Passé et avenir (one shot Fugo et Narancia)
On ne peut pas dire que Fugo était en train de passer une bonne soirée. Les lumières colorées lui donnaient mal à la tête et l'atmosphère était étouffante. Il y avait bien trop de monde dans cette pièce. Il regardait les silhouettes bouger frénétiquement dans la semi-obscurité en s'appuyant contre le mur. Il voulait sortir d'ici mais il s'était promis de garder un œil sur son ami. Narancia balançait ses bras au rythme des basses au milieu de la pièce, s'intégrant parfaitement aux groupes d'étudiants qui dansaient un peu partout dans la maison. Contrairement à lui, Narancia pouvait danser en public sans aucune gêne, comme toutes les autres silhouettes dans la pièce. Fugo se sentit très seul, comme coupé du monde. Pourquoi n'arrivait-il pas à lâcher prise ? Pourquoi ne pouvait-il pas s'amuser comme tout le monde ici ?
Il commença à maudire Bucciarati de l'avoir obligé à accompagner Narancia. Le jeune homme lui avait donné comme mission de s'assurer que Narancia ne s'attire pas d'ennuis et ne prenne ni alcool ni drogue. Narancia n'était pas du genre à se tourner vers ces substances mais il était malheureusement trop influençable pour être laissé seul durant une nuit entière dans un endroit pareil.
Il faisait bien trop chaud à présent et son mal de tête s'amplifiait de seconde en seconde. Fugo leva les yeux vers la porte d'entrée qui semblait lui faire de l'œil mais il chassa cette idée de son esprit. Il avait une promesse à tenir. Il voulut rester encore jusqu'à ce que Narancia prenne une pause et puisse l'accompagner dehors mais il céda au bout de quelques minutes, se sentant bien trop faible pour rester dans la pièce dont l'odeur des cigarettes se faisait de plus en plus sentir. Il pouvait bien sortir prendre l'air pendant quelques minutes sans que Narancia ne s'attire d'ennuis, pas vrai ?
Ses premiers pas dehors furent comme une délivrance. Il laissa l'air frais de la nuit caresser sa peau, ébouriffer ses cheveux et remplir sa tête d'un presque-silence apaisant. Ses muscles se décontractèrent alors qu'il l'inspira longuement. Il se laissa choir contre le mur, près de la porte, à quelques pas d'un type au téléphone et d'une jeune femme qui vomissait les restes de son déjeuner avec une fougue que Fugo aurait jugé impressionnante si les circonstances en avaient été autrement.
Pourquoi Narancia avait-il autant insisté pour venir ici ? Que pouvait-il bien trouver d'intéressant dans un lieu à l'hygiène discutable où des jeunes gens au sang imbibé d'alcool bon marché et de on-ne-sait-quoi d'autre encore se déchainaient comme des possédés sur de grands bruits qu'ils osaient qualifier de musique au volume bien trop élevé pour être autorisé ? Fugo soupira. Il voulait rentrer chez eux. Narancia et Bucciarati leur en voudraient-ils s'il s'en allait maintenant ? Il repoussa cette question d'un geste. Après avoir pu constater de ses propres yeux l'état dans lequel était la maison et ceux qui participaient à la soirée il était hors de question qu'il laisse Narancia seul ici. De plus, Bucciarati lui faisait confiance. La musique avait changé deux fois depuis qu'il était sortis. Narancia était-il encore en train de danser ? Fugo se remis sur ses jambes, il devait retourner à son poste de surveillance.
