La chanson coréenne mentionnée est un solo de Jungkook (membre du groupe BTS) nommé "Still With You". Un véritable coup de coeur pour ma part... et celles des millions de personnes qui l'ont écouté depuis sa sortie l'année dernière. Si vous êtes stressés par la vie, donnez une chance à cette chanson facilement retrouvable sur Youtube et compagnie. Je n'ai jamais lu de retour négatifs pour ma part, ce qui prouve le miracle de paix qu'inspire cette musique ainsi que l'unanimité des internautes sur la qualité de la voix du chanteur.

Dîtes-moi vos impressions en commentaires ;)


11h30

Aéroport privé de UCHIWA Corporation,

Tokyo,

À travers le hublot ovale, Itachi prédit qu'il ferait une chaleur d'enfer une fois à l'extérieur des confins climatisés de l'avion privé. Le boucan habituel suivant l'annonce de l'atterrissage le divertit le temps nécessaire pour ressasser les points clés à aborder lors de son rendez-vous imminent avec les ambassadeurs d'Arabie Saoudite. Afin de sceller le deal à plusieurs millions de dollars avec la puissance arabe, il s'était désigné comme leur interlocuteur clé. Un engagement qu'il s'était évertué à tenir durant les trois dernières années de négociations. La signature de ce marché participerait au rayonnement du pays du soleil levant sur le plan mondial. Il était question d'un accord sans précédent qui leur permettrait d'ancrer plus profondément le statut de référence mondiale en high tech de la holding internationale dont il avait officiellement hérité à la retraite de son père.

Les intendants lui ayant tenu compagnie durant l'entièreté du vol s'inclinèrent par rangée de deux. Il avança vers la porte de sortie où l'y attendait déjà le capitaine de l'équipage, Kisame HOSHIGAKI. Les bras musclés de l'ancien NAVY reconvertit se dessinait sous l'uniforme standard de la ligne aérienne. Sa posture rigide contrastait avec le sourire familier qu'il lui adressa. Le capitaine avait été un employé fidèle de sa famille aussi longtemps qu'il s'en souvienne du haut de sa trentaine. Les deux hommes échangèrent néanmoins des salutations polies ; hochements de têtes et inclinaisons légères de tête à l'appui. Itachi prit note de lui envoyer une de ses meilleures bouteilles de Château Rothschild. Loin d'avoir le gosier en pente, Kisame ne refusait néanmoins jamais les délicatesses ponctuelles de ses employeurs.

Itachi observa le second comité d'accueil aux allures militaire qui l'attendait en bas des escaliers, sur la piste d'atterrissage. Il regretta de n'avoir pas consommer une dose de plus de caféine. Les dernières soixante-douze heures passées à l'étranger laissaient un sentiment inhabituel, amer, dans sa bouche. Peu critique de son emploi du temps chaotique, il s'étonna de rêver d'un retour dans son appartement froid en béton. La vision imaginaire du duvet de son lit et le velours de son oreiller le séduisaient avec une force abrupte, germe étrange d'une fatigue pourtant fréquente et souvent excédée.

Sa mortification le sortit de ses pensées. Voilà une journée de plus durant laquelle le décalage horaire entre la mégalopole japonaise et New York combiné à la chaleur suffocante ambiante l'empêcherait de se reposer sur ses deux oreilles dans la soirée. Il traversa la piste, suivit son chef de sécurité et s'engouffra dans la première voiture, d'une longue file, à vitres teintées dont on ouvrit la porte. Son escorte prit place à l'avant près de son chauffeur du jour. Les épaules peu larges de ce dernier firent mouche mais sans plus. Il avait le dos droit, la silhouette fine et sa casquette noire professionnelle cachait la vue de son visage à travers le rétroviseur. Dès qu'il fut confortablement assis, les yeux d'Itachi se fermèrent sous le poids de la fatigue. La voiture était plus fraîche que ce à quoi il s'attendait. Il soupira de soulagement. Les effluves singuliers de thé vert provenant des sièges neufs lui ravirent même un léger sourire paisible. La voiture démarra sans son accord mais Itachi fut reconnaissant du silence qui perdura grâce à l'initiative du chauffeur.

