Disclaimer : Kill Ben Lyk est l'oeuvre d'Erwan Marinopoulos.

Résumé : C'était dans l'adversité que l'on découvrait qui on était. Roberto, lui, n'avait qu'une idée en tête : fuir sa prison improvisée et aller à Londres. Aller à la rencontre de Ben Lyk. [Kill Ben Lyk]

Liste des dettes du Discord « Défis galactiques »: copc d'écrire ce et si : et si au lieu de flanquer Roberto à la porte, ses parents l'avaient enfermé chez lui et abusé de lui (dans le sens que tu veux) pour le faire revenir "dans le droit chemin"? + ACTION 4 : Marcher sous la pluie (Elles ont dit) + Liste 11 : -Personnage blessé. -Il doit pleuvoir pendant au moins la moitié du texte. -Présence d'une carte d'un lieu. -Placer les mots froid, inquiet et sourire + Blessure 36 : Côte brisée + Défi des adultes 38 - Psychologie : victime d'abus (sexuel ou non) + Sarah&Voirloup 329 - Placer le mot Noyer + Titre du 09/05/2021 : Advienne que pourra

Advienne que pourra

La porte se referma derrière Giovanni, laissant Roberto seul non pas dans sa chambre mais dans la cave de la maison familiale. Si seulement Magdalena avait pu fermer sa grande gueule ! Mais non, elle était aussi lobotomisée que les autres et après avoir découvert que son frère était sorti avec des hommes, qu'il les aimait autant qu'il aimait les femmes, elle avait été tout raconter à leurs parents, inquiète pour « le salut de son âme ». Le jeune homme s'était attendu à des cris, ce qui arriva. Il avait envisagé la possibilité d'être renié puis jeté à la rue comme un malpropre. Même sans travail fixe, il était un adulte et ils étaient dans leur droit. Pourtant non, ils avaient décidé de le garder. Et à choisir, il aurait préféré la rue.

- Le fait que tu puisses aimer des femmes est une chance. Avait sourit sa mère dans une expression qui le dégoûtait. Il y a de l'espoir pour toi, tu peux encore guérir.

Quand il lui rétorqua que cela faisait depuis 1992 que l'OMS avait déclaré que l'homosexualité (bisexualité dans son cas) n'était pas une maladie, elle lui décocha la pire gifle de sa vie.

- Tu es notre fils, c'est notre devoir de te prêter assistance.

Et convaincus de leur action, l'horreur de leur plan n'effleura jamais leurs esprits. Pour eux, ils agissaient pour son bien et leurs pêchés seraient pardonnés s'ils le faisaient revenir sur le chemin de l'hétérosexualité. Non, pour eux, il n'y avait rien eu de mal à l'envoyer valser dans les meubles à la cave, de l'y enfermer, de le priver de boire, de manger, même d'essayer de le priver de sommeil. Il n'avait pas son portable sur lui, le seul moyen qu'il avait de savoir si le soleil était levé était par la petite fenêtre au fond de la pièce. Il comprenait leur stratagème. C'était juste qu'il n'arrivait pas à comprendre pourquoi ils lui infligeaient cela. Certes, il n'était pas le fils de l'année et il admettait qu'il devait être une déception pour eux. Il ne trouvait pas d'emploi fixe, vivotait grâce à des petits boulots ou des contrats courts d'intérim, il fumait des joints et niveau études, il avait son diplôme de fin de lycée et c'était tout. Il n'avait jamais vraiment aimé l'école, avait eu des notes moyennes et avait été réaliste : à la fac, il aurait été vite dépassé. Se noyer dans l'échec aurait été plus humiliant pour tous que la situation actuelle. Oui, Roberto l'admettait, il n'était pas l'enfant qu'un père, qu'une mère, aurait aimé avoir. Mais de là à l'enfermer comme un prisonnier ! Ce qu'ils faisaient, ce n'était ni plus ni moins qu'une torture psychologique. Ils voulaient qu'il craque, que son esprit cède pour qu'ils puissent ensuite le remodeler à leur image. Ce qui lui faisait le plus mal à l'heure actuelle, ce n'était pas le petit creux qu'il avait, la gorge sèche qui lui indiquait qu'il commençait à avoir soif, ses muscles endoloris. Non, la douleur la plus forte, celle qui le paralysait et le gelait sur place, c'était la réalisation qu'il ne serait jamais comme ses parents voudraient qu'il soit et par conséquent, il se préparait vers une vie d'orphelin ou vers une fin qui l'étranglait avec les doigts squelettiques de l'angoisse.


