Bonjour, bonjour,
Voici un petit OS assez court. J'ai commencé cette histoire que j'étais en pleine phase de haut, je venais de claquer tout mon argent en moins d'une semaine et je dormais deux heures par jour. Je l'ai poursuivie, quelques mois plus tard, alors que taper les mots était un effort, alors qu'allumer l'ordi était un effort, alors que respirer était un effort. Et je la publie, maintenant, près d'un an et demi plus tard alors que je suis stabilisée. La vie est belle.
C'est pas ultra bien construit, c'est clairement destiné à me vider de ce trop-plein de non-sens qu'a été ma vie mais j'avais quand même envie de le partager. Parce qu'il y a un bout du tunnel, parce qu'on s'en sort, parce qu'il faut se faire aider parfois et que ce n'est pas grave.
J'ai volontairement fait ça plutôt lisse, il n'y a aucun détails sur les idées noires, les tentatives, tout ça tout ça, ce n'était pas le message.
Bonne lecture !
…..
« - Au fait, je suis bipolaire. »
Un mec random rencontré sur Tinder, 5 minutes de conversation, premier rendez-vous.
Parfaite introduction.
Une idylle splendide qui se profile.
« - Tu te balades avec deux ours blancs ? »
« - Point bonus pour l'humour. »
« - Je suis un grand comique. » S'amende-t-il dans un sourire taquin.
La bombe est lâchée et réceptionnée avec douceur. Pas de naufrage immédiat.
« - Tu m'expliques en deux mots ? » Demande notre humoriste d'un soir.
Je ricane, cherche mes mots et rougit.
C'est que c'est plus facile de balancer le mot, ce terme médical effrayant, que de poser des phrases dessus. D'ailleurs, en général ça suffit à les faire fuir, ils ne demandent pas d'explications. Et puis, que dire ?
« - Je suis instable. » Rétorquais-je en touillant dans mon cocktail hors de prix.
« - Moi aussi. » Réplique l'homme.
« - Ce n'est pas pareil. »
« - Oh. Diplômée en instabilité ? » s'enquit-il sur le ton de la conversation.
Je hausse un sourcil perplexe et remue distraitement dans mon breuvage rouge écarlate à l'aide du petit parasol violet fiché dedans.
« - Avec grande distinction. » J'opine du chef et lui rend son rictus moqueur.
« - Félicitations alors ! »
Il lève son verre en se marrant et vient le cogner au bord du mien.
Je brûle de lui demander ce qu'il n'a pas compris. Croit-il que c'est une sorte de blague ? Ou bien ne sait-il réellement pas ce que cela implique ?
« - Je sais ce que c'est. » Me répond l'homme d'une voix moqueuse avant de tremper ses lèvres dans l'alcool verdâtre. Un Mystic Green River aux nuances forêt.
« - Oh punaise, j'ai encore pensé tout haut ? »
Je me cache la tête dans les mains alors qu'il se gausse de moi, confirmant de ce fait que j'ai à nouveau parler sans m'en rendre compte. Cela arrive souvent. Ronald détestait cela. À sa décharge, je l'insultais souvent dans ma tête les derniers temps.
« - Tu sais, ce n'est pas suffisant pour que je file à l'anglaise. »
Il rit encore de sa blague, évidemment, je suis une petite Britannique à haut moulant bon marché face à ce type blond platine aux traits scandinaves et à la chemise hors de prix négligemment déboutonnée au col.
« - Filer à l'anglaise, hein? C'est un appel à mon patriotisme ? Tu cherches les ennuis ? » Gronde faussement ma voix un brin enrouée. Mes intonations me font grimacer. Je n'aurais pas dû sortir si tard la veille.
« - Loin de moi l'idée de vous déplaire, Milady. »
Il s'incline légèrement avec un sourire éblouissant, grand seigneur, avant de claquer des doigts pour recommander des cocktails.
« - Je ne comprends pas, qu'est ce que vous fichez sur Tinder, Mylord ? »
La question passe le seuil de mes lèvres avant que je ne puisse la retenir. Un léger silence s'étire. Gênant, de mon côté, et moqueur du côté de mon rencard. Autant admettre directement qu'il est trop séduisant pour être honnête, tant que j'y suis.
« - En réalité, je suis recherché par le FBI. » Souffle-t-il au creux de mon oreille avant de cligner de l'oeil.
« - Oh, y-a-t-il une prime sur ta tête ? » Rétorquais-je sur le même ton de confidence.
« - Assez élevée pour que tu bâtisses un palais. »
« - Chouette, je vais enfin avoir le poney blanc et le carrosse en or dont je rêvais quand j'avais six ans ! »
Je bats des mains et lève mon verre pour trinquer à ma propre santé. Il me regarde par-dessus le rebord du sien et semble pensif.
« - Plutôt petite princesse, alors ? »
Je m'esclaffe.
« - C'était un cliché. J'étais loin d'être ce type d'enfant. »
Il se penche, intéressé et patiente en silence que j'étoffe.
« - En réalité j'étais déguisée en Mulan au carnaval et je voulais des livres, énormément de livres. Et botter des fesses. J'aimais bien aussi. »
Je grimace en ricanant doucement, plisse le nez et plonge dans mon verre pour ne pas croiser le regard trop clair qui se fiche ouvertement de moi.
Il triture sa paille, ouvre la bouche, la referme puis fini par lâcher du bout des lèvres:
« - Personnellement, je volais les bijoux dans la commode de ma mère. Elle était toujours si élégante,puis c'était de belles pierres toutes brillantes, je ne résistais pas. » Commente sobrement la voix grave et amusée de l'autre.
Il hausse les sourcils et dodeline de la tête, comme étonné d'avoir avouer cela.
« - Oh, vraiment ? Et qui est donc la princesse, entre nous ? » Me moquais-je légèrement en heurtant son épaule de la mienne.
« - Je ne nie pas aimer le shopping et accorder trop d'attention à mon apparence. » Il hausse des épaules et soupire avec fatalisme. « Mieux vaut être trop bien habillé que pas assez, n'est-ce pas ? »
Je songe avec amusement à mon haut en velours émeraude, très décolleté pour moi, plus que d'habitude en tout cas, à mes cheveux en broussaille volontairement sauvage, et à mon jeans slim moulant mes formes. Dire que je me sentais à mon avantage. J'étais même à peu près sûre de faire sensation. Après tout, je me sais séduisante ce soir. J'ai fait en sorte de me sentir désirable et je le vois dans son regard un peu flou, je le ressens dans ses manières aguicheuses, je le lis dans son sourire appréciateur.
« - Définitivement, nous sommes incompatibles. » Résumais-je la situation. « Je hais me coiffer. C'est une torture. »
« - Coupe-toi les cheveux. » Rétorque-t-il instantanément.
« - Pourquoi pas. » Je considère l'idée quelques instants en jouant distraitement dans mes longues boucles en pagaille. « Mais nous serions d'autant plus incompatibles si je deviens une espèce de punk au look so british. »
« - Je n'en suis pas aussi sûr. »
Il cligne à nouveau de l'œil et je rougis furieusement.
«- Bipolaire, donc ? » Embraye-t-il
« - Depuis mes seize ans. »
Je bois une gorgée pour camoufler ma gêne. Le changement de sujet est abrupt.
« - Tu es traitée ? » S'enquit-il lentement. Sa voix un brin traînante me donne des frissons.
« - Oui. »
« - Alors où est le problème ? »
.
Un shoot, deux shoot, cinq, dix, beurp.
Tequila, Curaçao, Vodka-cerise.
Trop de mélange, trop d'alcool différents.
Je danse sur le bar, le type me pose sur ses épaules, je bois à même le goulot de la bouteille de rhum, je vomis sur le trottoir.
J'effectue bon gré, mal gré, le porté de Dirty Dancing, le type titube, manque me faire tomber tête la première et je ris, ris, ris.
On change de bar, esquissent quelques pas maladroits de salsa, improvisent une chorégraphie proche de la danse des canards sur une table et on se fait jeter dehors après que je me sois servie moi-même une pinte à même la pompe.
Je mange un MacDo, les doigts tout gras et le sourire extra-large. Mon rencard trie les frites par taille et demande un Mac Flurry aux M&M's verts. Uniquement verts.
Je me marre, m'enfuis, cours dans le rue, manque tomber et me fais rattraper in-extremis par le type. Il s'allonge sur le pavé et je me blottis contre lui.
On se lance dans un saute mouton, on court à perdre haleine et on s'effondre de nouveau dans un fourré. Le type s'allume une cigarette et j'enfonce mon nez dans son cou.
Un policier veut nous verbaliser pour ivresse sur la voie publique et on négocie.
Il m'embrasse quelque part entre deux toilettes publiques, je fonce faire pipi en grilant la file et revient morte de rire en agitant un billet trouvé par terre.
On tente de rentrer dans un club, on se fait refouler, j'allume le videur qui me regarde d'un œil morne avant de finalement nous écarter, définitivement. On s'assied sur le pavé et on se raconte nos pires anecdotes de soirée. Une gars trop alcoolisé vient m'accoster, me drague lourdement, et l'autre m'embrasse langoureusement pour y mettre fin. On se sauve en rigolant comme des enfants.
On se perd dans un parc, on regarde les étoiles un peu puis on saute dans un taxi et...
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J'ai couché avec ce type.
J'ai couché avec ce type.
J'ai…
« - Oui, selon toute vraisemblance. » Commente-t-il, allongé sur le flanc et son regard gris me fixant. « Bonjour à toi aussi. »
Sourire moqueur, légère fossette sur la joue, yeux pétillants.
Craquant.
Tout bonnement craquant.
« - Merci. » Répondit-il à mes plus intimes pensées.
« - Argh ! » Me cachais-je sous les couettes en bataillant pour ne plus être visible, rouge de honte.
« - C'était plutôt flatteur. » Commente-t-il et je sens son sourire dans les inflexions de sa voix.
« - Ce n'est pas la question ! » Glapis-je
« - Et je te trouve très séduisante. »
« - Argh. » Je m'enfonce plus profondément dans mon igloo de couvertures.
« - Et j'ai aimé partager cette nuit avec toi. »
« - Mais c'est trop gênant ! » M'écriais-je en immergeant de mon abri de fortune.
Je lui enfonce mon index dans le torse et tapote à répétitions : « Tu. te. fiches. de. moi ! »
Il s'esclaffe et ses longues mèches blondes sautillent sur son front clair. Ce mec est une tuerie pour la rétine. Je suis figée, la bouche ouverte et les bras ballants à l'observer rire au milieu de mon lit.
