-Le jour où tu trouveras ton âme sœur Leo, ce jour là, ce sera le plus beau jour de ta vie.

Leodagan releva une bouille curieuse vers sa mère, qui le tenait serré contre elle, les yeux dans le vague.

-C'est quoi une âme soeur? demanda le garçon d'à peine six ans en gigotant contre la reine, lui arrachant un petit sourire.

-Une âme soeur, c'est la moitié de quelqu'un. Tu te souviens l'autre jour, quand j'ai fait tomber une assiette et qu'elle s'est cassée en deux?

Le gamin hocha la tête en silence.

-Eh bien, quand les deux morceaux sont séparés, l'assiette n'est pas complète, et elle est triste. Mais quand tu les remets ensemble, elle est à nouveau entière. Eh bien pour les âmes soeurs, c'est pareil. Toi, tu es l'un des morceaux de l'assiette, et ton âme soeur, c'est l'autre partie.

L'explication sembla suffire au bambin, qui acquiesça de nouveau.

-Et toi maman, t'as trouvé ton bout d'assiette? s'enquit soudain le petit prince.

Cette fois-ci, la reine laissa échapper une légère grimace, et secoua négativement la tête.

-C'est pas papa? insista son fils en sautillant un peu sur ses jambes.

-Non, répondit sa mère, un peu plus froidement qu'elle ne l'aurait souhaité.

-Pourquoi tu l'as épousé dans ce cas?

La jeune femme se contenta de lui adresser un regard fatigué, puis l'embrasse tendrement sur le front.

-Ça, ce sont des problèmes de grandes personnes mon ange... Mais je te souhaite de trouver ton âme soeur, et de pouvoir vivre avec sans crainte.


A dix huit ans, la marque d'âme de Leodagan n'était toujours pas apparue, et sa mère semblait s'en inquiéter.

La pauvre femme n'est plus que l'ombre de ce qu'elle était autrefois, brisée par un mariage violent et abusif, mais elle réussit tout de même à garder une partie de ses forces pour s'occuper de ses enfants, pour les protéger et les rassurer du mieux qu'elle peut.

-Qu'est-ce que ça peut faire que j'ai pas encore ma marque? grommelle un jour Leodagan avec humeur, fatigué de voir la reine tourner autour de lui comme une lionne en cage.

Elle attend que ce foutu signe apparaisse quelque part sur lui, il peut le sentir. Le fait de ne pas avoir eu droit à une vie avec sa moitié l'a rendue pratiquement folle, et elle semble prête à tatouer elle-même le corps de son fils pour qu'il ne connaisse pas ces souffrances. Mais honnêtement, Leodagan se fout d'avoir une moitié ou pas. Tout ce qu'il veut, c'est que sa mère, sa tendre mère, redevienne la femme resplendissante qu'elle était jadis.

-Si tu n'as pas encore de marque, ça veut dire que ta moitié est soit déjà morte, soit pas encore née.

-Et alors? rétorque le jeune homme en enfournant une cuisse de poulet dans sa bouche.

-Alors pour la première option, c'est tout bonnement horrible! Et pour la deuxième eh bien... bon sang tu as bientôt vingt ans Leo! Combien d'années d'écart allez-vous avoir?! Ce sera un enfant que tu seras déjà un vieillard! commence à tempêter sa génitrice.

-Votre sollicitude me touche, mère, répond froidement le prince en se levant de table. Mais je n'ai honnêtement rien à faire d'avoir une âme soeur ou pas. Bonne journée.

Et sur ce, il sort de la pièce sans demander son reste, culpabilisant déjà d'avoir parlé sur ce ton à cette femme qui ne veut que son bonheur.

Il va s'excuser dans la soirée, et elle se contente de le serrer contre lui en murmurant des mots que seule une mère pourrait comprendre.


Sa marque apparait à ses dix neuf ans, et il essaie honnêtement de cacher son agitation lorsque le dessin d'un oiseau se glisse sur son poignet un matin.

En plissant les yeux sur les fines arabesques qui composent le tatouage, il comprend qu'il s'agit d'une colombe.

Sa moitié doit être quelqu'un de doux et de beau, pour avoir droit à un tel symbole.

Ni une ni deux, il se précipite dans les appartements de sa mère pour lui montrer, mais n'est accueilli que par un regard vide et une quinte de toux virulente.

Rowena de Carmélide s'éteint le jour où la marque d'âme de Leodagan apparait, et le garçon en garde un goût amer dans la bouche.


-Elle est morte par votre faute! hurle le prince quelques mois plus tard, alors que son père se moquait de la fragilité de l'ancienne reine. Vous l'avez battue et bousillée mentalement pendant des années! Espèce de monstre!

Goustan se contente de lui adresser un regard, un unique regard, et le jeune homme frissonne violemment, le sang gelé dans ses veines.

-Bûche ou fouet? demande son géniteur d'une voix polaire.

-Fouet, chuchote Leodagan dans un souffle.

La bûche laisse des échardes, et elle arrache de plus grands lambeaux de peau que le fouet.

Goustan hoche la tête, tandis que Leodagan baisse la sienne, résigné.

Plus tard, alors qu'il est enfoui sous ses couvertures, le dos sanguinolent et les larmes aux yeux, il fixe sa marque d'un air morne.

-T'as intérêt à être une personne un peu plus sympa j'te préviens, marmonne le prince, sans savoir à qui en particulier, mais il espère que quelque part dans le monde, sa moitié l'entend et prend note de son "conseil".


Leodagan a vingt trois ans lorsqu'il a la merveilleuse idée de kidnapper une picte. Allez savoir pourquoi, sur le coup, il pensait avoir eu un éclair de génie.

Éclair qui lui retombe en plein milieu du museau lorsque les parents de la délicieuse jeune femme lui envoient le double de la rançon qu'il a demandé, avec un message lui demandant de la garder et de ne surtout pas leur rendre.

-J'vous avais prévenu, se moque sa captive, Séli s'il a bien compris.

Le prince lui jette un coup d'œil agacé. Leurs marques ne correspondent pas, mais au moins, il est sûr d'avoir trouvé quelqu'un avec qui il ne s'ennuiera pas.

Ils se marient quelques temps plus tard, et ont rapidement deux enfants. Ils ne s'aiment pas, et ne s'aimeront jamais, mais il y a une forme de respect mutuel qui se forme entre eux au fil des ans, ponctués de joutes verbales et de tentative de meurtre avec des tartes.

Parfois, le soir, alors qu'ils sont tous les deux installés dans leur lit, Leodagan en vient à regretter qu'ils ne soient pas tous les deux les morceaux d'une même assiette.


La première fois qu'il rencontre Bohort, Leodagan se sent secoué d'un violent frisson, qu'il met automatiquement sur le compte du dégoût.

C'est vrai quoi, ce gosse à peine sorti des langes représente tout ce qu'on lui a appris à détester chez un homme: fin et délicat, il est certain qu'il pourrait se briser au moindre coup de vent.

Et ce sourire que l'autre chevalier lui adresse...

Le roi de Carmélide grimace et détourne instantanément le regard.

Il refuse catégoriquement de regarder l'autre tout le restant de la journée suivant son adoubement. Lorsqu'on lui demandera pourquoi il est si froid envers le pauvre gosse qui s'est contenté de lui adresser un malheureux sourire, il répondra que c'est parce qu'il en a sa claque de piétiner dans la salle de banquet depuis des heures, et que c'est en un sens la faute du prince de Gaunes.