Le coup final retentit dans l'espace exigu ainsi qu'un dernier cri de douleur. Oui, Roberto hurlait quand la peine était trop grande, un réflexe sans doute mais il ne leur donnait pas la satisfaction de leur demander d'arrêter. Il connaissait déjà la réponse :

Repends-toi, accepte que tu es malade et nous t'aiderons. Le premier pas vers la guérison est d'admettre que l'on a un problème.

Son corps entier lui faisait mal. La boucle de la ceinture avait laissé des bleus, le crochet pour s'attacher aux trous des griffes. Il mangeait, buvait mais bien trop peu. Du pain sec, un seul verre d'eau pour toute la journée. Il en venait à penser prétendre avoir compris, juste pour pouvoir remonter, avoir enfin un vrai repas, une douche, un lit ! Ce n'était pas beau de mentir mais au moins, cela prendrait fin. Il jouerait la comédie, enchaînerait les boulots de merde, juste assez pour pouvoir se barrer et couper les ponts. Il se souvenait de l'offre d'un certain Ben Lyk qui cherchait un colocataire pour son petit appartement en périphérie de Londres. Quand ses parents le trouvaient en train de prier, ils croyaient qu'ils arrivaient à leur fin. En réalité, leur fils suppliait Dieu de ne pas permettre au youtuber de trouver la perle rare, pas tant qu'il ne pourrait pas sortir et tenter sa chance. C'était horrible de compter sur l'aide d'un parfait inconnu mais c'était l'une des rares bouées auxquelles il se cramponnait pour ne pas se sentir fléchir. Car sa volonté vacillait. Cela faisait des jours qu'il pleuvait. La cave était humide et froide, il ne pouvait s'empêcher de trembler. Il était fatigué, il avait faim, il avait soif, il avait mal et surtout, il avait peur. Il avait peur que son âme ne se brise à force de subir ces mauvais traitements. Il avait peur de résister jusqu'au point de non-retour, de devenir fou et de finir par commettre un crime. Il avait peur qu'un jour, l'un des assauts ne l'achève. Respirer le faisait souffrir. Chaque inspiration était sifflante et il avait ce point de côté permanent, aigu, perçant. D'ailleurs, son flanc droit était particulièrement douloureux, chaud au toucher et il devinait une boursouflure du bout de ses doigts gelés. Il toussait mais ne constatait aucune présence de sang dans les rares expectorations qu'il produisait. Si jamais il s'était cassé une côte, au moins, le poumon n'était pas abîmé et il n'avait donc pas à craindre un pneumothorax. Les joies d'avoir platiné Bio INC Redemption... Il grelottait, ses dents claquaient malgré lui.

Pendant que ses parents étaient absents et le laissaient donc tranquille, pour s'occuper l'esprit, le jeune homme étudiait la pièce qui était devenue son lieu de vie, la redécouvrant chaque jour un peu plus. Il se voulait silencieux et surtout, il fouillait, prenant garde à ne pas éveiller les soupçons. Ce fut ainsi qu'il découvrit un vieux tournevis abandonné qui lui servirait sans doute pour dévisser le soupirail qui protégeait la fenêtre. Il avait observé cette dernière : cela serait compliqué mais il pourrait peut-être s'échapper en l'empruntant. Si la tête de l'outil correspondait aux têtes de vis, bien entendu... Il avait retrouvé quelques pennies qui avaient dû tomber de poches lâches. Il les cacha soigneusement. Quand il y réfléchissait, il se demanda s'il ne sombrait pas dans la folie : son instinct de survie s'était réveillé de manière si intense qu'il ne se reconnaissait pas. Il retrouva un vieux plaid. Ses géniteurs ne s'en offusquèrent pas. Il savait très bien que son décès n'était pas le but recherché et ils avaient dû se dire qu'au moins, en s'occupant ainsi, il ne pensait plus de manière « inappropriée » aux hommes. Il découvrit des vieux livres qui l'aidèrent à passer le temps. Et le trésor le plus précieux de tous : une carte des environs allant jusque Londres. Elle était ancienne, le papier avait jauni mais elle était lisible. Il passait des heures à l'étudier pour mémoriser chaque rue, chaque embranchement, comme un écolier qui apprenait ses leçons par cœur, dans le cas où le donneur d'ovule et la pompe à sperme comprendraient son plan. Il avait perdu l'espoir que quelqu'un intervienne. Sa sœur ne ferait rien. Le reste de sa famille non plus puisqu'ils n'étaient sans doute pas au courant. