HELLO avant-dernier jour how are we feeling ?

J'espère que vous allez bien, on se retrouve pour Childhood Friend dont le titre alternatif est "carrefour AU" mais qui en fait n'a RIEN d'un carrefour AU, yep.

amusez vous bienn

Lorde - Sober


It's time we danced with the truth


Jean déposa les deux bouteilles d'alcool et le paquet de chips qui lui encombraient les bras sur le comptoir du caissier sans lever les yeux, profitant de sa soudaine liberté pour attraper le téléphone qu'il avait coincé entre son épaule et son oreille.

- Non, je t'ai déjà dit que j'ai pas envie de voir du monde.

À l'autre bout de la ligne, Connie insista que c'était quand même sa fête de retour, et que ça faisait quand même longtemps que les autres ne l'avaient pas vu, mais Jean ne changea pas d'avis : il n'avait pas l'énergie de faire une soirée digne de ce nom, pas alors qu'il avait roulé toute la journée la veille. Quelle idée, aussi, de revenir s'installer ici. Il fallait dire que les bâtiments vieillots et les routes pavées ne lui avaient pas manqué. Même le vieux magasin rescapé d'une épidémie de grandes marques n'avait plus la même odeur, plus la même présence.

Jean raccrocha enfin et leva les yeux sur le caissier, prêt à présenter ses excuses pour son impolitesse, quand enfin il croisa son regard et que toutes ses belles paroles s'évanouirent sur ses lèvres pour ne laisser place qu'à un seul nom :

- Jaeger.

Eren le dévisageait comme s'il venait de voir un fantôme, et peut-être qu'au fond, c'était un peu le cas. Depuis quand ne s'étaient-ils pas vus ? Jean n'osa pas faire le décompte, de peur de sentir son estomac se serrer. Il inspira, et percuta : bien sûr. Il était dans l'épicerie de Carla Jaeger. La même qui l'avait accueilli durant les jours de pluie après l'école, qui avait soigné ses bleus quand il s'était battu avec ou aux côtés d'Eren, celle qui lui glissait toujours un bonbon en plus des courses qu'il faisait pour son père.

Il déglutit pour se donner contenance et trouver un truc à dire, mais comme par automatisme, il s'y prit comme un pied :

- Vraiment là où je l'imaginais, hein.

Eren, lui, semblait incapable de se remettre de cette apparition venue d'outre-tombe. La remarque eut au moins le mérite de lui faire froncer les sourcils, mais Jean attira déjà son attention sur ses courses en les poussant vers lui, l'empêchant de placer correctement la réplique acerbe qui lui brûlait sûrement la langue.

- C'est un job d'été, marmonna le brun.

Jean lui tendit un sourire doucement moqueur et le regarda scanner ses courses en les récupérant une à une pour les mettre dans son sac. Il aurait presque pu dire qu'ils s'étaient vus la veille, si ce n'était pour le bout des doigts tremblant d'Eren et sa propre fébrilité.

Une fois qu'il eut rangé tous ses achats, il le dévisagea un poil plus longtemps que nécessaire, essayant de trouver ce qu'il fallait dire dans ces cas-là. Eren le prit de court :

- Tu veux aller faire un tour ?

Jean considéra à peine l'idée avant de hocher la tête. Le brun contourna le comptoir et puis une fois qu'ils furent tous les deux dans la rue, indiqua que le magasin était momentanément fermé. C'était au moins l'un des avantages de travailler dans un aussi petit village.

À la seconde où Jean se retourna face au vent, les embruns marins frappèrent son visage et comme à chaque fois qu'il rencontrait cette odeur, il se sentit happé des années en arrière.

- Comment va ta mère ? demanda Eren, le tirant sans ménagement de ses pensées.

Jean haussa les épaules en se faisant la réflexion que cette conversation ressemblait beaucoup trop à une discussion d'adultes.

- Elle va bien. Toujours en ville.

Eren hocha vaguement la tête, et Jean se détesta un peu de pouvoir palper la distance qui les séparait alors que leurs bras se frôlaient presque.

