arrive en roulant Bonjour, bonsoir ! Me voici avec ma participation à l'évènement de printemps du Forum Francophone MHA ! J'avais tiré le conte de Snégourotchka, que j'ai repris avec un Dadzawa et une babyEri, le tout dans un UA!cultivation tel que présenté dans les Xianxia. Normalement, pas besoin de trop savoir ce que c'est, mis à par que ça implique de pouvoir apprendre à faire une sorte de magie et, pour les meilleurs, d'atteindre l'immortalité.

Sur ce, je vous laisse et bonne lecture ! disparais en roulant


De nombreux secrets se cache dans les sommets enneigés de la montagne aux ancolies. Très peu d'entre eux atteignent les vallées voisines et moins encore deviennent autre chose que de jolies histoires, de drôles de rumeurs. Les habitants de ces vallées parlent d'un chien doué de parole, d'ancolies scintillant sous les rayons de lune, de nuages où se serait enfuit des amants condamnés à ne pouvoir vivre ensemble. Cependant, la vie ici est si paisible, si douce, que de nombreux villages fleurissent les uns après les autres, sans que personne ne craigne cette étrange montagne.

Au fil des années, nombres de cultivateurs, éminents comme oubliables, entendent parler de cette montagne. Nul ne tente de la gravir. Nul, excepté un homme, dont on raconte qu'il aurait médité tant et tant qu'il en serait devenu immortel, et un vieillard, les os tassés et le corps fatigué.

Ils arrivent un matin, cherchant la montagne aux ancolies. Ce même matin, ils commencent une longue ascension. Leur silhouette sont avalés par les arbres à mesure qu'ils avancent sur le long des parois rocheuses.

Ils deviennent l'un des nombreux secrets de la montagne, murmurés entre voyageurs passé le couché du soleil, mis en musique pendant les fêtes et contés par quelques âmes perdus.

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Au sommet de la montagne se tient une clairière dans laquelle ont été bâtis plusieurs bâtiments ; quelques maisons, un temple et ce qui semble être une école. Tout est décrépis, percés de trous par lesquelles la neige s'infiltre, comme pour étendre encore davantage son territoire.

Les deux cultivateurs s'installent dans le bâtiment le moins en ruine et le remettent en état en quelques semaines. Enfin, il serait plus juste de dire que le plus en forme, Shota, se charge des travaux, tandis que l'autre, Hizashi, reste à l'intérieur, couché sous de chaudes couvertures.

À la nuit venue, Shota rejoint Hizashi et tout deux s'endorment l'un contre l'autre. Au matin, Shota prépare le petit déjeuner, le mange avec Hizashi, sort de longues heures durant, puis revient le soir, les mains vides et le corps gelés.

« Shota… Tu en as assez fait. »

Instantanément, Shota se crispe. Contre lui, Hizashi respire doucement, si doucement qu'il aurait été facile de le croire déjà mort.

« Je dois continuer. »

Shota le doit parce qu'il l'a promis, il y a de ça soixante ans maintenant, promis de tout faire pour Hizashi. Pendant des siècles, son immortalité a été son malheur, le prix trop lourd du sacrifice d'un autre, une récompense dont il se serait bien passé. Et puis, soixante ans en arrière, au détour d'une chasse nocturne, il a rencontré Hizashi. Hizashi, jeune et inexpérimenté. Hizashi, avec son franc parlé et son cœur pur. Hizashi, qu'il n'a plus quitté depuis. Hizashi dont les bases de cultivation sont bancales, imparfaites. Hizashi qui jamais n'aurait pu devenir immortel.

Pourtant, des rumeurs disent qu'au sommet de la montagne aux ancolies se trouve une fleur d'un jaune bleuté capable de guérir tous les maux, dont la vieillesse. Cette fleur est la raison de leur présence. Parce que Hizashi est tout. Parce que Shota a besoin de lui.

« Shota… Je comprends, tu sais que je comprends, mais je t'en pris, arrête. Rien ne nous dit que cette fleur existe réellement. Je n'en ait plus pour très longtemps. Je te veux avec moi, pas dehors dans la tempête. »

Shota soupire. Il sait qu'il s'acharne, que ce n'est pas bon. Il voudrait tant ne pas être immortel et pouvoir vieillir et mourir avec Hizashi. C'est idiot. Il serait mort bien avant qu'ils ne puissent se rencontrer si tel était le cas et pourtant…

Mais Shota aime Hizashi. Et si son dernier souhait est de passer le temps qu'ils leur reste ensemble, alors ainsi soit il.

