Severus ne s'était pas levé ce matin. Il n'en avait pas trouvé l'envie. Il était 14h et, depuis qu'il avait ouvert les yeux à 6h du matin tapante, il s'était contenté de fixer le plafond. Il n'avait prit ni son petit déjeuner, ni son déjeuner. Il ne s'était pas lavé, ni habillé. C'est tout juste s'il avait accepté de se lever pour aller aux cabinets lorsque ses besoins naturels n'avaient plus pu être ignorés. Mais il était retourné dans son lit à peine quelques minutes plus tard comme s'il n'en avait jamais bougé. Il n'avait même pas ouvert les volets. Ça faisait plusieurs jours d'ailleurs qu'il ne les ouvraient plus. Des semaines peut-être ? Il ne savait plus. Il avait un peu perdu la notion du temps. Il ne savait pas quel jour on était, ni quel mois. Il ne savait pas quel temps il faisait dehors, ni ce qu'il s'y passait. Il avait vaguement faim mais n'avait pas de quoi manger. Il aurait fallu qu'il aille faire quelques courses mais, pour ça, il aurait fallu sortir et il n'en avait pas le courage. Il aurait pu commander quelque chose mais pour ça il aurait fallu qu'il parle à un vendeur par cheminette et il ne voulait voir personne, même si ce n'était que pour passer une commande. Tout ce qu'il savait, c'était que la guerre avait été gagnée environ 6 mois auparavant et qu'il était sorti de Ste Mangouste 3 mois plus tard. Après, il ne s'était rien passé.
Au début, il s'était bêtement dit qu'il allait peut-être enfin être heureux. Aussi ridicule que cela puisse paraître, il y avait vraiment cru. Cela faisait si longtemps qu'il plaçait tous ses espoirs dans la fin de la guerre. Cela faisait si longtemps qu'il se disait que, lorsque la guerre serait gagnée, il aurait purgé ses crimes, sa réputation serait revernie, il pourrait mener une vie normale et agréable sans torture. Dès le premier matin après sa sortie de Ste Mangouste, il s'était levé d'aussi bonne humeur qu'il pouvait l'être et s'était apprêté pour la journée. Il ne s'était pas attendu au vide abyssal qui l'avait étouffé lorsqu'il s'était rendu compte qu'il ne savait pas quoi faire. Les premiers temps, il s'était dit que ce n'était pas si grave, qu'il trouverait bien quoi faire de ses journées à présent qu'il était libre. Il avait voulu se faire plaisir sans trop savoir comment puisqu'il ne s'était jamais fait plaisir jusque-là. Comment faisait-on pour être heureux ? Comment faisaient les autres, les gens normaux ? Il ne savait pas. Il avait donc fait ce qu'il avait entendu dire que les gens faisaient quand ils profitaient de leur week-end : il était sortit se promener. Il faisait beau et pas trop chaud. Le temps idéal pour une sortie sur le Chemin de Traverse. Il s'était dit qu'il trouverait là-bas sûrement quelque chose qui lui ferait envie ou qui l'occuperait pour l'après-midi. Mais sa balade avait été pénible. Bien que le ministère l'ait blanchi à la demande de Potter quelques semaines auparavant, il semblait que l'opinion publique, elle, n'avait pas changée à son sujet. Si sa bonne humeur avait (très) légèrement adouci ses traits, son visage s'était fermé aussi sec dès les premiers regards et chuchotements que son passage générait. Au début, il n'avait pas voulu y faire attention. Il était libre, bon sang ! Il voulait profiter de la journée, marcher au centre de la rue comme quelqu'un qui avait la conscience tranquille, s'acheter une glace et la manger en faisant du lèche vitrine. Ce que faisaient les gens heureux en somme. Mais le regard que lui adressa le glacier quand il eut l'audace de faire quelques pas vers lui le dissuada d'aller au bout de son envie. Oh il l'aurait pu, s'il l'avait vraiment voulu. Ce n'était pas la première fois qu'on le regardait comme ça. Cela faisait vingt ans