Il était se dirigeait vers la porte lorsqu'il entendit des bruits de verre brisé et des cris que la musique n'avait pas réussi à masquer. Fugo jura et se jeta sur la porte d'entrée pour l'ouvrir d'un coup. Si Narancia était en danger c'était son rôle de le protéger. Il le vit tout de suite en entrant dans la pièce. Il se tenait près du mur et menaçait un type que Fugo ne connaissait pas, une bouteille brisée à la main. Evidemment, se dit-il, il fallait que le jeune homme soit responsable de toute cette pagaille. Fugo l'appela mais Narancia ne l'entendit pas, à moins qu'il n'eût choisi de l'ignorer. La musique ne s'étant pas arrêté, il eut du mal à comprendre ce qu'ils se disaient. Narancia ouvrit la bouche : « T'as intérêt à retirer tout de suite ce que tu viens de dire si tu ne veux pas que je t'éclate la tronche avec cette bouteille. ». Son interlocuteur n'avait pas l'air très impressionné. « Je vais pas retirer quoi que ce soit. Tu crois que tu me fais peur alors que t'es construit comme une brindille ? C'est plutôt toi qui vas faire ce que je te dis de faire et je te dis de dégager de cette maison, toi et ton œil dégueulasse. Tu crois peut-être que j'ai oublié avec le temps ? On sait tous qu'elle est contagieuse, ta maladie. Même ton daron veut plus de toi chez lui ! »
Fugo accouru lorsqu'il vit Narancia lever son bras qui tenait la bouteille brisée mais n'arriva pas à temps pour empêcher celle-ci de s'abattre lourdement contre la tempe du jeune homme qui l'avait provoqué. Fugo agrippa fermement les bras de Narancia pour l'empêcher de le frapper à nouveau. Narancia était furieux. Ce n'était pas la première fois qu'il le voyait dans cet état. Le jeune homme pouvait facilement se mettre en colère et se montrer violent, il avait toujours eu du mal à contrôler ses émotions, et en voyant à quel point Narancia se débattait pour pouvoir se jeter sur son adversaire, Fugo se dit qu'il serait bien capable de briser son corps à jamais, voir même de le tuer. Il lui cria de se calmer mais le garçon l'ignora. Tandis que Narancia donnait des coups de pieds à Fugo en lui ordonnant de le lâcher, le jeune homme qui l'avait provoqué se tenait le côté de la tête douloureusement. Il retrouva son équilibre, puis se jeta sur lui en criant avant d'être retenu en arrière par un autre inconnu. « Hey mec calme toi ! Qu'est-ce qu'il t'a fait pour que tu lui parle comme ça ? », les lèvres du blessé se déformèrent en un rictus. « Tu te souviens pas de lui ? Narancia Ghirga, le mec qui a passé quatre ans en maison de correction pour avoir tabassé une pauvre mamie sans défense. Sa mère est morte d'une maladie à l'œil qu'elle lui a refilé comme une malédiction. Ce type est pourri de l'intérieur je te dis ! Tu as vu ce qu'il m'a fait ? » Narancia ne lui donna pas le temps de répondre. « C'est faux ! Ta gueule ! Fugo lâche moi, laisse-moi buter ce connard ! » Il réussit à dégager un de ses bras de l'emprise de son ami mais fut tout de suite maitrisé par une jeune femme que Fugo n'avait pas vu arriver.
« Hé, pas de ça ici ! Si vous tenez tant que ça à vous battre alors vous sortez ! », cria-t-elle par-dessus la musique. Elle entraina les garçons dehors, poussa les deux inconnus à les suivre et referma la porte derrière eux. Dehors, l'homme au téléphone avait disparu et la jeune fille qui vomissait tout à l'heure regardait maintenant la scène avec curiosité. Narancia se mit à se débattre de plus belle tandis que son adversaire tentait une nouvelle attaque. « J'espère que t'es content de toi, lui lança-il, non seulement tu m'as défiguré mais en plus, à cause de toi je vais pas pouvoir pécho ce soir ! » Son ami l'empêcha d'aller plus loin. « Laisse tomber ce sale type. Suis moi plutôt, je te paye une bière ». L'inconnu le suivit sur le trottoir avec un soupir exagéré. Il fit quelques mètres avant de se retourner. « On n'en reste pas là, lança-t-il à Narancia en levant son majeur dans sa direction. La prochaine fois que je te vois je ferai en sorte que tu ne puisses plus jamais marcher ». Narancia lui cria d'aller se faire voir pendant que l'inconnu disparaissait dans l'obscurité. Fugo lâcha le jeune homme qui avait cessé de se débattre. Il avait toujours l'air aussi furieux mais Fugo remarqua qu'il s'était mis à trembler. Il laissa tomber ce qui restait de la bouteille en verre sur le sol et la frappa d'un grand coup de pied avec un cri de rage.