- Et la tienne ? reprit-il finalement, repensant aux jolis cheveux de Carla Jaeger, dont son fils n'avait pas hérité.

Au tour d'Eren d'hausser les épaules, faisant penser à Jean qu'il dirait moins que la vérité.

- Elle se repose.

Jean eut un bruit approbateur et naturellement, ils se dirigèrent vers la digue, à peine décorée d'un chemin artificiel bordé de pierre et d'une barrière rouillée. Peut-être ne l'était-elle pas avant qu'il s'en aille. Ils s'y adossèrent, Eren face à la mer et Jean lui tournant le dos pour ne pas avoir le vent dans les yeux.

- C'est le moment où je te demande ce que tu deviens ? Puisqu'apparemment c'est un « job d'été ».

Le brun eut un rictus et se tourna vers lui, haussant les épaules.

- Et c'est le moment où j'dis pas grand-chose, c'est ça ?

Jean eut un léger rire.

- Je préférais encore quand on se tapait dessus.

- Je te l'aurais proposé, mais j'ai trop peur de te faire mal.

Là. Malgré la lourde incertitude dans sa voix, Jean enfonça la porte qu'Eren venait de lui ouvrir.

- On sait tous les deux que j'ai toujours eu l'avantage.

- Ouais, ça c'est ce que tu te disais pour dormir le soir.

- Évite les amalgames entre toi et moi, s'il te plaît.

Le visage d'Eren s'était doucement transformé, gardant une forme de méfiance sous-jacente mais affichant au fond de ses pupilles cette étincelle que Jean n'avait jamais su éteindre, mais qu'il avait appris à entretenir.

- C'était Connie ?

Pris par surprise, Jena mit quelques secondes à percuter qu'il avait changé de sujet.

- Au téléphone ?

- Ouais.

- Ouais, c'était lui, affirma Jean en désignant d'un air absent le contenu de son sac, je vais chez lui ce soir.

- Je suis la première personne que tu revois ?

- Si tu comptes pas le type insupportable de la station d'essence, la proprio et le flic qui traîne toujours dans le coin, alors ouais.

- Je sais pas si je dois me sentir flatté.

- Carrément pas. J'avais tout à fait oublié ton existence jusqu'à il y a quelques minutes.

- Menteur.

Pour toute réponse, Jean lui offrit un sourire. Bien sûr qu'il mentait : même dans l'optique où il ne s'était pas inscrit dans sa mémoire, Eren était quand même celui qui lui avait fait sa première cicatrice et ça, ce n'était pas chose à oublier.

Il reprit au bout de quelques secondes, ignorant toujours la fragilité de son attitude face à ce garçon qu'il pensait ne jamais revoir.

- Et les autres ? Comment ils vont ?

Eren haussa les épaules et Jean se rassura en se disant qu'ils avaient sûrement tous les deux la même impression de fausse familiarité, et peut-être même la trouvaient-ils tous les deux dérangeante.

- Mikasa travaille en bas, dit-il en désignant la rue qui abritait le seul restaurant du coin, et Armin est parti faire ses études.

- Tant mieux pour lui.

Jean enregistra les informations et se demanda si Eren était blessé d'avoir vu ses amis partir un à un. Enfin, il n'était même pas certain de pouvoir s'imaginer un jour avoir été son ami. Il ne pouvait se poser en connaissance non plus, non, ils étaient à mi-chemin entre Pire Ennemis et Meilleurs Amis, et c'était une place bien étrange. Peut-être était-ce ce qui faisait qu'aujourd'hui, il avait autant de mal à savoir comment il devait se comporter.

- Tu voulais pas partir ? demanda-t-il finalement, porté par le silence qui s'étendait.

- Tu voulais pas rester ?

Jean haussa un sourcil en se tournant vers Eren, inquiet d'avoir véritablement saisi des accents pleins de reproches au fond de sa gorge.

Sûrement parce qu'il ne sut pas comment réagir, il s'arma de son meilleur sarcasme en laissant échapper un rire qui lui brûla la gorge.