« - Viens ici, toi. » M'attire-t-il soudainement avant de m'embrasser furieusement.
Et nous retournons dans mon igloo.
.
.
« - J'ai rencontré un type. » Confiais-je à mon psychiatre le lendemain. « Il est louche. »
Je me marre en le disant. C'est une description concise mais véridique.
« - Développez moi cela. »
« - Il rigole bêtement. Et il a les plus beaux yeux que j'aie rencontrés.»
Mon psy lève un sourcil sceptique. Il s'abstient même de prendre note pour une fois.
« - Est-ce un changement positif ou négatif ? »
« - C'est la question que je me pose. » Gromelais-je en me tortillant sur le sofa.
« - Comment vous sentez-vous actuellement, Miss Granger ? » Le ton est professionnel et je sais qu'il connaît ma réponse avant même que je n'ouvre la bouche.
« - Oh, bien, très bien même, je ne sais même pas pourquoi je suis venue aujourd'hui. Tout marche à merveille. »
« - Nous en avons déjà discuté pourtant, ce n'est pas parce que vous avez l'illusion que tout va bien que c'est la réalité. »
« - Mais je me sens réellement hyper bien, docteur. » Me butais-je en croisant les bras. « J'ai un nouvel emploi d'ailleurs. Et un presque-mec-louche qui m'invite à nouveau demain soir. Et j'ai adopté un chat. » Énumérais-je en étendant mes doigts les uns après les autres.
Mon psy note longuement puis plonge son regard trop intelligent dans le mien.
« - Dormez-vous correctement ? »
Je soupire, c'est reparti.
« - Je dors. » J'élude habilement. Du moins, je le pense jusqu'à croiser le regard vif du médecin.
« - Correctement ? » Insiste ce dernier.
« - Deux, trois heures. » Avouais-je d'une voix boudeuse.
« - Depuis combien de temps ? » Son stylo-plume est au-dessus du papier, prêt à noter.
« - Deux semaines. » Un mois, en réalité. Ou plus, qui sait ?
Il hoche la tête, soupire et se concentre sur moi. Je n'aime pas cet air accusateur. Pas du tout.
« - Vous ne m'avez pas averti. » C'est une constatation qui sonne comme un sermon.
« - Je vais bien. » Me bornais-je.
« - Vous savez que ce n'est pas si simple. Plus vous montez haut, plus vous vous mettez en danger. »
« - Je ne suis pas trop haute, je suis bien. » Insistais-je.
« - Que faites-vous de vos nuits ? »
« - Oh, rien de particulier, vraiment. »
« - Par exemple ? » Et il me sourit de façon engageante.
Si engageante qu'avant d'avoir pu réfléchir je débite:
« - J'ai repeins mon appartement, j'ai nettoyé de fond en comble, j'ai appris le russe avec un biélorusse en exil, j'étudie la calligraphie et les kanjis pour faire des haïkus et je me couds des coussins depuis quelques jours. J'en ai quinze pour le moment. Je pense monter un business sur Etsy. J'ai écrit plusieurs nouvelles, d'ailleurs, ça faisait longtemps que je n'avais pas autant écrit. Oh et je suis sortie faire la fête. »
Il hoche la tête et écrit encore.
« - Beaucoup de sorties ? » Demande-t-il, la tête toujours penchée sur son cahier.
« - J'ai renoué avec beaucoup d'anciens amis. »
Je m'exclame, heureuse, me dandine, rigole un peu et puis je re-coiffe nerveusement mes cheveux en le voyant me fixer sans rien dire.
« - Oh merde. C'est trop, pas vrai ? » Demandais-je à mi-voix en aplatissant ma mèche.
« - On va devoir stabiliser ça, oui. Les phases de haut, même si grisantes, sont néfastes. Vous endommagez votre corps à être sans cesse en action, vous dormez trop peu pour qu'il récupère et donc vous vous épuisez. Le risque ce sont les phases maniaques induites par ceci. » Récite-t-il doctement et je pourrais presque le paraphraser. Je sais tout ça.
« - Je pensais… J'étais sûre que cette fois c'était différent. Je me sens tellement heureuse et libre… »
« - Je sais miss Granger, mais il faut que vous soyez consciente que vous n'êtes pas bien. Vous êtes trop bien. Ce n'est pas la normalité. On ne peut pas vivre si intensément, ce n'est pas tenable. Et la phase dépressive qui va suivre sera proportionnelle à votre bien-être actuel, d'où l'importance de canaliser. »
Dépitée, je m'enfonce dans le canapé en soupirant. Éternel recommencement. Haut, bas, et on recommence. Encore et encore et encore. C'est si frustrant.
« - On augmente le lithium et on garde la même dose de Lambipol. Cela devrait empêcher une descente trop violente tout en maintenant vos montées sous contrôle. Je vous prescrit des somnifères, je veux que vous dormiez ! Et une prise de sang dans le courant de la semaine. » Préconise le médecin en sortant son carnet d'ordonnance. « Il faut que vous fassiez attention à vous, d'accord ? »
J'hoche la tête avec entrain. Ça va aller.
Que pourrait-il arriver ?
Je suis enfin bien, les mois de déprime sont derrière moi, loin, si loin, je me lève tôt, je vis, je bouge et je m'éclate. Tout paraît tellement intense ces derniers temps. Les aliments ont plus de goût, les émotions m'emportent et un rien me fait rire. J'apprends à toute vitesse, j'écris beaucoup, je me sens inspirée, comblée, vivante.
Mais le signal d'alarme est là, quelque part, il résonne en moi. Ce.N' .Normal,Crie-t-il, plaçant chacune de mes actions en perspective.
Mon prisme est tordu, ma réalité est distordue, je fonctionne de travers. Même les instants de pur épanouissement ne sont que poudre aux yeux. C'est frustrant. Injuste. Fatiguant.
« - On se revoit d'ici un mois. N'hésitez pas à me téléphoner si cela n'allait pas. »
J'approuve brièvement et me lève.
.
.
« - Du parachute ? Au deuxième rendez-vous ? Tu es sérieux ? »
Je ne sais si je dois m'enthousiasmer, me moquer ou m'inquiéter.
Je choisis de profiter de cette opportunité inouïe. Au diable mon vertige paralysant et mes angoisses de perte de contrôle, je vais faire le grand saut.
« - Attends, tu as le vertige ?! » S'affole le type.
J'ai encore parlé à voix haute. Gé-ni-al.
Le type semble me juger.
« - Et je peux savoir pourquoi tu m'appelles 'le type' sans arrêt ? »
Il paraît agacé. Vexé, plutôt. Et il croise les bras dans un attitude boudeuse qui étonnamment me fait fondre.
Quand Ronald faisait des manières j'avais envie de lui bouter le feu, ici c'est tout l'inverse. Étonnant.
« - Draco. » Corrigeais-je et son nom roule agréablement sur ma langue. « Satisfait ? »
Je ricane et il roule des yeux.
« - Très. » Grince-t-il avant de se saisir de ma main et de m'entraîner dans son sillage.
Une vespa bleu pâle, deux casques bariolés et un look un peu vintage.
J'observe le type, Draco, m'indiquer sa becane dans un 'Tadaaam' satisfait. Il l'indique même des deux mains, tel un magicien à la fin de son tour.
« - Génial ! » Je m'extasie en faisant courir ma main le long de la carrosserie. « Je roule. »
Il me lance un regard perçant et je le vois très nettement hésiter.
« - Tu as déjà fait ça ? »
« - Je suis une vraie pilote. » Affirmais-je.
Faux. Je ne suis montée qu'une seule fois sur un deux-roues et c'était derrière mon cousin. Il a raté son virage et s'est cassé la mâchoire. Mais pourquoi s'embarrasser d'autant de précisions?
Après tout, cela ne doit pas être sorcier.
« - Si je te réexpliquais ? » Propose posément mon date en faisant fi de mon aplomb.
« - Les mecs et leurs bolides… » Soupirais-je dans un sourire.
« - Les jolies filles et leurs jugements trop hâtifs. » Rétorque-t-il et je note soigneusement le compliment glissé mine de rien.
« - Allez, roule Don Juan. » Concédais-je cependant en m'installant à l'arrière. J'étais pourtant sûre que j'aurais fait une super motarde, tant pis, ce sera pour une autre fois.
Il acquiesce et démarre sur les chapeaux de roues. Je rigole au vent alors que le soleil brûle ma peau, que le paysage défile à toute allure et que mon buste se presse contre le dos musclé de mon chauffeur.
Il attrape l'une de mes mains entre les siennes et entrelace nos doigts sur son torse. Plutôt tactile, ce type.
On arrive à l'aérodrome et il checke le gars qui nous accueille.
« - Dray ! Tu te décides enfin à revenir et c'est ici que je te retrouve ? Sérieusement mec ? » S'offusque faussement le grand pilote. « Un SMS, c'était de trop ? »
« - Sorry Blaise, j'étais pas au top. » S'excuse dans une grimace contrite le type.
Première nouvelle. Il a l'air de rire de façon louche tout le temps pourtant. Mais je suis bien placée pour savoir combien un masque peut être efficace.
« - Tracasse, je comprends. Désolé pour toi, mon gros. »
« - Non mais tu t'es vu ? Tu as perdu en muscles et tu attrapes un bide à bière, s'te plaît ! » Enchaîne le type en tapant dans le ventre de son vis-à-vis.
Je les observe se chamailler comme des mômes, mon casque entre les mains et légèrement en retrait.
« - Et la beauté avec toi, tu comptes me la présenter un jour ? » Le grand métis me fait un clin d'œil aguicheur et le type se place sur mon flanc, un bras nonchalamment posé sur mes épaules.
« - Hermione, voici ce gros lourdeau de Blaise. Il est le plus soiffard, le plus dragueur et le plus imbu de lui-même de mes amis. Et le plus vieil ami que j'ai, optionnellement. »
Sur cette présentation, le dit ami grogne, frappe le type et nous entraîne en bougonnant vers un petit avion de plaisance.
Il nous équipe rapidement, m'explique les bases, m'indique que nous allons sauter en binôme avec Dray puisqu'il a le nombre d'heures suffisantes pour être formateur même si cela ne l'intéresse pas. Le blond roule des yeux.
Et nous sommes dans les airs, plusieurs pieds au-dessus de la terre, le vent agitant mes boucles brunes dans une valse enivrante. La porte coulissante s'ouvre et je me penche à peine qu'un violent vertige me tétanise.