Une excuse bien minable, il le sait, mais connaissant son caractère, personne n'ose le remettre en question.

La vérité est pourtant tout autre: Leodagan sent au fond de lui que s'il croise de nouveau le regard sombre de son cadet, il sera incapable de s'en détacher.

Quand la cérémonie se termine et qu'ils peuvent enfin rejoindre leurs appartements, Séli lui adresse un regard qu'il pourrait sans peine qualifier de moqueur.

-On aurait dit un adolescent, ricane sa femme une fois qu'ils sont à l'abri derrière la porte de leur chambre.

-Quoi? grogne son mari en se débarrassant difficilement de son armure.

-Au banquet. Vous ressembliez à un gosse. Si vous croyez que j'ai pas vu vos regards en douce pour le Seigneur Bohort...

-Un conseil avant que ça se mette mal: bouclez la.

Le regard qu'il lui adresse semble lui faire comprendre que ce n'est pas le bon jour pour se fritter. Elle n'insiste pas, mais il sait qu'elle finira par revenir à la charge à la première occasion.


Les années passent, et Leodagan prend garde à maintenir Bohort autant à distance que possible de lui. Tout chez cet homme le répugne.

Du moins c'est ce qu'il pense. Après tout, son seul modèle masculin a toujours été son père, et l'on ne peut pas dire qu'il soit des plus tolérants pour tous ceux qui ne sont pas couverts de muscles et de cicatrices.

Tous ceux comme le prince de Gaunes en somme, pauvre petite chose fragile et innocente, qui n'a clairement rien à foutre au milieu de ce troupeau de barbares.

Ainsi, le roi de Carmélide ne rate pas une occasion de se moquer de son cadet, d'attaquer sa virilité, sa capacité à mener une attaque... bref, dès qu'il aperçoit une faille, il sort les griffes.

Le problème, c'est que Bohort semble couvert de failles, qu'il offre tout son être sans chercher à cacher le moindre de ses défauts.

Il est sincère, n'a pas peur de se montrer, et c'est ce qui énerve le plus Leodagan, qui lui, n'a jamais pu se permettre un tel écart.

Alors il frappe de plus belle, partout où il pense que ça fait mal. Et Bohort encaisse encore et encore.

Au lieu de se défendre, il lui adresse un regard compatissant, un regard où brillent des larmes mal contenues.

-Vous avez raison Seigneur Leodagan, chuchote le jeune homme. Mais c'est comme ça que je suis. A prendre ou à laisser.

Et il lui tourne le dos, comme ça, sans prétention, sans orgueil, juste le temps d'essuyer ses yeux et de récupérer un peu de cette bonne humeur qui le caractérise.

Puis il fait à nouveau face à l'autre chevalier, avec encore ce petit sourire qui lui va si bien, celui qui assure que malgré toutes les horreurs qu'on peut lui dire, le jeune homme restera toujours cette boule de gentillesse et de fraîcheur que chacun connait.

Les jours comme ça, ceux où il fixe Leodagan comme s'il connaissait toutes ses cicatrices, comme s'il voyait plus loin que la carapace recouverte d'épines que le grand roi a forgé autour de son cœur, ces jours là, le souverain de Carmélide pleure intérieurement.

Le gamin rêveur en lui essaie de s'échapper, de courir vers ce sourire rassurant et accueillant, vers ce rayon de soleil que Bohort lui offre, mais il l'attrape toujours avant qu'il ne réussisse, et l'enchaîne de nouveau tout au fond de son esprit, avec plus de cadenas et de serrures à chaque tentative.

Et plus il se referme, plus le regard de Bohort se fait doux, et plus il se déteste.

Alors il grogne, insulte, et s'éloigne à grands pas avant de défaillir.

Sous sa manche, il ignore la pulsation frénétique de sa marque, comme une blessure mal soignée, qui continue de piquer longtemps après qu'elle ait été infligée.


Parfois ils se rapprochent, sans que Leodagan sache qui du gosse ou de lui a initié la chose en premier.

Quand ils partent en campagne militaire par exemple, et que Bohort sursaute au moindre bruit, il ne peut s'empêcher de ressentir un élan de sympathie pour ce petit bout de chevalier, et il essaie aussitôt de le rassurer, du mieux qu'il peut.

-Nan mais après je dis un ours, c'est pour frimer, j'ai pas bien vu, c'était dans le noir, soupire Leodagan.

-C'était sûrement un lapin, le soutient Arthur, excédé mais toujours patient envers son chevalier le plus trouillard.

-Adulte? balbutie l'autre en se ratatinant davantage sous son épaisse fourrure de voyage.

-Mais j'sais pas moi, marmonne le roi de Carmélide. En même temps, il était pas bien grand, p'tet un ado.. entre deux âges quoi...

Bohort semble un peu rassuré. Mais juste un peu alors parce que, sans savoir comment ni pourquoi, Leodagan se retrouve à l'héberger dans sa propre tente.

Et il ne se souvient même pas avoir essayé de refuser l'ordre d'Arthur lorsque ce dernier lui a annoncé qu'il lui confiait le prince de Gaunes pour la nuit.

Toujours est-il qu'il est maintenant allongé sur son lit de camp, à écouter les respirations légères de l'autre chevalier. Putain, même quand il dort il réussit à être discret et élégant!

-C'est pas humain à ce stade, bougonne Leodagan en roulant de côté, incapable de s'endormir sur le dos.

Grave erreur.

Il se retrouve tourné vers Bohort, dont il distingue le visage assoupi à la lueur de la chandelle que le jeune homme a insisté à conserver pour la nuit.

Là encore, Leodagan a laissé couler sans même réagir.

Il se ramollit on dirait. La pensée devrait lui inspirer de l'énervement et une furieuse envie de tout cramer dans un rayon de cent pieds, mais non, à la place, il se retrouve à observer Bohort pensivement.

Il parait encore plus vulnérable endormi que réveillé, et le roi se sent soudain pris de la volonté de le ligoter et d'aller le cacher quelque part dans la forêt, un peu comme ces dragons des contes qui enlèvent de belles princesses.

Sauf qu'en vérité, les dragons bouffent les princesses, et il n'a aucune envie de manger Bohort.

Alors il se contente de le regarder, appréciant la finesse de ses traits, l'arête de son nez, la courbe de sa bouche...

A la lueur vacillante de leur unique bougie, le jeune homme semble presque éthéré, et Leodagan se retrouve à se dire que si les anges existent, ils doivent avoir exactement cette tête là

Puis Bohort murmure doucement un mot, un nom:

-Berlewen...

Et le charme est rompu.

Leodagan lâche un grondement dégouté, se retourne, et passe le reste de la nuit à se traiter de tous les noms.

Quand ils rejoignent Arthur le lendemain, ce dernier hausse un sourcil devant la mine épuisée de l'autre roi.

A côté de lui, Bohort semble rayonner d'énergie, et le contraste rend Leodagan encore plus misérable.

-Eh bah beau-père, pour finir c'est vous qui n'avez pas pu dormir?

-M'en parlez pas, marmonne le plus âgé. Cet abruti m'a gardé réveillé toute la nuit, rétorque-t-il du tac au tac, trop fatigué pour vraiment réfléchir au sens de la nuit.