« D'accord. Si c'est ce que tu veux, d'accord. »

Hizashi se presse un peu plus contre lui.

« Merci. »

Quand Hizashi s'endort, que Shota sent son corps se relâcher contre le sien, il ne peut retenir ses larmes.

Un jour, Hizashi ne se réveillera pas.

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Un jour Hizashi ne se réveille pas.

Shota l'enterre, dresse la stèle la plus splendide qui soit, parce que c'est Hizashi, parce qu'il mérite – méritait – les merveilles du monde entier, et Shota reste agenouillé devant cette stèle des semaines durant. La privation d'eau et de nourriture ne lui est pas mortel, pas sur une si courte période mais il en demeure affaibli.

Pendant les interminables heures qu'il passe à fixer la pierre, les yeux brouillés par les larmes, il se rappelle de chaque instant, de chaque rire, de chaque discussion, de chaque silence.

Hizashi aime – aimait – les enfants. Il a – avait – toujours voulu en avoir. C'est lui qui instruisait les jeunes disciples au sein de sa secte jusqu'à leur départ.

Sûrement que Shota ne devrait pas faire ça. Jouer avec la vie et la mort ne peut mener qu'au désastre. Pourtant Shota est désespéré, seul. Sans Hizashi à ses côtés, plus rien ne semble avoir de sens. Alors il rassemble la neige qui tombe incessamment, façonne un corps, taille un visage, retire sa robe extérieur pour envelopper la forme et, d'une pression de la main, lui insuffle son qi et lui donne vie.

La forme – la petite fille – ouvre les yeux et plonge son regard dans le sien.

« Bonjour. »

Elle regarde Shota plus intensément et répète après lui.

« Bonjour ? »

Il hoche la tête et lui attrape doucement les mains.

« Je m'appelle Shota, je suis ton père.

- Mon père ? »

Il hoche à nouveau la tête.

« La maison là-bas, c'est chez nous. J'y vis depuis quelques temps avec – »

Non, pas avec, plus maintenant, mais la petite ne le sait pas et demande.

« Avec qui ? »

Shota déglutit alors que les larmes montent.

« Avec l'homme de ma vie, avant qu'il ne… Regarde la pierre noir, c'est là qu'il est maintenant. »

La petite regarde puis hoche la tête. Elle repose ses yeux sur Shota. Il a l'impression que ces grands yeux innocents voient les tréfonds de son âme et le moindre de ses travers sans pour autant y trouver quoi que ce soit à redire.

« Comment je m'appelle ? »

Oui, elle a besoin d'un nom, un joli nom pour une jolie fille. Mais que doit-il choisir ? Il a toujours été très mauvais à ça. Mais pas Hizashi. Et Hizashi parle – parlait – toujours beaucoup, notamment de ce qui pourrait être, comme des enfants qu'ils pourraient avoir, tous les deux. Et quand il évoque – évoquait – une fille, il l'appelle – l'appelait –

« …Tu t'appelles Eri. »

Eri sourit et répète, avec une assurance que ses précédentes phrases ne contenaient pas.

« Je m'appelle Eri ! »

Le cœur en miettes de Shota semble un peu se recoller en l'entendant.

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Les premiers jours se passent bien. Eri et Shota apprennent à se connaître. Shota craint qu'elle n'ait pas de caractère propre, à la voir passer son temps à apprendre et découvrir le monde sans véritablement montrer d'émotions mais c'est encore trop tôt pour être sûr. Elle n'a pas encore les moyens de forger sa personnalité. Shota espère que ça viendra.

En attendant, il lui apprend à lire, à écrire, à s'habiller, à jouer de la cithare. Eri apprend vite mais elle n'ose pas prendre d'initiative. Un matin, Shota l'a trouvé assise face à la porte de la bibliothèque sans oser entrer. Un autre jour, elle s'est arrêté et a fixé le dehors pendant presque dix minutes avant que Shota ne l'autorise à aller jouer. Il ne sait pas si ce sont les premiers signes de son future caractère ou simplement qu'une création ne peut avoir de libre arbitre.

Shota lui aménage une chambre dans une pièce inutilisée. Il bouche les trous aux murs, ajoute une porte coulissante vers l'extérieur et améliore l'isolation. Le reste de leur maison, à l'exception de la chambre de Shota, qui l'est d'avantage, est peu chauffé, pour qu'Eri ne soit pas en danger, mais il doit faire attention à ce qu'elle ne fonde pas. Il veut qu'elle ait sa chambre et qu'elle puisse s'y sentir bien et au frais.

