Hellloo j'espère que vous avez la pêche et tout, on se retrouve pour le jour 7, mythology. J'ai un peu mis de côté l'autre thème à savoir soulmates mais bon, il peut être vu comme très sous-entendu (ou c'est surtout de la triche).
Honnêtement je regrette un peu que ce jour soit juste après break-up parce-que l'OS de hier avait déjà une ambiance particulière, et celui-là aussi donc ça risque de faire effet de répétition mais RIP pcq celui-là c'est le tout premier premier que j'ai écrit et c'est celui sur lequel je me suis le plus éclatée parce-que people c'est un Icare AU yeah yeah. Du moins, sur le principe.
J'espère que ça vous plaira, zoubi et merci encore à vous qui me soutenez toujours.
Lorde - Hard Feelings / Loveless
Let's give it a minute before we admit that we're through
(…)
I wish I believed ya when you told me this was my home
« Car si, dans notre course aérienne, nous nous élevions trop près du soleil, la cire de nos ailes n'en pourrait supporter la chaleur. Si, par un vol trop humble, nous descendions trop près de la mer, nos ailes imprégnées de l'humidité des eaux perdraient leur mobilité. Vole entre ces deux écueils. »
Jean regarda Eren ouvrir la bouche et se fit la réflexion que son expression ne collait pas avec les mots qui en sortirent. Il ne les entendit pas vraiment, les capta à peine, enrobés d'un ton plein d'excuses qui ne lui étaient surement pas destinées.
Une voiture passa sur le parking du diner d'où ils venaient de sortir, et peut-être auraient-ils dû avoir cette conversation avant manger : maintenant, Jean avait envie de vomir. Ou peut-être était-ce juste là la manifestation de ce qu'il redoutait depuis plusieurs mois – plusieurs années, peut-être, sans même le savoir. Il inspira, plongea dans la conversation qui déjà, lui serrait l'estomac.
- Quoi ?
Le sourire d'Eren s'agrandit, comme si le répéter une seconde fois rendait la réception plus facile.
- Je m'en vais. J'ai trouvé ce qu'il me faut.
Jean ne demanda pas si par là il entendait le camping-car rouillé qu'il tentait d'acheter à Levi depuis la nuit des temps, ou bien la voiture à peine fonctionnelle du grand-père d'Armin. Peut-être même avait-il changé d'avis et choisi d'y aller à pieds.
- D'accord.
Jean avait ce problème, cette maladie intestinale qui faisait qu'il était incapable de raconter ce qu'il se passait dans ses tripes quand il avait envie de l'ignorer. Et là, la brulure qui le capturait tout entier, il avait tout sauf le désir de l'analyser. Après tout, Eren en parlait depuis qu'il le connaissait – et il le connaissait depuis tellement longtemps qu'ils avaient appris à faire leurs lacets ensemble. Alors franchement, Jean trouvait qu'il pouvait faire bien mieux que toutes ces pensées pathétiques qui commençaient déjà à lui imposer la réalité des choses.
Eren semblait attendre quelque chose qui ne vint jamais, puisqu'une ombre déçue accrocha son visage quelques secondes de trop.
- T'as pas changé d'avis, c'est ça ?
Sa voix tremblait et Jean le détesta si fort qu'il eut envie de le pousser, le pousser jusqu'à ce qu'il tombe de la première falaise qu'il croiserait et qu'ensuite lui le rattrape, juste à temps pour l'entendre le remercier et lui dire qu'il était désolé, désolé de s'en aller.
Jean y avait réfléchi, bien sûr, avec force même, mais qu'est-ce que pouvait bien faire un ado de dix-sept ans sur les routes jusqu'à la fin du monde ? Alors qu'il était tant attaché à son prénom qui roulait sur la langue de sa mère, à l'odeur de tabac dans le bureau de son père et à la façade moche de son lycée, son lycée que certes il quittait mais qu'il aurait plaisir à voir transparaître par la fenêtre du bus de temps en temps, quand il ne pleuvrait pas trop fort.
Certes, il aurait été avec Eren. Eren qui savait tout, Eren qui lui aurait appris comment se passer de ses parents et du confort d'une chambre d'enfant, qui l'aurait poussé à improviser pour trouver un travail là où ils échoueraient, qui forcément, l'aurait embrassé à en perdre haleine, jusqu'à ce qu'il s'en ennuie et qu'enfin les vagues l'attrapent et ne le rendent jamais.
