-Je veux que tu me laisses tranquille et que tu te décides enfin à aller voir ailleurs. Je n'ai pas besoin que tu me rappelles constamment ce que je suis. Je le sais déjà, alors pourquoi insister de la sorte? Tu sais pertinemment que je n'ai jamais voulu de tout ça, en arriver là. Et à chaque fois que je te vois, que je croise ton regard froid, je me rappelle de cette maudite fête sur le lac Washington. Là où j'aurais pu ne pas me trouver si j'étais sagement restée aux côtés de Major au lieu de suivre Marcy, ce ne faisait pourtant pas partie de mes habitudes. Et regarde-moi, maintenant. Regarde ce que je suis devenue.

Je déteste le résultat.

Je n'en peux plus de te voir, j'aimerais pouvoir t'effacer comme on nettoierait une simple saleté sur une vitre à l'aide d'un vieux chiffon. Mais la réalité est telle qu'il m'est impossible d'oublier ce qu'il s'est passé. Ce que je suis devenue, et... Tu sais très bien ce que je m'apprête à dire. Tu l'as déjà entendu plusieurs fois. Suffisamment, à vrai dire.

Je suis un monstre.

Tu sais que c'est ainsi que le monde verrait les gens comme nous s'ils avaient la moindre idée de ce que l'on est. Moi, je te vois déjà ainsi. Un foutu monstre bouffeur de cerveaux. L'humanité qu'il y avait en moi a disparu dès l'instant où j'ai dégusté pour la première fois la matière grise d'un parfait inconnu. Un inconnu qui avait certainement de la famille, des amis, un tas de proches... Et je me rappelle que je crevais la dalle. C'a été mon point de non-retour. J'étais alors devenue une zombie. Ce simple mot sonne encore si faux dans ma bouche... Tout comme ce serait logiquement le cas pour n'importe qui d'autre. Probablement parce que ça donne l'impression de nager en plein cauchemar.

Tu te rends comptes que j'avais absolument tout ce dont on peut rêver? La job parfait, un futur mari attentionné et taillé comme un dieu grec, une belle vie s'offrant à moi... Et il a fallu que tout parte en fumée du jour au lendemain. Regarde-moi. Regarde-toi. Tu sais ce que tu es, mais tu as peur de l'admettre. Pourtant, ce n'est pas si compliqué à dire, n'est-ce pas? T'es un cas désespéré. Un cadavre ambulant. Une erreur de la nature. Une créature démoniaque qui ne devrait pas exister. Et qu'est-ce qu'on en tire de tout ça, au final, en dehors des remarques désagréables, voire impolies sur notre teint blafard, nos cheveux blancs comme neige ou notre goût prononcé pour tout ce qui est particulièrement épicé? lança Liv en attendant une réponse qui n'arriva jamais. J'me disais bien...

On n'a plus rien à perdre, tu sais? Alors à quoi ça sert de continuer comme si de rien n'était au lieu de tout simplement s'allonger au beau milieu de la route en attendant patiemment qu'un poids-lourd nous réduise la cervelle en bouillie? Si la nature était bien faite, j'aurais dû y rester, ce soir-là, et pas émerger magiquement de ce sac mortuaire en recrachant pas loin d'un litre d'eau devant ce pauvre légiste qui a certainement dû remettre en question l'intégralité de ses compétences et années d'études après une telle vision. Le fait que je n'ai par la suite jamais cherché à savoir si ça lui avait laissé des séquelles confirme le fait un peu plus ma condition, mon statut de "monstre".

J'aurais dû prendre le temps de m'assurer qu'il n'allait pas si mal que ça, mais je ne l'ai pas fait, parce que j'étais trop occupée à penser à moi-même. Tu sais ce que ça fait de moi? Une égoïste, doublée d'une lâche qui plus est. Je pourrais très bien ajouter d'autres adjectifs à la liste, mais... J'crois que t'as saisi l'idée, pas vrai...?

Monstre... Je suis un foutu monstre...

-Liv, je sais que c'est probablement la soirée la plus importante de l'année pour Peyton, mais ça ne veut pas dire que tu dois passer quatre heures enfermée dans la salle de bain pour te prépar... s'exclama Ravi d'une voix enjoué, mais il s'interrompit lorsqu'il ouvrit la porte en grand. ... Wow.

Olivia se retourna vivement, surprise de voir son ami débarquer si soudainement, surtout pour se contenter de ne prononcer qu'un seule et unique mot en la voyant sans ajouter la moindre précision.

-... Oui, Ravi? Tu disais...? l'interrogea-t-elle en baissant les yeux, très légèrement mal à l'aise.

-Non, c'est juste que je te trouve... Vraiment magnifique, affirma le légiste. Tu sais, tu devrais avoir un peu plus confiance en toi et te mettre en valeur plus souvent, lui dit-il en croisant les bras, tout en s'appuyant contre l'embrasure de la porte. J'te raconte pas le nombre de gars qui vont baver en te voyant ce soir, faut que tu t'apprêtes mentalement à briser des coeurs, Liv Moore.

La jeune femme, bien que morte, sentit ses joues rougir à l'entente de ce compliment, qui lui fit énormément de bien à entendre.

-Bon, ce n'est pas tout, mais Miss Peyton Charles risque de nous assassiner si on arrive pas à l'heure, alors... En route! s'exclama Ravi en tapant dans ses mains avant de s'en aller aussi rapidement qu'il était arrivé. On se dépêche! lança-t-il depuis les escaliers.

Liv, toujours souriante, se tourna à nouveau et fit face au miroir. Elle releva lentement les yeux et croisa ceux de son reflet, avant de pousser un bref soupir. Elle attrapa son mascara, en mit un petit peu afin de mettre son regard en valeur, passa une fine couche de baume sur ses lèvres et observa le résultat final. Une petite robe, une coiffure, légèrement plus sophistiquée que celles qu'elle se faisait habituellement, un brin de maquillage et... Et elle aimait ce qu'elle voyait. Elle fixa donc son reflet en souriant, se pencha légèrement en avant et souffla.

-Tout compte fait, je crois que ma condition ne me va pas si mal...

Et sur ce, elle attrapa son sac, quitta la salle de bain et laissa derrière tout un tas de mauvaises pensées, prête à aller faire la fête avec ses deux meilleurs amis.