Ce n'est que lorsqu'il voit le regard ahuri de son gendre et les joues écarlates de Bohort, qu'il comprend l'erreur qu'il vient de commettre.

-Non enfin j'veux dire...

-Ta ta ta! braille aussitôt Arthur. Je veux rien savoir!

Et il détale avant que l'un ou l'autre ait réussi à s'expliquer, au grand dam du roi de Carmélide.


Trouver son fils au lit avec quelqu'un, c'est déjà gênant en soit. Trouver son fils au lit avec un autre homme, ça l'est encore plus.

Et découvrir que ce même homme n'est autre que le meilleur ami de son gosse, et donc que ce n'est certainement pas la première fois au vu de la fréquence à laquelle ces deux là se côtoient, c'est le comble.

-Père! s'écrie Yvain alors qu'il referme violemment la porte de la chambre, essayant à tout prix d'effacer de son esprit l'image de son fils chevauchant le neveu du roi.

Raté.

Il est certain que cette horreur sera gravée à jamais dans sa mémoire.

Le roi attend dix minutes, avant de toquer de nouveau.

Cette fois, c'est Gauvain qui vient lui ouvrir, l'entièreté de son visage ayant viré au pivoine. Il évite soigneusement de le fixer, et semble prêt à s'enfuir au premier geste brusque.

Leodagan se glisse dans la chambre à sa suite, et se force à relever le nez vers son fils, assis sur son lit, qui le fixe droit dans les yeux.

Il semble au bord des larmes, mais refuse de détourner le regard. Au moins l'un d'eux a du courage dans cette histoire.

-Père, commence Yvain, mais il lève la main, et le jeune homme se tait aussitôt.

-Depuis quand? demande Leodagan d'une voix qu'il essaie de garder sévère, mais qui vacille lamentablement.

-Quelques mois, avoue piteusement Gauvain en venant prendre place près de son compère.

Foutu pour foutu, il se permet même de poser sa main sur celle du prince de Carmélide, et les yeux de Leodagan s'accrochent par réflexe à cette démonstration d'affection, qu'il n'a jamais vu ni entre ses parents, ni dans son propre couple, ni même entre Arthur et Guenièvre.

Il devrait être dégouté, écœuré que son propre enfant se livre à des choses aussi dégradantes. Il devrait, comme son père lui a enseigné.

Mais non.

A la place, une vague de résignation s'empare de lui, et il doit s'appuyer contre la porte pour éviter d'être balayé par sa puissance.

-Pourquoi? croasse-t-il au bout d'un moment semblant interminable.

Les deux jeunes le regardent, avant de se fixer, interloqués.

-Bah.. parce qu'on s'aime, finit par répondre Yvain, comme si c'était la chose la plus évidente du monde.

Évidemment.

Ça ne pouvait pas juste être une baise simple et sans arrière-pensées. Pas avec son fils. Pas avec Gauvain. Pas avec des gosses aussi sentimentaux que ces deux là.

Évidemment.

Leodagan soupire, se pince l'arête du nez entre l'index et le pouce.

-Quelqu'un est au courant?

-Le Seigneur Bohort, le roi... et le Seigneur Galessin aussi, lui annonce son fils avec hésitation.

Ça pique, de savoir que son mioche est d'abord aller se confier à Bohort plutôt qu'à lui, mais en même temps, il ne peut s'empêcher de le comprendre, au fond. Il l'aurait sûrement envoyé chier, comme il sait si bien le faire.

Alors au lieu de s'énerver, de tempêter et d'embrocher Gauvain dans l'instant pour avoir osé toucher à son gamin, le roi de Carmélide acquiesce.

-Très bien.

Les deux le fixent de nouveau, perplexes.

-Très bien? baragouine Yvain.

-Vous... vous n'êtes pas contre? balbutie Gauvain à son tour.

-Disons que je suis ni contre, ni pour. Même si je renvoyais celui-là à coups de pieds au cul en Orcanie et vous en Carmélide, vous finiriez immanquablement par trouver un moyen de vous rejoindre. La seule différence avec maintenant, c'est que vous détesteriez en prime. Et j'ai franchement pas que ça à foutre que de cavaler après vous deux pour être sûr que vous ne vous voyiez plus.

-Donc.. ça ne vous gêne pas qu'on continue..? tente l'Orcanien d'une voix timide.

Leodagan grimace à cette idée.

-Si, bien sûr que ça me gêne. Mais je ne ferai rien pour l'empêcher. Juste... essayez de rester discrets quoi. En fermant la porte à clé la prochaine fois par exemple.

-Vous pourriez toquer aussi, pour changer, rétorque Yvan.

Ses yeux sont toujours brillants, mais plus de malice que de pleurs.

Le roi se retrouve à sourire malgré lui.

-J'essaierai de m'en rappeler.

Puis, avant qu'il ait pu esquisser un geste, son fils se propulse dans ses bras et le serre contre lui de toutes ses forces.

D'abord surpris, Leodagan finit par lui rendre son étreinte. Depuis quand n'a-t-il pas tenu son fils ainsi?

Trop longtemps semble-t-il, lorsqu'il entend un gros sanglot échapper à son gosse.

Si Goustan le voyait comme ça, à cajoler Yvain, ce n'est pas une bûche qu'il se prendrait, mais un tronc d'arbre entier, branches et racines comprises.

Alors qu'il le relâche, un détail, un infime petit détail de rien du tout attire son attention, et il blêmit.

Ni l'un ni l'autre n'a bien remis sa chemise dans leur hâte de se rhabiller, leurs poignets sont donc bien visibles.

Et sur celui de Gauvain...

Sans réfléchir, le roi attrape le bras de son fils pour le regarder et le tâter.

La marque d'âme d'Yvain, un soleil finement dessiné, est bouillante.

Il attrape le bras de Gauvain, le gamin encore trop ému et perdu pour réagir.

Son poignet est décoré d'une somptueuse tête de lion. Brûlante, elle aussi.

Les deux jeunes lui adressent un regard entre le penaud et l'innocent, et il sent une migraine venir lui marteler l'esprit.

Évidemment.


-Vous saviez.

Curieux, Bohort relève la tête de la carte qu'il était en train d'étudier.

Il est seul dans la salle de la Table Ronde, du moins l'était-il jusqu'à l'arrivée de Leodagan, qui referme lentement la porte derrière lui, jaugeant l'autre chevalier du regard comme s'il hésitait entre le frapper ou le complimenter.

Bohort n'a jamais vraiment su sur quel pied danser avec cet homme, mais s'il a bien appris une chose au cours de ces nombreuses années en sa compagnie, c'est qu'il vaut toujours mieux faire profil bas, peu importe l'humeur du souverain.

-Quoi donc? demande-t-il d'une voix douce, alors qu'il replie soigneusement son parchemin.

Le regard du roi de Carmélide s'accroche au mouvement de ses doigts, longs et fins, ainsi qu'au scintillement du cercle d'argent qui orne son majeur gauche.

Son cœur se serre un peu dans sa poitrine lorsqu'il capte ce détail. Jamais il n'arrivera à se faire à l'idée que l'autre chevalier est marié.

Et il ne sait même pas pourquoi cela le dérange autant.