Mais je ne serais pas vaincue par celui-ci, pas aujourd'hui, pas quand je me sens si forte. J'ai envie de rire aux éclats ou de fondre en larmes. Ambivalence totale.
Alors, dans le doute, j'avance à la suite du type, on s'arrache et il saute. M'entrainant dans son sillage. Collée à son torse, lui blotti dans mon dos, je vois le sol s'approcher rapidement. Très rapidement. Et je suis grisée autant que je suis terrorisée par la sensation de vitesse. Je me sens hurler plus que je ne m'entends et des larmes de terreur inondent mes joues tandis que mon cerveau imprime la beauté des lieux.
Assez vite, il tire le parachute et nous planons tranquillement, virevoltant dans le ciel et longeant la côte. Il me picote le cou de baisers, me guide sur les poignées, me laisse le contrôle. Mon cœur s'apaise lentement.
Je déteste ne pas avoir de prise sur mon environnement et ce simple geste, cette petite attention, me gonfle de bien-être. Il est prévenant, attentif et charmeur.
Presque trop beau pour être réel.
Je ravale les sentiments qui me submergeraient si je leur laissais libre cours et me concentre sur l'instant présent. Exaltant est un terme bien faible pour décrire ce que je vis.
Nous nous posons en douceur et il me recoiffe délicatement, replaçant les mèches folles qui doivent me donner un air d'Einstein. Au milieu de la campagne, à quelques centaines de mètres des énormes hangars, il m'embrasse avec douceur.
Est-ce positif ou négatif ? Résonne la voix aseptisée de mon psy dans ma tête.
Brutalement je romps le baiser et m'éloigne. C'est un jeu dangereux. Je ne connais pas ce type, à peine, quelques bribes. Je ne peux pas prendre ce risque, celui de me dévoiler, de me donner entièrement, trop, sans concession. La confiance se gagne lentement.
Ronald me l'a bien enseigné. J'ai appris ma leçon, merci.
« - Tellement sur la défensive… » Soupire l'autre contre mes lèvres. Il me mordille celle du bas et je me dégage doucement de son étreinte. Il ne comprend pas et je ne peux pas l'en blâmer.
« - On mange un bout ? » Demandais-je en souriant de toutes mes dents.
Il opine simplement et je crains de l'avoir froissé.
On se change rapidement, Blaise toujours dans l'avion, effectue une vrille au-dessus de nos têtes en guise d'au revoir et nous voilà de retour sur le scooter.
On emprunte des routes sinueuses, des chemins de campagne aux vallons tendres et aux crêtes panoramiques. Le soleil brille et tout est paisible.
Je ferme les yeux, reniflant la nature et profitant de la quiétude de l'instant.
Le restaurant où il m'a amenée est minuscule. À peine une dizaine de table dans une pièce vitrée dont les larges baies sont grandes ouvertes, faisant danser les rideaux et donnant sur un paysage enchanteur.
« - Milady. » Tire-t-il ma chaise en l'indiquant du plat de la main.
« - Merci Milord. »
Il grimace et s'installe face à moi.
« - Alors ? Tu en as pensé quoi ? » Me sonde-t-il de ses yeux trop clairs.
« - Intense. Pas d'autre mot. » Résumais-je ma pensée.
Le type hoche la tête deux fois puis passe commande d'une voix traînante et un peu aristocrate. Sa diction est parfaite, il prononce chaque mot si distinctement qu'on pourrait le croire en représentation.
« - Rappelle-moi, tu fais quoi dans la vie ? »
Tiens, il s'immobilise et se tourne vers moi en fronçant les sourcils.
« - Tu ne te souviens pas ? » Le ton est moqueur et le sourire goguenard.
Je secoue la tête négativement et il rigole tout bas.
« Pas étonnant, tu étais bien bourrée. »
Il ne répond pas à ma question intentionnellement, je le sens. J'ai la sensation qu'on n'a pas vraiment abordé le sujet, au premier rencard. Il avait déjà esquiver habilement. Il y a clairement anguille sous roche. J'ai un sixième sens pour ces choses-là. Ça me déplaît et mon nez se fronce, comme toujours quand je suis contrariée.
« - Ne fais pas la tête ainsi ! On dirait un petit cochon ! » Se moque-t-il ouvertement avant de se pencher pour me pincer la joue. Surprise, j'arrondis la bouche et souffle un petit « Oh ! » qui le fait sourire. Evidemment, il est encore plus canon ainsi. Et évidemment, je m'empourpre.
« - Voilà qui est mieux. » Considère le type d'une voix ravie.
« - Et donc ? »
« - Et donc quoi ? » Il joue avec ses couverts d'un air nonchalant, alignant à la perfection la fourchette avec la cuillère à soupe.
« Si le sujet te dérange, on peut simplement parler d'autre chose » Concédais-je, magnanime, alors que je brûle de savoir afin de comprendre ce qu'il cache.
De toute façon, je me dis depuis le départ qu'il est trop bien sur papier pour être réellement honnête. Il y a d'office un truc qui foire. Personne ne peut être aussi beau, intelligent, bien éduqué et amusant. Ça fait trop de qualités pour une seule personne.
« - Je suis désolé, je ne pensais pas que ça jetterait un froid ainsi. » Se justifie le type avant de sourire d'un air un peu crispé « Je bossais dans l'immobilier. »
L'emploi du passé me frappe et il intercepte sans doute mon haussement de sourcil car il embraye:
« J'ai arrêté il y a environ six mois pour m'occuper de mon petit cousin qui n'allait pas très bien. Entre autres raisons. »
Ah. OK. Ce n'est pas ce à quoi je m'attendais. Et il a l'air… sincère ? Je l'analyse quelques instants puis j'opine lentement du chef.
« - Désolée d'avoir insisté du coup. »
Faux. J'ai envie d'en savoir plus, à vrai dire. Mais la décence me force au silence. Surtout qu'il n'en mène visiblement pas large.
« - Tracasse pas. Et toi au fait, ton nouveau boulot te plaît ? »
« - Pas autant que j'espérais, je cherche autre chose de plus palpitant. Si tu entends parler autour de toi d'un job sympa.. »
« - He ben, c'est du rapide ! » S'esclaffe-t-il.
Je hausse les épaules, c'est toujours ainsi de toute façon. Je ne garde aucun boulot plus de quelques mois. Mon record est d'un an. Et encore c'est uniquement parce que mon patron de l'époque était compréhensif.
« Et pour les mecs, c'est pareil ? » Demande le type en faisant mine de ne pas y toucher. Mais je ne suis pas dupe, il y a un gros potentiel de drague lourde sous cette question.
« Bof, j'ai été quelques années avec un type, sinon c'est plutôt des amourettes, oui. »
Quelques années. Quel euphémisme. Sept fichues longues années gâchées. Perdues. À jamais passées. Pour me faire tromper et plaquer comme une vieille chaussette du jour au lendemain. Franchement, Ronald n'est qu'un gros con et avec le recul, j'aurai dû anticiper ce dénouement. Mais j'étais naïve, amoureuse et donc profondément stupide. Et crédule. Et confiante. Bref, stupide.
« - Dis donc, la croqueuse d'homme, je dois me méfier alors ? » S'enquit-il dans un clin d'œil taquin.
« A toi de me le dire. Te crois-tu assez bon que pour durer dans le temps sans me lasser ? » Rentrais-je dans son jeu en haussant un sourcil dubitatif.
« - Tu n'es pas prête. » Affirme le type avec assurance.
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Et je n'étais, de fait, pas prête. Le rendez vous suivant, nous sommes allés nous balader à dos d'âne dans la campagne. Celui d'après nous avons pique niqué sous la pluie, cachés sous un gigantesque parasol et chaussés de hautes bottes en caoutchouc. Un peu plus tard, il m'emmena à une séance de cinéma en drive-in dans un ancêtre décapotable du plus joli effet. Une voiture de collection vintage qui me donnait envie de nouer un foulard dans mes cheveux, de me peindre les lippes en rouge vermeille et de lever les bras au vent, façon Bonnie and Clyde.
Et les rendez-vous se succèdent ainsi, allant de surprises en découvertes et d'endroits abracadabrants en activités insolites.
« - Alors, tu te lasses de moi ? » Demande-t-il un soir d'une voix taquine.
Nous sortions d'un restaurant javanais à la décoration luxuriante. Des tables en bambou, des menus sur des feuilles tropicales et des plantes partout, jusque dans les toilettes. Une gigantesque échelle ornait le plafond au-dessus des tables et dégoulinait de plantes suspendues en tout genre. Superbe et insolite, comme toujours. Ce type ne fait pas les choses à moitié, de toute évidence.
« - Pas encore. » Répondis-je d'une voix distante. Il pose de plus en plus fréquemment la question, sans doute son attachement à moi grandit-il parallèlement à son inquiétude de se voir rejeter.
Mais il se trompe, je ne compte pas le laisser tomber. Que du contraire. Plus ça va, pire je m'attache. Intensément, comme d'habitude. Tout est plus puissant que la moyenne avec moi, c'est ainsi. J'insuffle le chaud, le froid, provoque le chaos, rigole à en perdre haleine puis disjoncte à en faire trembler le pays entier. Je tempête pour mieux danser la seconde suivante. Le type ne s'effraie pas de mes soudaines sautes d'humeur, des soirées où je n'ai pas envie de rester tranquille, du fait que je ne tiens pas en place, des moments de folie pure où je peux me mettre à imiter des animaux ou des accents étranger, des nuits sans sommeil, de mon addiction dévorante pour son corps nu, ni de mes envies sexuelles incessantes, ni de l'excès total dans lequel je vis de façon générale. Il m'observe avec ce sourire amusé qui lui est propre sans jamais juger.
Mieux, il me suit dans chacune de mes lubies. Pire, il semble apprécier cette absence de routine. Deux mois qu'on se voit fréquemment, qu'on dort ensemble de plus en plus souvent, qu'on sort en boite, au ciné, au resto, … Et jamais je ne m'ennuie une seconde. Je savoure cette interlude à deux-cent à l'heure avec délice.
« - Dis, tu as pris tes cachets ? »
On est le soir, l'heure où mon rappel sonne sur mon téléphone est passée depuis deux heures et non, je n'ai pas pris mes cachets. Il voit ma grimace et me fait un demi-sourire.
« - Tu ne les prends plus ces derniers temps, si ? » Insiste-t-il.