qu'il recevait ce genre de regard. Auparavant, il se forçait à faire avec. Mais il n'en avait plus envie, il était fatigué. Il ne voulait plus se battre. Même pas pour simplement pouvoir s'acheter une glace. Alors il s'était éloigné. Les regards sur lui s'étaient fait pesants. Il voyait les gens s'écarter sur son passage comme s'il avait la galle, les parents expliquer en chuchotant aux plus jeunes de ne pas l'approcher. Rien de tout cela n'était nouveau pour lui mais ce jour là, il ne le supporta pas. Que s'était-il imaginé exactement ? Que vaincre Voldemort allait arranger tous ses problèmes ? Qu'être blanchi par le ministère lui permettrait d'être à nouveau un citoyen à part entière de la société sorcière ? Aurait-ce été trop demander ? Intérieurement, il rit amèrement de sa naïveté. Il s'approcha d'un coin plus ou moins sombre derrière l'étalage d'un marchand de légumes, rabattis sur lui le capuchon de sa cape, baissa la tête dans un mouvement bien trop coutumier pour dissimuler son visage aux yeux des autres et reprit sa route. Mais cette fois, il rasait les murs, marchait vivement de coin sombre en coin sombre, comme pendant la guerre quand il craignait d'être suivi. Soudain, sa balade n'avait plus rien d'agréable et dès qu'il le put, il rejoint la cheminée du chaudron baveur par laquelle il rentra chez lui. A la suite de cette mésaventure, il n'était plus sorti dans le monde sorcier. Le lendemain, il était beaucoup moins enthousiaste mais, essayant de toutes ses forces de ne pas se laisser abattre, il avait transplané dans un coin de campagne moldue complètement isolée. Il n'y avait rien, si ce n'était des champs à perte de vue et des chemins terreux et caillouteux. Severus avait apprécié la sérénité de sa promenade au début, mais, rapidement, il en avait perçu l'absurdité. Que faisait-il là ? Seul, au milieu de nulle part, marchant au hasard pour faire passer le temps ? ça n'avait pas de sens. Il songea quelques instants à rentrer chez lui mais il n'avait rien à y faire alors il décida de continuer de marcher. Il marcha pendant des heures. Le paysage ne changeait pas. Ce n'est qu'à la tombée de la nuit que le chemin le mena aux abords d'une petite ferme. Des enfants jouaient à se courir après devant la maison. Severus s'était arrêté un moment pour les observer. Nul n'aurait sans doute pu le lire sur son visage mais il trouvait le tableau charmant. Tant de joie et d'innocence. Ils devaient être heureux, sûrement. C'était fascinant pour lui qui n'avait jamais vraiment connu de telles émotions. Il était un expert dans toutes les subtilités que pouvaient donner la douleur, la souffrance, la culpabilité, l'amertume. Mais les émotions qui faisaient rire et sourire lui étaient complètement étrangères. Au bout d'un moment, les enfants le remarquèrent. Etait-ce son expression naturellement peu avenante ou son habit noir impressionnant ? Il ne le savait pas. Mais les enfants s'enfuirent en courant vers leur maison avec une expression de peur sur le visage. Pour son plus grand malheur, Severus était aussi expert en peur. Après avoir torturé des dizaines de personnes, c'était une expression qu'il avait rapidement appris à reconnaître. Ça faisait mal. Il ne connaissait pas ces enfants. Il ne leur voulait aucun mal. Et il se faisait rejeter, encore. De la plus violente des manières parce qu'elle avait toute la sincérité et la brutalité de l'innocence. Instinctivement, ces enfants avaient su qu'ils devaient fuir. Peut-être qu'ils avaient raison. Il ne fit pas un pas de plus sur le chemin de terre. Le cœur serré, le visage crispé, après avoir embrassé du regard les champs de blé et de maïs et la petite maison des enfants, il transplana pour rentrer chez lui.