- Je t'ai manqué ?

Eren détourna le regard sur la mer, rougissant déjà d'inconfort.

- Jamais de la vie.

Jean continua dans cette voie, incapable de s'ôter de la tête le timbre du brun qui résonnait encore contre ses tympans. Tu voulais pas rester ?

- Tu peux me le dire que tu pensais à moi en regardant les étoiles.

- Toi tu les voyais même pas.

- Quoi ?

- À cause de la pollution. Tu les voyais même pas.

Jean s'accorda quelques secondes pour y réfléchir, mais il dut lui donner raison assez rapidement :

- Ouais.

- Elles t'ont manqué ?

- Toi ou les étoiles ?

- Donc t'es toujours un gros con.

- Et toi un romantique à deux balles, incroyable. On fait la paire.

- Dans tes rêves.

Le sourire qui naissait doucement au coin des lèvres d'Eren ne mentait pas, et son estomac qui se réchauffait non plus : bien sûr que le brun lui avait manqué. Il ne s'en était pas rendu compte au milieu des taxis et des klaxons incessants, mais maintenant qu'il en avait la preuve sous les yeux avec seulement les bruits de la mer pour interrompre sa réflexion, il était bien plus difficile de ne pas l'accepter.

Il le poussa légèrement à l'aide de son épaule, peut-être pour effacer ces idées de son esprit. Il n'avait pas besoin de se répéter ce qu'il avait toujours su. Eren le lui rendit bien, et ils eurent quinze ans à nouveau, jusqu'à ce que Jean s'écarte de quelques centimètres pour essayer d'arrêter de sourire.

- Tu veux venir ce soir ?

Eren leva la tête vers lui, oubliant la mer, et haussa un sourcil. Peut-être était-ce le ton un peu précipité de Jean ou bien le fait qu'il ne le regardait pas vraiment, mais il avait l'air méfiant.

- Chez Connie ?

- Ouais.

- T'avais pas dit que tu voulais un petit comité ou quelque chose comme ça ?

- Personne t'as appris que c'est archi malpoli d'écouter les conversations des gens ?

- Quand le type gueule en face de toi c'est un peu compliqué de faire autrement.

Jean leva les yeux au ciel, amusé.

- D'accord. Et, ouais, mais quatre c'est un petit comité.

Eren sembla faire le décompte.

- Avec Sasha aussi ?

- Ouais. Ramène Mikasa si tu veux.

- Elle travaille.

- Dommage.

- On peut passer la voir, si tu veux.

- Elle va me casser le nez.

- Oui, sûrement.

Jean évalua son sérieux et haussa un sourcil.

- Pour du vrai ?

Eren hocha la tête, l'air grave.

- Elle t'en veut.

- De quoi ? D'être parti ?

C'était une hypothèse qui semblait ridicule, et Jean peinait sincèrement à comprendre pourquoi l'incroyable Mikasa lui en voudrait. Elle l'avait déjà recalé assez sèchement en cinquième, s'était vengée quand il avait laissé un bleu sur la joue d'Eren et pour toutes les autres fois où ils s'étaient battus l'un contre l'autre ou contre les plus grands du lycée qui trouvaient amusant de se moquer d'Armin.

Et Eren ne répondait pas, et se contentait de le fixer avec cette étincelle au fond des yeux à laquelle Jean s'était autrefois accroché de toutes ses forces.

- Tu te fous de moi, c'est ça ?

- Elle te fait peur.

- Oui. Elle te fait peur aussi.

Eren perdit un peu de sa superbe.

- Ouais, d'accord.

Jean ouvrit la bouche pour reprendre, mais le brun fut plus rapide :

- Je dois retourner travailler, on se voit plus tard ?

- Chez Connie ?

Eren sembla considérer l'idée à nouveau, et puis haussa les épaules.

- On verra.

Jean hocha la tête, et le regarda s'en aller, le laissant en tête-à-tête avec l'étendue marine qui s'étendait à ses pieds.

