Drago était un enfant de bonne famille. Son éducation lui avait appris à tenir ce rôle, éducation enseignée par le père comme pour tous ses semblables, les garçons de la haute société. La douceur de la mère était proscrite au moment même où l'enfant lui était retiré des bras à la naissance. Un homme n'avait pas besoin de réconfort, mais de pouvoir, de richesse et de fermeté.

Il fallait devenir un homme ferme et froid, autoritaire et imposant. Jamais aucune larme ne devait glisser le long de la joue, même dans les moments les plus sombres que l'on rencontrait.

Etre viril, une condition sine qua non pour prétendre être un héritier digne du pouvoir qui devait être transmis. Il était impératif aux yeux du père, comme il l'avait été aux yeux de son père respectif, de jamais se laisser transparaître une once de féminité, quelle qu'elle soit. Un homme de la haute société ne pouvait s'abaisser à des inepties tels que la tendresse, la tolérance ou l'amour chaleureux. Le physique des hommes se voulait aristocrate, sculpté dans du marbre, tel le corps d'Apollon, reflétant la noblesse et le sang-pur qui avaient créé la perfection personnifiée.

Les jeunes garçons étaient instruits dès leur plus jeune âge afin de comprendre qu'il n'était qu'une vérité sur les hommes : la place de l'homme devait être celle d'un chef de famille, il se devait d'apporter confort et sécurité financière à sa famille, puis d'éduquer ses fils à tenir ce même rôle dans leur futur.

Un homme ne se mariait par ailleurs que pour assurer un héritier à la longue lignée de sang-pur à laquelle il avait l'honneur d'appartenir. Si le premier enfant de son mariage était un garçon, nul besoin d'étendre la lignée, sous réserve que le premier héritier se révèle à la hauteur des attentes qu'exigeaient son nom.

La femme qu'un homme prendrait pour partie à l'âge convenu était choisi par ses parents, afin de s'assurer que leur nom ne soit pas entaché d'un mariage malvenu. L'amour n'était jamais considéré comme une option, ce n'était qu'une lubie, un rêve d'enfant toujours démenti. Une femme ne pouvait prétendre à demander la moindre faveur auprès de son époux, elle devait rester éternellement dans son ombre, semblable à un objet dont on vantait la beauté lors des dîners mondains. Un homme bien éduqué par son père ne jurait qu'une chose à son épouse, la fidélité.

Drago avait été imprégné de ses règles de bienséance, ce dès la naissance. Sa mère n'avait pas eu de rôle dans sa vie si conditionnée. Son père l'avait éduqué des préceptes les plus importants, l'avait repris lorsque ses actes pouvaient porter préjudice à leur grandeur, mais jamais ne l'avait aimé. Peut-être avait-il été fier de sa propre réussite à inculquer une éducation aristocratique à son fils, mais son fils n'avait pu le rendre fier par ce qu'il était.

Il avait eu des signes précurseurs d'un changement, si légers qu'ils avaient semblé insignifiants, tombant dans l'oubli. Drago avait pleuré, certes en secret, mais il avait dérogé à l'une des règles. Puis, Drago n'avait pas mené à bien une démarche sollicitée par son père, il avait failli, une fois de plus. Enfin, Drago avait menti délibérément, protégeant celui qu'on lui demandait de livrer, lui faisant gagner un temps précieux.

Ses actes avaient été mesurés, croissant sans cesse, dans un affront de plus en plus franc.

Puis, il avait la déclaration fatidique, détruisant à jamais l'honneur de sa famille, la réussite de l'éducation par son :

« Je n'épouserais pas Astoria Greengrass, ni aucune autre femme. »

Le règne des Malefoy, persistant depuis des siècles, s'éteignait avec ces mots. Drago ne voulait pas épouser une femme pour la bienséance, pour l'héritage ancestral qui coulait dans ses veines.

Il voulait épouser un homme, par amour.

La virilité qu'on lui avait inculquée, imposée, l'ego masculin dans la splendeur d'un corps d'Apollon, anéantie d'une simple phrase. Il aimait les hommes bien qu'il en fut un. Il aimait les corps sculptés que la virilité cherchait, il aimait la puissance masculine, les hommes fiers et dopés de chair.

Peu lui incombait qu'aucun héritier ne puisse à son tour recevoir à son tour le sang si pur que les Malefoy s'étaient évertués à transmettre de générations en générations. Peu importait que leur nom soit à jamais en disgrâce aux yeux de ces autres familles de la bonne société. Il avait envoyé au diable toutes ces règles fallacieuses pour choisir un époux par amour.

Il était certain d'une chose, jamais il n'éduquerait son enfant ainsi. Fils et fille auraient le droit à l'attention des deux parents, auraient le choix d'un ou d'une épouse, le choix d'un avenir. Peut-être serait-il incertain, mais il se fit la promesse d'être auprès d'eux pour les guider avec amour.

Pour son mariage, il décida d'inviter tous ceux qui souhaitait participer. Il voulait voir son union en première page de tous les journaux, même ceux qu'il ne connaissait pas ni ne lirait jamais. Il voulait marquer les esprits, créer le souvenir d'une révolte contre la bienséance, un souvenir intemporel. Et s'il pouvait choquer les esprits étriqués de la haute société, il le faisait avec joie et conviction.

Après tout, l'amour avait déjà fait ses preuves, la guerre avait été gagnée grâce à l'amour. Alors aujourd'hui, l'amour ne remportait pas la guerre, c'était lui qui se battait pour l'amour.

Personne n'était assez fort pour se battre contre lui et celui qu'il aimait. Qu'on les tue pour les séparer, et qu'on recommence dans chacune des vies qu'ils vivraient. Parce que, de toutes les règles qu'on lui avait apprises, Drago en avait retenu une bien mieux que les autres : il devait obtenir ce qu'il voulait, quels que soient les moyens nécessaires. La mort n'était qu'un ennemi de plus à abattre, il se savait de taille.

Alors, un matin de décembre, devant un mage et une foule agitée, à la question « Voulez-vous prendre Harry James Potter pour époux », il répondit un simple « Je le veux », symbole d'une lutte acharnée.

Combat éternel, guerre pour l'amour, Drago n'avait que faire. Il vivrait dans ce monde aux côtés de son amour, ou il ne vivrait pas.