Après le douloureux échec de ces deux sorties consécutives, Severus n'était plus sortit de chez lui si ce n'est pour faire quelques courses. Des courses qu'il espaçait de plus en plus puisqu'il mangeait de moins en moins. Seul dans son petit appartement à Londres, Severus n'avait alors plus pu réellement tromper son ennui. Au début, il avait fait des potions, s'était amusé à en créer de nouvelles. Mais il s'était vite lassé. Il avait une réserve débordante de potions de la meilleure qualité imaginable et de toutes les sortes et il ne savait plus qu'en faire. Pour un peu, il en avait presque regretté le temps ou ses potions avaient une utilité pendant la guerre. Maintenant, elles ne servaient qu'à remplir ses placards. Il avait vaguement songé à les vendre mais en se souvenant de la façon dont il avait été accueilli sur le chemin de traverse, il s'était résigné à les garder pour lui. Personne ne voudrait de potions fabriquées par un ancien mangemort, fussent-elles de la meilleure qualité. Voldemort, lui, au moins, avait reconnu son talent… Délaissant les potions, il s'était penché sur la cuisine. Après tout, les deux disciplines étaient relativement proches. Et il était d'ailleurs très bon dans le domaine. Les plats qu'il se mijotait étaient succulents. Sauf qu'il en sentait à peine le goût tant l'amertume de les déguster seul restait tenace. Quel intérêt de se fatiguer à cuisiner quand on est même pas capable d'apprécier ce qu'on mange ? Alors ses repas s'était faits sommaires, frugaux, pour se réduire à des boîtes de conserve puis à de simples sandwiches de pain et de fromage pour se finir par de simples morceaux de pain qu'il rechignait de plus en plus à avaler. A rester dans ses appartements, sans vraiment rien faire d'important, il n'avait de toute façon plus vraiment faim. En revanche, il dormait de plus en plus. Dormir, ça faisait passer le temps. Un jour en se réveillant, il avait vu le soleil se glisser par les interstices des volets des fenêtres de sa chambre. Dehors, il devait faire un temps magnifique. Il ne voulait pas le voir. C'était trop de lumière. La lumière, c'était comme le regard effrayé des enfants à sa vue, comme les chuchotements des passants dans le chemins de Traverse, comme un délicieux ragoût qu'on aurait l'impression de gâcher. La lumière, ça faisait mal, ça se moquait de lui. Il n'en faisait pas partie. Il ne voulait plus la voir. Depuis ce jour, il n'avait plus jamais ouvert les volets. Puis il s'était désabonné de la Gazette du Sorcier. Le monde extérieur avait définitivement cessé de l'intéresser. Le dernier numéro qu'il avait reçu annonçait les fiançailles en grande pompe de Harry Potter avec Ginny Weasley. Après ça, il avait négligé de rallumer le feu quand il s'était éteint, il avait négligé de lancer ses sorts quotidien pour nettoyer son appartements. Il avait espacé ses moments de toilette, avait brisé son miroir pour oublier qu'il ne ressemblait plus à rien pour finalement ne même plus supporter de voir son propre corps, ne serait-ce que pour le laver. Alors il n'était plus rentré dans la salle de bain. Le salon lui avait semblé froid et humide. Sans même songer à rallumer le feu, il s'était réfugié dans sa chambre. Il s'était roulé en boule dans son lit et avait espéré très fort oublier, s'oublier lui-même, ne plus exister. Puis il s'était rendormi. Et ce matin, il n'avait même pas pris la peine de se lever. A quoi bon ? Sa vie ne rimait à rien. Personne ne s'inquiétait de se qu'il devenait. S'il mourrait, combien de temps mettrait-on pour retrouver son corps ? Sans doute le temps que sa chair en putréfaction dégage une odeur suffisamment forte pour incommoder les voisins, songea-t-il avec un cynisme qui se rapprochait douloureusement du pragmatisme. C'est là qu'il avait prit sa décision. Après tout, sa vie n'avait aucune valeur. Au yeux de personne, pas même des siens. Pas qu'elle en avait eu une un jour. Mais au moins, pendant la guerre, elle avait eu un sens, une utilité. Aujourd'hui, il n'était même plus utile. Il était comme un ustensile défraîchis qu'on avait utilisé à mainte reprises et qu'on remplaçait juste pour le plaisir de changer. Il avait choisi de mourir par overdose de potion de Sommeil sans rêve. Il aurait pu choisir n'importe quel poison mais il ne voulait pas que sa dernière action soit de manipuler un poison. C'était sûrement dérisoire et ça ne changerait rien au résultat mais il aurait voulu mourir paisiblement, la conscience aussi tranquille que pouvait l'être celle d'un ancien mangemort espion repentis ou d'un ancien mangemort repentis espion. En se levant péniblement pour aller récupérer la fiole en question dans le placard du salon, il se demanda s'il avait une dernière volonté. L'image de Lily lui apparu et il se dit qu'il devait au moins lui dire adieu. Il ne croyait pas à la vie éternelle. Il ne croyait pas qu'il la retrouverait dans un au-delà merveilleux. Il avait appris depuis longtemps et à la dure que quand c'est beau, ça n'existe pas. Ou du moins pas pour lui. Il transplana devant le cimetière et s'approcha des tombes qu'il connaissait. Quand elles furent en vue, il s'arrêta. Quel droit avait-il d'aller troubler son repos éternel alors qu'elle ne voulait déjà plus lui adresser la parole depuis des années quand elle était morte ? Qui était-il pour elle à présent ? Personne. Personne que l'histoire conserverait. Juste un souvenir précieux qu'il gardait dans son cœur et qui disparaitrait avec lui. Il tripota la fiole de potion de sommeil qu'il avait dans la poche. Et s'il mourait là, maintenant, dans ce cimetière ? Non, se reprit-il. Il ne voulait embêter personne. Il ne faisait pas partie du monde, il ne méritait pas d'en faire partie. Et les autres n'avaient pas à le supporter, même dans la mort. Il allait mourir comme il avait vécu : seul dans un coin sombre, en essayant de se faire oublier.
