Si elle avait été présente, sa mère lui aurait reproché son manque d'organisation. Son absence totale d'ordre logique, son inconscience face à quelque chose d'aussi important à savoir son déménagement imminent.
En plus de cette lubie à vouloir à tout prix se fiancer si jeune (18 ans, ce n'était pas un crime quand même!) et presque de suite s'installer avec sa chère et tendre moitié. Une personne que Betsy Donovan n'avait jamais beaucoup apprécié ni porté dans son cœur. Presque aussi surprotectrice que Sheila Broflovski, Mme Donovan avait toujours sévèrement jugé les fréquentations de son fils. Lui faisant d'ailleurs savoir quand un de ses amis, en particulier son meilleur ami, ne lui inspirait pas confiance.
Même si cela faisait à présent des années et des années que sa mère était six pieds sous terre, morte tragiquement, enterrée cérémonieusement, réapparue périodiquement dans les rêves ou la réalité, Clyde s'en référait encore à sa défunte mère. Il pensait toujours à cette dernière, se demandant ce qu'elle pourrait bien en penser, quels conseils pourrait-elle bien lui donner (pour ne pas dire quelques remontrances). Surtout à ce moment précis où son cher fils remettant encore chaque tâche au dernier moment n'avait même pas achevé la moitié des cartons à emballer. Alors que Craig allait arriver d'une minute à l'autre, pour embarquer dans sa voiture la cargaison censée être achevée depuis trop longtemps pour oser l'avouer sans rougir. Tant pis, celui qui restait son fidèle meilleur ami l'aiderait sûrement à préparer les dernières affaires.
Tout en triant sommairement des livres et des magazines à oui ou non emporter dans son nouveau quotidien, le jeune homme venait de tomber sur un bien étrange ouvrage. Une pièce unique, commençant à dater mais faite avec beaucoup amour, n'ayant hélas pu être délivrée à sa destinataire sincèrement aimée. Elle s'était éteinte avant d'avoir pu parcourir ces pages où chaque photographie avait été soigneusement triée spécialement pour illustrer subtilement et tendrement chacun de leur souvenir commun.
Devant cette triste constatation que lui inspirait cet album photos ô combien personnel, Clyde n'avait pu empêcher les larmes de lui monter aux yeux. Des larmes qui ne se décidaient pas encore à couler à flot en étant environnée de gémissement plaintifs, pour cette fois il ne faisait pas honneur à son vieux surnom le désignant comme un Cry Baby certifié et inégalé.
À vrai dire, ce soi-disant gamin pleurnichard se retrouvait trop occupé à replonger dans ses souvenirs plus atténués, les prémisses de cette fameuses idées d'un album photos confectionné par ses soins destiné à sa mère pour fêter dignement le célèbre Mother's day. Le petit garçon qu'il était à l'époque avait eu cette idée, ce prodigieux éclair de génie comme le confirmait son lui actuel, quand leur professeur avait annoncé officiellement à ses élèves qu'il ne fallait pas se casser le cul à faire des cadeaux à une grognasse qui vous abandonnera fatalement à votre majorité. Malgré les paroles discutables de M Garrison, Clyde Donovan n'avait pas suivi la consigne et s'était secrètement décidé à braver cet interdit. Sans néanmoins prendre beaucoup de risques puisqu'il n'avait fait part de son projet à personne, même pas à ses amis proches. C'était un cadeau à l'avance très précieux, un projet secret qui occupait toutes ses pensées, une sorte de lien indéfectible qui le relirait éternellement à sa mère, qu'importe les paroles aigries et pessimistes des adultes. Peu importe les remarques parfois désobligeantes de sa chère mère.
Ainsi, pour offrir à son cadeau un support digne de ce nom, le petit Clyde tout juste âgé de dix ans s'était levé expressément plus tôt qu'à son habitude dans le but de pouvoir aller discrètement mener une mission de repérage au grenier. Dans l'espoir de mettre la main sur le cadeau parfait dans tout ce fouillis, ces vieux objets dont certains venaient du pays natal de Betsy Donovan. Comme cet album photo, sobre mais joliment décoré, aux pages un peu jaunies, mais qui avait le gros avantage d'être vide. Son précieux chargement sous le bras, le garnement pas peu fier de son coup et ravi de sa trouvaille était redescendu dans sa chambre en pensant déjà aux photos présentes dans cet inoubliable album offert à la fête des mère.
Toutes ces photos, Clyde les redécouvraient et se rappelait précisément pourquoi il les avaient choisies. En tournant très précautionneusement les pages, il retombait sur cette photo un peu floue représentant sa mère. La première photo qu'il avait prise du haut de ses cinq ans, quand Mme Donovan avait sûrement voulu imiter son amie Laura Tucker qui prenait continuellement son fils Craig en photo. Malgré sa tendance à sangloter facilement, déjà à l'époque, ou sa méfiance enfantine pour les choses encore inconnues, Clyde ne s'était pas gêné pour attraper sans hésiter l'appareil photo que tenait sa mère. Cette dernière s'était d'ailleurs mise à rire d'un air attendri en observant son petit garçon occupé à observer avec beaucoup d'intérêt cet étrange objet. À son grand regret, le jeune homme n'avait aucun souvenir de cette anecdote, mais il imaginait sans difficulté chaque scène. Surtout celle où sa maman après tout bien conciliante lui avait montré où appuyer pour produire un petit miracle photographique. Sûrement sans se douter que son fils arriverait à prendre une vraie photo, et serait en plus très fier de son coup en riant innocemment devant l'air agréablement étonné de sa mère qui l'avait ensuite tendrement pris dans ses bras.
Et voilà que treize ans plus tard, ce cliché restait intact, attestait de cette adorable histoire que sa mère aimant tant lui raconter. Une petite aventure que celui qui n'était maintenant plus vraiment un enfant venait de se remémorer, seul.
Seul avec ces photos chargées de souvenirs, à assez occuper ses pensées pour l'empêcher d'irrémédiablement fondre en larmes et probablement souiller ce pauvre album qui n'avait rien demandé à personne.