Jean ne voulait pas voir ça. Il ne voulait rien voir de tout ça, rien voir d'Eren s'abandonnant à ses rêves. Et pourtant, il savait que pour le garçon tremblant qui lui faisait face, c'était une nécessité. Que lui demander de rester ferait de lui l'être le plus égoïste de la planète, et qu'il ne lui faudrait plus qu'espérer qu'un jour, un jour Eren regarde le bleu de la mer et pense à ses yeux bruns, qu'il se dise qu'ils lui manquent et qu'il revienne.
- Non, j'ai pas changé d'avis.
De tous les sourires qu'Eren lui avait offerts, il n'en avait jamais vu d'aussi peu sincère. Le brun crocheta le col de sa veste et Jean crut en l'arrivée imminente d'un impact, mais plutôt qu'un poing contre sa joue, il sentit des lèvres mouillées contre les siennes.
Une dernière fois, un dernier adieu avant qu'ils ne se séparent pour toujours, avant que leur idylle d'un an et demi à peine ne s'estompe dans les vagues qu'Eren préférait à lui – préférait à tout. Jean le sentit sourire contre lui quand il entoura sa taille de ses bras.
- Je vais voir la mer, murmura le brun.
Jean ne trouva rien de mieux à faire que de laisser échapper le sanglot qui lui serrait la gorge depuis qu'il avait mis un pied en dehors de chez lui, depuis qu'Eren l'avait appelé au milieu de la nuit pour jouer une comédie grotesque de dîner de la dernière fois, d'au revoir de la dernière fois et de baiser de la dernière fois.
Il se sépara de lui, seulement de quelques centimètres, pour observer son sourire qu'il ne vit même pas vraiment – peut-être ne souriait-il tout simplement pas. Peut-être que lui aussi avait laissé la peine des derniers instants l'envahir.
- Tant mieux, souffla-t-il, cette fois-ci sans se demander si sa voix sonnait étrange : il s'étranglait sur ses propres mots.
Il aurait voulu le répéter à l'infini, lui dire de lui ramener un souvenir comme il l'avait fait cent fois en s'imaginant la scène (la voix assurée, le corps fermé et même une note de moquerie au fond de la gorge), lui dire aussi peut-être de revenir, un jour. Mais Eren l'embrassa à nouveau et ses envies s'échouèrent contre un mur de détermination, un mur de détermination joyeuse : il savait ce qu'il perdait, et il savait aussi ce qu'il y gagnait.
Et Jean savait que pour le garçon tremblant qui lui faisait face, c'était une nécessité. Que s'il ne partait pas, il imploserait. Et il ne voulait pas en être le responsable, si bien que lui aussi s'abandonna dans ses bras juste assez longtemps pour étouffer les mots qui lui brûlaient la gorge et tout le corps en entier.
Il s'était imaginé lui avouer qu'il l'aimait, mais à dix-sept ans, Jean eut l'impression de s'ouvrir le corps et le cœur sur des mots qu'il ne dit jamais.
T'es le genre de personne que les gens veulent pas côtoyer. T'es un danger, un peu. Franchement Eren, je sais pas comment ils ont fait, Armin et Mikasa, pour te supporter aussi longtemps. Peut-être que c'est ça qui fait que les gens sont attirés par toi, c'est cette manie que t'as de les garder longtemps sans leur accorder trop d'attention, parce-que tout est dirigé vers tes deux amis d'enfance – et la mer.
J'ai eu de la chance. Enfin, je sais pas si c'est de la chance ou si je me suis condamné à des choses plus grandes que moi, à un désespoir inévitable (j'exagère, mais t'as saisi l'idée), mais je me suis senti flatté, au départ, que tu veuilles bien de moi un peu plus proche que les autres. D'accord, je me suis faufilé à coups de poings dans ta sale tronche mais faut dire que tu l'as bien mérité. Déjà, t'es terrible quand il s'agit d'inventer des surnoms, et ensuite, tu t'emportes trop facilement. Tu vas m'dire que c'est l'hôpital qui se fout de la charité. T'as peut-être raison, mais si t'es la charité alors franchement, on n'est pas dans la merde.
T'as jamais été du genre à y aller par quatre chemins, de toute façon. Toujours là à porter tes défauts comme des médailles et à laisser tes expressions te trahir, alors que tu sais très bien que n'importe qui peut utiliser ça contre toi n'importe quand. Combien de fois j'ai dû te sauver d'un mec que t'avais regardé de travers ? J'suis pas un super héros, fous moi la paix un peu. J'ai pas demandé, moi, à voir plus loin que ta rangée de dents bien alignées, à remarquer les petites rides aux coins de tes yeux et à saisir toute la profondeur des sourires que tu donnes.