Quand il fut certain qu'Eren fut assez éloigné, il s'avachit contre la rambarde de sécurité en soupirant, et laissa libre cours à toutes les pensées qu'il avait censurées dans son esprit pour pouvoir garder un semblant de normalité face au brun.

Cependant, il devait bien se l'avouer maintenant que la ville l'avait aidé à grandir et à s'affirmer : Eren était devenu magnifique. Il avait poussé d'une dizaine de centimètres par rapport à celui qui traînait dans ses souvenirs, portait une délicieuse odeur de sel marin et ses cheveux étaient à peu près coiffés – pour une fois. Sa voix, aussi, était descendue de quelques octaves, et surtout, il renvoyait une impression bien plus mesurée que Jean ne savait pas s'il devait détester ou adorer.


We pretend that we just don't care, but we care


Retrouver Connie et Sasha fut plus instinctif encore que de débarrasser son salon de ses cartons. Les deux faisaient toujours la paire, et il fallait dire que leurs nombreux appels au fil des années et leurs quelques visites à la capitale aidaient.

Jean s'abandonna à ses retrouvailles, avachi sur ce canapé récupéré chez les parents de Connie – il l'avait reconnu à ses marques caractéristiques de feutre et à la déchirure sur le côté. Il laissa la discussion le porter, un verre de vin à la main, pour l'instant seul indice de l'âge qu'ils avaient pris depuis leur dernière entrevue.

- J'ai croisé Jaeger.

Connie pencha la tête par la porte de la cuisine et Sasha, assise à côté de lui, reposa son verre avec de grands yeux.

- Eren ?

- T'en connais un autre ?

Connie haussa les épaules en grommelant que peut-être que lui en avait rencontré un autre, et puis médita de manière plus approfondie le sens des paroles de son meilleur ami.

- Tu l'as invité.

Jean hocha la tête, et il eut peur un instant d'avoir outrepassé ses droits, mais l'expression de Sasha lui apprit qu'il n'avait rien à craindre : il n'avait jamais eu à demander la permission pour emmener les gens qu'il ramassait sur son chemin, et ce n'était pas sous prétexte qu'ils avaient dépassé leur majorité que les règles avaient changées. C'était un des avantages de se connaître depuis leurs premiers mots, sûrement.

- Tant mieux, ajouta la jeune fille, t'as ramené trop d'alcool de toute façon.

Jean eut un rire en observant les bouteilles qu'il avait déposées sur la table plus tôt, et haussa les épaules.

- Il doit sûrement y avoir un dicton là-dessus.

- Si tu le dis, on aura dix ans de plus.

L'affirmation le fit sourire, et au moment où ils allaient passer à table la sonnette se manifesta. Connie hocha la tête en direction de Jean qui quitta le canapé.

Derrière la porte, Eren Jaeger.

Ils échangèrent un sourire, et Jean sembla remarquer pour la première fois la façon dont ses lèvres se soulevaient et la manière qu'il avait de toujours passer une main sur sa nuque quand il ne savait pas quoi dire. Comme prévu, Mikasa n'était pas là.

- Hey, souffla-t-il plus doucement que ce qu'il avait imaginé. T'es venu.

- De toute évidence.

Jean retrouva son sourire ironique et s'éclipsa pour le laisser entrer. Après avoir saluer leurs hôtes, ils se retrouvèrent à table et leur discussion se fit naturellement, comme s'ils ne s'étaient jamais quittés, comme si Eren avait toujours fait partie de leur joyeuse troupe, comme s'il ne manquait pas les trois quarts de leurs amis pour que cette réunion prenne vraiment des airs naturels.

Mais Jean n'en pouvait plus de s'appesantir sur ces choses-là, sur le nombre d'invités et sur leur identité. Il avait eu peur en revenant que ses souvenirs de la ville ne l'empêchent de s'installer correctement, mais ils disparaissaient en un clin d'œil face aux vagues insupportables de la nostalgie.

Le diner était adulte, mais leurs conversations naviguaient toujours entre un mélange d'adolescence tardive et de réminiscences qui quand même, lui réchauffaient le cœur.

