Arrête. Cesse de me fixer. Stop. Je t'interdis d'accrocher ton regard au mien. Comme si tu me défiais. Encore. Comme si tu savais que j'allais perdre ce combat. J'en ai perdu, oui. Des tonnes et des tonnes de batailles où j'étais impuissant. Impuissant car encore un enfant. Mais aujourd'hui je ne le suis plus. Je me suis construis. Hors de ces murs. Hors de ton toit. J'ai appris. J'ai compris. Tu n'es plus mon seul modèle. Ma vie, mon chemin ne reposent plus sur ta seule version du monde. J'ai voyagé au-delà des barrières. Bien au-delà de tes règles que je m'efforce de combattre lorsque tu n'es pas sur mon dos. J'ai compris. Le monde n'est pas noir, ou blanc. Le monde n'est pas sorcier, ou moldu. Le monde n'est pas sang pur, ou sang mêlé. Je m'en tape de ton sang. Regarde. Regarde ce que j'en fais!
· SIRIUS! Qu'est ce que tu fais? Tu es complètement inconscient!
Oui. Oui, tu as bien vu. Je viens de me tailler la main. J'ai utilisé un de tes couteaux. Je fais couler quelques gouttes dans mon verre, me lève et, comme si j'étais vraiment inconscient, te le jette à la figure.
Tiens. Reprends le. Ta saleté de sang pur. Je n'en veux plus. Je voudrais vomir tout ce sang. Je voudrais te le rendre, ce sang. Pourri et moisi. Bon à jeter à la poubelle. Je voudrais que tu t'y noies dedans, et surtout, tu sais quoi? Je voudrais que tu en crèves.
Je ne le pense pas. Malgré toute cette rage. Cette haine qui me consume. Mais toi, tu ne feras pas la différence. Et je le sais déjà. Nous avons atteint un point de non retour. Un point qui me dépasse. Dans cette ultime querelle. Je sais que je vais trop loin. Je le sens. Car même lui se lève. D'un seul bond, rapide et souple. En chœur avec toi. D'un même mouvement. Et ce n'est pas toi, cette fois. Ce n'est pas toi qui me poursuit. C'est lui. Je crois que c'est la première fois qu'il bouge. Peut-être la première fois de ma vie qu'il m'accorde une réelle attention. Car l'éducation des enfants n'est pas du ressort d'un homme. Pourtant, ce sont ses mains qui me plaquent contre le mur, sa bouche qui hurle, ses mots qui me secouent. Les larmes montent, mais je les refoule de mes yeux. Il crie, m'étrangle à demi, réclame des excuses, du respect. Nos yeux s'accrochent, et je ne reconnais plus ma voix. Ou du moins ce que vous en avez fait, tous les deux. C'est le mépris incarné qui s'exprime.
· Que je vous respecte? Mais regarde toi. C'est la première fois que tu réagis. C'est la première fois seulement qu'on a un réel échange toi et moi, Orion Black. Regarde le, cet échange. Il n'y a rien qui te choque? Il est où le tien de respect?
· Sirius…
C'est mon frère qui implore. Une supplique. Ridicule. Pourquoi devrais-je arrêter? Pourquoi est-ce que moi, Sirius Black, âgé de seize ans, je devrais ENCORE, arrêter, et me remettre en question? Qui a le droit de m'empêcher de parler? Pourquoi taire la vérité? Parce que vous ne la comprendrez pas? Ne la supporterez pas? J'ai dépassé ce stade d'espérance. Et de frustration.
C'est son poing qui fuse. Violemment. Droit dans mon nez. Et sous mon oeil. Le barrage des larmes a cédé. Officiellement, il a lâché sous la douleur. Officieusement, il n'a pas supporté la violence du geste. La haine derrière le geste. Le mépris. La répugnance. Il arme à nouveau et je ferme les yeux. Je laisse passer. Je sais que je dois partir. Je sais qu'il n'y aura pas de retour en arrière possible. Il semble se ressaisir. Et dans un instant suspendu, je lis dans ses yeux l'incertitude. Je lis le doute. Le questionnement. Nos yeux sont toujours rivés à l'autre. Je déglutis tant bien que mal. Lui aussi. Je le repousse et m'enfuis dans les escaliers.
Mes mains tremblent d'une force inouïe. Pourtant, mes gestes n'ont jamais été si précis. Déterminés. Toute leur énergie rassemblées dans un effort pour fermer ma valise. Je l'ai remplie. J'ai vidé le plus important. Vous pourrez brûler le reste si ça vous chante.
· Sirius… Sirius, qu'est ce que tu fais?
C'est Regulus, avec une supplique dans la voix. Comme d'habitude.
· Sirius… Ne réagis pas de manière précipitée… Il faut… Vous devriez en discuter… Tous les deux…
J'entends mon propre ricanement. Comme s'il ne m'appartenait pas. Mes sentiments me semblent étrangers tant ils sont puissants. Regulus s'assombrit davantage. Mais le pauvre est sombre depuis sa naissance. C'est comme ça que ça se passe, ici, dans la noble maison des Black. Aussi sombre que notre nom, pour passer inaperçu dans la noirceur des jours qui se suivent et se ressemblent.
· Sirius. S'il te plaît… Ça sera encore plus violent, et tu le sais…
· Ce ne sera pas pire que de moisir ici.
· Ils ne te laisseront pas faire, Sirius.
· Je m'en tape.
Mais il avait raison. La lutte fut plus violente encore. Et la méfiance d'autant plus présente. Il ne me laisse pas partir. Il veut même m'enfermer. Mon père se montre plus présent que jamais ce soir. À mon grand regret. Là, physiquement, je ne fais pas le poids. Là, si vous formez une alliance, je suis plus faible. La lutte se complique. Alors, j'attends. J'attends qu'il cesse de monter la garde devant cette porte. J'attends. Qu'il retourne travailler. Je sais, je sens au fond de moi, que toi tu ne me retiendras pas. Mère. Je sais que j'ai épuisé tout ton stock de patience. Si tu en as fait preuve un seul jour. On sait toi et moi que c'est peine perdue. On sait que la lutte est vaine.
Alors,
Cette nuit, je ne m'endors pas.
Cette nuit, je veille.
Et lui, en bas, surveille.
Je le vois.
Je le sais.
Nos regards se sont croisés, depuis le haut de l'escalier.
Il n'y a pas eu un seul mot.
Juste un long silence.
Nos yeux se sont accrochés.
À nouveau.
Il sait.
Il sait que je n'ai pas la force de le repousser à nouveau.
Et que je n'essaierai pas ce soir.
Il sait que j'attends le moment propice.
Et ce moment arrive.
Dès que j'entends le craquement familier du transplanage.
La maison est endormie.
C'est parfait.
Je descends silencieusement.
Moi et mes pauvres affaires.
Je vois bien le parchemin plié sur son fauteuil.
Je le vois mais je l'ignore.
Je vais droit vers la porte.
Je l'ouvre.
Et je respire.