Un après-midi, pendant une leçon de cithare, Shota se demande.

« Tu te sens bien, ici, Eri ? »

Eri relâche les cordes et se tourne vers lui.

« Je ne sais pas. Je ne sais pas ce que ça fait de se sentir bien ou de ne pas se sentir bien. Mais j'ai envie de rester ici.

- C'est tout ce qui compte. »

Elle hoche doucement la tête et se remet à jouer son morceau.

Shota veut la prendre dans ses bras. Il ne peut pas. Son corps est trop chaud et donc trop dangereux pour elle.

Il cache ses doigts bleuies de froid sous ses manches et se reconcentre sur la leçon.

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Eri est douce. Douce quand elle gratte les cordes de sa cithare. Douce quand elle ouvre et ferme les portes sans bruit. Douce quand elle accroche ses petites mains aux manches de Shota. Douce quand elle parle sans oser élever la voix.

« Papa, pourquoi y a que nous dans le village ? »

Shota dépose sa hache et abandonne ses bûches à moitié coupées. Eri est assise dans l'entrée de l'ancienne école, à quelques pas de lui, et tient ce qui ressemble à une épée spirituelle brisée. Ses mains touchent prudemment la lame alors que ses grands yeux interrogateurs sont posés sur Shota.

« Je ne sais pas. Quand Hizashi est moi sommes arrivés, tout était déjà dans cet état.

- Et personne n'a envie de revenir ? »

Shota va s'asseoir à côté d'elle, sentant que la conversation risque de durer.

« Plus personne ne sait qu'il y a un village ici, alors personne ne peut avoir envie de revenir.

- Mais toi et Hizashi, vous êtes quand même venus. »

Shota hoche la tête. D'ici, il peut voir la stèle sous laquelle repose son amour. Cette vision n'est plus aussi douloureuse qu'elle l'était au début. La douleur s'est estompée pour laisser place à une amer nostalgie.

« C'est une histoire un peu longue, ça t'intéresses ? »

Les yeux d'Eri paraisse étinceler tandis qu'elle hoche vigoureusement la tête.

« Je ne vieilli pas, contrairement aux autres humains. C'est grâce au travail que j'ai fourni dans ma jeunesse et aussi grâce à un ami. J'ai vécu quatre cents treize ans mais la plupart des humains ne vivent pas plus de quatre-vingt ans, certains un peu plus, d'autres un peu moins. Hizashi était de ceux-là. On s'est rencontré il y a soixante sept ans. Moi, j'errais de village en village en m'occupant de problèmes que les civils ne pouvaient pas régler eux-mêmes, comme des fantômes ou d'esprits féroces. »

Des mains froides se posent sur son bras et, un instant, Shota craint qu'Eri ne soit en contact avec son corps trop chaud. Heureusement, ses robes forment un rempart de tissus entre eux alors qu'Eri se penche vers lui, comme pour mieux entendre, l'épée abandonnée à côté d'elle.

« Hizashi aussi faisait ça, c'est comme ça qu'on s'est rencontré. Il faisait partie d'une secte mineur et n'avait pas participé à beaucoup de chasses nocturnes. Il s'est retrouvé dépassé et je l'ai aidé. J'ai fini par rejoindre sa secte et on ne s'est jamais quitté. Au bout de quelques décennies, Hizashi est devenu trop vieux pour vivre seul ou s'occuper des disciples. Il était plus fragile, il tombait facilement malade. »

Lentement, tandis qu'il parle, les nuages recouvrent le ciel et des flocons en tombent paisiblement.

« Il y a beaucoup de légende qui circulent sur cette montagne. On raconte qu'il n'y a qu'ici que pousse une fleur qui peut tout guérir. Si j'avais pu la trouver, Hizashi aurait retrouver sa jeunesse et il serait aussi devenu immortel. »

La mine d'Eri s'est assombri à la fin de l'histoire.

« C'est pour ça qu'Hizashi est sous la pierre noire maintenant ? »

Shota hoche la tête.

« Et la fleur elle ressemble à quoi ?

- À une ancolie jaune bleutée.

- Une ancolie ?

- Comme les fleurs qui poussent près du ruisseau. »

Eri hoche la tête avec un air sérieux sur le visage. Shota peut presque voir ses méninges s'activer pour retenir l'information. Il a soudain envie de pouvoir passer sa main dans les cheveux de sa fille et de les ébouriffer gentiment.