Enfin, disons qu'il le sait, mais qu'il est encore trop tôt pour y faire face.

-Pour Yvain et Gauvain.

-Oh.

Les iris sombres de Bohort semblent noircir davantage, et Leodagan se retrouve face à de la colère.

Cette émotion qui tord sensiblement le visage d'ordinaire si avenant de son collègue le prend au dépourvu, et il sent un frisson désagréable lui remonter le long de l'échine.

-Oui, répond Bohort d'une voix calme et posée, mais sa posture tendue trahit les sentiments qu'il ressent.

Dans l'esprit de Leodagan, l'image d'une louve protégeant ses petits s'impose. Bohort a toujours apprécié les deux plus jeunes chevaliers de la Table Ronde, mais le roi de Carmélide ne mesure véritablement l'étendue de son attachement que maintenant.

Et il comprend pourquoi Yvain est allé le trouver lui plutôt que ses parents.

Bohort sait écouter, conseiller, aimer. Trois choses dont Séli et lui-même sont incapables.

-Cela vous dérange? reprend le jeune homme, plus fort, comme un défi. Qu'il soit venu me parler à moi, je veux dire.

Leodagan sent que s'il répond mal, il perdra à jamais le peu de confiance que le garçon a placé en lui. Et il ne peut pas se le permettre.

-Non.

Un simple mot, trois malheureuses lettres qui semblent frapper l'autre de plein fouet. Sa colère se fendille, et l'espace d'un instant, il est de nouveau le Bohort que tout le monde connait.

-Pourquoi..? murmure-t-il, perdu.

-Je l'aurai blessé, à votre place. Et ma femme aussi. Pas vous. Vous vous ne faites jamais aucun mal, ni avec votre épée, ni avec vos mots. Il a eu raison de venir vous voir.

Leodagan se rapproche de quelques pas, contournant la table avec la lenteur d'un prédateur qui sait que sa proie n'aura pas le temps de fuir.

Son cadet le laisse avancer, mais reste sur ses gardes.

-C'est votre fils tout de même, essaie-t-il de contrer, sans réelle conviction.

Le roi rit de sa tentative pathétique de le rassurer.

-Ce n'est mon fils que par le sang. Je ne pense pas qu'il me considère comme un père.

Cette fois-ci encore, les yeux de Bohort virent au noir le plus complet, et Leodagan se retrouve à se perdre dans cette obscurité.

-Vous savez pourquoi il est venu m'en parler à moi, plutôt qu'à vous?

-Parce qu'il avait peur que je le chasse, que je le renie.

-Faux.

Leodagan cligne des yeux, et fronce les sourcils.

Il ouvre la bouche, mais Bohort le coupe:

-Il est venu me voir parce qu'il avait peur de vous faire honte. Il pensait qu'à cause de son amour pour Gauvain, il n'était pas digne de vous, pas digne d'être votre fils.

-Vous plaisantez...

-Il vous aime, malgré toutes les horreurs que vous avez pu lui dire. Vous êtes son père Seigneur Leodagan, et il n'a jamais cessé de vous considérer comme tel. Il serait temps que vous commenciez à le réaliser.

-Réaliser quoi..? balbutie le roi avec difficulté.

Il n'aime pas le ton que prend la conversation. Il perd l'avantage, et Bohort le sait.

Il se faufile dans la brèche que ses mots ont ouverte avant que Leodagan n'ait le temps de la refermer.

-Que des gens tiennent à vous. Votre femme, vos enfants... Moi.

Cette fois il en est certain, il n'arrive plus à respirer.

La main de Bohort, celle avec la bague, vient frôler la sienne, plus légère que la caresse d'une plume.

-Vous êtes un homme bon Leodagan. J'ignore qui a pu essayer de vous faire croire le contraire, mais cette personne est la plus stupide du monde.

L'oubli volontaire de son titre ne le dérange même pas, il est trop focalisé sur le visage du prince face à lui.

Depuis quand est-il si proche?

Le plus jeune lui adresse encore ce sourire, ce foutu sourire qui lui dit qu'en cet instant, il est la personne la plus aimée du monde, et il s'en veut d'espérer, presque autant qu'il en veut à Bohort de lui faire miroiter quelque chose qu'il n'obtiendra jamais.

Mais alors que leurs mains se touchent, il sent quelque chose. Comme une chaleur, qui vient de son bras. Mais pas que. Elle vient aussi du poignet de Bohort, à peine protégé par la manche de sa chemise. Ces maudites manches larges, qui découvrent la moitié de ses bras, qui découvrent sa marque... il en aperçoit un petit morceau de là où il est, et son regard refuse de s'en détacher. Ce symbole... il est prêt à parier que c'est un ours, ou quelque chose d'approchant.

Leodagan veut attraper cette main tendue vers lui, le fol espoir que cette marque lui corresponde fait battre le sang à ses tempes, comme pendant l'instant qui précède une bataille.

Seulement, avant qu'il ait pu esquisser un geste, l'héritier de Gaunes lâche sa main et s'écarte, regardant ailleurs, rompant l'instant presque magique qu'ils étaient en train de vivre.

Il faut un moment à Leodagan pour réaliser que quelqu'un d'autre vient d'entrer dans la pièce.

Alors qu'il prend place à son siège, sous le regard curieux d'Arthur, la sensation fantôme de doigts sur les siens persiste, ainsi que la chaleur qui s'enroule autour de son bras.

Cette fois, il est incapable de l'ignorer, de l'enfouir quelque part dans un des recoins les plus sombres de son esprit, et ça le terrifie.


-On a quoi sur les âmes soeurs? réclame Leodagan au Père Blaise dès le lendemain.

Ce dernier lui adresse un regard étrange.

-Comment ça?

-Les âmes soeurs. Est-ce qu'on a des bouquins là-dessus?

-Sûrement oui, je peux vérifier si vous voulez... Et euh... c'est pour quoi au juste..?

-Pour des affaires qui sont pas les votres, rétorque le roi d'une voix bourrue.

Le cureton semble comprendre qu'il vaut mieux ne pas insister, et se dépêche de récupérer son registre. Quelques heures plus tard, Leodagan a enfin le nez enfoui dans les livres qui l'intéressent.

Comme il le savait déjà, deux âmes soeurs peuvent se reconnaître grâce aux marques sur leur poignet, celle qui symbolise l'autre. Plus deux moitiés sont proches, aussi bien physiquement qu'émotionnellement, plus leurs marques se réchauffent.

Il arrive que des gens ne rencontrent jamais leur âme sœur. A ce passage, Leodagan ne peut s'empêcher de repenser à sa mère, condamnée à vivre avec un homme qu'elle détestait de tout son être, et sent son estomac faire un looping.

Séli ne l'aime pas, et il ne l'aime pas, mais ils s'entendent plutôt bien quand même, donc il s'en tire pas trop mal.

Ensuite il pense à Yvain, et sent une pointe de soulagement faire son apparition. Au moins l'un d'eux aura la chance de vivre avec sa moitié.

Il reprend sa lecture, voulant en savoir autant que possible.

Au final, rien ne lui dit ni comment se débarrasser d'une marque d'âme, ni comment vivre à côté de son âme soeur sans forcément finir en couple avec. D'après ce qu'il voit, toutes les moitiés s'étant réunies ont immanquablement fini ensemble.

