Sam avait toujours détesté les fleurs. Elles lui faisaient toujours penser aux enterrements. Une ironie que Lena ne pouvait pas s'empêcher de ressentir quand elle annonça qu'il n'y aurait aucunes fleurs sur le cercueil. Parce que sa femme détestait les fleurs.

Les fleurs, pour Lena, n'étaient pas synonyme de mort. Les fleurs signifiaient la vie. Elles signifiaient l'espoir, l'amour et l'évolution. Une autre raison pour laquelle il n'y en aurait aucune sur la tombe. Mais c'était quand même bizarre de venir et de ne rien apporter. Quelque chose qui annonçait aux inconnus qui passaient, visitant leurs propres proches, que cette personne, cette personne décédée qui était enfouie dans le sol était toujours aimée.

Peut-être qu'avoir quelqu'un qui venait aurait été un signe de ça à la place, parce que ça faisait précisément cinq cents dix jours, treize heures et six minutes depuis la dernière fois qu'elle avait été là. Le jour où elle avait placé Sam sous terre.

Le jours où elle avait enterrée sa femme.

L'endroit était sympa, non pas un endroit que Lena aurait ordinairement choisi. Mais l'avantage d'avoir une idée de la date de son décès avait permis à Sam de préparer la plupart des choses elle-même. La seule chose dont Lena n'avait pas été autorisée à gérer. Si ça avait été fait selon les idées de Lena. Elle aurait mis Sam au sommet d'une colline, face à l'océan, pas dans le cimetière de National City entouré d'inconnus avec un arbre et un banc comme seule vue.

Au moins le fait que Sam avait gardé son nom de famille signifiait qu'il y avait moins de chance que la tombe soit vandalisée.

Lena n'était pas vraiment sûre de quoi s'attendre en venant aujourd'hui. Elle n'était même pas sûre de la raison pour laquelle elle était venue aujourd'hui. Une combinaison de son retour à National City, le fait que Ruby lui ait dit ce matin qu'elle ne voulait plus que Lena vienne à son match de hockey et le fait qu'aujourd'hui, le temps était parfait et propice à rester dehors. Donc Lena fit son chemin jusqu'au cimetière. Elle ne savait pas réellement ce qu'elle avait prévu une fois qu'elle y serait. Fixer dramatiquement la tombe en silence pendant deux minutes? Essayer de ne pas se figer à en mourir, même si le vent froid de l'hiver la glaçait? Peut-être qu'elle voulait juste s'asseoir sur le banc dont Sam avait été plus que déterminé à être en face, sous l'arbre. Essayant de trouver un moyen d'être moins triste.

Ce à quoi elle ne s'attendait pas, c'était de voir quelqu'un d'autre sur le banc, parlant à une pierre tombale seulement deux mètres plus loin que celle de Sam.

"..bien sûr, tu n'imaginerais pas dans quel pétrin j'ai réussi à me mettre. Winn s'est presque battu au restaurant. Il a du mal avec ses émotions depuis...et bien..."

Lena regardait la femme blonde alors qu'elle marchait, hésitant devant la pierre tombale de Sam, elle n'était pas sûr de ses pas jusqu'à ce que la femme prenne conscience de sa présence et ses mots s'enchaînèrent. Lena se sentait coupable de l'interrompre.

"Oh," respira-t-elle, regardant Lena avec un léger sourire. "Je deviens folle."

Elle semblait triste, fatiguée même. Lena jeta un coup d'oeil à la pierre tombale à laquelle parlait la jeune femme. Des couleurs chaudes, rien de très cher. Mais neuve. Evidemment, cela voulait seulement dire qu'elle n'était pas là il y a cinq cents et dix jours.

Lena n'arrivait pas à bien tenir une conversation ces temps-ci, mais elle se sentait bizarre de simplement rester là, plantée et silencieuse.

"Tu n'es folle qu'à partir du moment où ils te répondent." Dit Lena, enfonçant ses mains au fond de ses poches, un sourire fantôme sur son visage. Elle était la dernière à tenir de conclusion sur la façon approprié de faire son deuil.

"Elle répond."