J'aime à croire que j'ai quand même vu plus du reste -les larmes, les cris, les cauchemars, le manque. Beaucoup de manque. Je sais qu'elle te manque encore, ta mère. Et je sais que si je le pouvais, je prendrais un peu de ton deuil sur mes épaules, un peu de toi dans mon âme pour te rendre la vie plus facile. Mais tu l'as dit toi-même, non ? T'es un grand garçon. Et un grand garçon, ça s'arrache le cœur en se disant d'avancer.
C'est sûrement pour ça, que tu veux voir la mer. Y noyer tes envies, tes chagrins, m'y noyer moi peut-être aussi. Fais-le si t'as besoin. Oublie que je sais nager, pour le bien de ta narration, oublie que j'ai besoin de respirer.
Je me dis que parfois, toi aussi tu m'aidais à respirer, tu m'aides à respirer, mais en fait c'est tellement ridicule comme idée que j'ai juste envie de m'arracher la tête – ou peut-être à toi, ouais, avec tes cheveux dans tous les sens et tes idées à la con.
Tu pues, de toute façon, tu sens mauvais comme la détermination et l'envie d'aller au bout de ses envies, justement. Tu donnes l'impression que c'est facile, de se lever le matin avec le poids du monde sur les épaules, que c'est un jeu d'enfant de sourire et de dire qu'on n'a même pas mal.
Mais moi Eren, moi j'ai mal.
La porte qui claqua le poussa à ouvrir les yeux, mais Jean ne se tourna pas vers la source du bruit. Connie essayait sincèrement de ne pas trop en faire, il le savait, mais apparemment, c'était dans sa nature d'être aussi bruyant qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine.
Il l'entendit jurer doucement avant de refermer plus lentement la porte de l'appartement qu'ils partageaient, et l'imagina faire quelques pas dans la cuisine pour se faire une tasse de café. Il entendit la machine, les yeux toujours fermés, l'entendit jurer à nouveau – peut-être s'était-il brûlé, et puis sentit ses pas se rapprocher.
- Jean ?
Il avait murmuré. Il ne l'aurait pas fait si Jean avait été dans son lit. Mais Jean était étalé sur le canapé, son ordinateur en veille sur son estomac, appuyant sur sa vessie. Il ne s'était pas levé avant d'aller se coucher et ne comptait pas bouger maintenant non plus, parce-que rien que l'idée de devoir éteindre l'appareil qui chauffait contre son ventre l'épuisait. Il ouvrit un œil.
- Hey. C'était bien ?
Encore une soirée à laquelle il avait refusé d'aller.
- Ouais. De ouf. Tu devrais venir la semaine prochaine.
Encore une soirée à laquelle il refusera d'aller.
Au fond, ce n'était pas qu'il appréciait passer ses journées sur son canapé, c'est surtout qu'il aimait avoir son cycle de sommeil. La qualité de ce dernier n'était certes pas assurée par un lit douillet, mais peu importait parce qu'il avait cette capacité spéciale de pouvoir s'endormir n'importe tout, ou du moins l'avait-il développée au fil des années.
- Carrément.
Il savait qu'il mentait, Connie savait qu'il mentait, merde, même la voisine savait sûrement qu'il mentait.
- Tu sais-, commença son ami avant d'être interrompu par une vibration contre la table basse.
Jean baissa les yeux sur l'arme du crime pour y trouver son téléphone, et le numéro inconnu serra son cœur plus fort encore que s'il y avait vu celui de sa mère. Il lança un regard à Connie qui déjà, s'était éclipsé, et s'empara de l'appareil.
Il ne décrocha pas.
Il avait trop peur de le faire, et qu'on lui dise que ses panneaux solaires étaient défectueux et qu'il fallait qu'il en change plutôt que de trouver la voix un peu grésillante d'Eren, Eren dont il entendait à peine parler depuis cette scène tragique sur un parking, pour laquelle Jean se maudira sûrement jusqu'à la fin de son existence.
Il attendit, attendit un signe qui lui dise de décrocher dans la seconde, et puis se dit que si c'était vraiment Eren, il rappellerait, parce qu'il ne se serait sûrement pas posé la question du décalage horaire et qu'il a – avait cette mauvaise habitude d'être affreusement têtu.