Quand Sasha et Connie se levèrent pour débarrasser et les empêchèrent d'aider, Eren et Jean restèrent assis à table à se regarder dans le blanc des yeux durant de longues secondes, jusqu'à ce que le brun ne trouve utile de poser la question que Jean lui-même osait à peine effleurer :

- Ça fait quoi de revenir ?

Le sourire crispé de Jean dut l'avertir, puisque son visage se durcit un peu, comme attendant une grande révélation.

Et Jean n'avait pas envie de mentir, surtout pas quand il était celui qui avait croisé son regard le plus souvent ce soir et qu'il lui avait même offert deux trois sourires. Il avait besoin d'en parler, de discuter de ce qui l'animait, de ce mélange passé-présent qui lui pesait. Comme la fois où il était allé chez Eren après s'être déboité l'épaule à roller, ou bien l'avait retrouvé après s'être fait viré de cours et avoir besoin de se réfugier ailleurs que chez ses parents.

C'était Eren, toujours, Eren et ses mots pleins de venins qui pourtant, lui offraient le réconfort qu'il recherchait.

Peut-être était-ce ce qui lui avait manqué, cette forme de réconfort rude et sans ménagement, de sincérité sans déguisement.

- C'est terrible, avoua-t-il finalement, avec un rictus censé alléger le poids de ses mots pourtant à prendre au premier degré.

- Les souvenirs ?

- Ouais, les souvenirs. Et les gens. Je sais pas. Ça te fait pas bizarre ?

Eren ne médita pas la question un seul instant :

- Non. Enfin, si, mais pas dans ce sens-là. C'est… chouette ? De t'avoir ?

Jean eut un léger rire, et les bruits de la vaisselle à la cuisine s'estompèrent de son champ de perception.

- Tu t'enfonces.

Eren le fusilla un peu du regard, mais Jean en avait vu assez pour savoir que ce n'était pas pour du vrai.

- T'as compris ce que je veux dire.

- Peut-être, affirma Jean.

Eren sembla sur le point de dire quelque chose, mais le retour de Connie et Sasha mirent fin à leur ébauche de conversation. Jean eut tout de même le temps de capter au fond de ses yeux une forme d'inquiétude muette, un manque sourd qu'il crut avoir imaginé.

Ils prirent le dessert et très vite, l'idée de devoir marcher dans le froid se rapprocha. C'était là le propre des diners d'adultes, au fond : ils ne duraient pas jusqu'au petit matin.

Quand Jean se dirigea vers la porte après avoir salué ses hôtes et promis juré craché de revenir – maintenant qu'il était là, quand même. Après avoir enfilé son manteau et mis un pied dehors, il se demanda s'il devait promettre quelque chose aussi à Eren.

- Je te raccompagne ? demanda le brun, le faisant sursauter.

Il hocha la tête doucement et ils s'enfoncèrent dans les courtes rues qui toujours, empestaient la mer.

- Tu penses que je vais repartir ?

La question les surprit tous les deux, et peut-être même plus Jean qu'Eren.

- J'en sais rien.

Peut-être que Jean avait mal interprété ce qu'il avait pensé lire au fond de ses yeux.

- Ça t'inquiète ?

Le vent aurait pu couvrir le son de leurs voix s'ils ne marchaient pas côte à côte, leur bras se frôlant à chaque pas. Mais Eren ne répondit pas, et se contenta d'hausser les épaules. Alors Jean ne rajouta rien, bien incapable de passer outre l'idée qu'il avait plus que manqué à Eren.

Quand ils arrivèrent sur le pas de son immeuble croulant, Jean se tourna vers lui.

- Je pense pas. Que je m'en irai. J'ai pas envie.

- Qui sait ce que tu voudras dans cinq mois ?

Jean haussa les épaules.

- Aucune idée. Mais là, je reste.

La fin de sa phrase résonna pleine de tant de sentiments différents qu'il comprit qu'Eren ne le regarde plus vraiment.

- C'est bon, t'as fini ton numéro ?