Avec un grognement rageur, le roi de Carmélide lâche son bouquin et ressort de la bibliothèque.

Il ne veut pas être amoureux de Bohort, ni à cause des dieux et de leurs conneries, ni à cause d'une marque, ni à cause de rien du tout, en fait!

Yvain et Gauvain, c'est déjà assez perturbant, il ne veut pas non plus que ça lui tombe dessus!

C'est trop injuste.

Il ne peut pas aimer un autre homme, un chevalier, et un ami! C'est contre nature, dérangeant, dégoûtant.

Même si leurs croyances permettent, entre autres, de laisser libre cours à ce genre de pratique, jamais Leodagan ne se le permettrait.

Il repense au fouet, aux coups de pieds, au regard de son père quand ce dernier l'a surpris à tenir la main d'un de ses anciens amis, une fois, une seule fois, où ce dernier avait juste froid, et où Leodagan, gamin de treize ans, avait juste voulu réchauffer sa minuscule mimine avec la sienne.

Il n'y avait même aucun sentiment entre eux, juste l'innocence de deux gosses.

Les cicatrices dans son dos lui crient le contraire, le souvenir de son géniteur le traitant de noms tous plus horribles les uns que les autres aussi, et il se retrouve bientôt appuyé contre un mur, la respiration sifflante.

Non, il ne peut pas tomber amoureux de Bohort.

Sous sa manche, sa marque est devenue glaciale, mais il n'y prête pas d'attention.


Ça lui coûte de venir ici, mais il n'a plus le choix, alors tant pis.

Il débarque donc au labo avec la douceur d'un éléphant dans une échoppe de porcelaine, pour tomber nez à nez avec l'enchanteur qu'il voulait voir. Miracle!

-J'ai besoin de vous, annonce-t-il de but en blanc.

Elias fait au moins mine d'avoir l'air intéressé, alors qu'il lève la tête de son bouquin pour le fixer.

Derrière lui, Merlin s'agite en tous sens, les bras chargés de parchemins et de fioles.

Il ne s'arrête que pour leur jeter un regard curieux, puis reprend son rangement.

-Et que puis-je faire pour sa Majesté? demande le sorcier, à moitié curieux.

-Il me faut une potion pour me débarrasser de quelque chose.

-Il va falloir être plus précis que ça...

-De sentiments.

Cette fois, l'enchanteur hausse un sourcil, signe que son attention est enfin pleinement focalisée sur le roi devant lui.

-Vous voulez vous débarrasser de vos sentiments?

-Pas tous. Seulement un en particulier.

-Et lequel, si je puis me permettre?

-C'est obligé?

-C'est à dire que sans ça, je risque de vous préparer la mauvaise potion, et que vous allez perdre un truc que vous auriez sans doute aimé garder. Imaginez que je me goure et que vous deveniez gentil, parce que toute colère sera définitivement partie de vous?

Leodagan grimace à cette idée.

-Ok... alors en fait je... putain... je veux me débarrasser de l'amour! Voilà!

Ça y est, il l'a dit. Et avoir osé le prononcer à voix haute rend la chose encore plus réelle. Un poignard s'enfonce dans son cœur, et il doit s'asseoir avant de s'écrouler.

Bordel, il est déjà amoureux de Bohort.

Devant lui, les deux enchanteurs le fixent avec ahurissement.

-De l'amour..? répète Merlin, refusant visiblement d'y croire.

-Écoutez, je veux pas entrer dans les détails, alors faites moi votre potion qu'on en finisse.

-Attendez, l'interrompt Elias d'une voix blanche, si je fais ça, vous ne ressentirez plus aucun amour, plus jamais.

-Eh bah? Où est le problème?

-Aucun, insiste le sorcier. De quelque sorte que ce soit. Vous n'en ressentirez même plus pour vos propres enfants, ni pour vous.

-Je n'en ressens déjà aucun pour moi, le rabroue rudement Leodagan.

Il le regrette dès qu'il voit la sympathie s'inscrire sur le visage de Merlin.

-Sire, commence le druide, est-ce qu'on peut au moins savoir pourquoi une telle demande? Je veux bien que vous ne soyez pas le plus fanatique de l'amour, mais là tout de même...

-C'est à cause de mon âme sœur, siffle le roi qui ne supporte déjà plus cet interrogatoire, je ne peux pas l'aimer. Je ne dois pas.

Les deux autres s'échangent un regard médusé, même Elias semble nerveux pour le coup.

-Vous voulez.. vous voulez vous débarrasser de votre âme soeur..? finit par bégayer Merlin, dont les grands yeux gris ont pris une teinte orageuse.

-Oui. Pas le choix.

-Bien sûr que si, vous avez le choix! s'emporte soudain le magicien. Bon sang, vous avez votre âme sœur sous le nez si j'en crois ce que vous dites, et vous préférez la rejeter parce que.. parce que... euh... parce que quoi, d'ailleurs?

Leodagan se crispe. Parce que quoi, c'est vrai ça.

Parce que son père est un enfoiré?

Parce qu'on lui a répété encore et encore que deux hommes ensemble, c'est digne d'un bûcher express?

Parce que l'idée d'être avec Bohort le dégoute?

Toutes ces raisons sont fausses. Ce ne sont que des excuses bidons qu'il se ressasse en boucle pour se rassurer, pour ne pas avoir à affronter la vérité.

Celle qui dit que le vrai problème, c'est lui. Lui, qui a trop peur de tout foirer, de faire du mal à l'autre chevalier en lui révélant que, eh, en fait, votre âme sœur est un parfait connard, mais si vous savez, celui qui vous écrase sous ses bottes depuis le premier jour où il vous a vu!

Une envie de vomir s'empare soudain de lui, et il lui faut un long moment pour se ressaisir.

Les deux autres le fixent toujours, patients, et Merlin finit même par lui rendre une coupe de vin, qu'il avale cul sec.

-Parce que je suis qu'un con. Et que je vais forcément le blesser.

Si le pronom ne passe pas inaperçu, aucun des enchanteurs ne le relève.

-Et, contre Merlin avec plus de douceur qu'auparavant, vous ne pensez pas qu'en vous débarrassant de vos sentiments envers cette personne, vous risquez de lui faire encore plus mal?

-C'est vrai ça, imaginez qu'un jour, il vienne vous offrir son coeur, et que vous l'envoyiez chier? reprend Elias, plus froid que son collègue.

Leodagan sent une véritable coulée de boue lui tomber dans l'estomac, et il doit encore lutter contre la nausée.

Il imagine Bohort, toujours aussi fragile et innocent, venir lui avouer ses sentiments, et il se voit, lui, le Sanguinaire, le rejeter sans le moindre état d'âme.

-Une âme sœur rejetée par sa moitié, ce n'est plus qu'une coquille vide, l'achève le maitre des calamités avant de s'éloigner.

Son esprit s'éteint totalement à la pensée que par pur égoïsme, il puisse briser un être aussi pur que Bohort...

S'il se dégoûtait déjà lui-même, il lui faut à présent toute sa force pour ne pas aller se jeter du haut des remparts.

-Vous savez, finit par reprendre Merlin à la place de son collègue, vous avez le temps d'y réfléchir... Mais... je vous conseille d'aller en parler à votre moitié. Vous seriez surpris.