Lena observa la femme de nouveau. Elle avait un visage gentil. Ce type de visage qui te faisait sourire et rire, même si tu ne le voulais pas. Avec ses cheveux blonds et bouclés, ses lunettes et sa chemise. Elle semblait jeune également, aussi jeune pour n'avoir rien à faire dans un cimetière à avoir une conversation avec une pierre tombale, plutôt du genre à rester à la maison avec un café ou au moins dans un endroit chaud.

Comme un coup de coude, quelque chose dans le fond de son esprit la poussa à réagir. "Qu'est ce qu'elle dit?"

La femme blonde haussa les épaules, avec un doux sourire plaçait sur son visage. "Tout dépend ce que je lui demande."

C'était plus simple de prétendre que tout était normal si elle restait tout le temps occupée. Non pas qu'elle soit pas occupée ces temps-ci de toute façon. Déménager une entière entreprise pour la côte Ouest pouvait vous rendre plus que surchargée, et en plus de ça devoir ré apprendre à parler avec sa belle-fille adolescente était submergeant.

Lena posa de nouveau son regard sur la pierre tombale de Sam, elle l'observait réellement pour la première fois. Elle traçait les lettres de son prénom avec ses yeux. Sam avait décidé le choix sa pierre tombale également. Elle voulait quelque chose de simple, simplement son prénom.

"Ta mère?"

La question attira l'attention de Lena à nouveau sur la blonde, qui regardait la pierre tombale de Sam avec un sourcil relevé.

Elle ne savait pas comment se sentir face à cette question. Ce n'était pas comme si elle devait répondre, et si elle le faisait, elle pourrait simplement mentir. Lena sentit un envie pressante de le faire pendant une seconde, parce que souvent, il était plus simple de prétendre ce qu'elle n'était pas, à seulement 27 ans. Mais pour dire la vérité, Lena ne savait même pas où était enterré sa mère, Lillian ne lui avait jamais dit. Et mentir à propos de Sam et de ce qu'elle était pour elle, même si c'était mentir face à une totale inconnue...et bien, c'était à l'encontre de toutes ses convictions.

"Ma femme."

Et voila, il était là, ce regard qui traverse toujours le visage des gens lorsqu'ils apprennent que sa femme est morte. Ça devrait l'énerver, et ça avait pourtant l'habitude de la mettre en colère, mais maintenant elle était juste fatiguée.

Et brisée.

"Oh, désolée," répondit gentiment la femme bougeant légèrement sur le banc et regardant de nouveaux vers la pierre tombale à laquelle elle parlait un instant avant. "Alex était ma soeur. Je suis Kara."

Pour une raison inconnue, cela fit apparaître le visage de Lex dans l'esprit de Lena. Elle l'imaginait, assis dans sa cellule, enragé et criant au monde entier. Pensant que c'était injuste.

Comme si la vie lui était injuste envers lui.

"Je suis Lena," répondit-elle, sentant une pression contre elle et quelque chose se retourna en elle.

Kara -dont le nom était plutôt mignon- lui sourit et il se passa quelques secondes de silence avant qu'elles retournent toutes les deux leurs regards sur les pierres tombales de leurs proches.

Lena se laissa bercer par le silence du vent froid pendant encore quelques secondes, se demandant si elle était restée suffisamment longtemps pour ne pas visiter pour encore un an au moins quand la voix de Kara interrompit ses pensées.

"Elle semble gentille, n'est ce pas?"

Lena cligna des yeux, puis les leva et réalisa que Kara venait encore de parler à la pierre tombale de sa sœur. A propos d'elle.

Sans être sûre de faire, ou si elle allait l'interrompre encore, Lena décida de répondre.

"Est ce qu'elle est d'accord avec toi?" Mouvant sa main en direction de la pierre tombale.

Kara rigola, c'était un rire vide qui sonnait faux. Un écho que Lena ne pouvait que reconnaître trop bien.

"C'est pile ou face," répondit Kara. "Alex aimait ne pas être d'accord avec moi sur plein de choses. On se chamaillait sur tout, et tout le temps."

Tout d'un coup, Kara fondit en larmes, cela alarma Lena suffisamment pour la faire regretter d'être venue aujourd'hui et se sentir coupable de ressentir cela tout à la fois. Lena était terrible face aux larmes. Contrairement à Sam, qui pleurait à chaque fois devant un film triste. Lena, elle, n'était pas du genre à pleurer. Elle n'a pas pleuré depuis...si longtemps qu'elle ne pouvait même pas s'en souvenir. Elle n'avait pas pleuré aux funérailles.

