Catastrophique. Il n'y avait pas d'autres mots pour décrire la rencontre avec cet écrivain qui m'inspirait tant. Malgré Lidouvig, l'adorable secrétaire qui nous avait accompagnée et offert la visite au musée d'Anne Frank, les évènements me laissaient un goût amer. Après avoir remercié la femme, nous nous sommes baladés dans un parc, puis le long des canaux, s'arrêtant devant un banc cerné par de vieilles bicyclettes rouillées attachées à des râteliers à vélos et pour certaines entre elles. On s'est assis côte à côte sur le banc, face au canal, et Augustus a passé son bras autour de mes épaules.

Tout en regardant les péniches passées, nous entamions une discussion sur Lidouvig, le musée d'Anne Frank que nous venions de quitter, le restaurant de la veille avec les étoiles que nous avions goûté, tout en évitant soigneusement de parler de Van Houten et sa folie. Peu à peu silence s'était installé de lui-même. Un vieux pont et des maisons pittoresques se reflétaient dans l'eau du canal, rendant ce paysage idyllique.

Étrangement, malgré le temps magnifique, les rires des enfants et les feuilles volant du gré du vent, je trouvai ce silence oppressant.

— OK ? Lançais-je, sur un ton léger.

— Hazel … Je dois te dire quelque chose, déclara Augustus, en se penchant pour poser ses avant-bras sur ses cuisses.

— Laisse-moi deviner, dans le prochain livre, le sergent-chef Max Mayem va décéder, mais va se réincarner en zombie ?

Mon air amusée se fana lorsqu'il me regarda. Il n'y avait pas de rires, d'amusement, ou de joie lisible sur son visage. Mais de la fatalité et de l'indifférence dans ses pupilles.

— Juste avant que tu sois admise en soins intensifs, commença Augustus sans répondre à ma blague, j'ai ressenti de fortes douleurs dans la hanche.

Si respirer n'était pas un automatisme, j'aurais oublié de le faire en réalisant la signification de cette annonce. Soudain, tout prenait sens.

— Non... Murmurai-je, soudain paniquée.

— Vois ça comme un voyage de noces funèbres, plaisanta mon amoureux.

Des larmes dévalèrent malgré moi mon visage. Le cancer avait gagné. Augustus était condamné.

— Hanche, plèvre, foie… Énuméra gus, en sortant une cigarette de son paquet. J'ai scintillé comme un sapin de Noël. Il y en avait partout.

Partout.

Partout.

Partout.

Ce mot résonna en boucle dans mon l'esprit, ne comprenant que trop bien leur signification. Il ne vivait plus, il survivait. Les métastases, les cellules cancéreuses, avaient trouvé un nouveau nid douillet pour proliférer. L'ostéosarcome vous prend généralement une jambe, histoire de vous tester. Si vous lui plaisez, il prend le reste. Augustus n'avait pas eu un vœu de la fondation Génie grâce à sa jambe, mais grâce au reste.

— Gus, tu vas te battre, tu gagneras encore une fois ! On se battra ensemble ! M'écriai-je, en me levant brusquement, manquant de faire tomber ma bonbonne d'oxygène rangé dans mon sac à dos à roulettes. Je t'interdis de te laisser abattre.

— J'aime te voir comme ça, Hazel-Grace Lancaster. Tu ferais un très bon Max Mayem.

— Je suis une grenade dégoupillée, déclarai-je à voix basse, repensant à ce que j'avais dit à mes parents quand ils m'avaient dit que je faisais mon ado. Je suis une grenade dégoupillée et, à un moment donné, je vais exploser.

Ce jour-là, je me suis trompée. Ce n'était pas moi la grenade. C'était lui. Et quand il explosera, il dévastera tout sur son passage. Y compris moi.

Je retombai sur le banc, essoufflé et fataliste.

— Ah oui ? Je ferais mieux de partir alors, je compte bien profiter du reste de ce voyage. Mais comment as-tu pu prendre l'avion, je croyais que les explosifs étaient interdits ? Plaisanta Gus, en rangeant sa cigarette métaphorique dans son paquet.

