation ne pouvait pas en être autrement. J'affronte un instant du regard mon supérieur, Gawain Robards, avant de baisser les yeux, mortifié par la honte. Je sais que je l'ai mérité. Si j'avais été un peu plus concentré ce jour-là, rien de tout ça ne se serait déroulé de manière aussi dramatique. Peut-être même que cette fillette serait toujours en vie. Mais apprendre le matin même que Ginny m'avait caché sa grossesse depuis un mois entier pour finalement avorter sans me concerter au préalable m'avait fortement déstabilisé.

Je ne comprends pas.

Pour moi, avoir un enfant n'était que la suite logique des choses. Ginny et moi nous nous étions installés ensemble à nos vingt ans et un an plus tard nous nous marions. Je pensais qu'il était tout à fait normal qu'à présent nous devenions parents. Après tout, fonder une famille était mon rêve le plus cher et elle le savait. Seulement, Ginny ne semblait pas partager mon envie d'enfants...

Je serre les poings en chassant toute pensée la concernant et adresse un signe de tête à mon supérieur avant de tourner les talons. Mon regard croise par hasard celui de mon meilleur ami et la pitié que je lis dans le sien ne me plait pas. Qu'il garde pour lui sa fichue compassion, je m'en passerai volontiers ! Je l'ignore royalement et m'en vais en transplanant chez moi. Comme je m'y attendais, je suis le seul à être rentré du travail.

Ginny passe de plus en plus de temps à la Gazette du Sorcier et ne revient en général que très tard le soir. Je sais que c'est surtout pour ne pas à avoir affronter ma colère mais je me doute que ce n'est pas la seule raison. Je la sens bien trop distante depuis quelques temps et j'ai bien une idée du pourquoi. Fou de rage, je prends le premier objet qui me tombe sous la main et le lance contre le mur dans un cri de fureur. Le cadre qui contient notre photo de mariage se brise au sol dans un bruit sinistre et mon regard reste figé sur l'image. Dessus nous paraissons tellement heureux et amoureux. Je me demande à partir de quel moment tout a changé. Épuisé, je me laisse glisser contre le mur derrière moi, les larmes aux yeux.

A partir de quel moment ma vie a-t-elle pris un tournant pareil ? Combien de fois l'idée de tout foutre en l'air et de partir loin d'ici, dans un endroit où personne ne connaît mon identité ne m'avait-elle pas traversé l'esprit ? Mais non, évidemment il a fallu que je sois ce putain de Sauveur, celui que tous adulent ou critiquent à cause de sa notoriété. En plus de ça, j'ai des responsabilités de part ce titre et je ne peux pas partir comme ça, sur un coup de tête.

Malheureusement.

Mais j'en ai marre, marre d'être ce gars qu'on respecte pour avoir tué un fou mégalomane, marre d'être perçu comme le gentil Gryffondor courageux mais bien naïf qui s'est fait utiliser par son directeur comme un objet. Oh non, il ne faut pas croire que j'ai été bête au point de ne pas me rendre compte de ses manigances, j'en avais bien conscience. Seulement, il fallait que je m'en tienne à mon rôle. Si seulement je n'étais Harry James Potter, tout serait tellement plus simple. Rageusement, je chasse les larmes qui coulent sur mes joues.

Après un long moment à rester assis au sol, je décide de me lever. Je ne peux pas me permettre de rester là sans rien faire, il faut que je bouge, que j'extériorise toutes ces mauvaises choses. Et quoi de mieux qu'une petite visite aux jumeaux Weasley, les seuls qui parviennent à me faire oublier mon quotidien bien morne ? Je transplane au Chemin de Traverse et me rends sans attendre à la boutique de farces et attrapes.

A mon arrivée, je ne peux retenir mes lèvres d'esquisser un semblant de sourire. Comme toujours, l'ambiance est festive ici et c'est ce qui fait que j'aime tant cet endroit. A peine je pose un pied à l'intérieur de la boutique que deux furies rousses me sautent dessus. Je les réceptionne tant bien que mal en les serrant fort contre moi. Plus que des amis, les jumeaux sont comme des frères pour moi et les sentir contre mon corps me provoque un bien fou. Ils se dégagent, tout sourire et s'empressent de me présenter leurs nouveaux produits. Je ris à leurs idioties mais mon rire sonne plus faux que je ne l'aurais voulu. Les jumeaux le remarquent immédiatement et je mords ma lèvres nerveusement.

-Tout va bien...

-... Harry ?

-Je... J'ai simplement quelques problèmes avec Ginny et le travail... Rien de bien grave...

-Ginny nous a...