Elle n'avait pas pu.

Lena ne savait pas réellement quoi faire, alors elle restait là, figée sur place regardant cette inconnue en ayant envie de s'envoler loin d'ici. Kara sembla s'apercevoir de son désir de disparaître de la situation et essuya avec rapidité ses yeux avec ses manches.

"Je pleure encore," renifla-t-elle. "Désolée."

"Ne t'excuses pas pour pleurer," dit Lena faiblement. "S'il te plait."

Kara hocha la tête par saccades à ses mots.

"Désolée."

"Et voilà que tu recommences," avança-t-elle avec précaution. " À t'excuser."

"Ma soeur avait pour habitude de me prendre la tête à ce sujet aussi,' dit Kara avec un sourire plein de larmes. "Elle me frapperait sûrement si elle me voyait là tout de suite."

Lena prit un pas vers l'autre femme, hesitant entre son désir de lui donner du réconfort et son incapacité de le faire.

"Eh bien, c'est à ça que ça sert apparemment", dit-elle à la place, donnant de l'honnêteté à ses pensées et faisant un geste à travers le cimetière, une mer de pierres tombales. "Le deuil et tout ça. Pour tourner la page."

Lena détestait ces mots. En ce qui la concerne, tourner la page n'était pas vraiment dans les cartes pour elle. Ça ne l'a jamais été. Pas quand sa mère est morte. Ni quand son père était décédé. Ni quand Lillian l'avait rejetée. Pas quand son frère était devenu fou et surtout pas maintenant que sa femme était morte elle aussi. Pourtant, c'était censé lui apporter du réconfort. Du moins, c'était ce que Sam lui a dit avant de mourir.

"Les mardis midi, c'était notre truc", commença Kara, de façon plutôt rauque, le visage ravagé par un tel chagrin que Lena le sentait se mêler au sien. "Chaque semaine, quoi qu'il arrive."

Lena fit un pas en avant, indiquant la place sur le banc à côté de Kara.

"Ça te dérange si je..." demanda-t-elle.

Kara écarquilla les yeux, apparemment stupéfaite que quelqu'un veuille volontairement s'asseoir à côté de quelqu'un dans son état, mais elle se déplaça encore plus loin sur le banc, faisant plus de place.

"Non, pas du tout. Je t'en prie. Ça m'empêche de divaguer et tout ça."

Lena s'installa à côté d'elle, s'emmitouflant un peu plus dans son épais manteau et laissa échapper un soupir. "Tu ne divagues pas", souffla-t-elle. "Tu parles."

Kara s'étouffa dans sa respiration, les yeux gonflés et rouges. "Et je pleure."

Lena l'a regardée fixement pendant un bref instant, avant de tendre la main et de fouiller dans son sac à main. "Tiens", dit-elle, en lui tendant un paquet de mouchoirs que Kara attrapa avec empressement.

"Au moins, tu as pensé à apporter des mouchoirs au cimetière."

Une fois le son bruyant et non dissimulé de Kara qui se mouchait et se nettoyait le visage terminé, Lena lui a adressé un sourire réservé.

"Eh bien, c'est moins un élément pour mon deuil et plus un élément de base pour les parents", dit-elle.

"Tu as un enfant?" dit-Kara avec une surprise évidente dans sa voix. Une chose dont Lena avait l'habitude maintenant quand ils apprenaient pour Ruby.

Elle se demandait toujours comment Sam avait fait toutes ces années avant qu'elles se rencontrent. "Ouais," continua Lena avec un sourire simple maintenant. " Une fille. Elle vient tout juste d'avoir 15 ans."

Ça avait été un anniversaire assez fun, ou plutôt un manque de fun. Lena avait fait de son mieux mais elle n'était pas Sam. Sam était celle qui faisait le gâteau, et celle qui choisissait l'endroit où elles iraient. Elle était seule qui réussissait à trouver LE parfait cadeau et qui connaissait toutes les histoires rigolotes parce que c'était celle qui avait été là pour chaque petites minutes de la vie de Ruby.

Cette année, Ruby avait décidé qu'elle voulait ce que Lena voulait toujours pour son anniversaire.