Les vibrations cessèrent. Jean attendit, ses doigts serrés autour du téléphone, les jointures presque blanches et l'impression qu'il allait imploser ou exploser, peu importe, éclater en mille morceaux si ce numéro ne s'affichait pas à nouveau sur son écran dans la seconde. Il eut l'impression d'oublier comment cligner des yeux, oublier comment respirer jusqu'à ce qu'enfin, enfin les vibrations reprennent. Il ne regarda même pas, ne compara même pas les chiffres et se contenta de décrocher.
- Jean ?
Sa voix avait peut-être changé, modifiée par l'âge et la transmission, mais l'effet de coup de poing qu'elle fit à son estomac resta le même, la même intensité vomitive et l'envie de traverser le combiné pour l'engueuler. Ou l'embrasser. Ou les deux.
Depuis qu'il était parti, Eren ne l'avait appelé qu'une seule fois, et depuis qu'il était parti, Jean avait eu le temps de déménager trois fois.
- C'est moi.
Il était pratiquement sûr de paraître assuré, ou peut-être disait-il cela uniquement pour se rassurer.
- Oh mon Dieu, j'ai cru que t'avais changé de numéro. Je te réveille ?
- Pas exactement.
Jean dut se mordre la langue pour ne pas lui demander où il était. Il pouvait entendre des échos de voix, derrière lui, et les détesta toutes autant qu'elles étaient.
- Tant mieux. Je voulais- je voulais- merde, je sais même plus ce que je voulais te dire.
Les inflexions dans sa voix posèrent question à Jean qui fronça les sourcils, se redressant enfin en ignorant le cri de sa vessie.
- T'as bu ?
- Non. Je suis en soirée, là- enfin, c'est un bien grand mot, j'ai surtout rencontré un type qui- enfin, c'est pas important. Parle-moi de toi.
Jean crut qu'il allait exploser pour de vrai cette fois tant le venin se déversa rapidement dans ses veines.
- Que je te parle de moi ?
- Ouais, tu fais quoi ? Ça se passe comment tes études de… ciné ?
- J'ai arrêté. Je travaille.
- Je suis pas le mieux placé pour dire ça, mais tu devrais continuer. Ça avait l'air de te plaire, la dernière fois.
- La dernière fois il y a un an, ouais peut-être.
- Ouais, d'accord, tu sais c'est ultra dur de trouver du temps pour-
- Pour m'appeler ? Quoi, tu veux pas en faire un truc annuel ? Et bien sois tranquille, je te délivre de tes fonctions.
- Quoi ?
- Ça veut dire que t'es pas obligé de m'appeler, connard !
Jean résista à l'envie de raccrocher dans l'immédiat, la respiration erratique tant il avait du mal à se concentrer sur ce qu'il voulait dire plutôt que sur ce qu'il ne voulait pas dire.
Un soupir lui répondit, et il imagina Eren se pincer l'arête du nez pour éviter de s'énerver. Ça n'avait jamais vraiment fonctionné. Et pourtant, plutôt que l'habituel flot d'injures qui suivait ses déclarations enflammées, ce fut une voix pleine de douceur qui lui répondit :
- Tu m'en veux ?
C'était pire encore que de l'entendre dire qu'il le détestait, que de l'entendre lui crier à la figure qu'il aurait voulu ne jamais le rencontrer. Si bien que Jean soupira, lui aussi, et fit de son mieux pour calmer l'insatiable lui qui en voulait au monde entier, de toute façon.
- Non.
- D'accord. Tu me manques.
Jean compta jusqu'à six, et puis abandonna l'idée d'effacer la réplique qui lui trouerait la langue s'il ne s'en débarrassait pas.
- Toi aussi tu me manques.
Il l'entendit sourire, l'entendit lui souhaiter une bonne nuit, l'entendit raccrocher, et s'entendit à peine renifler.
Quand Jean essayait d'avancer, essayait de se dire qu'Eren ne reviendrait pas, il était là à l'appeler et lui dire des conneries pareilles, des mensonges aussi gros que des maisons.
Comment Jean pouvait-il manquer à Eren quand Eren avait à côté de lui tout ce qu'il avait toujours voulu ? Comment pouvait-il oser lui faire croire qu'un jour, un jour il reviendrait quand il lui suffisait de faire deux pas pour voir la mer et soudain, se sentir plus libre qu'aucun des hommes ?