- Oh, j'essaye de te rassurer.

- Pas besoin, marmonna le brun entre ses dents.

Jean eut un sourire.

- Très bien, annonça-t-il avec beaucoup plus de tendresse que prévu.

Ils se séparèrent sur un dernier regard, et ce ne fut qu'en refermant la porte que Jean se fit la réflexion qu'Eren habitait quand même à l'autre bout du village.


I'm clean out of air


Il n'y avait pas grand-chose à faire aux alentours, et Jean n'avançait pas vraiment dans sa recherche d'emploi. Heureusement, les réserves qu'il avait de la ville l'aideraient à tenir pendant longtemps. Il n'était pas assez inconscient pour être parti sans ses économies.

Au moins, faire les courses l'aidait à se séparer de la fausse routine qu'il avait installée depuis une semaine qu'il était ici. Il n'avait pas remis les pieds dans l'épicerie des Jaeger depuis son arrivée, et espérait un peu y croiser Eren. Il ne l'avait pas revu depuis ce fameux diner, et peut-être que son manque de compagnie n'étant pas Sasha et Connie faussait ses impressions.

Quand il passa la porte du magasin, il aperçut immédiatement Eren derrière le comptoir, avachi sur son téléphone. La lumière qui filtrait par la fenêtre l'éclairait doucement, et Jean se laissa happer par les reflets dans ses cheveux avant de croiser son regard et d'adopter son rictus habituel.

Le brun se redressa et son visage s'éclaira doucement, faisant de l'ombre au soleil.

- Jean.

L'interpellé hocha la tête dans sa direction, ignorant lourdement le fait que c'était son prénom qui venait de sortir de la bouche du brun. Il flâna un instant entre les rayons qui ne montaient pas plus haut que son torse, si bien qu'il pouvait sentir le regard d'Eren sur sa peau. Il attrapa des boîtes au hasard, faisant à peine attention à ce qui entrait en contact avec ses doigts : juste assez pour prétendre qu'il était ici uniquement pour ses courses.

Quand il déposa le tout sur le comptoir, Eren leva un sourcil interrogateur en détaillant la sauce tomate spéciale pizza, les raviolis et les clous de girofle.

- Si je ne te connaissais pas, commença-t-il trop moqueur pour que la suite plaise à Jean, je dirais presque que t'es pas venu ici pour faire tes courses.

- Je vois vraiment aucune autre raison plausible.

Le ton de Jean était bien trop joueur pour qu'il s'attende à ce qu'Eren le prenne au sérieux dans son déni.

- Dommage.

- Ouais, dommage, souffla-t-il en sortant son portefeuille avec l'impression que les yeux d'Eren voyaient clair dans son jeu et en se faisant violence pour ne pas s'y perdre trop longtemps.

Il régla le total et puis, une fois ses courses dans son sac, resta planté là, incapable de savoir ce qu'il devait dire pour rendre les choses plus faciles. Eren n'avait sûrement pas le temps de sortir.

- Tu veux venir diner chez moi ?

Le brun haussa un sourcil.

- Chez toi ?

- C'est ce que j'ai dit.

Jean faisait de son mieux pour parler par-dessus son rythme cardiaque qui lui crevait les tympans.

- D'accord. Je ramène un truc pour quatre ou… ?

- Sans Connie et Sasha.

- Juste toi et moi ?

- Juste toi et moi.

Eren sembla hésiter un instant, et Jean se demanda ce qu'attendait le sol pour s'ouvrir sous ses pieds et l'engloutir immédiatement.

- T'es sûr ?

C'était une chose véritablement étrange à dire et plus encore à entendre.

- Si je suis sûr ? Pourquoi je serais pas sûr ?

Eren haussa les épaules, et Jean fut frappé par toute l'évolution qu'il avait remarquée sans jamais voir. Eren avait perdu de son côté tête brûlée, et ne se donnait plus corps et âme dans les projets qui l'intéressait. Qu'est-ce qui l'intéressait, d'ailleurs ? La question suffit à raffermir la certitude de Jean : ils avaient besoin d'un vrai tête-à-tête.