C'est- à dire, absolument rien.

Lena ne savait pas si elle avait pris la bonne décision ou pas en ayant accepté cette requête de la part de Ruby.

"Wow," répondit Kara les yeux écarquillés. "J'ai pas envie d'être impolie, mais tu ne sembles pas assez vieille pour avoir une adolescente. Je dis ça gentiment, j'ai un problème avec le fait de sortir tout les mots qui me viennent à l'esprit."

Il n'y avait aucun jugement dans la voix et les yeux de Kara, donc il était plutôt clair qu'elle n'avait pas dans son esprit des mauvaises pensées concernant les mères-adolescentes. À travers le rouge dans sa nuque et sur ses joues, on voyait bien qu'elle était plus qu'embarrassée par ce qu'elle venait de dire.

"Elle...est adoptée." Lena ouvrit la bouche pour répondre puis hésita.

C'était techniquement vrai, mais pas l'entière vérité.

Kara ne semblait pas se rendre compte de son hésitation, un nouveau sourire gagnait son visage.

"Oh, c'est cool," répondit-elle. "Je suis adopté moi aussi. Tardivement. Je venais juste d'avoir 13 ans quand c'est arrivé. Mais je n'aurais pas pu rêver d'une autre famille que les Danvers."

Sa voix semblait craquer une fois de plus. "Ou d'une autre sœur."

Kara perdit le fil après ça, ses yeux s'éteignirent alors qu'elle fixait la pierre tombale de sa sœur une fois de plus. Lena regarda le nom de Sam, essayant de trouver un peu du réconfort qu'elle était censée ressentir en étant assise ici, mais tout ce qu'elle avait était un cœur engourdi et lourd. Ce n'était pas comme si sa femme était vraiment ici, juste couchée dans une boîte dans le sol froid. Tout ce que cet endroit était pour elle, c'était une pierre tombale, un arbre et un banc. Au moins, sur une falaise au bord de l'océan, il y aurait eu une belle vue.

"J'ai perdu ma femme au début de l'année dernière", dit soudainement Lena, rompant la première le silence. "Je ne m'en suis toujours pas remise, mais il n'y a rien de spécial à cela."

Quand elles l'avaient appris, Lena n'y avait pas cru. Tout ce qu'elle avait pu faire, c'est de s'asseoir à côté de Sam, en serrant sa main pendant que le médecin leur faisait la morale. Plus tard dans la nuit, elle avait respiré à pleins poumons, n'y croyant toujours pas. Parce que si de toutes les deux, Sam n'était pas celle qui aurait dû avoir le cancer. De toutes les deux, Sam n'était pas celle qui était censée partir en première.

"Les gens que vous aimez meurent, et la vie continue", dit-elle sans ambages. "Ce n'est pas aussi bien, mais c'est comme ça." Il y avait une brûlure au fond de sa gorge, ses propres mots étaient comme de l'acide sur sa langue.

"Je ne suis pas la meilleure pour le confort."

Kara haussa les épaules à côté d'elle.

"Je pense que tu vas bien", dit-elle d'une voix calme, douce et compatissante d'une manière qui mit les dents de Lena à vif. "Les autres personnes sont... fin. Tu as l'air d'être quelqu'un de bien."

À ce moment-là, Lena sourit, tourna la tête vers Kara et arqua un sourcil. "Parce que j'ai des mouchoirs ?" Kara fit un drôle de bruit, à mi-chemin entre un sanglot et un rire.

"Eh bien, je ne voulais pas dire que c'était la trousse de premiers soins."

Quelque chose en Lena se déplaça pour ce qui semblait être la première fois depuis des années, se sentant soudainement plus solide. Plus réel. Se détendant autant qu'elle le pouvait sur le banc froid, Lena croisa ses bras pour contrer le froid.

"Je suis désolée si j'ai interrompu votre conversation tout à l'heure."

Kara semblait se détendre elle aussi, se grattant la nuque et n'ayant pas l'air assez gelée au goût de Lena.

"Non, tu m'as juste évité de raconter un dîner vraiment horrible que j'ai eu ce week-end avec mes amis." Des amis. Lena ne se souvenait pas de la dernière fois où elle avait eu un ami, sans parler au pluriel.

"Nourriture affreuse ?"