Il allait transplaner quand il l'aperçu au loin. Potter. Fidèle à lui-même. Inchangé. Il ne l'avait pas revu depuis ce jour où il avait failli mourir – ou il aurait dû mourir – dans la cabane hurlante. Severus se jeta rapidement un sort de désillusion et observa Celui-qui-avait-vaincu-celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom ou quelque soit le titre à rallonge qu'on lui donnait ces temps-ci. Potter s'arrêta sans surprise devant la tombe de ses parents et commença à leur parler. Severus hésita à lui laisser son intimité mais se dit qu'il serait mort de quelques heures alors, qu'il ait connaissance de ce que Potter pouvait dire à ses parents décédés n'était pas très important.
_ Salut maman et papa… Je…
Il hésitait, soupirait, se passait les mains dans les cheveux pour marquer son embarras.
_ C'est dans des moments comme ça où je regrette vraiment que vous soyez morts vous savez ? Je me suis disputé avec Ginny à propos de la vaisselle. En fait, on se dispute tout le temps à cause des tâches ménagères. Moi je n'aime pas les faire parce que ça me rappelle trop de mauvais souvenirs avec les Dursley et Ginny dit qu'elle refuse d'être une femme de maison comme sa mère. Je ne sais pas comment m'y prendre avec elle parfois. C'est idiot : je sais vivre dans une tente à la recherche des Horcruxes en mangeant des champignons pourris mais je ne sais pas vivre dans une maison normale. Je sais combattre des mangemorts mais je ne sais même pas faire plaisir à ma fiancée. Des fois, je regrette la guerre. En un sens, c'était plus simple. Vivre ou mourir. On ne se posait pas dix mille questions. Maintenant tout devrait être plus simple. Alors pourquoi c'est aussi compliqué ?
Il soupira à nouveau.
_ J'aurai voulu que tu sois là maman, reprit-il, pour m'expliquer comment fonctionnent les filles. Et toi aussi papa, pour m'expliquer comment être un bon adulte. J'en ai assez de tâtonner. Je suis un adulte maintenant mais, paradoxalement, j'ai jamais eu autant besoin d'un parent. Avant, avec les Dursley, c'était horrible mais on me disait quoi faire. J'avais des corvée ou alors je devais rester dans mon placard et il n'y avait aucune question à se poser. A Poudlard, il y avait des règles. Il y avait les profs. Même si je passais mon temps à déroger au règlement, on était jamais livré à nous-mêmes. Même Snape faisait attention à moi. Surtout Snape d'ailleurs. Maintenant que je suis avec Ginny… Elle fait attention à moi mais ce n'est pas pareil. C'est ma fiancée. Ma femme. Pas ma mère ou mon père… Enfin bon, c'est la vie. Je vais me débrouiller encore. J'imagine que ça ne doit pas être plus compliqué que de battre Voldemort si les autres y arrivent…
Severus avait ressenti de la compassion pour le garçon. Mais il s'en sortirait. Il n'avait pas vraiment de doutes là-dessus. Il était temps qu'il rentre chez lui. Il allait se préparer à transplaner quand Potter s'écria, baguette déjà à la main et prêt à se battre :
_ Qui va là ? Je sais que vous êtes là ! Montrez-vous !
Severus soupira et réapparu d'un Finite.
_ Du calme, monsieur Potter. Ce n'est que moi. Et je ne vous ennuierai pas plus longtemps. Au revoir.
« Adieu » finit-il en pensée.
_ Attendez !
Severus s'arrêta sans se retourner.
_ Est-ce que… ça vous dirait de boire un verre avec moi ?
Severus se retourna à demi en haussant un sourcil.
_ Inutile de payer une boisson. Dites-moi directement ce que vous voulez.
Harry fronça les sourcils.
_ Rien… Enfin je veux juste discuter… S'il-vous-plaît. On a jamais vraiment discuté après tout. Je ne vous ai jamais… remercié pour ce que vous avez fait et… Je ne me suis jamais excusé de vous avoir traité de lâche non-plus et… Il faut qu'on parle. S'il-vous-plaît.