Eren avait une âme volante, une âme de marin peut-être, une âme bleutée. Jean le savait. Et Jean ne voulait pas qu'il revienne s'ancrer à une terre qui ne lui correspondait pas pour, des années plus tard, le regretter à s'en mordre jusqu'au sang.
Il aurait pu lui avouer qu'il l'aimait mais, à dix-neuf ans, Jean changea de numéro.
« Alors, du haut des cieux, il regarde la mer avec épouvante, et l'effroi voile ses yeux d'épaisses ténèbres »
En fait, Jaeger, t'es comme une publicité. Le genre de trucs qui dit aux gens que y'a pas de mal à s'en approcher, à le prendre du rayon pour l'observer sous toutes les coutures, à peut-être éventuellement le mettre dans son panier.
Sauf que toi, personne te regarde vraiment. On se demande le prix, on se dit que c'est cher payé quand même, pour un truc pareil. Sauf que t'es là, d'un coup tu souris et c'est le monde à l'envers : tout le monde a envie de t'acheter.
Moi je te veux pas. Je te veux pas parce-que t'es le genre de truc que je vais laisser traîner sur mon étagère pendant trop longtemps, et tu vas prendre la poussière. C'est ce que tu fais, non ? Tu prends la poussière. Tu t'imagines avoir des envies et des ennemis partout mais dès que tu changes d'avis, c'est ton univers qui explose, et tu disparais dans un tourbillon de nouveauté. J'ai pas envie de changement. Pas envie de toi, pas envie de ton monde trop rempli d'étoiles.
Tu sais que parler de plus tard, plus tard, plus tard, mais moi je veux te parler de maintenant. De ce que je fais de toi, objet sur mon étagère. Je t'ai acheté sans y réfléchir, et je dirais même que t'étais un produit gratuit parce que mon montant de courses était trop élevé. J'aimerais te reposer dans le rayon, et que tu me dises que ça te convient.
Mais t'es pas comme ça, hein ? T'es obligé de dire tout ce qu'il te passe par la tête. C'est quoi le souci ? Tu crèves si tu le fais pas ? D'accord, alors fais-le. Fais-le jusqu'au bout, fais-le jusqu'à ce que t'aies écrasé le cœur de tous les humains sur toute la planète entière.
Je dis ça parce-que je sais que tu vas m'écraser le cœur. Peut-être pas maintenant, peut-être pas demain, mais mardi par exemple, une fois où je t'aurais dit quelque chose de travers et que tu seras obligé de le prendre pour toi, comme si l'univers tournait autour de ton nombril et de ta sale gueule.
T'embrasses même pas bien, t'embrasses comme un pied, comme si t'avais tout à perdre dès demain. Faut que t'arrête d'être aussi désespéré, de te balader avec ta couverture faite d'énergie noire comme ça là. Quoi, tu sais pas quoi faire de ta vie ? Tu sais pas par où aller ? Spoiler alert mec, t'es pas spécial. T'as rien de spécial. T'es pas le putain de héros que tu prétends d'être, parce que de toute façon, il y a rien à sauver.
Alors dis pas que j'ai le sourire triste ou que t'as envie de me porter, parce-que ça me donne juste envie de t'exploser la tête contre le bitume. Je suis pas à réparer. Et t'es pas un réparateur d'humains. Les réparateurs d'humains seraient même pas beaux, si ils existaient.
Et toi t'es beau. Quand même. Même si t'as une sale gueule, parfois quand tu souris, ça chatouille. Parfois quand tu souris, ça fout la trouille aussi. Parce-que je le sens, toi non plus tu sais pas quoi faire avec tout ça, t'es aussi perdu que moi.
Un peu comme dans un labyrinthe, sauf que t'as la clé mais que tu l'utilises pas. Alors fais-moi plaisir et regarde ce putain de plan au lieu de me faire tourner en rond.
Connard.
Jean reconnut l'adresse avant d'y arriver. Il ne savait pas exactement comment il la connaissait, mais il avait sûrement dû la mémoriser par hasard. Il hésita avant de toquer, sa pizza entre les mains et son casque à ses pieds pour être un semblant présentable devant celui qu'il pensait certainement être derrière la porte.
En effet, Armin lui ouvrit presque immédiatement, avec son sourire de tous les âges.
- Jean ! Je savais que tu travaillais là-bas.
- C'est pour ça que t'as commandé ?
Jean lui rendit doucement son sourire, essayant d'ignorer à quel point le voir lui sans en voir un autre était une sensation étrange qui ranimait tout le manque qu'il avait tant bien que mal enterré.