"Non", Kara secoua la tête. "Mais un de mes amis a beaucoup de sensibilités alimentaires. Je ne sais pas pourquoi il a pensé que de la nourriture Éthiopienne était un bon choix, mais je suppose qu'il a pensé que comme je n'y étais jamais allée, ça pourrait me faire sortir de chez moi.

Ça pourrait me faire sortir de mon appartement. Tous mes amis pensent que je commence à devenir une ermite. Ce n'est pas que je ne veux pas les voir, c'est juste que..."

Lena comprenait ça. Parce que même si elle n'avait jamais eu d'amis bien intentionnés qui essayaient de la tirer de son chagrin, elle pouvait certainement apprécier le désir d'être laissée seule dans son chagrin.

"Tu n'as pas particulièrement envie de les voir", termina Lena pour elle.

Kara sembla disparaître dans son esprit pendant une minute, les yeux se détournant de Lena pour revenir sur la tombe.

"Ils l'aimaient aussi", dit-elle finalement. "Je le sais. Et ils m'aiment. Mais c'est juste... différent. Je ne me sens pas prête pour ça. Sortir ensemble. Ce n'est pas comme si les choses pouvaient redevenir ce qu'elles étaient de toute façon." La dépression, ça craint, Lena ne peut pas le nier. Mais la mort de la personne que vous aimiez, ça craint encore plus.

"C'est bien, cependant", répondit doucement Lena. "D'avoir des gens qui se soucient de toi. Qui veulent être là pour toi. Mais c'est aussi emmerdant."

"C'est une vraie plaie", expira Kara, la voix tendue par une tension inexplorée. "Je veux dire, on ne peut pas me laisser tranquille pour m'auto-imploser ?"

"Personnellement, j'ai adoré ma phase d'auto-implosion", répondit sèchement Lena. "Ça s'est vraiment bien passé avec une bouteille de cabernet."

Kara rejeta sa tête en arrière et rigola. Le son fit voler l'air en éclats et pendant une demi-seconde, quelque chose de chaud gonfla dans la poitrine de Lena à ce son. Le rire de Kara se transforma rapidement en un gémissement étranglé, et elle se pencha en avant, prit sa tête dans ses mains et Lena vit que des larmes coulaient à nouveau sur ses joues.

"Je tuerais pour un verre de vin en ce moment", chuchota-t-elle. "Moi, Alex, sur mon canapé avec un verre de vin en parlant de tout. Enfin, quand je dis parler, c'est surtout moi qui parlais. C'est elle qui écoutait. Si ça ne te dérange pas que je demande..."

"Cancer", dit Lena automatiquement, mortellement, comme une balle entre les deux yeux. "Oh... non..." Kara bégaya, l'air légèrement horrifié. "Je n'allais pas..."

Lena se sentait mal d'avoir supposé, et encore plus mal d'avoir fait se tortiller cette gentille inconnue.

"Désolée", dit Lena rapidement. "C'est juste que tout le monde que je connais... le sait, et tu es la première personne à qui j'ai parlé pendant plus de cinq minutes qui ne le sait pas et j'ai juste... voulu juste le dire."

Le silence et l'immobilité n'étaient pas insupportables, comme des vieilles amies plutôt, mais parler réellement à un adulte à voix haute à propos de Sam était... déconcertant.

"Que voulais-tu demander ?"

La bouche de Kara s'ouvrit comme un poisson pendant une seconde, avant qu'une autre rougeur ne remplisse ses joues.

"Je me demandais juste si tu aimerais prendre un verre un jour", répondit-elle, les yeux immobiles. "Pas comme ça !" A-t-elle à moitié crié. "Je veux dire, juste que tout le monde que je connais est... Tu es... Tu sembles être... Désolée."

Lena prit en compte l'étrange désordre décousu devant elle avec sympathie. D'habitude, elle n'aimait pas trop les gens qui ne pouvaient pas dire ce qu'ils pensaient et qui n'arrivaient pas à le dire directement, mais elle pouvait apprécier ce que Kara essayait de faire. Il faut tendre la main à travers la solitude pour trouver une bouée de sauvetage. Une connexion avec quelqu'un, quelque chose qu'elle n'obtenait pas de ses amis. Mais alors que Lena pouvait apprécier cela, elle ne pouvait pas être cette personne en ce moment. Elle luttait même pour l'être pour Ruby.