Severus hésita. Sans le regarder, il répondit vaguement :
_ Il n'y a rien à dire monsieur Potter.
_ Je crois qu'il y a beaucoup à dire au contraire. S'il-vous-plaît. Ça faisait longtemps que je voulais vous le demander mais…
_ Mais ?
_ Mais je n'ai pas osé venir vous voir en personne. Avoua-t-il. J'avais peur de vous déranger.
Severus retint un rire amer. Le déranger ? Lui qui n'avait absolument rien fait depuis la bataille finale ? N'importe quel « dérangement » aurait été le bienvenu. Mais Potter n'avait pas à savoir qu'il était si pathétique.
_ Bien, c'est d'accord. Ce soir ?
_ Oui, si vous êtes libre.
Severus acquiesça.
_ Bien alors… Les 3 balais à Pré-au-lard ?
Severus grimaça.
_ S'il le faut.
_ 20h ?
Severus acquiesça et transplana.
Une fois chez lui, il supposa qu'il se devait au moins d'être présentable par respect pour Harry et alla donc essayer de faire quelque chose de l'immonde tas de chair et de poils qui lui servait de corps.
Lorsqu'il arriva devant les Trois Balais à 20h tapante, Severus s'aperçu d'un coup d'œil dans le pub qu'il était le premier. Il n'osa pas rentrer. Les coups d'œil des passants dans la rue suffisaient à lui donner envie de transplaner le plus vite possible quelque part où plus personne ne le verrait, ou de vider sans sommation la fiole de sommeil sans rêve qu'il avait toujours dans la poche de sa longue robe. Mais il n'en fit rien. Connaissant Potter, il aurait dû savoir que ce dernier ne serait pas ponctuel. Il se recula dans un coin sombre, là où les vendeurs gardaient leurs poubelles, et se fit le plus petit possible. « Si Potter n'est pas là dans un quart d'heure » se dit-il, « je rentre chez moi ».
Quatorze minutes plus tard très exactement, alors que Severus se sentait aussi en colère que blessé de s'être fait posé un lapin et n'aspirant plus qu'à boire sa potion en paix, Potter apparu enfin. Etrangement soulagé, Severus se montra. Potter lui adressa un petit sourire.
_ Bonsoir, dit-il. Désolée pour le retard. Ma fiancée ne voulait pas me laisser partir.
Il avait dit sa dernière phrase sur le ton de la plaisanterie mais Severus comprit à demi-mots que la dite fiancée lui avait sans doute fait une scène de ménage parce qu'il était venu boire un verre avec lui. Ginny Weasley, il en était conscient, ne le portait pas dans son cœur. Personne ne le portait dans son cœur en fait.
Une fois assis, après avoir commandé chacun un verre de whisky pur feu, il y eut un silence. Harry ne savait visiblement pas comment démarrer la conversation et Severus se contentait d'attendre. Après tout, ce n'était pas lui qui avait tenu à avoir cette discussion.
_ Alors, comment allez-vous ? Demanda Harry d'une façon horriblement banale.
_ Je vais.
_ Je sais que vous ne travaillez plus à Poudlard. Qu'est-ce que vous faites maintenant ?
_ Rien.
_ Rien ? Mais… Avec quoi vivez-vous ?
_ La pension des anciens combattants du ministère. J'ai été suffisamment blessé pour y avoir droit.
_ Mais ça fait seulement une centaine de gallions par mois… Même pas un quart de salaire…
_ ça me suffit.
Il y eut un nouveau silence. Chacun d'eux plongea dans son verre.
Severus regardait autour de lui. L'atmosphère du pub n'avait pas changé depuis son adolescence. Il y avait d'ailleurs rarement remis les pieds depuis. Avec Albus quelques fois. Avec Lucius, Narcissa et Bellatrix après le retour de Voldemort. Avec Minerva et Flitwick aussi pendant les sorties à Pré-au-Lard…
_ Je suis désolé. Lâcha Harry.
Severus reporta son attention sur lui.
_ Je suis désolé de la façon dont je vous ait traité et considéré pendant toutes ses années. Depuis le début en fait, j'ai toujours reporté la faute sur vous et j'en suis désolé. Vous n'êtes responsable de rien de ce que j'ai pu vous reprocher. Je ne vous demande pas de me pardonner mais…
_ Assez monsieur Potter, soupira Severus avec lassitude. Vos excuses sont tout à fait inutiles et non-avenues. J'ai joué suffisamment correctement mon rôle pour que vous y croyiez. C'était le but recherché. Il n'y a rien de plus à en dire.
