Prompt n°11 de la bibliothèque de fictions (avril 2021) : « Tu étais tout ce que j'avais ».


Je n'avais plus que toi


Tu n'es plus là.

Alma.

Tu n'es plus là.

Depuis combien de temps étais-tu partie ?

L'as-tu simplement réalisé ?

Ou as-tu été frappée ?

Frappée si fort que tu n'as pas pu résister ?

Tu étais tout ce que j'avais.

Et tu es partie.

Je suis seule.

Je te hais.

Reviens.

Ne me laisse pas.

J'ai peur.

Je ne comprends pas.

Je te parlais.

Tu me répondais.

Mais quand je me suis tournée, tu étais figée.

Tordue.

Figée.

Défigurée.

Tu n'étais plus là.

Je n'ai rien entendu.

Je n'ai rien vu.

Je te parlais.

Mais tu étais déjà partie.

Depuis combien de temps ?

Je n'a rien vu, rien entendu.

Je suis désolée.

J'aurai pu te sauver.

Etais-tu déjà condamnée ?

J'ai peur.

Je suis seule.

Que vais-je faire ?

Jouer ?

Gagner ?

A quoi bon ?

Tu n'es plus là pour m'encourager.

M'aider.

Je sais, que je suis différente.

Je ne comprends pas le monde comme le font les autres.

Est-ce ma faute ?

J'ai essayé.

Je me suis améliorée.

Je pouvais voir, dans ton regard, que tu t'inquiétais.

Tu me pensais seule.

Sors, explore le monde, fais-toi des amis.

Mais je ne sais pas comment faire.

Les gens sont.. étranges.

Stupides.

Lents.

Je me sens.. inadaptée.

Tu me disais que mon esprit était différent, brillant. Que je ne devais pas avoir honte, que je ne devais pas me cacher.

Tu me disais aussi de ne pas me couper des autres, de les écouter.

J'ai essayé.

Au lycée.

Cela n'a pas fonctionné.

Et puis à l'université.

C'était mieux.

J'ai aimé.

Les gens m'écoutaient.

Les gens comprenaient.

Pas les échecs, non, mais les mathématiques, leur puissance, leur brillance.

Pour la première fois, j'étais avec des gens presque comme moi.

Tu étais si fière de moi, à la remise des diplômes.

Tu brillais.

Tu étincelais.

Tu riais.

Tu en pleurais.

Je dois l'admettre, j'étais gênée.

Mais je l'ai toujours été.

Partout.

Tout le temps.

Je ne sais pas parler aux gens.

Tu as essayé de m'expliquer, de me guider.

Les échecs ne sont pas tout dans la vie, ma chérie.

Combien de fois, me l'as-tu répété ?

Combien de fois t'ai-je rejeté ?

J'avais peur.

J'ai toujours peur.

De ce que je ne connais pas, ne comprends pas.

Ne contrôle pas.

Je dois contrôler.

Je dois maitriser.

Je dois analyser.

Comment pourrais-je sinon me protéger ?

Toi, maman, mon salaud de géniteur, ton connard de mari, mon premier professeur d'échec ... Vous êtes tous partis.

Vous m'avez tous trahis.

Non, pas toi.

Pas toi.

Tu n'as pas eu le choix.

Tu n'as pas choisi.

Tu es juste.. partie.

La maladie t'a rongée.

J'aurai dû.. insister. Crier. Te forcer.

Je voulais t'emmener voir le docteur.

Mais tu ne voulais pas écouter.

Telle mère, telle fille.

Tu étais ma mère.

Ma seconde mère.

Mais tout de même ma mère.

Je t'aime.

Tu as toujours été.. attentionnée.

Tu ne comprenais pas ma passion, mais tu m'as poussée à suivre mes rêves.

Oh, tu t'en es servie pour toi-même aussi.

Pour nous deux.

Je ne savais pas, m'as-tu dit ce jour-là, qu'on pouvait gagner de l'argent avec les échecs.

On peut gagner de l'argent de beaucoup de manières.

Mais celle-là, tu en étais si fière.

Moi aussi.

J'ai amélioré notre vie.

Je t'ai aidée.

Je t'ai sauvée.

Du moins je le pensais.

Tu souriais.

Tu riais.

Tu as même réussi à jouer au piano.

Malgré tes peurs.

Et tes rancœurs.

Tu étais libérée.

Et puis tu m'as été arrachée.

Maman.

Je suis désolée.

Je me battrai.

Je réussirai.

Je brillerai.

Je vaincrai.

Pour toi, pour nous.

Parce que je n'avais plus que toi.

Et que je ne sais pas quoi faire d'autre.

Je ne sais rien faire d'autre.

J'ai besoin de toi.

Alors, pour toi.

Tu verras.

Je vivrai.