Il ajoute la dernière phrase en coulant un regard vers Elias, qui est reparti lire comme si de rien n'était, et Leodagan se sent blêmir.

-Vous deux..? Mais.. vous pouvez pas vous piffrer, baragouine-t-il difficilement, la gorge toujours serrée par les griffes de la honte et du dégoût.

-Comme le seigneur Bohort et vous j'ai envie de dire, lui chuchote le druide, les yeux pétillants doucement.

Le roi se redresse lentement à cette annonce, et s'en va en titubant, l'esprit bourdonnant comme jamais.

Il parvient tout de même à noter dans un coin de sa tête que Merlin n'est peut-être pas si con que ça, finalement.


Il lui faut encore un mois et demi avant de se décider, et il regrette vraiment de ne pas l'avoir fait plus tôt.

Parce que quand il parvient enfin à rassembler suffisamment de courage pour aller trouver l'autre chevalier, quelle n'est pas sa surprise de le voir pendu au bras d'une femme absolument splendide.

Grande et blonde, aux traits plus doux que si un dieu lui-même les avait dessinés, elle est appuyée contre Bohort et rit doucement.

Le cœur déjà fragilisé de Leodagan se fissure de plus belle derrière sa carapace. Il veut faire demi-tour, fuir, s'enterrer quelque part, mais les deux autres l'ont déjà vu, et Bohort l'appelle joyeusement.

Le roi se dirige machinalement vers le couple, plus raide que s'il avait un balais dans le... et salue sèchement la jeune femme.

-Seigneur Leodagan, permettez moi de vous présenter Dame Berlewen, ma femme.

Et voilà.

La bague.

Le nom chuchoté dans la nuit.

Cette garce est bien réelle, et Leodagan n'a aucune chance contre une pareille créature.

Il s'en veut tout de suite de l'avoir insultée mentalement, parce que quand il plonge ses yeux dans ceux de la jeune femme, il y voit une telle douceur et un tel amour qu'il sait que c'est une personne exceptionnelle.

Comme Bohort.

Ses yeux brûlent dangereusement, mais il ne sait plus pleurer depuis des décennies.

Alors à la place, il hoche la tête, et se détourne sans attendre, incapable de supporter leur bonheur conjugal et leur bienveillance.

-J'ai des choses à faire, grogne-t-il quand la main de Bohort se referme sur son poignet.

Le contact disparait aussitôt, et il culpabilise davantage en imaginant le regard blessé que doit avoir le plus jeune en cet instant.

Malgré tout, il se refuse à jeter ne serait-ce qu'un seul coup d'œil derrière lui.

Au lieu de cela, il détale jusqu'aux terrains d'entrainement, où il se défoule des heures durant sur le maitre d'armes et tous les mannequins de bois qu'il peut trouver.

C'est dans un état presque catatonique que Berlewen le retrouve, trois heures plus tard.

Le soleil se couche derrière les remparts, et ses derniers rayons donnent un aspect doré aux boucles blondes de la jeune femme qui rajoutent un peu plus à son côté divin.

Leodagan ne sait pas s'il veut la frapper ou l'enlacer.

Alors il reste immobile, l'épée en main, de la sueur dégoulinant sur son front.

L'autre s'avance prudemment de lui, comme si elle tentait d'apprivoiser un animal blessé.

-Seigneur Leodagan? commence-t-elle, et il cligne des yeux, revenant progressivement à lui.

Il lâche son arme, et se laisse glisser à genoux, éreinté.

Elle le rejoint aussitôt, et le serre contre elle, sans un mot. Parce qu'aucun n'est nécessaire.

Elle sait, de toute façon.

Et elle n'en semble pas dérangée.

Son époux est promis à quelqu'un d'autre qu'elle, à une brute épaisse qui, il y a un instant, était prêt à lui fracasser le crâne contre un mur, mais ça ne la dérange pas.

Cette révélation est comme un coup de pied à l'estomac, et Leodagan sent toutes ses défenses se briser d'un seul coup.

Toute les frustrations accumulées, ses peurs, ses colères, ses chagrins, tout vient se fracasser sur lui comme un ras de marée, et il éclate en sanglots incontrôlés dans les bras de cette femme dont il s'apprête à voler l'époux.

Mais rien n'y fait, elle refuse de le lâcher, allant même jusqu'à passer ses mains dans ses boucles sombres, comme sa mère le faisait autrefois, quand il n'était encore qu'un tout petit.

Ils restent donc ainsi, agenouillés dans la terre, tous deux secoués par les spasmes qui agitent le corps du roi de Carmélide. Il ne produit aucune larme, mais il pleure, ça c'est certain.

-Pourquoi ça fait si mal? finit par hoqueter le souverain, et elle hausse les épaules en l'embrassant sur le front.

Il lui permet, sans hésiter.

En fait, vu son état actuel, il l'aurait même laissée lui enfoncer sa propre épée dans la poitrine. Il n'a aucun droit sur cette femme dont il rêve de briser le couple.

-Pardon, murmura-t-il lorsque ses sanglots se furent calmés.

Pardon pour quoi, ça, il n'en avait aucune idée. Pour sa crise de larmes? Pour lui voler celui qu'elle aime?

Sûrement les deux, il ne savait plus bien où il en était.

-Je vous pardonne, murmure la jeune femme, et c'est sûrement la chose la plus douloureuse qu'elle pouvait dire au souverain.

Elle aurait du lui hurler dessus, le frapper... pas le regarder avec toute cette gentillesse!

Ce n'était pas juste, ni pour elle, ni pour Bohort!

Ils ne sont peut-être pas liés, mais leur amour est sincère, Leodagan en est convaincu. Et lui se prépare à venir tout foutre en l'air, comme toujours. Mais quel con il est!

-Allez lui parler, lui chuchote Berlewen au bout d'un petit moment, ses grands yeux d'un brun chaud le regardant avec tendresse.

Il hoche la tête, et se relève péniblement. Sans rien dire de plus, la jeune femme l'accompagne jusqu'au château.

Bohort est assis devant les portes, les yeux dans le vague, comme perdu dans ses pensées.

Il redresse néanmoins la tête à leur approche, et un éclair d'inquiétude apparait dans son regard.

Sa femme le rassure d'un petit signe de tête, et s'arrête, poussant gentiment Leodagan vers lui.

-Je vous laisse, se contente-t-elle de dire avant de les dépasser pour pénétrer dans le palais.

Bohort la regarde filer, puis adresse un sourire incertain à l'autre chevalier présent.

-Je... commence le jeune homme, seulement pour être écrasé dans une étreinte d'ours par le roi de Carmélide, ce qui lui arrache un glapissement de surprise.

-Je n'suis qu'un con, je sais, gronde l'autre homme à son oreille, et il ne peut s'empêcher de frissonner devant tant de proximité.

-Et vous êtes visiblement le con auquel les dieux m'ont destiné, chuchota Bohort en retour.

Ses bras s'enroulent comme par automatisme autour du cou de son aîné, comme s'ils avaient leur place attitrée à cet endroit précis.

Le souverain le laisse faire, glissant ses propres mains autour de la taille de son cadet.

Aucun autre mot ne fut échangé ce soir là, ils n'en avaient de toute façon pas besoin, la douce chaleur de leur poignet parlant pour eux.