-... raconté ce qu'il s'est passé, chuchote Fred pour finir la phrase de son jumeau, on est désolé.

-Moi aussi, je me contente de répondre avec le regard vide.

Les regards des jumeaux se croisent et un dialogue silencieux débute entre eux. Je les observe sans un bruit, habitué à ce genre de comportement de leur part. Parfois j'en viens même à admirer et envier leur complicité. Moi aussi j'aurais aimé avoir un frère avec qui agir de cette manière et il fut un temps où je pensais que Ron serait ce frère pour moi, mais je me trompais. Seul mon titre l'intéressait et je l'ai compris à mes dépends. Peut-être que Ginny est en réalité comme lui, qu'elle ne m'aimait que pour celui que je prétendais être, ce qui expliquerait son comportement. Perdu dans mes pensées, je ne remarque pas la disparition de George et n'en prends conscience que quand ce dernier revient, une fiole inconnue dans les mains. Je hausse un sourcil en voyant Fred lui subtiliser la potion d'un air affligé.

-On ne pensait pas l'utiliser un jour...

-... Mais on pense que tu pourrais la tester. Elle n'existe qu'en quatre exemplaires.

-Qu'est-ce que c'est ? Je questionne, curieux.

-Une fiole de ReLife, débute fièrement Fred en levant le nez en l'air.

-Nous l'avons inventé au cas où des personnes penseraient que la vie ne vaut plus la peine d'être vécue...

-Et ça consiste en quoi ? Je demande de plus en plus intéressé.

-En gros, elle te redonne l'apparence de tes dix-sept ans...

-... et change tes traits pour que personne ne te reconnaisse. Comme ça...

-... tu pourras débuter une toute nouvelle vie et peut-être te sentir un peu mieux...

Sa phrase terminée, mon attention se porte à nouveau sur la fiole et n'arrive plus à s'en détourner. Une nouvelle vie dans laquelle je ne serais plus Saint Potter mais juste un adolescent banal ? Ou je pourrais enfin être moi-même et pas le parfait Gryffondor que tous attendent que je sois ? Les mains tremblantes d'appréhension, je m'empare de la potion que me tend Fred et promet de réfléchir à leur proposition.

Pourtant, la réponse m'apparaît dès à présent évidente.


Ginny

Je me sens mal, terriblement mal. J'ai envie de vomir tant je me dégoûte. Le corps endormi à mes côtés me fait culpabiliser encore plus que je ne le suis déjà. Je m'en suis voulue en apercevant le regard joyeux d'Harry à l'annonce de ma grossesse se décomposer au fur et à mesure que je lui avouais ma décision d'avorter. Être mère n'était pas fait pour moi, je l'ai toujours su au fond de moi mais je n'ai jamais eu le courage de le dire à Harry. Devenir père était son rêve le plus fou et le détruire était pour moi la pire des choses. Blesser Harry n'a jamais été mon objectif premier, au contraire. Je n'ai toujours voulu que son bonheur, mais ça, je ne pouvais pas lui offrir, hélas.

En silence, je me rhabille pour ne pas réveiller mon amant. Depuis combien de temps ai-je commencé à tromper Harry ? Cela doit bien faire depuis l'annonce de ma grossesse, un mois auparavant. J'avais été tellement chamboulée par la nouvelle que je n'avais pas pu me résoudre à rentrer directement chez moi. J'avais simplement prétexté à Harry que j'avais plus de travail que d'habitude mais ce n'était qu'un énorme mensonge. La vérité était que je m'étais rendue chez Dean Thomas, mon ex petit ami, que je savais encore fou amoureux de moi, et avait cherché du réconfort dans ses bras.

Je... Je voulais juste me sentir aimée. Cet amour que je souhaitais tant recevoir, Harry ne me l'offrait plus. Peut-être que lui n'en avait pas conscience, mais moi si. Ses sentiments s'effritaient au fil du temps. Plus de baisers une fois rentrés du travail, plus de sourires coquins au petit déjeuner, plus d'ébats enflammés comme autrefois. Seulement une routine de couple marié.

Au départ, je n'avais cru qu'à une passade et m'étais dit que le temps arrangerait les choses, mais je désespérais de plus en plus. J'ai abandonné tout espoir de revoir un jour Harry amoureux de moi et m'y suis résolue. Alors peut-on vraiment m'en vouloir de souhaiter me sentir aimer par quelqu'un d'autre ? Je plante mes ongles dans mon bras à cette pensée.

-Tu vas où Ginny chérie ? Soupire la voix ensommeillée de Dean.