Ils roulèrent pendant quelques minutes puis il entendit des bruissements de vêtements. Aériens mais présents tout de même. Des murmures les suivirent. On aurait dit que les deux hommes à l'avant avaient une discussion animée. Leur désaccord s'interrompit, d'ailleurs, par le son étouffé bien qu'identifiable de connexion entre un appareil téléphonique et les hauts parleurs du véhicule. Refusant de s'extirper à son impromptue séance de méditation, Itachi se contenta de faire la sourde oreille… Jusqu'à ce que des notes de Guqin s'élèvent timidement avec la douceur dont on envelopperait un nouveau-né. Les murmures s'intensifièrent. Il se contenta de grogner contre les voix perturbatrices en en s'enfonçant inconsciemment dans le support moelleux en contact avec son dos. Il ne se rendit pas compte de l'immense soupir de contentement qu'il lâcha lorsque seul la musique résonna dans la voiture. Les vrombissements réguliers des pneus du dernier modèle Prado de Toyota contre le bitume chaud contribuèrent à alourdir ses paupières.

— Nous arriverons à la destination dans une heure et demie, Monsieur. Nous vous réveillerons dans le parking souterrain…

Itachi ne se rappela pas avoir entendu de voix plus cajoleuse que celle qui tentait de le mener jusqu'aux portes du monde de Morphée. Elle était jeune, élaborée, presque taquine. Sa réponse incohérente se résuma à une faible protestation onomatopéique qui fit gentiment pouffer La VoixTM. Le son de la musique augmenta en même temps qu'une nouvelle chanson débuta. Suivant l'introduction au piano et à la guitare, les paroles coréennes d'une ballade chaleureuse se joua et eut raison de toutes ses résolutions.

[Nal seuchineun geudaeui yeoteun geu moksori]

[Nae ireumeul han beonman deo bulleojuseyo]

Le tintement des synthétiseurs complimenté par des accords de guitare omniprésents ressassant un ciel bleu estival de campagne, traversé à grande vitesse de train, supportaient la voix pure du chanteur. Le paysage rural qu'il s'imagina qu'ils traversaient actuellement pour rejoindre le centre-ville le plongea dans l'atmosphère paisible suggérée par la mélodie.

Ses paupières restèrent closes.

Les vitres teintées derrière lesquels il vivait gâcheraient son expérience sinon.

Il se laissa bercer.

Ses dernières secondes de conscience lui permirent de saisir les préliminaires d'un duo mielleux improvisé par le chauffeur et la superstar en fond sonore. Ses lèvres lourdes s'entrouvrirent à peine. Il voulait remercier cette âme altruiste, cette entité dotée du talent inimitable de l'arracher des griffes de ses travers insomniaques, de la corvée de sa quête paranoïaque de productivité.

Il sombra.


Une heure et des poussières plus tard, il fut réveillé par les appels incessants et inquiets de son garde du corps. Désorienté, il se redressa en sursaut.

— Monsieur, votre frère divertit vos rendez-vous de quatorze heures depuis trente minutes déjà, commença le colosse, soulagé. Ils vont bientôt demander d'après vous.

Itachi fronça les sourcils. Sa montre Piaget affichait 14h34. Trente minutes. Il était en retard, lui, le symbole de la ponctualité, de plus de trente minutes à un rendez-vous pouvant générer des centaines de millions de dollars au minimum à son entreprise. L'inquiétude de son garde lui parut évident, valable. Quelqu'un l'ayant fréquenté suffisamment longtemps se demanderait s'il n'avait pas fait une crise cardiaque en le voyant dormir alors que le moment n'était pas propice.

Ses yeux cherchèrent l'intérieur de la voiture sans succès. Aucun signe du chauffeur en vue. Il cligna des yeux une fois, puis deux. Avait-il rêvé la présence de cet ange pacifique ? Son garde du corps, alarmé de nouveau par son apparente immobilité, semblait prêt à composer le numéro des Urgences dans les secondes à venir. Itachi lui épargna cette peine. La durée de sa montée en ascenseur vers le bureau en verre situé au cinquantième étage de la tour UCHIWA lui servit à remettre ses idées en place. Sa petite sieste l'avait revigoré ; plus qu'il ne le pensait au départ en tout cas. Frais de propositions et de nouvelles idées, il se sentit prêt à affronter le reste de sa journée qui s'annonçait interminable.

L'image du dos du chauffeur mystère se perdit dans sa mémoire.


À suivre...