- Non, enfin peut-être. J'ai surtout faim. Mikasa est passée hier et elle a vidé mes réserves.
Jean, toujours un peu empoté dans son habit de livreur, lui tendit la fameuse pizza et son sourire s'agrandit à la mention de cette fille qu'il avait toujours admirée, sûrement plus que toutes les personnes qu'il avait jusqu'à ce jour rencontrées.
- Heureusement que je suis là alors.
- C'est clair. Je t'offre un truc à boire ?
La formule faisait trop adulte pour un garçon qu'il connaissait depuis ses huit ans. Jean secoua doucement la tête.
- Non merci, j'ai pas terminé.
- Quand est-ce que tu finis ?
Voyant que Jean ne répondit pas vraiment et se contenta de faire semblant d'y réfléchir, le blond reprit plus rapidement :
- T'en fais pas. C'est pas grave. Une autre fois ?
Sûrement qu'Armin fit semblant de ne pas voir les élans rassurés du sourire de Jean.
- Ouais. Une autre fois. Carrément.
Au moins, il avait recommencé à aller en soirée. Du moins, il s'y présentait de temps en temps.
Ils se regardèrent dans le blanc des yeux un instant jusqu'à ce qu'enfin, Jean semble se souvenir qu'il devait partir.
- Bon-
Armin le coupa avant qu'il n'use d'une formule de politesse malvenue.
- Jean, tu vas bien ?
Jean trouva la question ridicule, mais se garda bien de le lui dire. Ou peut-être que s'il faisait pleurer Armin, Eren reviendrait lui faire la leçon.
Mais Jean allait bien. Il avait fini par comprendre qu'il devait aller de l'avant et qu'il se devait, pour lui et peut-être pour sa mère, de reprendre sa vie en main.
- Ouais. T'en fais pas.
Armin après tout, Armin l'avait vu au départ d'Eren, avait vu son cœur brisé d'adolescent. Mais aujourd'hui Jean était un adulte, un adulte en pleine et bonne possession de ses moyens, si bien qu'il se voyait mal s'apitoyer sur son sort qui finalement, n'était pas si terrible. On n'a pas idée après tout, d'avoir mal au cœur trop longtemps.
- Il va bien.
- Quoi ?
- Eren. Il va bien.
- D'accord. Tant mieux pour lui.
Il ne voulut pas savoir comment Armin le savait.
- Il m'a envoyé une carte. Tu veux la voir ?
Pour y lire des courbes qu'il avait vues et revues à force de lire des lettres d'excuse imposées par le principal après une bagarre un peu plus violente que les autres ? Non merci.
- Non merci.
- Il a demandé ton adresse.
Jean sentit son cœur tomber dans ses chaussettes et maudit Eren Jaeger sur dix-huit générations. On n'a pas idée d'avoir mal au cœur si longtemps.
- Ne lui donne pas.
- Je ne la connais pas.
- Tant mieux.
Ils échangèrent un dernier sourire, un dernier au revoir et Jean reprit sa tâche.
Ce soir-là l'appartement lui parut bien vide, malgré les ronflements de Connie, malgré le rythme de l'horloge qu'ils avaient accrochée sans raison, malgré le cri dans sa tête qui lui disait encore et encore qu'Eren lui manquait.
Il aurait voulu lui dire qu'il l'aimait, et lui dire qu'il aurait voulu le voir pour son vingtième anniversaire.
« tremblant et n'ayant plus rien pour se soutenir, il tombe »
Jean sentit son souffle contre sa peau, et il posa ses mains en coupe sur son visage pour le pousser à relever la tête – non, pas pour le pousser tout court, pas ce soir, pas maintenant.
Il chercha son regard, y posa le sien et évalua à combien ses yeux étaient marron. Il aurait voulu qu'ils soient bleus. Trop, sûrement, mais assez pour l'emporter lui. Il approcha sa tête pour déposer un baiser sur ses lèvres, et ramena son corps contre le sien. Il savait ce qu'il voulait, et la chaleur physique lui suffisait.
De toute façon, il l'avait compris en posant sa main sur sa taille, quelques heures plus tôt, perdu dans le canapé de Sasha, et il se l'était remémoré en franchissant le pas de la porte d'un air un peu précipité.
Il n'y arriverait pas.
Il avait beau plonger à cœur ouvert dans tous les bras qui s'ouvraient à lui, il fallait toujours d'abord qu'il touche les cheveux, regarde les yeux, sente le parfum et le grain de peau. Il ne cherchait pas la douceur, mais rien d'amoureux non plus – juste, ce regard bleu, qui l'était trop.