Et il a raison, je les esquive. Parce que je me sens parfaitement bien. Et plutôt normale. Et belle, forte et puissante. Le monde est à mes pieds, j'ai un prétendant sublime, un chaton adorable, un appartement immaculé et une vie trépidante. Je ne trouve donc aucun intérêt à être sur-médicamentée. Et j'ai décommandé mes rendez-vous psychiatriques. Après tout, tout roule en ce moment, je ne vois pas l'intérêt de m'exposer à de mauvaises ondes.
« - Mione. » Chuchote-t-il en replaçant délicatement une mèche derrière mon oreille. Avec une douceur infinie, il caresse du bout des doigts de ma mâchoire jusqu'à mon oreille.
« - Hm ? »
« - Tu ne peux pas arrêter ton traitement ainsi. » Souffle-t-il, près de mon cou. Je le sens renifler mon odeur et déposer un bref baiser sur la base de ma clavicule. Je porte des talons si vertigineux qu'il n'a quasiment pas besoin de se baisser pour faire ce geste, c'est un avantage indéniable. Habituellement, il doit se pencher fortement tandis que je me hisse sur la pointe des pieds. Peu pratique.
« - Tout va bien. » Je lui assure, convaincante. « Tu sais de quoi j'ai envie ? »
« - Dis moi. » Réponse automatique.
Je note qu'il est ailleurs, un pli barre son visage parfait et il semble m'analyser avec attention.
« - Ce cake à la pomme chimique que vend le pakistanais en bas de chez moi et un film d'action sanglant. »
« - Avec une boule de glace vanille ! » Décrète-t-il toujours un peu absent malgré tout.
« - On rentre ? »
Il approuve simplement et nous voilà voguant dans les rues du centre-ville en se tenant la main. La vie est parfois faite de petits rien insignifiants qui ont un goût de bonheur.
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« - Ce film était nuuuuul. » J'insiste sur ce mot pour marquer ma nette déception.
« - Pur navet. » M'accorde-t-il en jouant distraitement avec sa cuillère.
Pattenrond, mon nouveau chat, saute sur mes genoux en ronronnant et j'ignore sciemment le fait que le type semble pensif depuis la conversation sur mon traitement. Ça devient lourdingue à ce stade.
« - Bon, tu veux bien arrêter de tirer la tête ? » M'agaçais-je finalement en débarrassant les assiettes à dessert.
« - Prends tes médicaments et j'arrête. »
C'est qu'il me fait du chantage ! Le culot. Deux mois de relation et monsieur se croit tout permis.
« - Je pense que je sais mieux que toi ce qui est bon pour moi. » Rétorquais-je en m'éloignant vers la minuscule cuisine de mon appartement.
« - Je n'en suis pas si sûr. » Ose-t-il rajouter.
Le culot, non mais le culot. Qui est-il pour penser me connaitre ? Il ne sait rien de moi, rien. Je m'esclaffe sous le coup de la surprise et le jauge succinctement. Est-il même sérieux ?
« - Qu'en sais-tu ? Garde tes considérations pour toi, s'il te plaît. »
«- Désolé de te décevoir mais il n'est pas venu le jour où je ne dirais pas ce que je pense. »
Il parait un peu saoulé. Une certaine condescendance transparaît dans sa phrase et cela à le don de m'énerver.
« C'est bien dommage, tout le monde y gagnerait. »
« - Je dis toujours la vérité. Qu'elle soit plaisante ou non. Et je pense que tu fais une grosse bêtise en stoppant ton traitement ainsi » Déclare-t-il, clairement blasé dorénavant.
« - Merci d'avoir partagé ton indispensable opinion avec moi mais je suis une grande fille. » Crachais-je avec hargne.
« - Que cherches tu, Hermione ? »
« - À toi de me le dire, Draco. » J'insiste volontairement sur son prénom, le rendant venimeux. Il me tape sur les nerfs, c'est officiel
On se fusille du regard, chacun d'un côté de la pièce, et le silence est tendu. Chacun reste planté, énervé et peu enclin à revenir sur sa position. .
« - Je crois que je vais rentrer. » Abrège-t-il finalement le supplice, blasé.
« - Ce serait mieux, oui. »
Et il s'en va. Sans un mot, sans un regard, le dos droit et la démarche assurée. Il claque la porte derrière lui, en guise d'ultime provocation. Puis c'est le silence.
Merde.
Merde, merde, merde.
Quel connard, ce type.
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Deux jours de silence radio.
J'hésite à envoyer un message, je pianote un SMS, me rétracte, envisage de l'appeler, me contiens de rechef, pense à lui souvent mais n'agis pas. Je ne suis plus fâchée, seulement déçue de ce silence qui s'éternise. C'était sympa ce qu'on vivait, mais le doute m'assaille, peut-être ne veut-il plus continuer ? Peut-être a-t-il été refroidi par mon sale caractère ? Mon tempérament de merde l'aura sans aucun doute fait fuir. Ce n'était qu'une question de temps… Tout le monde finit par s'éloigner quand mon vrai visage apparaît. Je sais pertinemment que je suis insignifiante sous mes allures amusantes, je suis vide de l'intérieur. Cadenassée à double tour sur moi-même.
Quatre jours de silence.
Je ne sors pas beaucoup de mon appartement, ces temps-ci. Plus du tout, même. J'ai démissionné de ce boulot qui ne me vendait pas du rêve et je squatte mon lit toute la journée. Encore bien que je n'ai plus besoin d'aller travailler car je me sens épuisée. Je peine à me lever le matin et je me traîne dans le living comme un zombie. Parfois l'effort chambre-frigo me parait insurmontable et je préfère me laisser mourir de faim plutôt que de bouger. La douche, n'en parlons même pas.
Le type ne m'a toujours pas rappelée mais ça n'a aucune importance. Pas grand-chose n'a d'importance, en fait. La vie me semble si peu intéressante. Je n'ai plus donné de nouvelles à mes amis depuis quelques temps, j'ai abandonné mes cours de Russe et j'ai des tissus partout dans mon salon, preuve d'abandon de mon projet de coussins. Rien n'a de sens, dans tous les cas. Autant dormir.
Je n'ai pas faim, je n'ai pas soif, je n'ai pas envie de sortir, je n'ai pas envie de regarder la télé, ni d'écrire, ni rien du tout. Je veux juste rester sous ma couette et attendre que le temps passe.
Mon téléphone sonne, alors que je viens de me glisser dans le canapé sous un gros plaid duveteux.
Draco.
Il demande succinctement: « Tu vas bien ? » sans s'excuser, sans mention de l'autre soir, sans rien. Je peste et jette mon portable à l'autre bout du canapé en jurant. Pourquoi ça n'irait pas de toute façon, tout roule, pas vrai ?
Je me mords la lèvre, me relève et retourne me coucher.
Cinq jours de presque silence.
Il a tenté de me sonner. Deux fois. Le premier appel, j'ai patiemment attendu que l'appel passe pour continuer mon niveau de Candy Crush, plus dérangée qu'autre chose. Le second, je l'ai éjecté. Autant couper court directement. De toute évidence, ça n'aurait pas fonctionné, nous n'étions pas compatibles, puis on s'est déjà disputé alors que ça ne fait que deux malheureux mois qu'on se fréquente. Puis, on n'avait même pas réellement mis de mot sur notre relation, preuve s'il en est que ça ne comptait pas. Pas vraiment.
Autant éviter les dégâts tant qu'il est encore temps. Inutile de souffrir pour une stupide histoire avec un prince scandinave inconstant. En plus je ne sais quasiment rien de lui, il lâche des informations par à coups, du bout des lèvres et je ne sais toujours pas pourquoi il ne veut pas parler de ce qu'il faisait avant de me rencontrer. Il n'est pas net du tout. Mieux vaut que je me protège. Je m'attache trop vite, mon cœur n'est pas prêt pour souffrir à nouveau. Et entreprendre quelque chose avec le type, ce sera inévitablement voué à l'échec alors à quoi bon… Et je suis tellement, tellement fatiguée. Et vide. Je n'ai pas l'énergie pour gérer ce flot de sentiments qu'il fait naître en moi. Je me rallonge, rabats la couette sur ma tête et je ferme les yeux. Stop. J'arrête tout.
Huit jours de rejet.
On toque et j'espère de tout coeur que ce soit le facteur. Je n'ai envie de voir personne. De surcroît je suis dans un état lamentable, je fais si peur à voir que j'évite les miroirs. Mes cheveux forment une choucroute plus proche de Médusa qu'autre chose et je sens la transpiration. Je porte le même survêtement élimé depuis… Quatre ? Non, cinq jours. Et ma dernière douche date d'avant ça. En deux mots comme en cent: Pas. Présentable.
La personne insiste et je me décide à quitter le confort de mon fauteuil. Quelle pénitence, il ne peut pas déposer le colis devant ma porte, comme d'habitude ?
Je grommelle un « J'arrive ! » un peu sec et je me glisse lentement vers le petit hall.
« - Salut. » Je sursaute, à moins que le type ne soit devenu facteur en l'espace de quelques jours, ce n'est pas du tout la personne que je pensais trouver.
« - Euh… Qu'est-ce que tu fais là ? » Je demande, sidérée et un peu honteuse de ma présentation générale.
« - Bonjour à toi aussi ! » Me reprend-t-il, sarcastique.
Je passe une main nerveuse dans mes cheveux gras et désordonnés et je jure à voix basse. MERDE. Qu'est-ce qu'il vient foutre ici ?!
« - Tu es dans un état lamentable. » Commente-t-il sans prendre de gants.
Je ne trouve rien à répondre et il profite de mon hésitation pour se glisser dans mon logis sans me demander quoi que ce soit. C'est le chantier le plus total et il hausse un sourcil blond sans commenter.
Du linge sale traîne à droite, à gauche, il fait globalement sale, la table et la petite table d'appoint du salon sont surchargées de vaisselle sale, il reste des vestiges de mon dernier repas - une boîte de raviolis - et la poussière envahit les étagères. Mon salon n'est pas plus propre que moi-même.
« - C'est bien ce que je suspectais. » Grommelle le type en commençant à rapatrier les tasses sales vers la cuisine.
Parlons-en de la cuisine d'ailleurs, la taque est maculée de taches, l'évier déborde de couverts, assiettes et casseroles sales dégageant une odeur peu agréable, le lave-vaisselle est rempli mais n'a pas tourné et mon frigo est totalement vide. Une banane noire et suintante se bat en duel avec deux pommes fripées dans la corbeille à fruits.
« - Je range un coup puis on discute. » M'informe le type et il se met à l'ouvrage dans la foulée sans attendre une quelconque autorisation.