-La première fois que j'ai vu la colombe sur mon poignet, commence Leodagan, j'ai pensé que mon âme sœur devait être une femme absolument incroyable. Aussi belle que gentille, un peu comme votre épouse.

Bohort hoche doucement la tête, sa main toute fine glissée dans celle, abîmée et calleuse, de Leodagan.

Ils s'étaient installés dans les jardins, en cette douce matinée de printemps, et seuls le bourdonnement des abeilles ainsi que les pépiements des oiseaux les entouraient.

Cela faisait deux semaines qu'ils s'étaient avoués à demi-mots leurs sentiments, et ils avaient enfin décidé d'en parler plus sérieusement, histoire de mettre enfin les choses au clair. Berlewen était repartie la veille, et leur avait clairement signifié qu'ils avaient plutôt intérêt à s'expliquer, et fissa.

-Vous avez du être déçu, ne peut s'empêcher de noter le plus jeune.

-Avant que je réalise que nous étions destinés l'un à l'autre, je peux pas nier le fait que vous m'énerviez. Mais j'ai appris à vous connaitre, et à vous apprécier. Je ne suis pas déçu Bohort, c'est même tout le contraire. Vous êtes quelqu'un de formidable, et je pense que c'est plutôt à moi de m'en faire, soupire Leodagan.

-Pourquoi? s'enquit de suite son cadet.

-Parce que tout ça... tout ça est trop nouveau pour moi, trop soudain. Je pense que je vais tout rater.

-Leodagan.

Le roi relève aussitôt la tête. Dieux qu'il aimait entendre son nom être prononcé par ces lèvres...

-Vous n'êtes pas seul, d'accord?

Il hoche la tête, sans y croire. Bohort doit le sentir, parce qu'il lève les yeux au ciel.

-Je ne plaisante pas. Vous avez des amis ici, des proches, et maintenant vous m'avez moi.

-Est-ce vrai?

-Quoi donc?

-Que je vous ai.

Le plus jeune lui offre un sourire attendri.

-Vous m'avez eu le jour où nous nous sommes rencontrés.

C'était cliché, et horriblement fleur bleue, mais c'était tellement Bohort que Leodagan ne peut s'empêcher de sourire.

-Vous savez je crois que... je suis heureux. Pour la première fois depuis des années, je le suis véritablement.

Son cadet lui adresse aussitôt un sourire radieux, et Leodagan ne résiste plus: il l'embrasse.

Ça n'avait rien à voir avec les baisers innocents de deux personnes qui se découvrent tout juste non, là, il avait besoin de conquérir, de dominer et d'obtenir.

Alors il fut rude, parce que c'était la seule chose qu'il savait faire correctement. L'une de ses mains vint se coincer dans les cheveux de son compagnon, tandis que l'autre s'agrippait à sa hanche. Un gémissement échappa au plus jeune au moment où il réussissait à faufiler sa langue dans sa bouche, et il recula aussitôt, gêné.

-Désolé je.. trop violent?

L'autre le regarde en haletant, les joues plus rouges que les tuniques de Karadoc, puis secoue la tête.

-Pas du tout! Je... ce que vous avez fait là... avec..

-Oh ça? Parait que c'est comme ça qu'ils s'embrassent, à Rome. Ça vous plait pas?

-Si! Si justement! s'écrie aussitôt Bohort, avant de s'empourprer de plus belle, embarrassé.

Leodagan émit un petit rire, et la main dans les cheveux de son amant glissa jusqu'à se poser sur son cou, son pouce traçant des cercles apaisants sur la peau douce qu'il pouvait atteindre.

-Alors je peux recommencer?

Le prince hoche fébrilement la tête, même s'il évite toujours le regard du roi. Ce dernier ne se gêne donc pas pour retenter l'expérience, et bientôt, son compagnon s'abandonne totalement dans ses bras, ne cherchant même plus à dissimuler les sons qu'il produit.

Leodagan finit par reculer à nouveau, un peu essoufflé tout de même.

-On devrait s'arrêter avant que ça ne dégénère, marmonne le roi, mais l'autre le fixe juste, les pupilles dilatées au possible, bouillonnant visiblement d'envie mal contenue.

Si Leodagan n'avait pas été freiné par le souvenir persistant de son père lui hurlant dessus, il aurait sûrement ravi le jeune homme dans l'instant.

Sauf qu'encore une fois, le regard mauvais de Goustan le retint, et il s'excuse lamentablement avant de décamper, sous les yeux ahuris de Bohort.


-Mais c'est pas vrai que vous êtes encore là! grommelle Elias, alors qu'il entre dans le labo le soir même, et qu'il aperçoit le roi de Carmélide assis dans un coin de la pièce.

-Oh arrêtez un peu de râler, vous voyez bien qu'il est pas dans son assiette! le rabroue Merlin avec verve.

Les deux se fusillent du regard, puis l'enchanteur contourne son collègue pour aller ranger ses affaires. Il y a quelques temps, cette dispute aurait eut l'air totalement banale, mais à présent, Leodagant ne peut s'empêcher de remarquer que malgré leur engueulade, les magiciens réussissent à se montrer affectueux l'un envers l'autre: la main de Merlin effleure discrètement celle d'Elias quand il passe près de lui, et le regard du sorcier s'adoucit sensiblement. Le roi est pratiquement sûr que s'il n'avait pas été là, ils se seraient embrassés. Cette pensée ne le dérange pas autant qu'il le devrait.

-Et que veut sa Majesté aujourd'hui? marmonne Elias, le faisant revenir à lui. Encore un truc contre l'amour?

-Pas exactement nan, grogne Leodagan en évitant de les regarder.

-Quoi alors?

-J'aurai plutôt besoin d'une potion d'oubli. Ou un truc pour me débloquer.

-...J'ai rien compris, avoue le sorcier.

-Écoutez Bohort et moi on.. on a parlé, ok? Et... c'est super, youhou, sauf que j'arrive pas à m'enlever de la tête que c'est mal!

-Mal? disent en choeur les deux magiciens.

-Oui, mal. Toute ma vie on m'a dit que faire.. ça, avec un autre homme, c'est sale. Et j'ai beau me dire que c'est des conneries, ça me reste en tête. Du coup vous auriez pas quelque chose contre ça..?

-Contre ça? A part une bonne thérapie je vois pas, soupire Elias.

-En quoi c'est mal d'aimer un homme mais bien d'aimer une femme? questionne Merlin, avec un air tellement perdu qu'il fait presque de la peine à Leodagan.

-Ne me demandez pas, cette mentalité m'échappe totalement, répondit son confrère en haussant les épaules. La preuve, j'suis bien amoureux d'un parfait couillon moi.

-Nan mais oh! J'vous permets pas! rétorque Merlin en lui balançant un parchemin à la figure.

Il n'atteignit jamais sa cible, bien évidemment.

-Vous avez pensé à lui parler de vos soucis? Nan parce qu'on est très flattés que vous pensiez à nous et tout hein, mais le principe d'avoir une âme soeur, c'est quand même de pouvoir se confier à elle, vous comprenez? souffle Elias en fixant Leodagan.

Ce dernier grimace.

-J'vais lui faire mal...

-Mais arrêtez avec ça par tous les dieux! On sait qu'il est un peu sensible sur les bords mais quand même! Si vous pouvez rien lui dire, j'vois pas l'intérêt d'être avec lui!