Je ferme les yeux douloureusement. Je suis un monstre. Je fais à la fois souffrir mon mari en l'empêchant d'avoir ce qu'il veut mais aussi mon amant qui espère du plus profond de son cœur que je lui rende un jour ses sentiments. Bien évidemment, pour moi c'est impensable, je ne le vois pas autrement qu'un amant et un très bon ami, rien de plus. Oh oui, la petit Ginevra Weasley, la si charmante épouse du Survivant n'est rien d'autre qu'une femme horrible et égoïste. Je souris ironiquement à cette pensée avant de me souvenir que Dean attend toujours ma réponse.

-Je rentre, Harry s'inquiète sûrement de ne pas me voir...

-Ah, je vois, encore Harry hein. Sérieusement Ginny, quand le quitteras-tu ? Tu ne l'aimes même plus !

Et le pire, c'est qu'il a raison, je pense en ouvrant les yeux. J'aime Harry, mais plus dans le sens que je devrais en tant qu'épouse. Sans un regard pour mon ami, je transplane chez moi sans plus attendre. 22h00 a déjà sonné depuis un moment mais je m'étonne de ne voir aucune lumière transpercer les fenêtres de notre maison. Harry est déjà couché ? Ce serait étonnant de sa part, lui qui est plutôt couche-tard. J'ouvre la porte d'entrée doucement pour ne pas faire de bruit mais seul un silence glaçant m'accueille. Il ne doit pas être encore rentré... Je m'avance dans l'immense demeure des Potter, enlève mes bottes et mon manteau avant de remarquer une fiole posée en évidence sur la table du salon. Curieuse, je m'en approche discrètement et distingue un mot déposé à côté. Je le prends en fronçant légèrement les sourcils et retient un sanglot en lisant ce qui est écrit dessus.

"Belle Ginny,

Nous savons que rien n'est facile entre toi et Harry en ce moment et que la vie ne semble pas être au beau fixe pour toi... Tu te rappelles du projet ReLife ? Nous avons terminé de le concocter et en voici un exemplaire. Tu as le droit de penser que ce n'est pas une solution, mais nous pensons que ce sera la meilleure des choses pour toi. A toi de faire ton propre choix.

Affectueusement, tes merveilleux grands frères."

Mon regard fait un aller-retour entre la fiole et le mot. Bien sûr que je me souviens du projet ! Une idée folle des jumeaux qui pensaient qu'ils pouvaient sauver des personnes de cette manière. Et pourtant... En cet instant même, je rejoins leur avis. Je peux dire adieu à la femme monstrueuse que je suis et devenir quelqu'un d'autre. Je peux tout reprendre à zéro. Pardonne-moi de mon égoïsme Harry, est ma dernière pensée avant que je n'avale le liquide fruité et ne sombre dans un sommeil sans rêve.


Drago

-Tu as vu, c'est le fils Malfoy...

-Il ne vaut pas mieux que son mangemort de père !

-Éloignons-nous de lui les enfants, il est dangereux.

Je sens mon cœur se serrer aux paroles des passants. Je rabats ma capuche sur ma tête de manière à ce qu'on ne puisse pas me reconnaître, cachant par la même occasion mes joues bien trop creusées pour un adulte de vingt-cinq ans. Il était loin l'adolescent prétentieux et orgueilleux que j'étais durant mes jeunes années. Aujourd'hui, je ne suis rien d'autre qu'un adulte rejeté par la société et mal dans sa peau. J'en ai assez, assez de cette vie sans intérêt dans laquelle les gens ne voient rien d'autre qu'un reflet de mon père en moi, ce même père que je hais tant. Voir qu'il est destiné à pourrir le restant de ses jours seul à Azkaban me rends sincèrement heureux, surtout après tout le mal qu'il nous a fait à ma mère et moi.

Jamais je n'ai voulu être l'enfant que mes camarades et enseignants ont connu à Poudlard, loin de là. Avant d'entrer à l'école, j'étais quelqu'un de calme et studieux, pas le petit con arrogant que j'avais prétendu être pour le plaisir de mon père. A de nombreuses reprises, j'avais rêvé d'être un garçon normal, faisant parti d'un groupe d'amis semblable à celui des rouge et or mais j'avais dû y renoncer. Mon père préférait que je traîne avec mes compagnons de maison, des adolescents voués au culte de Voldemort. Il disait que ce serait la meilleure des influences. Je me rappelle avoir grimacé à cette affirmation. Pourtant j'avais réellement tenté de devenir ami avec Blaise et Pansy, du moins, avant que je ne me rende compte qu'ils ne me côtoyaient qu'en raison du statut de mon père. Le savoir m'avait fait énormément souffrir, je dois l'avouer.