Assise depuis le canapé, je l'observe faire mes poussières, aspirer, laver rapidement le sol et lancer un programme de lavage. En quelque quarante minutes, le salon a retrouvé un semblant de normalité. Je m'en sens étonnamment soulagée. Quelque part, au fond de moi, cela me pesait un peu.
« - Bon. » Commence-t-il en s'asseyant face à moi dans le fauteuil et en me saisissant une main. « Comment te sens-tu ? »
« - Ça va. » Répondis-je mécaniquement mais son regard perçant me fis baragouiner: « Je suis juste un peu… Fatiguée. »
« - Tu dors beaucoup ? » J'opine vaguement « Ca change des nuits blanches du début qu'on était ensemble. » Note-t-il dans un sourire gentil.
J'hausse les épaules et reporte mon attention sur la télévision qui fonctionne en fond sonore. C'est un clip musical du plus mauvais goût. Qu'on était ensemble. Je tique sur l'emploi du passé, sur le "ensemble", sur l'entièreté de la phrase et ce qu'elle subodore.
« - Quand es-tu sortie pour la dernière fois ? »
« - Y'a pas longtemps. » Je mens, je ne sais même plus quand c'était. Peut-être il y a quatre jours quand je suis allée chez le pakistanais d'en bas acheter des cigarettes. Parce que stupidement j'ai recommencé à fumer.
Mais je ne dis rien de tout cela, évidemment.
« - Et une douche, quand as-tu pris une douche? » Il plisse le nez en disant ça et je baisse les yeux sur mon t-shirt trop large et mon survêtement Adidas qui a connu des jours meilleurs.
« - Je … Je ne sais pas. »
« - Tu manges quoi ? Ton frigo est vide. »
« - Je m'en fous un peu, en fait. T'es quoi ? Ma mère ? » Finis-je par réagir. Il commence à me taper sur les nerfs, à nouveau.
« - Ça ne va pas. Du tout. Et ne me mens pas. » Répondit-il simplement avec un calme olympien. « Va te laver, je descends faire quelques courses pendant ce temps-là. »
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« - Alors ? »
« - Mouais, c'est passable. »
« - Je t'avais prévenu que je ne savais pas cuisiner. »
« - Mhmh. »
Il a fait cuire des pâtes et a jeté un pot de sauce bolognaise toute prête dedans. Ce n'est pas ce que j'appelle cuisiner mais passons.
« - Tu comptes me parler ? » craque-t-il soudainement en se prenant la tête entre les mains, ses longs doigts dans sa tignasse blonde.
« - J'y suis obligée ? » M'agaçais-je en reprenant une fourchette de Pâtes trop cuites.
Il a rempli le frigo à craquer et s'est échiné à cuisiner. Chose pour laquelle il n'a vraiment aucun talent, vraisemblablement.
« - Je pense qu'on ne devrait plus se voir. » Annonçais-je sans ambages.
Je le vois se raidir et relever la tête vers moi comme au ralenti.
« - Pourquoi ? » Croasse-t-il et il a un air bizarre que je ne sais interpréter.
« - Cela ne mènera à rien de bon, je ne veux pas de ça » j'englobe le repas, la table, le type et la cuisine du plat de la main. « En plus, c'est tout frais, ça nous évitera de souffrir quand on réalisera que ça ne peut pas fonctionner. »
J'ajoute pour moi-même que tout cela me fatigue, m'use et me fais me sentir d'avantage mal que bien. Mais rien ne sert de gaspiller mes mots, il ne comprendrait pas.
« - Si je comprends bien, tu es en train de me dire que tu préfères stopper maintenant plutôt que de prendre le risque hypothétique que ça ne marche pas entre nous ? » J'approuve, soulagée qu'il approuve à moitié mais il enchaîne d'une voix traînante: « Mais qu'est ce qui te dit que ça ne marchera pas ? »
Bonne question. Excellente, même. Je lâche un rire bref et sans joie, désabusé.
« - Parce que les histoires d'amour sont toujours vouées à l'échec. Suffit de regarder les statistiques de divorce. »
« - Ok, donc tu t'empêches de tomber amoureuse parce que c'est possible, qu'un jour, tu souffres un peu. Mais quel gâchis. Tu passes à côté de plein de choses avec une mentalité pareille, tu sais ? »
« - Je ne te demandais pas ton avis, en fait. Je voulais juste rompre à la base. » Je lui explique posément tout en me servant un verre de coca.
« - Hé bien je ne suis pas d'accord. »
Je manque en échapper la bouteille et la repose précautionneusement sur la table.
« - Tu n'es pas d'accord ? » Répétais-je, éberluée en le scannant attentivement. Il n'a pas l'air de se moquer de moi.
« - Je m'y oppose. Fermement. » Confirme le type en passant une main agacée dans ses cheveux « Parce que tu me plais, beaucoup, et que c'est trop bête de s'arrêter là uniquement parce que tu flippes. »
« - Je ne flippes pas ! »
« -Ah bon ? C'est quoi alors ? »
« - De la prévention. »
« - Je suis contre la prévention. Déjà quand il s'agit de la prévention routière à la télé, ça m'agace, alors la prévention Hermionnienne on repassera. » Rétorque-t-il avec aplomb.
« - Mais… » Et je suis à court de mots.
Il en profite pour se lever d'un bond de chat et s'approcher de moi à pas de loup. Sans que je ne l'anticipe, il se penche et attrape mes lèvres entre les siennes, m'entraînant dans un baiser sulfureux. Je lutte un peu, pour faire bonne figure, mais me laisse finalement aller. C'est agréable, doux, revigorant. J'ai l'impression de goûter à quelque chose de défendu et c'est grisant.
Dans un mouvement souple, il me saisit par la taille et je noue mes jambes autre de son torse, juste au-dessus de ses hanches bien marquées. Enserrée contre lui, perdue dans cet échange salivaire grisant et totalement transportée, je ne réalise qu'à moitié qu'il vient de me déposer sur le plan de travail.
« - Alors ? » S'écarte-t-il de quelques centimètres « Toujours déterminée à m'envoyer paître ? » Il hausse un sourcil moqueur et m'adresse un demi-sourire sûr de lui.
« - Bon, peut-être pas aujourd'hui. » Déclarais-je dans un soupir amusé. Je n'en ai ni le courage ni réellement l'envie.
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« - Alors, miss Granger, comment vous sentez-vous aujourd'hui ? »
« - Hm. Je ne sais pas. » Grommelais-je
« - Je vous sens contrariée. » Indique le psychiatre dans un long regard dubitatif.
« - C'est que… Pour être honnête, on m'a forcée à venir. »
« - Oh, et qui est ce "on" ? » S'enquit tranquillement le médecin sans faire grand cas de mon manque d'entrain.
« - Heu, un type. » J'élude au maximum.
« - Le type louche qui rigole de façon pas nette ? » Me ressort-il du fin fond de ses notes. « Ça m'a l'air plutôt sérieux, alors ? »
« - Il refuse de rompre. »
Mon psy me lance un regard scrutateur et analyse, semble-t-il, la moindre émotion passant sur mon visage.
« - J'ai la sensation que vous tenez beaucoup à ce jeune homme. »
« - Gmmf. »
« - Sinon, prenez-vous votre traitement ? » Et j'ai l'impression qu'il connaît ma réponse avant même que je ne réponde à sa question car il m'analyse toujours avec cet air un peu réprobateur.
« - Pas vraiment. »
« - Et comment vous sentez-vous ? »
« - Je crois que… Je pense que… Écoutez, ça ne va pas. » Je me jette à l'eau. Il faut mettre des mots sur ce qu'il se passe, je ne peux pas me voiler la face plus longtemps.
Nous en avons longuement discuté avec Draco et force m'est de constater qu'il a raison. Je ne tourne à nouveau pas rond.
« - Depuis combien de temps ? »
« - Quelques jours. Peut-être plus longtemps, je ne saurais pas dire… »
« - C'est très bien Miss Granger, la première étape c'est la réalisation. Une fois que vous saurez identifier dans quelle phase vous êtes, ce sera bien plus simple à gérer, vous verrez. » M'encourage le brave docteur en me faisant un sourire qui se veut complice.
« - Bien. » Poursuit-il « On va augmenter la dose de lithium dans ce cas mais il faudra que vous le fassiez progressivement. Je peux vous faire confiance ? »
J'hoche la tête, je sais que j'ai quelqu'un derrière moi qui va me botter les fesses si je ne le fais pas correctement et quelque part… C'est rassurant.
« Si vous êtes trop déprimée, je vous rajoute un autre médicament à prendre. Il est plus rapide à agir que le Lithium qui, comme on en a déjà parlé, prend des mois pour être stable. Et n'hésitez pas à me joindre en cas de problème. Vous travaillez en ce moment ?»
« - Je… Non, j'ai quitté mon travail et… » Je m'empêtre et il semble comprendre immédiatement.
« - Je vous mets en arrêt pour deux mois, le temps d'avoir la tête hors de l'eau, je prolongerai si besoin. On va tenter d'ajuster vos médicaments au mieux et vous reprendrez sereinement dès que ce sera fait. » Annonce-t-il, me prenant au dépourvu.
« - Ah, heu, ok, d'accord, oui. Merci. »
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« - Et donc je suis condamnée à m'emmerder ici. » Boudais-je, bras croisé sur la poitrine et regard noir.
« - Si on partait quelques jours ? » Propose Draco en souriant devant ma mine boudeuse.
«- Je ne sais pas si j'en ai envie. »
« -Mais tu n'as pas envie non plus de rester ici . »
Je grimace, prise au piège. Je ne sais pas ce que je veux et choisir la moindre petite chose m'est difficile. Je n'arrive pas à décider ce que je veux manger, je ne tranche pas entre plusieurs films, je peine à choisir quel shampooing utiliser… Le moindre choix est un effort hors de mes compétences. Puis, tout m'indiffère, alors…
Tout, sauf Draco Malfoy, apparemment.
Va savoir pourquoi mais lui, il arrive à me tirer des réactions. À me faire me sentir vivante. Il parvient même à me faire rire et à me sortir de ma léthargie. Quand il se fâche, je l'écoute et bien souvent je capitule. Parce que étonnement, il fait pour un mieux et gère incroyablement bien ce que je traverse. Il n'est même pas effrayé par mes idées noires, c'est dire.
« - Tu as des idées noires, encore ? »
Ah j'ai à nouveau parler à voix haute. Et depuis un moment, car il sourit d'un air trop heureux pour quelqu'un qui vient de se faire rembarrer ses vacances.