Je ne pus m'empêcher de rire, ou de pleurer, je ne savais plus trop à ce stade.

— Ok ? Demanda doucement mon petit ami, en me donnant un mouchoir.

— Ok.

— Tant mieux ! S'exclama Augustus en se levant. Aller vient, Amsterdam n'attend que nous !

Prenant sa main tendue, je me relevai. Après avoir essuyé mes larmes, je le regardai, une seule question au bord des lèvres.

— Comment peux-tu garder le sourire ?

— Je suis sur des montagnes russes qui ne font que monter ! S'exclama l'unijambiste, en joignant le geste à la parole, avant de me regarder et d'ajouter d'une voix douce. Hazel, si tu ne sèches pas ces larmes tout de suite je te promets que notre Ok va devenir Toujours.

— Ok, ris-je doucement, entre deux sanglots.

— Ok pour ok ou ok pour toujours ? Demanda-t-il avec un air taquin.

— Peut-être bien que notre ok peut devenir notre toujours ?

— Ok.

Oubliant le drame, nous rions en cœur, puis marchons main dans main, laissant nos pas nous guider. L'eau clapotait doucement contre les berges en brique du canal. Le silence revenait, mais autour de nous, il y avait tant de choses à regarder qu'il n'avait rien de bizarre. Mais j'avais du mal à oublier que le dîner, comme le voyage lui-même, était un cadeau cancer. Autour de nous, les graines d'ormes ressemblant à des pétales de rose miniatures et délavés étaient portées par le vent, tout comme une douce mélodie émanant d'un violon.

Attirées par la musique, nous approchons, avant de nous arrêter, regardant le musicien manier son violon comme un virtuose.

— C'est une valse, murmurais-je pour moi-même. Ça me donne envie de danser.

— Crois-tu que tes poumons accepteraient une dernière danse ?

— Crois-tu que tes jambes supporteraient la douleur de cette dernière danse ? Demandais-je sur le même ton atone, sachant déjà la réponse.

— J'en suis sûr.

Je rangeai la poignée télescopique de mon chariot, avant de sortir les bretelles. Je le mis en sac à dos, avant de regarder Augustus, un grand sourire aux lèvres.

— Ok.

D'une démarche chaloupée, il alla vers le musicien, sous mon regard perplexe, et celui tout aussi désarçonné du musicien qui ne semblait pas comprendre grand-chose à ce qui arrivait. Autour de nous, les autres personnes qui s'étaient arrêtées regardaient la scène d'un air passif, se demandant probablement si la musique allait reprendre.

— Vous voyez cette fille magnifique qui ressemble à Natalie Portman dans les années 2000 et dans V pour vendetta ? Eh bien c'est ma petite amie. Et il se trouve que ma petite amie a une envie folle de danser.

— Augustus ! M'indignais-je, atrocement gênée.

— Hazel Grace Lancaster, m'accorderez-vous cette danse ? Demanda Augustus, en me tendant la main.

Pendant une fraction de seconde, je me demandais si c'était réellement raisonnable. Est-ce que mon corps allait suivre ? Oh et puis zut, j'avais bien réussi à monter puis à descendre les trois étages de la maison d'Anne Franck.

— Ok.

— Ok.

Le violoniste recommença à jouer, un air lent et langoureux que je ne reconnus pas. Ma main gauche dans la sienne, ma main droite sur son épaule, tandis que lui avait sa main droite dans la mienne et sa main gauche sur ma taille, nous nous mîmes à danser, lentement, langoureusement, si bien que l'effort demandé était moindre comparé aux escaliers montés plus tôt dans la journée.

J'étais dans mon monde, oubliant mon cancer, son cancer, ma fatigue, sa fatigue. Il me fit tourner sur moi-même, toujours avec ce sourire qui me faisait craquer. Je dansais en oubliant le cadeau cancer. J'étais juste là, au bord des canaux d'Amsterdam, sous le ciel rougeoyant du crépuscule et les pétales qui se baladaient au gré du vent, regardant Augustus dans les yeux.

Je dansais pour oublier tout. Pour oublier tout, sauf lui.