Mais quelque chose dans la façon dont Kara se comportait avec elle, ce soupçon de douceur profonde dans ses yeux bleus qui rappelait à Lena Sam, l'empêcha de refuser complètement l'offre d'amitié.

"Des mécanismes d'adaptation ?" demanda Lena . Kara cligna des yeux.

"Pardon ?"

"Mécanismes d'adaptation, répéta Lena. "Tu en as ?"

Kara se crispa sur son siège, un regard étrange passant sur son visage avant qu'elle ne réponde dans la précipitation.

"Dormir, s'isoler, fixer de manière obsessionnelle des photos de ma sœur et pleurer, m'excuser constamment, être en colère contre le monde", énuméra-t-elle. "Et toi ?"

"Cuisiner, bizarrement. J'essaie de micro-gérer la vie de ma fille sans la gâcher. Et oui, je bois. Rien ne me fait plus plaisir que de boire du vin au lit."

A part la bague tachée de vin rouge sur sa table de chevet, bien sûr.

"Cela semble indéniablement sain", dit Kara avec un sourire, plein d'humour morbide. "Absolument", poursuivit Lena. "On se rend malade avec tout ça."

"Nous pourrions être de drôles d'amies", dit Kara avec un sourire plus large. "Réunies par l'apitoiement, l'amertume et le vomi."

Lena haussa les épaules, mais un sourire se dessina aussi sur ses lèvres.

"C'est mieux qu'une thérapie de deuil."

"Ha !" S'exclama Kara. "Je ne manquerai pas de le dire à mon psy. Il essaie de me faire devenir plus zen." Le visage de Lena se pinça et donna à Kara un regard de dégoût moqueur à ce mot.

"Zen ?" demanda-t-elle. "Je ne pense pas que je saurais comment être zen. Je ne pense pas que je voudrais l'être."

"Non, c'est génial", se précipita Kara, sa main touchant légèrement le coude de Lena dans son excitation. "Tu dois juste être en paix intérieure et quand tu atteins le niveau 10 de la zénitude, tu peux faire la leçon à tout le monde sur le yoga."

Lena ne pouvait pas répondre, elle ne pouvait même pas respirer, tout ce qu'elle pouvait faire était de fixer les doigts qui touchaient toujours son bras, même à travers l'épaisseur de ses vêtements elle sentait la chaleur. Un flot de souvenirs menaçait d'éclater dans son esprit comme un malheur, accompagné d'une vague de culpabilité étrange et compliquée.

Mais ensuite, les doigts de Kara n'étaient plus sur son bras. Et elle pouvait respirer. "Eh bien", réussit-elle à dire, en se raclant la gorge. "Qui ne voudrait pas ça ?"

En regardant de nouveau dans les yeux de Kara, elle vit un mélange de quelque chose qui était plus que de la sympathie dans ses yeux.

De la compréhension.

"Qui, en effet."

Elles n'ont pas échangé de numéros. —

Lena se retrouva attirée par le cimetière. Vers Sam. Elle n'avait pas prévu que ce serait un mardi, ni que ce serait l'heure du déjeuner, mais c'était le cas, et elle était là. Marchant vers ce même arbre et ce même banc, elle ressentit quelque chose d'étrange en voyant l'arrière d'une tête blonde sur le banc.

Kara lisait aujourd'hui, pas de conversations scintillantes, et elle n'avait pas l'air aussi fatiguée, et quand elle entendit le bruit de Lena marchant vers elle, elle leva les yeux avec un sourire qui fit bouger les pieds de Lena légèrement plus vite pour y arriver.

Sans pause, comme si cela ne faisait pas seulement deux semaines, et qu'elles n'étaient toujours pas de parfaites étrangères, Kara plongea dans la conversation avant même que Lena ait eu la chance de s'asseoir.

"Donc, être zen, ça n'a pas complètement marché." "Non ?" Lena s'installa sur le banc.

"Je suis allée à ce truc de méditation avec mon amie", expliqua Kara en fermant son livre mais en laissant son doigt en place entre les pages pliées. "Mais l'instructeur était si ennuyeux ! J'ai fini par lui crier dessus et partir en claquant la porte."