« - Mouais, un peu mais c'est gérable. Tu ne me retrouveras pas comme une crêpe au pied de l'immeuble cette semaine si ça peut te rassurer. »
« - Après, tu n'es qu'au premier étage, faut vraiment le vouloir pour mourir de cette hauteur. » ricane-t-il « Tu te casserais tout au plus les deux jambes. »
« - Peut-être que je sauterais la tête la première, histoire d'assurer le coup. »
« - Je préférerais que tu ne sautes pas du tout, si tu veux tout savoir. Je déteste les hôpitaux. »
« - Oh, alors je m'abstiendrais. » Répondis-je d'une voix un peu absente.
Il me sonde du regard quelques instants puis soupire.
« - Tu sais, tu me fais parfois penser à mon petit cousin. Teddy. »
Je raccroche immédiatement à la réalité. Il parle très peu de sa famille et encore moins de ce fameux petit cousin dont il s'est occupé durant apparemment de longs mois.
« - Comment ça ? »
« - Teddy est… était un jeune homme sensible. Trop, sans doute. » Il cille et je sens qu'il n'en mène pas large « Je suis allé habiter avec lui à Copenhague parce qu'il… Il était dépressif. Et s'il voulait pouvoir sortir de l'hôpital, quelqu'un devait le chaperonner. »
Il n'a pas besoin de préciser que c'est un hôpital psychiatrique, je le devine au regard trouble qu'il pose sur moi. L'emploi du passé dans sa phrase me fait serrer les dents, je suis sûre de ne pas aimer la fin de cette histoire.
« - C'est pour ça que tu as arrêté de travailler? » M'enquis-je d'un ton le plus léger possible.
« - Oui, j'avais de bonnes réserves d'argent et Teddy était le membre de ma famille dont j'étais le plus proche. Du coup le calcul a été vite fait. » Approuve-t-il lentement. « Il était orphelin, en fait, ce qui n'aidait pas. Je ne pouvais pas le laisser seul à l'autre bout de l'Europe. »
J'opine lentement. Le prince scandinave de retour au pays dans des circonstances tragiques. Je me fustige pour ce trait d'humour déplacé.
« - Bref, je sais comment ça fonctionne et les sales idées qu'on peut avoir dans ces cas-là. C'est pour ça que tu ne m'as pas vu fuir en invoquant ta maladie. Même si c'est sensiblement différent, il y a de grosses similitudes. »
De fait, je comprends mieux pourquoi il avait l'air si nonchalant quand je lui ai annoncé. Il sait ce que c'est, ce que ça implique. Et c'est la raison de son pétage de plombs quand j'ai stoppé mon traitement. Tout s'explique.
« - Ta pathologie est plus lourde mais ton cas est moins grave que celui de Teddy. En fait, tu es bien plus gérable. » Il ricane et me fait un clin d'oeil « En gros, tu n'es pas prête de te débarrasser de moi ! »
« - J'espère bien Mr je refuse de rompre ! »
« - J'avais raison non ? Ose me dire que ça n'en valait pas le coup ! »
Je fais la moue et ne réponds pas mais il sourit comme s'il avait gagné. De ce sourire ultra blanc, illuminant toute la pièce d'un coup.
Et mon cœur s'emballe si fort que j'espère qu'il ne l'entend pas.
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« - Ta valise est bouclée ? » s'impatiente-t-il en tapant du pied.
« - Deux minutes, pressé personnage ! »
« - Hermione on va louper notre avion ! » Crise-t-il de l'autre côté de la porte tandis que je pioche dans les cosmétiques pour les fourrer pêle-mêle dans ma trousse de toilettes.
« - La faute à qui ? Je t'avais dit que c'était trop juste. » Gromelais-je
« - Tes médicaments ! tu les as bien ? » Enchaîne Draco et je l'entends s'agiter dans le salon « Hermione ! Par Merlin ! »
Il débarque, les bras chargés de boîtes en tout genre et les fourre dans ma valise éventrée au sol en roulant des yeux.
« - Tu les as pris ce matin ? » S'enquit-il soudain, soupçonneux.
« - Oui, Draco, je les ai pris. » Et je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel en souriant. Un vrai papa poule quand il s'y met.
« - Bien. Allez on y va ! »
« - Détends-toi, on a encore bien le temps. » Soupirais-je en entassant quelques paires de chaussures par-dessus le reste de mes affaires. Au cas où.
« - Tu sais qu'on ne part que trois jours ? » S'assure t - il d'une voix stupéfaite en regardant l'amoncellement de vêtements en tous genres.
« - Il faut que je fasse bonne impression à tes parents ! » Scandais-je en ajoutant précipitamment une paire d'escarpins.
« - On s'en fiche. » Puis voyant mon air scandalisé « Enfin, je m'en fiche. » Je continue à entasser quelques affaires et m'assieds sur ma valise pour la fermer « Mais je suis sûr que tu seras très bien. »
« - N'empêche, je n'ai pas les habits appropriés pour ce type de rencontre ! »
Je panique depuis qu'il m'a annoncé que ses parents étaient de richissimes aristocrates Danois. C'est plus fort que moi. Malgré ses récriminations comme de quoi il s'en tenait le plus éloigné possible et qu'il se fichait de leur avis, je ne peux m'empêcher de me sentir minable. Ridicule, insignifiante et trop imparfaite. Malade, le mot flotte autour de moi jusqu'à m'en filer la nausée.
« - Hermione, tu seras parfaite ! » M'attrape-t-il au vol tandis que je tourbillonne pour prendre ma veste et mon écharpe. Il dépose un baiser sur mon front puis frotte brièvement son nez dans mon cuir chevelu. Je le sens tout à coup se raidir.
« - Merde! On y va ! » Glapit-il en voyant l'heure sur le radio-réveil.
« - Oui, oui, calmos. » Le modérais-je en le suivant tranquillement vers la sortie.
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« - Dépêche ! » Glapis-je en courant comme je peux, ma valise cahin-cahan dans mon dos.
« - Je pensais qu'on n'était pas pressé ? » Réponds Draco d'une voix profondément moqueuse.
« - On va vraiment louper l'avion cette fois ! » Hurlais-je en sprintant de plus belle.
« Tududum. Dernier appel. Les passagers du vol 356 à destination de Copenhague sont priés de se rendre à la porte d'embarquement 56B. »
À l'autre bout de l'aéroport, en somme. J'accélère encore. Au diable mon souffle court, mon point de côté et ces fichues chaussures à talons qui me handicapent à chaque pas.
« - C'est bon Hermione, une fois qu'on a été scanné au contrôle, ils attendent. » Me calme comme il peut le grand blond me servant de petit-ami en trottinant dans mon sillage.
« - Ca, tu n'en sais rien ! » Grommelais-je en gardant mon rythme de croisière infernal.
Je l'entends rire quelque part derrière moi puis me saisir la main pour courir à mes côtés, nos valises faisant un bruit de tous les diables à chacun de nos pas.
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« - Café ? » Propose mon copain en se penchant dans ma direction. Nos sièges sont l'un à côté de l'autre et cette proximité me rassure. Le décollage n'a pas été simple, l'avion tanguait dans tous les sens et seule la main de Draco serrant la mienne m'a empêchée de hurler à la mort.
« - Je préfèrerais du chocolat chaud. Ou du Whisky. Un truc qui remonte le moral, quoi. » Répliquais je en fronçant le nez.
Il ricane et intercepte une hôtesse dans le couloir pour passer commande.
« - Au fait, pourquoi tu es autant à fleur de peau ? » Demande ma voix d'une façon que j'espère innocente. Parce que je me doute que le sujet qui fâche, ce sont ses parents. En deux mois que nous sommes ensemble, il ne les a jamais évoqués. Enfin, peut-être une fois ou deux, mais jamais en des termes élogieux.
« - Tu comprendras quand tu auras rencontré ma sacro-sainte mère. Ou pire, mon dieu-tout-puissant père. Et, sommet du désastre, les deux en même temps. »
Un pli d'appréhension barre son front et il cherche quelque chose à rajouter avant de se taire définitivement.
« - Ça ne peut pas être si terrible. » Dédramatisais-je sans en être convaincue.
« - Tu verras. » Et il grimace en dodelinant de la tête négativement. Voilà qui promet.
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« - J'ai froid. » Répétais-je pour la sixième fois, au minimum.
« - Je t'avais pourtant prévenu. Mais madame veut prendre de jolies robes… » Ressasse Draco en une ritournelle que je connais maintenant par cœur. « Allez viens, on va t'acheter un manteau plus chaud pour commencer. »
Et nous voilà chez Zara à voguer dans les étalages. Il repère une longue cape en fourrure émeraude et, en s'esclaffant, me la lance.
« - Si Madame la Marquise veut bien se donner la peine. » M'invite-t-il à l'essayer. Et contre toute attente, c'est chaud à souhait et plutôt joli. Je me mire, incertaine, peu sûre d'assumer d'être aussi visible. Je vais attirer les regards et je n'en ai pas envie. N'y a-t-il rien de moins voyant ? Je furète dans le rayonnage.
«- Waouh, je m'attendais pas à ça ! » Réagit mon compagnon de shopping en ouvrant la bouche de choc.
« - C'est pas si mal, alors? » Je le questionne d'une petite voix incertaine. Je crois que j'aime bien malgré tout mais j'ai toujours cette fichue tendance à ne pas savoir me décider qui me colle à la peau. Les avis tranchés sont aux abonnés absents. Et puis, je ne trouve rien d'autre.
« - Ce fut une virée rapide ! Top ! On retourne dans le centre se balader ? J'ai plein de choses à te montrer. » Propose-t-il en me traînant déjà vers les caisses, répondant de la sorte à ma question.
Nous payons et nous revoilà dans le froid glaçant des grandes artères du centre-ville danois, Indre By.
« - Ok, on va direct à Frederiksstaden voir le palais d'Amalienborg, c'est là où vit la famille royale. » M'informe-t-il tout en me dirigeant dans la direction voulue.
Il est ici chez lui, pas besoin de carte ni de gps, il navigue dans les ruelles, dans les trams, dans la foule avec habilité. C'est amusant de le voir m'entraîner dans les lieux qu'il aime avec l'habitude d'un vieux routard. J'ai le guide touristique parfait.
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« - Et c'est ici que j'ai pris ma première cuite. » Complète-t-il en réceptionnant nos deux pintes de Carlsberg puis en se déplaçant dans le pub avec aisance. Arrivé à une petite table, il me fait signe de m'installer et dépose nos breuvages.