_ Mais même avant que je sache que vous avez été mangemort je…
_ Personne depuis votre mère ne m'a jamais regardé autrement que de la façon dont vous l'avez fait toute votre scolarité. Vous n'avez pas à vous excuser d'une réaction naturelle envers un… être tel que moi.
Il y eut un nouveau silence. Severus replongea dans son verre pendant qu'Harry le dévisageait.
_ Quoi ? S'agaça Severus face à ce regard.
_ Je me disais juste que c'était triste que personne n'ait jamais vu en vous ce que vous êtes vraiment.
Severus haussa les sourcils.
_ C'est ce que je suis vraiment.
_ Quoi ? Mais non ! Vous n'êtes pas…
_ Un mangemort ? Un irascible personnage ? Un fieffé Serpentard ? Un meurtrier ?
Harry retint son souffle.
_ Je suis tout ça Potter.
Harry déglutit. Severus eut un rictus amer. Ils en arrivaient probablement déjà à la fin de la discussion. Bientôt, Potter trouverait une excuse à deux noizes pour s'enfuir. La vérité était toujours bien trop dure à entendre.
_ Mais vous m'avez sauvé la vie, répliqua finalement Harry. Plusieurs fois. Et vous avez risqué votre vie pour vous battre à nos côtés, alors même que plus personne n'avait confiance en vous.
_ Ce n'était pas un si grand sacrifice.
_ Pas un si grand sacrifice ? Vous avez risqué votre vie pendant des années !
_ Ma vie n'a jamais eu beaucoup de valeur, monsieur Potter.
_ Quoi mais…
_ Elle n'est pas comme la vôtre, précieuse dès la naissance, comme celle de votre père par son nom ou comme celle de votre mère par…l'amour que chacun lui a porté. Ma vie n'est rien d'autre qu'un outil.
« Jetable après utilisation » ajouta-t-il en pensée.
_ Pourquoi me dire tout ça ?
_ Sans doute parce que je n'ai plus rien à vous cacher. Vous avez vu mes souvenirs après tout.
« Et aussi parce que, demain, je serai mort » compléta-t-il intérieurement.
Harry fronça les sourcils. Il semblait chercher ses mots. Finalement il répondit :
_ Je dois quand même vous remercier.
_ Ce n'est pas nécessaire.
_ Je crois que si, monsieur.
Il y eut un nouveau silence pendant lequel une lutte de regard s'opéra entre leurs pupilles.
_ Si vous y tenez, capitula Snape.
Harry sourit.
_ Peut-être que vous devriez venir dinez un soir.
_ Je ne tiens pas à imposer ma présence à Ginevra Weasley.
_ Peut-être que nous pourrions trouver un moment pour déjeuner ensemble alors ?
Après un instant, Severus demanda :
_ Pourquoi faites vous cela monsieur Potter ?
_ Parce que j'aimerais bien vous parler plus souvent. Répondit naturellement Harry en haussant les épaules.
Severus haussa un sourcil.
_Je n'ai pas envie de plaisanter Potter.
_Je ne plaisantais pas monsieur. Aussi étrange que ça puisse paraître, ça me fait du bien de parler avec vous.
_Vraiment ? Pourtant vous ne manquez pas de gens à qui parler Potter.
_ Oui mais avec vous, c'est différent. C'est sans doute pathétique mais, d'une façon ou d'une autre, vous avez été une sorte de guide dans ma vie.
_Bien moins que ne l'ont été le professeur Dumbledore, Black ou Lupin.
_Dumbledore, Sirius et Rémus sont morts vous savez. Mais vous, vous êtes encore là.
Harry finit son verre rapidement et se leva.
_ On se dit 13h au chaudron Baveur demain ? Merci beaucoup pour ce soir. Ça m'a fait vraiment plaisir de vous voir.
Harry transplana et Severus se retrouva seul, éberlué par la tournure de la conversation.
Dans sa poche, il caressa la fiole de potion de sommeil. Il ne savait pas vraiment pourquoi Potter cherchait à le voir. Il n'attendait d'ailleurs rien de lui. Il hésitait même à se rendre à ce déjeuner le lendemain. Potter se lasserait vite de la lubie de discuter avec lui. Potter n'était pas son ami. Il n'avait pas d'ami.
Cette potion en revanche…