« Mais ça veut dire que personne sait que toi et Hizashi vous êtes ici ?

- Eh bien, non. Mais personne n'a jamais quitter cette montagne, alors les gens ont peur d'y aller. »

Eri fronce les sourcils.

« On peut pas partir ? »

Shota hausse les épaules.

« C'est ne sont que des légendes. Les sentiers sont très escarpés, beaucoup de voyageurs ont dû avoir des accidents, c'est tout. »

Eri hoche la tête. Puis ses yeux ballaient la clairière dans laquelle se trouve rassembler tous les bâtiments avant de s'arrêter sur la stèle.

« Si on lui ramène des mancolies, ça lui fera plaisir à Hizashi ? »

Shota sourit en entendant Eri écorcher le nom des fleurs. Il ne la corrige pas. À la place, il hoche la tête.

« Oui, beaucoup. »

Eri se tourne vers lui et un grand sourire prend place sur ses lèvres.

« Alors faut qu'on y aille maintenant, sinon après il fera nuit et faut pas être dehors quand c'est la nuit. »

Et elle se lève, ses mains serrées sur les manches de son père, et le tire derrière elle. Il se laisse faire tandis que leurs pas crisses en un rythme régulier sur la neige fraîche.

Quand ils déposent des ancolies roses sur la tombe d'Hizashi une heure plus tard, Shota se dit que ces deux là se seraient adorés s'ils avaient pu se rencontrer.

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« Papa ? »

Sans détourner ses yeux du rouleau sur lequel il travaille, Shota répond.

« Oui ?

- Pourquoi je suis pas comme toi ? »

Surpris, délaissant son rouleau, Shota se tourne vers sa fille. Elle est assise non loin de lui, un livre posé devant elle, ses sourcils légèrement froncés et une moue confuse sur le visage.

« Dans quel sens ?

- Pourquoi j'ai pas de cheveux, ni de peau ? Et pourquoi je suis pas tiède ? »

Eri ne le regarde pas. Elle se triture doucement les doigts, les mains posées sur ses cuisses.

« C'est parce que tu n'es pas comme les autres. »

Eri fronce un peu plus les sourcils. Elle lève la tête et Shota peut voir la confusion dans ses prunelles givrées. Il poursuit.

« Les humains naissent normalement d'une mère et d'un père, quand deux personnes qui s'aiment veulent un enfant. »

Il n'entre pas dans les détails, ne dit pas que l'amour n'a que peu de chose à voir là-dedans, que c'est avant tout quelque chose de physique. Elle n'a pas besoin de le savoir.

« Mais toi, tu es née quand j'ai construit un bonhomme de neige et que je lui ai insufflé de l'énergie. »

Eri émet un vague bruit de confirmation. Elle n'a pas l'air de bien comprendre mais il peut difficilement l'exprimer autrement. Il réfléchit, cherche à trouver une autre façon de le formuler, quand Eri poursuit.

« Mais c'est aussi une question d'amour ? C'est parce que toi et Hizashi voulaient que je naisse que je suis là ?

- …Oui, c'est ça. »

Hizashi est mort trop tôt pour connaître Eri mais Shota sait qu'il l'aurait aimé tout autant Shota l'aime, si ce n'est plus. Il est mort trop tôt pour même savoir qu'ils auraient pu être pères à deux. Il est mort trop tôt mais Shota arrive aujourd'hui à y voir autre chose que de la peine. Si Hizashi était resté à ses côtés, jamais Eri n'aurait vu le jour. Il a fallut à Shota un malheur pour trouver un nouveau bonheur. D'une certaine façon, c'est un peu comme un dernier cadeau qu'Hizashi aurait laissé derrière lui.

« Mais on peut jamais se toucher… »

Eri baisse tristement les yeux. Shota sent son cœur se serrer.

« Et tu voudrais que ce soit possible ? »

Eri hoche vigoureusement la tête.

« Dans les livres, les parents se promènent en tenant leurs enfants par la main et ils leur font des câlins s'ils font des cauchemars. »

Shota se décale pour s'asseoir plus prêt d'elle. Il rabat ses mains sur ses mains et dépose une main dans ses cheveux de poudreuse avant de les ébouriffer.

« Moi aussi j'aimerais que ce soit possible. Mais si je faisais ça, tu risquerais de fondre. Et je ne veux surtout pas te perdre. »

Eri hoche la tête. Shota voit bien qu'elle voudrait se réfugier dans ses bras. Lui aussi aimerais la serrer contre lui, au moins une fois.