« - C'est très typique, j'aime beaucoup. » Annonçais-je en regardant avec attention le minuscule café où nous sommes. Il est semi-enterré, un escalier y menant depuis l'extérieur, et cette impression de cave aménagée apporte un cadre intimiste qui me plaît.
« - Par contre je me suis habitué au coût de la bière en Angleterre, je viens d'avoir un choc. » Ricane-t-il en enlevant sa veste pour la poser sur le tabouret adjacent.
Effectivement, tout est extrêmement cher. Du simple sandwich, du bête café, de la plus normale des bières, tout ici coûte un bras. Je rigole pour la forme alors que je me sens super mal à l'aise. Il paie absolument à chaque fois et cela me dérange. Mais nous nous sommes déjà disputés trois fois aujourd'hui à ce sujet alors je laisse couler.
« - Ce soir, on va au parc Tivoli, tu vas adorer ! » M'annonce-t-il dans un demi-sourire totalement craquant.
« - Ah j'en ai entendu parler ! Le parc d'attraction ? »
« - Yep ! Mais ce n'est pas tant les attractions qui sont mythiques que le parc en lui-même et ses éclairages. De nuit, c'est superbe. »
J'agrée, le croyant sur parole. Jusqu'à présent il ne s'est pas trompé, chaque lieu avait quelque chose de sensationnel et je savoure cette escapade avec un plaisir non dissimulé.
Son téléphone retentit soudainement et il hausse un sourcil en voyant le nom du destinataire. Il soupire, se tâte visiblement puis coulisse son doigt sur l'écran pour décrocher:
« Mère. » Salue-t-il sobrement. « Oui, nous sommes non loin de Nyhavn. Dans deux heures ? » Il relève les yeux dans ma direction et grimace de façon équivoque. « Nous serons là. Oui. À tout à l'heure, mère. » Puis il raccroche et soupire fortement.
« - J'imagine que tu as compris que nos projets de soirée fun sont compromis. » Roule-t-il des yeux avant de fusiller sa bière du regard.
« - On est là pour les voir, non ? Allons rencontrer les méchants parents Malfoy ! » M'enthousiasmais-je faussement, lui tirant de la sorte un sourire.
« - Aux vilains Malfoy ! » Trinque-t-il.
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En réalité, je n'étais pas prête. Du tout. Ni à leur richesse extrême, ni à leur froideur, ni à leur désintérêt.
La mère de Draco m'a prise en grippe dès notre arrivée, me fixant avec sa bouche pincée en signe de réprobation absolue. Son père se contentait de m'ignorer royalement, se concentrant sur la façon d'être le plus cassant possible avec son fils.
« - Et que fais-tu à Londres ? » S'intéresse d'une voix onctueuse le paternel tout en plongeant sa fourchette dans son entrée.
« - Je suis toujours dans l'immobilier, père. » Répond Draco d'une voix blasée, sans doute à force de répéter les mêmes choses à son géniteur un brin obtu.
« - Toujours à vendre tes petites maisons ? » Grince alors ledit géniteur.
«- C'est un vrai travail, père. » Ne peut s'empêcher de se défendre l'incriminé.
« - Pour les gens du peuple, sans doute. Mais tu es un Malfoy. N'as-tu donc plus d'honneur ? » Intervient la matriarche d'une voix cassante. « Cesse donc ces enfantillages et rentre au pays, Draco. » Poursuit-elle en posant son regard de glace sur moi.
Font-ils exprès de parler en anglais, histoire que je comprenne leurs méchancetés ? La question me perturbe un instant puis je la chasse. Ces gens ne méritent en effet pas de considération. Ils sont abjects.
« - Et vous, Miss Granger, que faites-vous dans la vie ? » S'intéresse brutalement le père alors que je ne m'y attends pas. J'en avale de travers et essuie précipitamment ma bouche.
« - Je suis actuellement sans emploi. »
« - Où avez-vous étudié, d'ailleurs ? » Et je sens la pique sous-jacente, alors je rentre dans son jeu de provocation en le fixant droit dans les yeux:
« - Nulle part.» Dis-je simplement avant de sourire bêtement.
La mère renifle de dédain et le père claque de la langue d'un air désapprobateur. Ils semblent m'aimer encore moins que quelques instants auparavant. Parfait. Au moins ne m'adresseront-ils plus la parole de la soirée ainsi.
« - Vraiment Draco, quelle honte ! » Crache finalement sa mère, son masque impassible se fissurant quelques instants. Elle crache quelques mots en danois puis se lève de table, jette sa serviette dans son assiette et quitte gracieusement la pièce plongée dans le silence le plus absolu.
« - Bon, Mione, Jardin de Tivoli? » Propose Draco en jetant à son tour sa serviette sur la table.
J'opine doucement et il se lève avec grâce.
« - Père. » Salue-t-il dans un demi rictus mi figue mi raison
« - Monsieur Malfoy» L'imitais-je.
Et sans attendre de réponse, il m'entraîne vers la sortie d'un pas vif. Il brûle de s'éloigner de ce cadre toxique, je le comprends en voyant son corps crispé et ses lèvres serrées. Nous regagnons l'extérieur avec soulagement, savourant l'air glacé qui nous pique le nez et fait frémir nos échines. Ce froid mordant a subitement un goût de liberté.
Draco semble ressentir la même chose car il s'étire comme un chat en souriant faiblement.
« - Je t'avais prévenu que ce serait pas fameux… »
J'embrasse la base de son cou et presse ma petite main dans la sienne.
« - Je comprends mieux et tu avais raison, on s'en fiche. »
Il me sourit mais il n'y a pas la chaleur habituelle dans son expression.
Il demeure fermé, inaccessible, toute la soirée. Me guidant dans la ville, me traînant sur les manèges du Parc Tivoli, m'indiquant quoi regarder et où. Il est robotique, en mode automatique et ne reconnecte que par poignées de secondes, il me glisse alors un baiser sur le front ou porte nos mains liées à ses lèvres succinctement, avant de replonger dans ses pensées.
Le lendemain, au réveil, le lit est vide.
Je m'assieds et enroule la couette épaisse par-dessus mes épaules dénudées. Je suis nue sous le draps mais il n'y a pas eu de sexe la veille, Draco était trop ailleurs que pour succomber à mes charmes. En réalité, je ne me sentais pas assez confiante pour l'entraîner sur ce chemin et je n'en avais moi-même pas tellement envie. Parce que d'envies, je n'en ai que peu et s'il me faut les susciter chez l'autre, je renonce immédiatement. Puis, de toute façon, Draco n'était pas d'humeur. Alors, j'éloigne la culpabilité que fait naître en moi mon absence de libido.
Je traîne ma carcasse jusqu'au petit salon de l'appartement de location où nous logeons et trouve le type affalé dans le fauteuil, une main sur les yeux et son téléphone posé sur son torse. Il dort, visiblement exténué par sa nuit agitée. Il n'a pas arrêté de me réveiller à force de gigoter.
Dans un soupir, je ramène la couette qui glissait de mes épaules, et me penche pour embrasser son crâne. Il lève la main soudainement et m'attire à lui, me faisant m'effondrer par-dessus son corps dans le canapé.
« - Bonjour. » Grommelle-t-il contre mon oreille, son nez enfoui dans mes cheveux en broussaille et sa main tenant fermement ma hanche. « Comment te sens-tu ? »
Ca, c'est tout lui. S'inquiéter de mon état alors qu'il va visiblement plus mal que moi. Enfin… Tout aussi mal mais de façon plus anormale. Il y a une certaine routine dans mon mal-être, je vis avec depuis si longtemps que je le minimise et l'oublie quasiment la plupart du temps. Les idées noires sont de vieilles copines et les tentatives ratées sont des souvenirs oubliables. Mais que ce bellâtre blond aille mal, ça, c'est tout neuf. Inédit. Presque glaçant tant c'est injuste. Et une boule d'inquiétude m'empêche d'articuler le moindre mot, me forçant à hocher la tête, blottie tout contre lui.
Il passe une main apaissante dans mes boucles folles et embrasse ma tempe du bout des lèvres.
« - C'est notre dernier jour, qu'est-ce que tu veux faire ? »
« - Je ne sais pas. »
Réponse classique qui le fait soupirer et sourire tout à la fois.
« - Des fois, je me demande pourquoi je pose encore la question. » Commente-t-il en pinçant le bout de mon nez.
« - Mais vraiment, je m'en fiche. On fait ce que tu veux. » J'insiste dans un sourire.
«- Très bien, habille-toi. On va à Legoland. »
« - Hein ? Mais c'est tout prêt ? »
Je ne me souviens pas avoir lu quoi que ce soit au sujet du parc d'attraction dans mon guide de la ville.
« 2h30 de route, ça te permettra de voir du pays en plus. » Il hausse les épaules d'un air dégagé tandis que je m'affole.
« - Mais on doit prendre l'avion à 20h, on ne sera jamais à temps. » protestais-je en zieutant ma montre qui annonce déjà dix heures.
« - On rassemble nos affaires, on passe l'après-midi là-bas puis on file à l'aéroport ? » Il hausse les épaules et semble confiant. J'hésite, me ronge un ongle nerveusement puis acquiesce. « Feu alors! Pas une minute à perdre ! » Et il claque des mains avec enthousiasme dans un grand sourire enfantin.
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Londres. Trois semaines après l'escapade danoise, Draco n'a toujours pas mentionné ses parents une seule fois.
« - Cachets ! » Crie-t-il depuis la cuisine alors que le rappel sur mon téléphone résonne dans toute la pièce.
« - Oui, oui » Je grommelle en me dirigeant vers le panier où sont entreposées les pilules.
Je file me servir un verre d'eau, je gobe mon nécessaire de survie et je me tourne brusquement vers le grand blond qui s'est placé derrière moi.
« - J'ai eu une idée. »
« - Outch, attention. » Grimace-t-il en ricanant.
Je fais mine de ne pas l'avoir entendu et je poursuis sur le même ton décidé:
« - Je ne me vois pas recommencer les boulots merdiques, je ne me plais nulle part et .. » Je souffle un grand coup et j'accouche brutalement : « Bref, je pensais reprendre mes études. »
Je discerne la lueur d'hésitation dans son regard et il prends son temps pour répondre.