Comme le brun ne répondit rien, il prit les devants, plantant son regard dans le sien :

- Chez moi. Dix-neuf heures. Ce soir.

Il n'attendit pas vraiment sa réponse avant de tourner les talons, persuadé que de toute façon, Eren ne devait pas avoir grand-chose à faire au vu des distractions possibles aux alentours.


Go astray with me ?


Eren arriva à l'heure prévu, et une fois qu'ils eurent fait le tour de l'appartement, du repas et des conversations neutres possibles, ils s'installèrent sur le canapé chacun un verre à la main, et se laissèrent dériver sur des sujets plus actuels.

- C'est juste pas comparable, tu peux pas préférer le film aux livres, asséna Eren en levant les yeux au ciel.

Il s'était confortablement adossé contre le dossier et avait jeté une jambe par-dessus l'autre, tourné vers Jean qui secoua la tête.

- Ça reste des émotions fictionnelles et c'est dit dans le nom : c'est de la fiction dans tous les cas. Donc, c'est comparable.

- Non mais de là à dire que c'est la même expérience quand même, je pensais pas que la ville t'avais plus abruti qu'avant.

- Tu sais très bien que ça n'a rien à voir, sourit Jean en retenant son rire qui menaçait de plus en plus de déborder au fur et à mesure que leur conversation tournait au non-sens.

- Franchement, la question se pose, railla Eren, lui aussi souriant.

Jean leva les yeux au ciel.

- Pas pour Star Wars.

- Parce qu'il y a pas de livre.

- C'est ce que je suis en train de te dire.

- Mais qu'est-ce que tu racontes ?

Le sourire de Jean en dit long puisqu'Eren secoua doucement la tête, paraissant incapable de se départir de son air amusé.

Le silence retomba doucement sur leur conversation, jusqu'à ce que le brun reprenne sur un fond de nostalgie :

- Qui l'aurait cru, hein ?

Jean comprit immédiatement de quoi il parlait, et haussa les épaules.

- Moi, peut-être.

- Passer plus dix minutes ensemble sans se taper dessus ?

- Ça faisait longtemps que c'était le cas.

Jean sonnait bien plus doux que ce qu'il imaginait.

- Peut-être, oui.

Après tout, ils avaient beau avoir fait semblant de se détester pendant de trop nombreuses années, ils s'étaient toujours soutenus de la manière la plus silencieuse possible.

- Je préfère ça, quand même, continua Eren.

Pris par surpris, Jean ne trouva rien à redire et se contenta de hocher la tête, posant le verre qu'il avait fini de nombreuses minutes auparavant. Il fut bien incapable de dire si Eren l'invitait à poursuivre ses faux projets ou bien si c'était simplement les éclats de sincérité qu'il avait l'habitude de distribuer à tout-va.

Au fond, il avait plus l'habitude de se battre avec lui qu'avec ses résolutions. Et pourtant, il finit par tourner la tête dans sa direction en s'installant plus confortablement sur le canapé. Il s'abandonna à ses envies et réitéra la question qu'il lui avait posée quelques jours plutôt, quand même curieux.

- Pourquoi t'es pas parti ?

Eren sembla cette fois-ci plus enclin à répondre, puisqu'il commença par hausser les épaules avant d'ouvrir la bouche :

- Je suis resté avec ma mère.

Jean hocha doucement la tête mais ne répondit rien, attendant une suite qui ne tarda pas :

- Elle est tombée malade à la fin du lycée, t'sais. Mais je pense que même sans ça je serais resté. Regarde, t'as bien fini par revenir, et j'pense pas que c'est pour voir la mer, si ?

- Non, en effet.

- Ouais. Il y a un truc qui me manquerait trop, ici. En tout cas ça me va. J'ai pas besoin de voir la ville.

- T'as raison, c'est même pas incroyable.

- Je sais bien.

Ils échangèrent un sourire, et Jean se dit que le voir évoluer en ville serait une vision intéressante.

- Je t'emmènerai quand même un jour.