Il voit qu'elle recroqueville sa tête entre ses épaules. Il attrape le livre encore ouvert sur la table et en commence la lecture. Eri se détend peu à peu alors qu'elle se laisse emporter par l'histoire et le cœur de Shota s'apaise.

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Parfois, quand Papa est occupé ailleurs, Eri se rend sur la tombe d'Hizashi avec des fleurs. Elle fait attention à en prendre beaucoup mais pas trop pour ne pas qu'elles se retrouvent écrasées dans ses bras. Elle fait aussi attention à changer de variété à chacune de ses visites. Elle ne veut pas qu'Hizashi se lasse. Elle prend ensuite le temps de les arranger correctement autour de la pierre noire et, une fois satisfaite de son œuvre, s'assoie en face.

Parfois, elle prend sa cithare et joue pour ce deuxième père qu'elle n'a jamais vu. Parfois, elle prend un livre, l'un de ceux qu'elle préfère, et reste là à lui faire la lecture pendant des heures. Parfois, elle s'assoie et lui parle, imagine comment il était.

Shota parle beaucoup de lui mais paradoxalement, en raconte si peu. Elle sait qu'il lui manque et que c'est pour ça qu'il ne peut pas toujours parler de lui. Il lui manque à elle aussi.

Ce jour-là, Eri est venue avec des camélias presque aussi blancs que la neige qui tombe du ciel. Elle les arrange, récupérer les chrysanthèmes fanés et s'assoie, le dos droit. Elle inspire profondément et laisse ses yeux parcourir les gravures sur la pierre.

« Hier, Papa m'a dit que tu connaissais beaucoup de chansons. Il a essayé de me montrer mais c'était pas très bien fait. Il dit que je chante aussi bien que toi alors je voulais te faire écouter, sauf que je connais qu'une seule chanson. Je me suis dit que tu l'avais déjà entendu plein de fois. »

Elle s'emmêle et se démêle les doigts. Puis, son visage se fait plus sérieux et son cœur s'emplit de détermination.

« Alors je me suis dit que j'avais qu'à en inventer une rien que pour toi ! »

Elle brandit son carnet fait à elle.

« J'ai tout préparé ! »

Ses mains s'abaissent. Elle ouvre le carnet sur son giron et s'apprête à écrire.

« Je pensais que je pourrais parler des fleurs mais comme je sais pas c'est laquelle ta préférée, j'ai changé d'avis. Je veux parler de toi ! Comme ça je pourrais te dire tout plein de choses. Comme, euh… ma couleur préféré ? »

Elle penche la tête sur le côté, incertaine. Peut-être pourrait-elle trouver quelque chose de plus intéressant. Elle poursuit tout de même.

« Et toi tu pourrais répondre ! Papa parle souvent de toi mais c'est pas vraiment pareil. »

Elle se met à écrire prudemment, réalise chaque geste avec une précaution infinie. Une fois une première page noircie, elle sourit et baisse timidement les yeux, comme si regarder la pierre serait comme regarder Hizashi droit dans les yeux.

« Moi je pense que ça serait super cool. »

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« Dis papa…

- Papa. »

Eri cesse de regarder les lièvres et se tourne vers Shota. Sa moue boudeuse est traversée par un grand sourire qu'elle essaie de contenir.

« C'est pas drôle ! »

Shota sourit. Il n'a jamais prétendu avoir un bon humour.

« Oui, je sais. Tu disais… ? »

Eri tourne la tête vers les lièvres qui courent dans la clairière, leur pelage aussi immaculé que la neige qu'ils traversent.

« Dans le monde dehors, est-ce que tout est aussi blanc ? »

Shota secoue la tête.

« Non. Il ne neige pas souvent et, même quand ça arrive, la neige fond assez vite. Les animaux ont plutôt des poils marrons ou noirs, pour se cacher plus facilement. C'est un peu pareil pour les fleurs, elles sont beaucoup plus coloré dehors. »

Ici, sur la montagne, il n'y a guère que le bois et les ancolies qui ne sont pas blancs. Tout le reste varie d'un blanc pur à un blanc cassé ou grisâtre.

« Et c'est les mêmes animaux ?

- Certains oui, d'autres non. On croise des lapins ou des lièvres en bas, mais moins. Les autres animaux, des bêtes plus grosses, les mange alors ils sont moins nombreux.

