Disclaimer : Riviera est l'oeuvre de Neil Jordan.

Résumé : « Je t'ai toujours traité en adulte ! » Et c'était bien là le problème : on lui avait, d'une certaine manière, volé son enfance. [Riviera]

Note de l'auteur : Cet OS répond au défi calendrier de prompt de la page Facebook « Bibliothèque de Fictions » qui dure pendant tout le mois d'avril. 16 avril : "Je t'ai toujours traité en adulte!" "Oui, même quand j'étais un putain de gamin!"

Liste du Discord « Les défis galactiques » : De secondaire à principal : Christos Clios + Horoscope du 06/08/2020 : Lion : Ne fréquente pas ce garçon/cette fille + Prompt 32 : "Essayez d'écouter plutôt que de parler. Cela fonctionne à merveille". + Blessure 20 : Solitude + Défi des adultes 47 - Psychologie : Addiction + Défi Sarah et Voirloup n°159 - Placer le mot légende + Préjugé 36 : Les célébrités sont forcément heureuses + Ecrire sur un homme loyal (recyclage) + Combinaison 16 : Technologie / Bleu / Magie / Armure / Bouc / Tour / Milliardaire / Dieu + Mot inconnu du 12/04/2021 au 18/04/2021 : Dithyrambique (Très élogieux)

L'enfant adulte

- Je t'ai toujours traité en adulte !

- Oui, même quand j'étais un putain de gamin !

Je t'ai toujours traité en adulte. Cette phrase résonne dans l'esprit de Christos en un millier d'échos.

Je t'ai toujours traité en adulte. Oui, c'est bien là le fond du problème. On s'attendait à ce qu'il fusse un sage au bouc long et grisonnant à sept ans.

On l'a toujours traité en adulte même quand il était encore un enfant qui mouillait ses draps. Il repense à sa minorité et il réalise qu'il n'a pas de réels souvenirs heureux avec ses parents. Des moments de joie, oui. Mais des souvenirs qui lient, qui forgent une relation comme celle qu'il a avec Adam, avec Adriana, non. Ses parents et lui sont comme des inconnus sauf qu'il les connaît, eux ne veulent pas connaître qui il est. Le vrai lui ne compte pas, n'a jamais compté. Ce n'est pas un fils qu'ils ont voulu, c'est de l'argile. Par moment, Christos se demande même si sa venue au monde était désirée, s'il n'était pas le résultat d'un déni de grossesse, d'une révélation trop tardive pour avorter, d'un genre qui les aurait déçus. Tout pourvu qu'il trouve une explication à cette dureté qu'il subit depuis toujours. On n'impose pas à son frère, à sa sœur, ce qu'on lui force dans la gorge. Adam l'a compris, c'est pour ça qu'il essayait toujours de l'emmener dans la petite maison cachée dans les bois pour qu'ils puissent y jouer sans crainte d'être réprimandés. Combien de fois l'a-t-on repris pour une note à l'école ? Avoir dix-sept sur vingt n'était pas assez, il devait avoir dix-neuf voire vingt. Ses parents ne l'ont pas cru quand il a dit, à douze ans, qu'il avait mal à la cheville. Ils l'ont poussé à continuer les cours de sports pour apprendre plus tard qu'il avait bel et bien une entorse qui s'est dégradée en fracture puisqu'il a forcé dessus.

Pose cette manette de Playstation. Ce n'est pas productif.

Pose cette BD. Lis un livre à la place.

Ne fréquente pas ce garçon. Ne fréquente pas cette fille. Ils ne sont pas biens pour toi. Je sais ce qu'il y a de mieux pour toi.

Arrête de pleurer.

Mon dieu, comme il l'a entendue cette phrase ! Arrête de pleurer ! Un homme ne pleure pas ! Fais preuve de force ! De caractère ! Mais quand il essaye de se faire entendre, on le remet à sa place. Il n'est un adulte que quand ça les arrange. On se souvient de son statut d'enfant ou de fils que quand c'est bénéfique pour eux, jamais pour lui. Et comme il ne peut en parler à personne, très vite, la solitude a rongé son esprit, puis son âme. Qui irait le plaindre, lui, le fils à papa milliardaire ? L'enfance de Christos est un business plan :

On l'appelle Christos. Son nom contient littéralement le mot Christ dedans. Constantine est Dieu le père, il en est le fils, il hérite de sa légende dithyrambique. Il est peut-être aussi celui dont le père exigera le sacrifice pour racheter le péché de la famille. Il en a conscience. Il voudrait partir, les quitter mais il ne le peut pas : pour son malheur, il les aime, il les aime tous et se refuse à les abandonner quand le navire tangue et menace de couler.

On lui donne l'éducation d'un héritier. On ignore les choses qu'il souhaite si elles ne sont pas jugées nécessaires, importantes ou même intéressantes pour l'avenir. Peindre ? Mais enfin, tu feras ça quand tu seras vieux ! Du théâtre ? Oui, ça, ça peut aller, ça t'aidera quand tu feras des présentations lors de TED talks. Un kit de magie ? Pourquoi faire ?

Ses temps de pauses sont savamment calculés, il faut bien rentabiliser l'investissement double qu'il est : en plus d'être celui qui reprendra la banque, il est leur fils, ça serait dommage d'avoir gâché tant de temps et d'argent pour que cela se solde par un échec.

- Essayez d'écouter plutôt que de parler. Cela fonctionne à merveille.

Son seul moment de rébellion quand on s'étonne qu'il commence à vriller vers ses seize ans. La gifle que lui a donnée son père brûle encore sa joue dix ans plus tard, comme sa colère.

Alors oui, Christos se sent profondément seul dans cette tour d'ivoire qu'est la banque Clios et les tailleurs bleus, gris, noirs qu'il porte sont comme des armures derrière lesquelles il s'efface un peu plus encore. On se surprend encore quand on découvre dans son portable le numéro d'une dealeuse de cocaïne, puis d'héroïne. La technologie lui permet d'avoir accès à quelque chose qui le libère un temps, qui le soulage, qui l'enlace quand il en a besoin, même s'il sait qu'il joue sa santé, sa vie. Ce que ses substances ajouteront à son malheur ne pourra pas être pire que ce qu'il vit déjà. C'est une danse dangereuse en toute connaissance de cause : pour un temps, il est loin de Grasse, loin de sa mère, loin de tout et surtout, il n'a plus mal à l'âme. Même s'il admet qu'il a peur quand il constate que sa consommation augmente, que son besoin est de plus en plus pressant, qu'il perd le contrôle. C'est pour ça qu'il ne bronche pas tellement quand on l'emmène en cure. Il ne peut pas rester comme ça. Et au moins, pour un temps, on lui demandera d'être juste lui, une chose qu'il ne sait pas tellement faire mais dont il en a envie.

Je t'ai toujours traité en adulte.

Et c'est pour cela qu'il a l'impression d'être comme un équilibriste au bord du gouffre, sur le point de tomber sans personne pour le rattraper.

FIN