Lena avait du mal à imaginer la blonde aux cheveux ondulés à côté d'elle, portant un pantalon à pois roses, en train de crier, mais les apparences pouvaient être trompeuses. Elle avait certainement été encline à crier à l'occasion.

"Comment était-il ennuyeux ?" Kara laissa échapper un lourd soupir.

"Dans tous les sens du terme", gémit-elle, en faisant des gestes animés. "Il aspirait son thé et reniflait. Et il faisait ce truc avec son nez quand il ne voulait pas se moucher. Il le reniflait."

"Qu'est-ce que tu as crié ?" Lena demanda avec appréciation.

Kara avait l'air légèrement coupable, mais un soupçon de malice dans ses yeux luttait avec elle. "Je crois que je l'ai traité de gros connard. Ouais."

"Oh là là", a reniflé Lena de manière peu flatteuse, se couvrant immédiatement la bouche au son, mais incapable de contenir son amusement. À son crédit, Kara ne semble pas avoir été dissuadée, son sourire s'est même élargi.

"Puis je suis rentrée chez moi, je me suis saoulée et j'ai regardé des vidéos d'Alex pour son dernier anniversaire."

Lena repensa à ses phases apathiques, allongée sur le lit et fixant le plafond pendant des heures en silence. Elle avait systématiquement retiré toutes les photos de Sam de leur chambre, entre le déménagement à Metropolis et le retour, la plupart des photos de l'appartement avaient été affectées à des endroits que Ruby fréquentait. Lena doutait qu'elle ait le courage de regarder de vieilles vidéos.

"Eh bien", souffla Lena, en jetant un coup d'œil au nom de Sam dans la pierre. "Ce n'est pas si terrible."

"Sauf que je ne me saoule jamais", expliqua Kara. "Donc maintenant j'ai la gueule de bois, et probablement tous mes amis s'envoient des: 'Kara ; Code Rouge'''.

Lena regarda Kara avec incrédulité. "Est-ce que je veux vraiment savoir ?"

"Ça implique un ananas, un voyage au zoo et une mauvaise teinture pour cheveux." Lena cligna des yeux, incapable d'imaginer le ridicule de cette histoire.

"Normal, comment ne pas impliquer un ananas ?" répondit-elle avec désinvolture après une pause. Kara la regardait d'un air suspicieux avant de rejeter la remarque.

"Ce que je veux dire, c'est qu'ils pensent déjà que j'ai perdu la boule et ça n'a rien arrangé", poursuit-elle en faisant jouer ses doigts sur son genou. "Changement total de personnalité. Avant, j'aurais été la première à être prête à essayer la méditation. Alex était toujours celle qui avait un tempérament à fleur de peau à ce sujet, mais elle ne le faisait que pour moi."

Lena suppose que ce doit être une tradition de longue date parmi les personnes endeuillées de fluctuer sauvagement entre les humeurs quand on parle des morts. Le visage de Kara était immédiatement passé d'un rictus à un visage brisé.

"C'est comme si je me transformais en une version encore plus merdique de la personnalité de ma soeur", poursuit Kara sur un ton sombre. "Comme les mauvaises humeurs d'Alex mélangées à mes neurones, portant un cardigan dans une ruelle sombre."

Lena inclina la tête à la description.

"C'était... étrangement spécifique", murmura-t-elle en prenant une inspiration et en se préparant à donner des conseils. "Bien que je ne m'inquiéterais vraiment pas trop à ce sujet. Après la mort de Sam, j'ai commencé à faire des choses qui n'étaient pas du tout moi. Comme si j'étais possédée par son esprit qui me faisait faire la vaisselle moi-même."

Tant de souvenirs et de disputes lancinantes et persistantes sur des choses sans importance qui étaient si facilement résolues. Pourquoi n'avait-elle jamais fait la vaisselle avant ? Probablement parce qu'elle était nulle pour tout ce qui est domestique, n'ayant jamais eu à tenir un balai de sa vie avant de rencontrer Sam.

"La vaisselle est un peu différente de traiter ses amis comme de la merde."

Tirée brusquement de ses propres pensées par les mots de Kara, Lena regarda la silhouette de l'autre femme, maintenant affaissée. Si déprimée.

"Hey," essaya-t-elle doucement, avec hésitation. "Nous avons du chagrin. Les gens ont du chagrin."