L'autre ne s'en formalisait pas. Il avait à peine retenu son nom -non, il aurait surtout voulu ne pas le retenir. Marco. Marco et ses jolies taches de rousseur, qui n'avaient rien à faire là de toute façon, Marco et ses yeux bruns qui auraient dû être bleus (au moins verts, mais verts c'était quand même beaucoup), Marco et son joli sourire.
Peut-être Armin pensait-il bien faire en le lui présentant. Mais maintenant, Jean se retrouvait avec un type dont il ne voulait plus dans son lit. Enfin, sa compagnie ne le dérangeait pas.
- Ça va ?
Même sa voix avait des inflexions trop douces.
C'était peut-être pour ça. Peut-être pour ça que Jean s'y accrocha de toute ses forces, en se disant qu'il ne le reverrait pas, qu'il aurait mieux fait de coucher avec lui, qu'il laissa tout se mélanger et que son souffle le trahit :
- Non.
Quand Marco s'allongea près de lui et glissa une main dans ses cheveux pour lui apporter un semblant de réconfort, le jour se levait dehors. Jean le nota parce-que derrière, la lumière qui filtrait des volets à moitié fermés donnait au garçon un air angélique.
- Tu veux en discuter ?
Jean secoua doucement la tête et le laissa le caresser, incapable d'enlever sa main, incapable de ne pas s'imaginer quelqu'un d'autre au bout de ce bras, quelqu'un d'autre que lui voulait effleurer.
- Non.
- D'accord.
Marco murmurait, Marco murmurait beaucoup, des mots rassurants sûrement, mais Jean ne les entendait pas vraiment. Il avait envie de dire, de raconter tout son désespoir – lui qui croyait que c'était Eren le porteur officiel, voilà qu'il reprenait le flambeau.
Et Jean avait mal, et ça lui bouffait le cœur de l'avouer, mais c'était devenu tellement physique qu'il avait envie d'en vomir. Et Jean ne voulait pas qu'Eren revienne, il ne voulait pas qu'il revienne après s'être brûlé les ailes sur des espaces bleus trop grands, tellement grands qu'ils lui feraient prendre conscience de son immense petitesse, de sa faiblesse intersidérale. Et Jean cracha, il cracha tout son saoul dans les oreilles de Marco qui l'écouta. Et Jean avoua qu'il fallait qu'il se débrouille, qu'il fallait qu'il passe à autre chose parce qu'il ne faudrait surtout pas, surtout pas qu'il attache sa vie à l'individu le plus instable de la planète.
C'était la façon dont il était parti, la façon qu'il avait de toujours vouloir aller plus loin, toujours vouloir découvrir plus. Et Jean restait en arrière, le cœur sur les genoux, à recoller les morceaux parce qu'il avait fait l'erreur de lui en donner trop.
Le soir de ses vingt ans, Jean rencontra Marco, et peut-être que Marco lui sauva un peu la vie, juste un petit peu.
« Les flots azurés lui ferment la bouche. »
Six mois après ses vingt ans, Jean savait. Il savait parce qu'Armin l'avait prévenu, que Sasha ne parlait que de ça, que même Mikasa semblait plus heureuse que d'habitude et que Connie lui lançait des regards en coin tous les quarts d'heure. Marco aussi, d'ailleurs, Marco qu'il avait gardé près de lui et qui aujourd'hui, se comportait en meilleur ami.
C'est pour ça qu'il était resté là, Jean, entre son devoir à rendre et sa tasse de thé froide, incapable de se concentrer pourtant sur autre chose que les aiguilles de la vieille horloge toujours là sans que l'on ne sache pourquoi.
Il attendait que la porte toque, que la sonnette sonne, qu'une intervention divine ne signale la présence renouvelée de quelqu'un qu'il n'a pas su oublier. De quelqu'un qui aujourd'hui, lui serrait toujours le cœur, mais sans lui donner envie de ne plus avancer. Jean avait avancé, et il aimait y voir la preuve dans la reprise de ses études, et dans l'invention des Soirées Jeux de Société tous les mardis.
Il évita de se demander si Eren y assistera : lui savait pourquoi il rentrait, savait ce qu'il avait vu, là-bas, par-dessus le grand bleu, et se doutait que le brun aurait besoin de temps pour apprendre à respirer à nouveau le même air qu'eux, le même air urbain. Qui sait s'il ne repartirait pas ?