- Comme pendant les sorties au collège ?

- Encore mieux.

Eren hocha la tête, et le simple geste suffit à sceller une promesse des jours prochains que Jean comptait bien réaliser.


I'm acting like i don't see

Every ribbon you used to tie yourself to me


Bientôt un mois que Jean était revenu, et les élans nostalgiques ne le gênaient plus. Il avait accepté qu'une part de lui ici appartiendrait toujours au passé, mais il s'était fait à l'idée de créer des nouveaux souvenirs par-dessus. En vérité, il comptait en grande partie sur Eren pour cela.

Au bout de quatre semaines, il lui était rapidement apparu qu'hormis les ballades sur la plage, le job qu'il avait récupéré à la miraculeuse cinémathèque à peine fournie et les verres de vin devant la chaîne régionale à dix-sept heures, il n'y avait pas plus distrayant que de voir Eren. Connie et Sasha, aussi, et même Mikasa et Armin qu'il avait croisés durant un weekend où le blond avait fait un saut par ici, mais surtout, Eren.

Eren qui se détachait toujours sur le bleu de la mer, Eren qui l'emmenait dans des endroits qu'il avait connus un jour ou bien d'autres qu'il appréciait découvrir, Eren qui aimait discuter des derniers films qu'il avait regardé – à condition qu'il lui promette de lire le bouquin qu'il lui avait prêté.

Il n'y avait plus aucun doute à avoir : Eren lui plaisait, et peut-être même plus, parfois quand son regard se fondait dans le sien ou qu'il lui proposait de se serrer sous son parapluie et que son rythme cardiaque lui hurlait sa mort imminente.

Ne restait plus qu'à savoir ce qu'il devait faire, maintenant, parce que bien sûr, Jean n'avait plus l'âge de fermer les yeux sur ce genre d'animation interne.

Il prépara un plan, un vrai, avec introduction et conclusion, y mettant quelque part une digression sur pourquoi leur relation avait évolué de la meilleure façon possible et que leurs antécédents houleux ne pouvaient que leur être bénéfique, et puis une fois qu'il fut en haut de la colline sur laquelle Eren le traînait, une fois qu'il le vit sourire en lui présentant la mer comme si c'était la première fois, tout s'évapora et il se mordit la langue sur des mots qui le feraient imploser s'il ne les disait pas dans l'immédiat :

- Tu me plais.

Eren posa sur lui ses yeux pleins de surprise, et Jean répéta par-dessus le vent, regardant à peine le paysage qui s'étalait sous ses yeux. Même maintenant, même ici, le brun devait avoir compris : il y avait beaucoup plus qui était dit dans cette simple suite de mots.

- Ah ouais ?

- Ouais, répondit Jean sans hésitation.

Au fond, il ne lui avait jamais vraiment demandé ce qu'il pensait des garçons et des filles, il ne s'était même pas assuré qu'il n'avait pas un ou une partenaire qu'il lui aurait dissimulé. Et ç'aurait sûrement été plus poli, mais l'expression d'Eren indiquait qu'il ne devait pas s'en inquiéter, puisqu'il se rapprocha pour lui faire face et Jean se retrouva soudain propulsé dans une comédie romantique sans la pluie. Il sut qu'il devait l'embrasser à défaut de le fixer dans le blanc des yeux en attendant qu'il le fasse.

Et puis, quand ils reprirent le chemin du village, Eren le poussa si fort qu'il faillit tomber dans un fossé tant il en riait.

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good for us enfin un truc un peu normal (et good for them). Ce que j'aime vrmt bien avec cette week c'est que ça me permet de les explorer dans plein de décors différents, et ici j'étais pas du tout partie sur autant de nostalgie et de douceur mais franchement c'est venu tout seul. (also they are probably at Etretat no je prends pas la critique c une des plus belles villes de France)

DEMAIN! dernier jour friends, c'est un Free Day et non je ne vous dirai rien de ce que j'ai prévu mais hihihihihihi comme on dit

Merci d'avoir lu zoubiii