Kara laissa échapper une respiration saccadée, prenant quelques minutes de silence avant de regarder Lena avec des yeux rouges.

"Comment as-tu fait ça ?" Sa voix grinça hors de sa gorge comme si elle avait été écrasée par du gravier. "Tu sembles si... rassemblé."

Lena résista à l'envie de rire à cette suggestion, mais en vérité, elle n'était pas surprise. La formation de la famille Luthor s'était mise en marche, laissant tomber les façades froides et vides comme si leur vie en dépendait. Sauf pour 'Lex, bien sûr. L'agressivité passive a été mise au rancart en faveur à la folie et des plans de domination du monde.

"Je suis une meilleure actrice que toi peut-être," répondit finalement Lena, se sentant fragile. Kara l'observait attentivement, le regard intense.

"Vraiment."

Lena aurait voulu sourire et ne pas répondre. C'était sa réponse habituelle si quelqu'un lui demandait comment elle allait. La plupart des gens ne s'en souciaient pas vraiment de toute façon, ils voulaient juste demander par obligation, ou pire, par curiosité. Pire encore, le plus honnêtement du monde, juste pour voir si la plus jeune et la plus récente des PDG de Luthor était prête à craquer. Les vautours se préparaient à balayer et à ramasser les os. Mais Kara ne la regardait pas de la même façon que la plupart des gens lorsqu'ils lui posaient la question, et un désir profond remplit le cœur de Lena, et lui donna envie d'être honnête.

"Quand Sam est morte, j'ai voulu me tuer", dit-elle d'un ton bourru. "Et quand je n'ai pas pu le faire, je me suis dit que si je devais continuer à vivre, ce serait à mes conditions. Je vais faire ce que je veux, quand je veux, et je pourrai toujours compter sur le suicide au cas où."

Le couvercle de sa propre marque de folie était ouvert maintenant, Lena attendit une sorte de réponse de Kara. Un regard d'horreur, peut-être. S'enfuir en hurlant, certainement. Elle ne s'attendait pas à cette réponse de Kara.

"C'est bien d'avoir une sauvegarde."

Lena s'adoucit, souriant à elle-même pendant une seconde.

"Au début, je pensais que c'était incroyable", expliqua-t-elle. "Je peux tout faire, qui s'en soucie ? Qu'est-ce qui peut arriver de pire, rien de trop grave parce que je peux toujours me tuer, tu vois ? Mais ensuite, j'ai réalisé qu'on ne peut pas se désintéresser des choses auxquelles on tient vraiment. On ne peut pas se leurrer, et même si je souffre, ça vaut la peine de rester pour essayer d'améliorer mon petit coin d'univers. Pour Ruby, tu sais."

Même si sur ce plan, elle échouait.

"Il ne s'agit pas que de moi", chuchota Lena, regardant Kara avec un haussement d'épaules. "C'est tout ce qu'il y a. Le bonheur est incroyable, ça n'a pas vraiment d'importance si c'est le mien ou pas."

C'était une si belle journée. Froide, mais au moins le soleil était là, vif à travers le froid.

Lena s'est toujours posé des questions sur tout, toute sa vie, mais le désir d'avoir chaud était ancré au plus profond d'elle-même.

Chaleur. Sam avait été si chaleureuse.

"Les gens bien", la voix de Kara coupait à travers la lumière. "Ils font de bonnes choses pour les autres. Et je pense que tu es une bonne personne, Lena. Intelligente, drôle, gentille."

Les yeux de Kara étaient gentils, doux et surtout, pour Lena, honnêtes. Assez honnêtes pour que Lena sache qu'elle croyait ce qu'elle disait. Lena la regardait fixement pendant un moment, perdue dans l'idée de la chaleur avant que le coup de pouce de son esprit ne vienne s'ajouter à la culpabilité, comme il voulait le faire. Rompant le regard échangé, Lena roula des yeux et se débarrassa de ses mots.

"Tu as oublié, incroyablement sexy."

C'était une phrase à la sauvette. Ridicule. Quelque chose qu'elle aurait dit à Sam, mais quand même, ça avait fait sourire Kara, un sourire.

"Nan", répondit-elle avec une expression complètement sereine sur son visage. "Je ne voulais juste pas énoncer l'évidence."