Le roi a beau fusiller l'enchanteur du regard, il sait qu'il avait raison. Comme toujours.

Bordel.


-Bon, vous vous asseyez et vous vous taisez, ok? C'est facile non?

D'accord, il aurait peut-être pu y aller plus doucement. Heureusement, Bohort sentait toujours quand quelque chose n'allait pas et qu'il valait mieux obéir de suite. Et là, pour que Leodagan vienne le trouver dans sa chambre en plein milieu de la nuit, même pas habillé correctement, ce devait être grave.

Alors il ne dit rien, et se contente de s'asseoir docilement au bord de son lit.

Encore une fois, le roi eut tout le loisir d'apprécier la patience de son amant, qui ne s'était même pas un peu offusqué de se faire réveiller à une heure du matin par l'homme qui l'avait planté comme un con dans le jardin un peu plus tôt dans la journée.

Par les dieux, est-ce que Bohort ne pouvait pas arrêter juste cinq minutes d'être parfait?

-Allez y, je vous écoute, résonna la voix feutrée de son amant.

Apparemment, il ne pouvait pas.

Bon.

Tant pis.

Après une grande inspiration pour se donner le petit coup de pied dont il avait besoin, le souverain commence à parler.

De tout.

De son enfance, de sa mère, de son amour trop vite effacé par sa mort prématurée, de son père et de ses sévices, de son ami à qui il avait un jour tenu la main, du fouet, de la bûche, de ses sentiments tous plus emmêlés les uns que les autres...

Tout y passa, même l'épisode de la potion d'oubli.

Si les yeux de Bohort s'embuèrent à cet aveu, il ne dit rien, se contentant d'écouter en hochant la tête de temps en temps.

Quand Leodagan eut fini, il était à bout de souffle, et de force. Mais il se sentait plus léger, comme si balancer toutes ces choses l'avait soulagé d'un poids.

Il s'assit sur le lit, à côté de Bohort, si près que leurs cuisses se touchaient.

-Ça n'excuse en rien mon comportement de ce matin, et j'espère vraiment que vous me pardonnerez.

-Je ne vous pardonne pas, commence Bohort et le roi se sentit pâlir, parce qu'il n'y a rien à pardonner. Ce que vous avez vécu aurait laissé n'importe qui d'autre au sol. Mais vous, vous vous êtes relevé. C'est normal que vous en gardiez des séquelles, et que vous soyez mal à l'aise avec tout ça. Je ne vous en veux aucunement.

Le souffle de Leodagan se coupe dans sa gorge, et il acquiesce silencieusement.

Bohort sourit, et se permet même de venir presser un petit baiser au coin de sa bouche.

Le roi le laisse faire, et finit même par initier lui-même le prochain baiser, plus lent et plus intime que le premier qu'ils avaient partagé dans les jardins.

Mais ce qui avait commencé avec innocence devient bien vite une lutte enflammée entre leurs langues, et, avant que le souverain ne comprenne ce qu'il se passe, le jeune chevalier est assis à califourchon sur ses jambes, pressant son corps contre le sien comme s'il voulait fusionner avec lui.

Il rompt le baiser, se sentant de nouveau mal, mais Bohort ne le laisse pas fuir, pas cette fois.

Avec un sourire plus tendre que jamais, son cadet appuie son front contre le sien.

-Est-ce que vous me trouvez dégoûtant?

La question prend tellement Leodagan par surprise qu'il manque de s'étrangler avec sa salive.

-Quoi?! Non enfin! Jamais de la vie!

-Est-ce que me toucher ou m'embrasser vous fait ressentir des choses désagréables?

-Puisque je vous dis que non!

-Est-ce que vous êtes heureux avec moi?

-Évidemment!

L'autre sourit, visiblement satisfait, et le roi se sent soudain très petit.

Un nouveau baiser est appuyé contre sa mâchoire, tandis que Bohort lui attrape doucement les mains pour les poser sur ses cuisses.

-Dans ce cas, ne pensez à rien d'autre que moi. Pas votre père, pas votre femme, pas votre enfance. Juste moi. Vous pouvez essayer, s'il vous plait?

Sa voix devient un murmure pratiquement inaudible sur les derniers mots. Son regard incertain cherche celui de Leodagan, qui se rappelle soudain que, oui, il a peut-être peur, mais qu'il n'est pas le seul à être terrifié.

Et il ne peut pas continuellement attendre que Bohort le sauve quand lui-même est en détresse.

-Je.. je vais essayer. Pour toi.

Le tutoiement les surprend tous les deux, mais semble plaire à Bohort, qui réclame une fois de plus sa bouche dans un baiser affamé.

Puis il recule, tout essoufflé, les yeux presque entièrement noirs de désir, l'une des épaules de sa chemise de nuit ayant glissé de sorte à dévoiler un triangle de peau opaline.

Leodagan déglutit.

C'était injuste, comment était il censé résister à ça ?

Il ne pouvait tout simplement pas, s'il en croyait ses mains qui se faufilaient déjà sous le vêtement de nuit de son amant pour apprécier la douceur de sa peau. Lorsque ses doigts effleurèrent l'intérieur d'une cuisse, Bohort lâcha un gémissement étranglé et se cambre sensiblement contre son toucher, le summum de l'érotisme, en somme.

Cette fois, le roi de Carmélide envoie définitivement chier son père et ravit une fois de plus les lèvres de son amant.

Ce n'est que bien plus tard, lorsque les gémissements et les soupirs se furent taris, que les corps cessèrent de s'épouser à la perfection, et qu'ils étaient allongés tous les deux dans le lit du prince de Gaunes, que Leodagan réalisa ce qu'il venait de se passer.

Il avait fait l'amour avec Bohort.

Ça semblait tellement absurde, tellement incroyable qu'il se retrouve à rire comme un con.

Perplexe, sa moitié se retourne vers lui, les yeux à moitié clos de fatigue, ses longs cils projetant des ombres sur ses joues encore un peu roses. Dieux qu'il était beau en cet instant.

-Leo..? chuchote le jeune homme.

L'autre se contente de rire de plus belle, et ses bras vinrent s'enrouler autour de la taille de son cadet pour le rapprocher de lui, de telle sorte qu'il réussit à enfouir sa tête dans le creux de son cou.

-Tout va bien..? retente Bohort au bout d'un petit moment à ne rien entendre de plus qu'un fou rire mal dissimulé.

-Ça va bien, ça va bien, baragouine Leodagan entre deux hoquets. Ça va même mieux que jamais. Putain... ça brûle à l'intérieur, mais c'est tellement bon.. je veux pas que ça s'arrête...

L'autre le regarde un instant avant de le rejoindre dans son hilarité, serrant l'une de ses mains dans les siennes.

-Je crois qu'on appelle ça l'amour, lui murmure son amant avec un sourire attendri.

Leodagan le regarde, incapable de retenir sa propre joie de s'afficher sur son visage.

-Eh bien ça me plait. Beaucoup.

Les deux s'embrassent une dernière fois avant de fermer les yeux, grapillant quelques heures de repos bien mérité.

Près de leurs mains liées, sur leur poignet, leurs marques irradient d'une douce chaleur.

Ouais, pense Leodagan en sombrant petit à petit, finalement, les âmes sœurs, c'était peut-être pas que des conneries.