Mon seul réconfort dans les ténèbres qu'étaient ma vie était ma mère. Narcissa Malfoy, cette femme si belle, si forte, qui avait toujours cherché à me protéger de mon père, quitte à se prendre des coups à ma place. Je l'admirais sincèrement et sa mort, un an plus tôt, m'a profondément bouleversé. Maintenant je ne mange plus, ne dors plus, ne sors plus... Je n'ai personne, je suis seul. Cela ne sert plus à rien de rester en vie dans de telles conditions.

C'est ma seule pensée alors que je me dirige vers la boutique de l'apothicaire pour m'acheter le nécessaire pour créer une potion de sommeil éternel. Seulement, une main me stoppe en se posant sur mon épaule et je tourne mes yeux dénués d'émotions vers son propriétaire. Le sourire scintillant que l'on m'adresse me surprends tant que j'ignore comme réagir et reste figé comme un idiot. Pourquoi me sourit-on de la sorte alors qu'aux yeux de tous, je ne vaux pas mieux que mon père ? Je ne le mérite pas.

-Whoah, ça fait un bail Malfoy ! Tu as... Changé...

-Weasley.

-C'est vraiment notre journée, marmonne le Weasley - Fred, George, qu'en sais-je ? - en prenant mon bras pour me mener dans sa boutique. J'ai quelque chose à te montrer, viens !

Je le suis sans faire d'histoire. A quoi bon résister de toute manière ? Je n'en ai même plus la force. Un sourire similaire à celui du jumeau Weasley m'accueille à mon entrée dans la boutique, mais il disparaît bien vite à ma vue. Sûrement parce que j'ai retiré ma capuche et que je ne suis pas ce qu'on pourrait appeler de beau à voir. Pour autant, je ne veux pas qu'on me prenne en pitié, surtout pas eux. Ma fierté en prendrait un coup. Je regarde ailleurs pour ne pas voir ce sentiment dans les yeux des Weasley. Depuis la fin de la guerre, je dois avouer que mon opinion sur les jumeaux a beaucoup changé. Contrairement au reste de leur famille, ils sont plutôt de bonne compagnie. Cependant, je reste étonné en sentant à nouveau la main de l'un d'eux sur mon épaule. Je me décide enfin à plonger mes yeux dans les leurs.

-Tu as l'air d'avoir quelques problèmes...

-... nous dirions même que tu as la tête de quelqu'un qui n'a plus foi en la vie.

-C'est peut-être le cas, je déclare de manière hautaine - plus pour l'apparence que par envie.

-Nous pouvons peut-être y remédier !

-Ah oui, et de quelle façon, dites-le moi ?

-En prenant ce produit.

Je prends le flacon qu'on me tend et y lis distinctement le mot : "ReLife".


Luna

Je sais que la boutique des jumeaux ne va pas tarder à fermer, c'est pourquoi je profite de ce moment de calme pour m'y rendre. D'étranges petites créatures, sûrement cousines des Nargoles, m'avaient soufflé ce matin que je devais aller à la boutique, que quelque chose d'extraordinaire m'y attendait. Bien évidemment, j'ai suivi leur conseil et me voici à présent face à la devanture du magasin. D'un pas sautillant, je franchis la porte d'entrée et constate avec amusement que les jumeaux sont affalés sur le comptoir, l'air épuisé.

-Bonsoir vous deux, je chantonne d'une voix douce.

-Bonsoir Luna, s'exclament-ils en chœur tout en se redressant, on peut t'aider ?

-On m'a soufflé ce matin que je trouverais un produit ici pour m'aider avec mes problèmes.

-Tes...

-... problèmes ?

En soi, mes "problèmes" n'en sont pas vraiment, j'en ai bien conscience. Seulement, ils me rendent triste. A vingt-quatre ans, je vis toujours seule, sans jamais avoir eu de relation amoureuse et je suis le plus souvent incomprise par mes amis. Je sais que contrairement à certaines personnes, je n'ai pas vraiment à me plaindre, que l'amour viendra peut-être un peu plus tard et pourtant... Si j'avais un moyen de changer ma vie, de connaître enfin mon âme sœur, la personne qui fera battre mon cœur, ainsi que de véritables amitiés, alors je n'hésiterais pas une seule seconde.

-Ce que je cherche, je chuchote en s'approchant des jumeaux, c'est cette potion magique qui nous permet d'avoir une seconde chance.

-Mais...

-... comment tu es au...

-C'est un secret, je m'amuse en souriant.

Puis sans que les jumeaux ne s'y attendent, je m'empare de la fiole sur le comptoir et la bois d'une traite. Tout cela sous les yeux effarés des Weasley qui se frappent le front de désespoir.