«- C'est une super idée, Mione, vraiment mais.. » Je l'avais senti venir, ce 'mais' « N'est-ce pas un peu prématuré ? Il vaudrait mieux que tu te soignes avant de te lancer à corps perdu dans un nouveau défi de cette ampleur. »
Il a peur. Pour moi. Et j'ai peur aussi pour moi, bien entendu. Mais cette fois, je vais faire les choses bien, dans l'ordre, en prenant mon temps. Je ne me jetterais pas dans des études sur un coup de tête pour arrêter quelques semaines plus tard car la phase de down m'a noyée. C'est terminé les échecs à répétition. Je suis malade, certes, mais je vais me soigner. Pas guérir, je dois intégrer que cela n'arrivera jamais, mais tout du moins vivre avec.
Je soupire, recule légèrement et tente de lui transmettre tout cela:
« - Attends, je n'ai pas dit maintenant. Je pensais, peut-être, si tout va bien, avec l'accord de mon psychiatre et tout, enfin tu sais, que reprendre en septembre ce serait possible, non? Ça me laisse huit mois pour être stable et trouver ce que je veux faire et … »
Il m'embrasse avec douceur puis s'esclaffe tout contre mes lèvres :
« - Ok, je vois. On va chercher ce qui te conviendrait. » Il baise mon front, mes tempes, le bout de mon nez. « Mais d'abord… » Et il m'entraine dans la direction de la chambre.
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« - Infirmière ? »
« - S'il y a du sang, tu m'oublies. » Je grimace et m'installe plus confortablement, à cheval entre mon oreiller et son épaule dénudée.
« - Je suppose que médecine, du coup, c'est non aussi ? » Dit-il en rigolant, tout en tournant dans mes boucles d'une main distraite.
« - Non mais soit un peu réaliste, je vais pas repartir pour dix ans d'études à mon âge ! Rien que le fait de reprendre, ça m'angoisse et je ne peux pas m'empêcher de me dire que je n'arriverais pas au bout, alors quelque chose d'aussi long… »
« - Peut-être pas maintenant, mais tu verras, tu en seras capable. J'ai confiance en toi. »
Comme à chaque fois, je me sens profondément mal à l'aise de cette marque de confiance injustifiée. Il croit en moi. Plus que je ne m'accorde moi-même de crédit. Et c'est aussi grisant qu'effrayant.
« - Plus sérieusement, qu'est-ce qui te ferait envie ? »
J'enfonce mon visage dans l'oreiller duveteux et marmonne ma réponse de façon à ce qu'elle soit le moins audible possible:
« - Le droit. »
« - Droit ? » Répète-t-il malgré mes efforts pour qu'il ne comprenne pas.
Je soupire, j'extraie ma tête du coussin et lui explique succinctement: « J'aime assez. »
« - L'idée est bonne, je te vois bien juriste. » Il me chatouille légèrement « Et je n'apprécie pas vos manières pour vous rendre incompréhensible, jeune fille ! »
Je rigole en me débattant sous l'assaut avant de le repousser plus franchement.
« - Dis Draco, tu comptes recommencer à travailler bientôt ? » Je demande cela du bout des lèvres, presque à reculons, je sais qu'il peut potentiellement mal réagir. Mais cela fait presque six mois que nous sommes ensemble et il n'a toujours pas de boulot, ni fait mine d'en chercher un d'ailleurs.
Il y a un blanc dans la conversation puis un gros soupir de sa part.
« - Je t'avais dit que l''agence avec laquelle je travaillais m'avait contactée il y a deux semaines ? Ben, pour te dire la vérité, je ne sais pas si je retravaille avec eux ou si je me lance seul. Il faut que je contacte mes anciens clients et que je me recrée un portefeuille de toute façon. J'aviserai à ce moment-là. »
« - Tu vas être fort occupé, pas vrai ? » Je tente de garder une voix la plus neutre possible mais je me rends compte qu'il y quelque chose d'un peu fragile dans cette question. Je déteste instantanément cela.
« - Justement, à ce propos… Quand je serais de retour dans mon job de grand vilain requin, j'aurais des rendez-vous parfois tard le soir et principalement dans le cœur de Londres. Et, surtout ne te braque pas mais ici on est fort excentré. Du coup, je vais surement devoir prendre un appart dans le centre. »
Je déglutis péniblement en sentant ce qu'il veut me dire. C'est limpide. Et je flippe sévère.
« - Et ? » J'aboie.
« - Encore bien que je t'ai dit de ne pas te braquer. » Me lance-t-il d'une voix moqueuse.
« - Je ne me braque pas. » Et j'enfouis ma tête sous la couette.
« - Du tout. » Il ricane et m'ébouriffe ma tignasse, qui dépasse de sous le duvet, d'un geste tendre
«- Ça te dirait de vivre avec moi, râleuse ? » Chuchote-t-il près de mon oreille.
« - Hm. »
« - C'est un oui, ça ? »
« - Hm. »
« - Cool. » Le ton est plein d'ironie « Discussion très intéressante, merci . »
Je le frappe à travers la couverture et il grogne, m'attrappe le poignet et m'extraie de ma cachette.
« - Lâche-moi. » Crachais-je en récupérant rudement mon poignet.
« - Oulah, on peut savoir ce qu'il te prends? »
Et concrètement, je ne sais pas trop ce qui déconne. Je suis frustrée, paniquée, indécise et…
« - Je t'aime, Mione. Je veux habiter avec toi dans un petit nid rien qu'à nous deux. »
Toutes mes pensées se figent. Mon corps se fige. Mon cerveau, lui, freeze.
« - Ah, heu, ok. »
Draco me fixe d'un air blasé. Quelque part, il n'a pas l'air surpris de ma réponse totalement inappropriée. Il a apprit à composer avec mes angoisses et surtout avec mon absence totale de romantisme.
Le silence perdure quelque temps puis l'autre lâche un gros soupir frustré.
« - Tu ne vas réellement pas me répondre, pas vrai ? »
« - Si, je… Écoute, je ne sais pas. J'ai besoin d'y réfléchir. »
Il est si visiblement déçu que mon coeur se serre mais je suis incapable de lui offrir mieux que ça pour l'instant.
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« - Miss Granger, comment vous sentez-vous ? »
La même phrase d'introduction, toujours, dans la même intonation professionnelle et volontairement neutre.
«- Je suis un peu perdue. »
J'ai décidé d'être honnête. Cette fois, je veux mettre toutes les chances de mon côté.
« - Vous m'expliquez ? » Me demande gentillement le docteur.
« - Je crois que je vais mieux. Ou moins mal. J'ai… Je ne sais pas. »
« - Avez-vous eu des idées noires récemment ? »
Je prends quelques instants pour y réfléchir et ce temps de réflexion est en lui-même la réponse.
« - Non. Je ne sais même pas dire la dernière fois que… Je… » Je m'arrête net et fronce les sourcils « Pourquoi tout semble si fade, alors ? »
«- Qu'entendez-vous par là ? »
« - J'ai beaucoup de mal à m'enthousiasmer, je me sens très passive dans mes réactions. Je n'irais pas jusqu'à dire que je m'en fous de tout, mais… C'est compliqué. Je n'ai aucune envie, aucune émotion vive, j'ai l'impression de flotter en dehors et de prendre tout avec un recul désagréable. »
« - Vous avez l'habitude de tout ressentir beaucoup trop vivement, Miss Granger, laissez vous le temps de vous habituer. »
« - Peut-être… » Déclarais-je, dubitative.
« - Le traitement fonctionne, c'est une certitude. Cependant, il faudrait ajuster les dosages. Nous allons diminuer un rien. Il faudra être bien régulière, Miss Granger, afin de ne pas redescendre trop abruptement. Je peux compter sur vous ? »
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Midi.
J'étire mes membres, me tourne sur le flanc droit et mon regard accroche celui, ensommeillé, de Draco.
« - Bonjour. » Murmurais-je en faisant glisser une main douce sur sa joue rugueuse.
« - Mpf. » Me salue-t-il en retour.
Lentement, presque avec précaution, j'analyse mon environnement. Ma chambre, le lit confortable aux draps froissés où se complaît la belle au bois dormant, le soleil qui illumine la pièce à travers les persiennes, le souffle léger du vent qui filtre par la fenêtre basculée, l'odeur du lila frais qui vient de la rue, mon ventre qui gargouille anticipativement du petit-déjeuner que j'ai envie d'aller me préparer.
Je souris, comblée. Je vais bien. Je me sens bien.
Mon regard glisse sur le corps nu et partiellement visible de l'homme qui partage mes nuits. Il est beau.
Et je l'aime.
La réalisation brute de ce que ça implique me fait tourner la tête quelques instants. Je dois lui dire. Maintenant.
« - Draco ! » Chuchotais-je en le secouant légèrement « Draco ! »
Il papillonne légèrement des cils et son regard fou peine à se stabiliser sur moi. Groggy de sommeil, il grogne « Hein ? »
« - Draco, je t'aime ! » Je m'exclame en lui sautant à moitié dessus « Je t'aime fort, fort, fort ! »
Parfaitement réveillé tout à coup, il me regarde comme si j'avais perdu la tête avant de sourire largement.
« - Hé ben, il t'en aura fallu du temps. »
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Six mois sans phase maniaque. Ni haut, ni bas. Sans envie suicidaire, sans excès de sommeil ou, au contraire, carence grave. Six mois sans vagues. Sans folie dépensière, sans abus d'alcool, sans sur-activité, sans démesure. Mais également sans moment où plus rien n'importe, où je ne veux pas être sauvée, plus rien.
Rien. Nada. Juste une redécouverte de ma personne, de ma personnalité, des traits de caractères qui me sont propres.
Je ne suis pas cette fille pleine de confiance en moi, qui me trouve magnifique et qui parle trop, celle aux multiples amis qui est de toutes les fêtes. Mais je ne suis pas non plus cette introvertie maladive qui ne sort le bout de son nez de son lit que lorsqu'elle trouve le courage de se traîner jusqu'au frigo, qui peut sembler tellement fainéante qu'elle ne parvient pas à garder un travail.
Je suis quelque chose entre les deux et tellement d'autres choses en plus.
Je me construis lentement, pas à pas, en apprivoisant ma maladie, en prenant mon traitement, en restant entourée des bras protecteurs de Draco Malfoy.
«- Dors. » Grogne ce dernier en venant se plaquer contre mon dos. « Demain, c'est ton premier jour à l'université. »
« - Comme si je pouvais l'oublier. » Marmonnais-je ne me blottissant davantage contre son corps.
Mais je ne me fais pas de soucis, tout ira bien désormais.
Si tu te reconnais dans ce texte, tu n'es pas seul. Tu es fort, tu es beau et tu peux y arriver. Hauts les cœurs.
Merci de votre passage.