Enfin, il n'avait toujours pas toqué.
Et puis, et puis une demi-heure plus tard, le bruit des clés dans la serrure le fit sursauter, froncer les sourcils. Il leva son regard de son ordinateur et quand une tête brune dépassa de la porte, il sentit une vague de soulagement quand Eren – Eren Eren Eren Eren Eren – se présenta sur son perron.
Il se leva, lâcha ce qu'il faisait et fit les quelques pas qui les séparaient, sans s'approcher de trop, le corps soudain trop grand et trop maladroit pour tout ce qu'il aurait voulu transmettre.
- Hey.
Jean avait raison : la voix d'Eren avait changé. Mais la sienne aussi, la sienne aussi était devenue plus grave, plus assurée. Alors il enfonça ses mains dans ses poches et afficha ce sourire-là, celui-là qui lui donnait envie de lui arracher la tête.
- Bah alors Jaeger, tu t'introduis chez les gens maintenant ?
Le tout lui parut si naturel qu'il en eut le vertige. Il vit les rougeurs d'Eren et s'en attendrit sans vraiment le vouloir.
- Connie m'a passé tes clés…
- D'accord. Tu veux quoi ?
- Quoi ?
- À boire ?
Jean s'amusa de son soulagement, comme s'il n'y avait pas presque quatre ans qui les séparaient, et ils se posèrent vite tous les deux sur le canapé, une tasse de thé et de café à la main.
- Alors ?
Eren secoua la tête.
- Je te raconterai plus tard.
Il avait grandi, et la lueur dans ses yeux s'était assagie.
- D'accord.
Eren inspira, et se tourna vers Jean qui le regardait plein de questions. Après tout, il devait bien masquer son cœur tremblant.
- Je sais pas trop où t'en es aujourd'hui, et c'est super égoïste putain ça fait trois ans, et tu peux pas savoir vraiment, tu peux pas imaginer à quel point tu m'as manqué. Trois ans c'est long, c'est tellement long que j'ai cru que j'allais…je sais pas, pas mourir, mais crever en tout cas. Et merde, tu m'as manqué.
Jean l'écouta sans l'interrompre, un léger sourire au bord des lèvres en observant la façon dont ses lèvres bougeait le plus vite possible, comme si les mots qui en sortaient le brûlaient.
Si Eren était revenu un an plus tôt, il l'aurait sûrement foutu dehors.
- C'est vachement égoïste, t'as raison.
- Putain, soupira Eren en se passant les mains sur les yeux, sûrement fatigué de la longue entrevue qu'il venait probablement d'avoir avec tous les autres.
Jean s'arma de tout ce qu'il avait construit.
- Tu m'as manqué, aussi.
- C'est vrai ?
- Ouais.
Jean avait l'impression de rassurer un enfant, et pourtant Eren avait pris au moins dix centimètres. Mais lui aussi, lui aussi avait changé.
- Juste, reprit-il, laisse-moi te découvrir ? Si ça se trouve, t'es sept fois plus chiant qu'avant.
Il avait murmuré, comme s'il lui disait un secret. Eren le jaugea du regard, jaugea son sérieux, et y trouva la même trace habituelle, la même trace familière et rassurée.
- Ouais. Ouais. Si ça se trouve toi t'es encore plus con qu'avant.
Jean s'en offusqua, pour la forme, et répliqua un truc qui ne volait pas plus haut.
Six mois après ses vingt ans, il retrouva Eren Jaeger, et il savait que cette fois, il lui dirait qu'il l'aimait.
Et je t'imagine souvent regarder l'océan. Je me dis que tu dois en avoir, des crises existentielles, là-bas. Peut-être que t'aurais pas dû partir. C'est triste, de contempler la mer tout seul. C'est triste, de contempler son reflet tout seul.
J'espère que toi, t'es pas trop triste.
Et tu sais, tu sais, t'as beau être ridiculement optimiste et toujours vouloir faire le bien partout, t'as beau être un genre de rayon de soleil, mais t'sais, ceux qui te brûlent la peau, les rayons UV qui te laissent des coups, t'as beau être brûlant comme ça, bah moi je t'aime. Moi je t'aime.
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Merci d'avoir lu, on se retrouve demain pour Childhood Friends, l'avant-dernier jour de la week!
Les passages en gras sont tirés de L'art d'aimer d'Ovide qui reprend le mythe d'Icare (qu'il raconte d'abord dans Les Métamorphoses mais l'ironie était trop forte).
zoubi