Fugo ne savait jamais comment réagir lorsque Narancia était en colère contre quelqu'un d'autre que lui-même. Lorsque les deux amis se disputaient, ils se réconciliaient d'eux-mêmes en un échange d'excuses sincères quelques minutes après l'explosion, mais lorsqu'il était dans cet état, Bucciarati était le seul à pouvoir le calmer. Alors Fugo se tint à distance du garçon, car c'est ce qu'il voudrait que ses compagnons fassent lorsqu'il plongeait lui-même dans un de ces états de fureur incontrôlable, plongeon qu'il réalisait malheureusement bien trop souvent à son goût.
Il lui fit signe de le suivre dans la direction opposée de celle qu'avaient pris les deux inconnus. « Tu viens Narancia ? On rentre à la maison ». Narancia et Fugo partageaient une chambre chez Bucciarati. La chambre était au départ celle de Fugo seulement. Lorsqu'il lui avait proposé de rejoindre le gang, Bucciarati n'avait pas pu se résigner à laisser le jeune garçon de treize ans à habiter tout seul et lui avait donc proposé d'occuper sa chambre d'amis. Narancia l'y rejoignit deux ans plus tard pour les mêmes raisons. Ils marchèrent en silence dans les rues sombres de Naples, la musique de la fête se faisant de plus en plus muette. Fugo n'interrogea pas son ami par peur de réveiller de nouveau sa colère et le laissa plutôt se calmer à mesure qu'ils avançaient. Ces deux brutes étaient sans nul doute des anciennes connaissances, mais il n'avait pas compris la totalité de leur échange. Il ne savait pas tout du passé de Narancia. Tout ce qu'il savait, c'était qu'il avait dû vivre sans domicile avec un œil infecté après être sorti d'un centre de détention juvénile, parce qu'il avait été accusé d'être entré par effraction chez une vieille dame qu'il aurait agressé. Narancia n'avait jamais cessé de clamer son innocence et Fugo n'avait jamais douté de sa parole.
Il aimerait en savoir plus sur le passé de son ami, mais il se disait qu'il n'avait pas besoin de connaitre toutes les choses affreuses qu'il a dû subir. Il n'avait pas besoin de connaitre l'ancien Narancia pour apprécier celui qu'il avait sous les yeux. Cela ne l'empêchait pas de prendre soin de lui, de prendre en compte le fait qu'il a eu à traverser des évènements difficiles pour faire de sa vie actuelle quelque chose de meilleur, une vie qu'ils pourraient apprécier ensemble.
Il n'aimait pas voir Narancia avec cet air abattu. Soudain il eut une idée.
« - Narancia arrête toi.
Il se retourna vers lui avec un « hmmm ? ».
- T'as pas faim ? Allons à McDo.
Les yeux de Narancia s'écarquillèrent.
- Tu me propose d'aller à McDo ? En pleine nuit ? Toi ? Toi Pannacotta Fugo tu veux qu'on aille à McDo ?
- Mais oui puisque je te le dis. Viens, c'est de ce côté-là.
- Pince moi je rêve.
- C'est bon, pas besoin d'en faire tout un plat… »
Il sentait ses oreilles rougir malgré lui. Mais le principal c'est qu'il avait réussi à distraire Narancia de ce qu'il venait de vivre.
Quand ils arrivèrent devant le McDonald, Narancia avait déjà l'air de bien meilleure humeur. Fugo se sentait soulagé de le revoir sauter partout mais il se méfia tout de même, il savait que son ami était plus doué pour faire semblant que ce que les autres pouvait bien croire. Après avoir commandé ils s'assirent à une table et Narancia reprit la parole en soupirant.
« - J'ai vraiment besoin de changement. J'en peux plus d'être rattaché au passé à chaque fois que je sors. Je ne veux plus être « celui qui a été accusé de gna gna gna ». Je veux devenir ma propre personne, tu vois ?