- C'est quoi les grosses bêtes ?

- Hmm, les plus grandes font peut-être la taille de la maison, avec de longues griffes et des dents pointues.

- Oooh. Mais alors, comment ils font les humains d'en bas ? Si les grosses bêtes chassent des lapins, elles peuvent chasser des humains, non ?

- Oui, c'est pour ça que les humains construisent des barrières autour de leurs villages et allument des feux pour faire peur aux bêtes.

- Et ça marche bien ?

- Très bien. Ça leur sert aussi à s'éclairer la nuit. »

Eri hoche la tête, de cette manière particulière qui montre qu'elle fait en sorte de se rappeler de cette nouvelle information. Puis elle penche la tête sur le côté, ses sourcils se froncent et Shota sent la question venir avant qu'elle ne soit prononcé.

« C'est quoi le feu ?

- C'est le contraire de la neige. C'est chaud, ça la fait fondre et ça peut se propager sur de très grandes distances et même tuer.

- Donc c'est dangereux ?

- Parfois. Bien utilisé, le feu peut sauver des vies mais entre de mauvaises mains, il peut faire des désastre. »

Eri hoche la tête et sa prochaine remarque prend Shota par surprise.

« Un peu comme la glace. »

Elle regarde Shota, ses grands yeux curieux et innocents en quête de confirmation. Il acquiesce.

« Oui, comme la glace. »

Nombreux sont ceux qui se sont aventuré dans le froid sans y être préparé et en ont payé le prix fort. Nombreux sont ceux qui ont pu apaiser des brûlures et se rafraîchir grâce à elle.

Un peu comme Shota.

Comme Shota qui a façonné un pansement glacé pour son cœur meurtri, pour apaiser la douleur déchirante d'une plaie trop récente.

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Un certain après-midi de printemps, Shota entend une voix chanter. Reconnaissant Eri, il tend l'oreille et s'approche. Elle est assise près de la tombe d'Hizashi, sa cithare sur les genoux, sa voix planant dans l'air.

Shota s'adosse au pilier d'une vieille bâtisse, ferme les yeux et se laisse bercer.

Il n'a pas appris cette chanson à Eri, cette mélodie aux airs d'été et ces paroles aux accents d'espoir et de rêveries. Il sourit en comprenant.

Il ignore depuis combien de temps sa fille travaille dessus mais il peut affirmer sans mentir qu'il n'a jamais rien entendu de plus beau.

Hizashi, où qu'il soit en cet instant, danse sûrement de bonheur au rythme calme des notes qui s'enchaînent.

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Un soir d'hiver, une seconde pierre prend place à côté de celle d'Hizashi. Elle est légèrement plus petite, légèrement mieux taillée. Alors qu'il l'installe, Shota sent les lambeaux de son cœur disparaître dans le sol.

Eri repose désormais aux côtés d'Hizashi.

Shota ne parvient plus à bouger. Ses muscles sont dépourvus de forces. Sa tête est vide de pensées. À chaque fois qu'il ferme les yeux se rejoue sous ses paupières un spectacle macabre.

La maison en flammes, la chaleur trop vive, les allumettes qui n'aurait jamais dû se trouver là. Et Eri… Eri qui ne savait pas, qui ne pouvait pas savoir, qui pensait bien faire. Eri qui n'a même pas eut le temps de crier. Le brasier a finit par s'éteindre de lui-même après avoir consumé tout le bois.

Après la mort d'Hizashi, Shota a cru ne plus jamais pouvoir aimer. Il a cru que son cœur était brisé en trop petits fragments pour cela. Eri lui a prouvé le contraire.

Mais maintenant…

Maintenant il n'y a plus ni cœur ni morceaux à recoller pour en reformer un.

Le poids des années l'écrase. Les souvenirs l'accablent.

Shota souhaiterait pouvoir périr à son tour, rejoindre ceux qui ont illuminé sa morne existence. Il souhaiterait passé dans l'autre vie et voir Eri et Hizashi se rencontrer. Il souhaiterait tant de choses qu'il ne peut obtenir.

Car si le temps est immuable et incessant, il s'est détourné de Shota depuis des siècles, des siècles durant lesquels il a apprit que rien, jamais, ne le délivrerait de ses tourments.

Aujourd'hui comme demain, comme chaque jour qui suivra, Shota sera présent, condamné à survivre parmi des souvenirs d'un temps depuis longtemps révolu.

Jamais il n'oubliera.

Et jamais il ne guérira.