Fugo hocha la tête.
- Je vois parfaitement.
Il focalisa son regard vers une tâche sur la table, en évitant de regarder Narancia dans les yeux. Ils mangèrent en silence un moment puis Fugo continua :
- Moi aussi j'ai voulu et je veux toujours effacer laisser entièrement le passé derrière moi pour renaitre, vivre de nouvelles expériences sur une page bien blanche.
Narancia leva son gobelet de soda.
- La vie continue !
- La vie continue.
Fugo leva son gobelet lui aussi et ils trinquèrent.
- Est-ce que c'est parce que tu avais besoin de changement que tu t'es décoloré les cheveux ? lui demanda Narancia en pointant du doigt les mèches presque blanches qui étaient encore châtains la semaine passée.
- Oui, entre autres… En fait je voulais les teindre en rouge mais je me suis dégonflé au dernier moment, avoua-t-il en riant nerveusement. La mâchoire de Narancia tomba sous le choc
- Sérieusement ?! Je n'en reviens pas… Fugo avec les cheveux rouges… Oh tu aurais dû le faire ! Je suis sûr que ça t'irait super bien.
- Tu te serais moqué de moi oui.
- Peut-être, mais j'aurais été secrètement jaloux.
- Pourquoi ? tu veux que je te teigne les cheveux en rouge ?
- Oh non ça ne m'irait pas du tout ! Je porte tout le temps des vêtements oranges, et le orange et le rouge ça ne va pas du tout ensemble !
Fugo éclata de rire à cette remarque.
- Depuis quand est-ce que tu fais attention à ce genre de détails ? Mista déteint vraiment sur toi !
Narancia devint soudainement plus sérieux.
-… Et puis pour que je me les teigne il faudrait d'abord que je me décolore les cheveux et ça c'est hors de question. Trop de mauvais souvenirs…
Cette remarque rendit Fugo triste. Il voulait aider son ami à chasser ses démons et lui faire comprendre que depuis qu'il avait rejoint leur équipe il ne serait plus jamais seul face à eux.
- On ne laissera plus personne profiter de ta naïveté maintenant tu sais ? Tu peux nous faire confiance.
Narancia lui sourit.
- Merci, puis il prit un air plus grave. Si je recroise Marco un jour je lui explose le crâne sur le bitume.
- Abbacchio m'a dit qu'il était derrière les barreaux. Une histoire de meurtre et de trafique de drogue je crois.
- Ca ne m'étonne pas de lui. Ce fumier…
Ils finirent de manger en silence et sortirent. Mais Fugo ne voulait pas rentrer tout de suite. C'était comme qui dirait son jour de bonté et il avait bien l'intention que Narancia passe une soirée.
- Bon, et si on faisait quelque chose de fun avant de rentrer ?
Narancia eut encore une fois l'air étonné.
- Eh ben décidément ! Qui êtes-vous et qu'avez-vous fait à Fugo ? Dire que je pensais que manger McDo en pleine nuit sans la permission de Bucciarati c'était ton maximum niveau fun.
- C'est bon ça va j'ai compris, je suis un grincheux coincé qui ne sait pas s'amuser, tu es content ?
- Ooh Fugo ne te fâche pas ! Voyons, qu'est-ce qu'on pourrait faire…
- Ce que tu veux.
- Ce que je veux…
Narancia réfléchit un moment avant de s'illuminer.
- On entre dans le jardin de cette maison et on leur pique leur trampoline ! On tag des symboles anarchistes sur des vitrines de grands magasins ! Non, je sais. On vole des plots oranges sur un chantier et on les pose à des endroits chiants pleins de sens-interdits sur la route pour que les gens fassent demi-tour là où ils ne peuvent pas pour que ça fasse des embouteillages d'enfer !
- Par « fun » je ne voulais pas dire « illégal », Narancia. Mais tes propositions sont bien trop tentantes pour que je sois en mesure de les rejeter.
- Alors let's go, qu'est-ce qu'on attend ?
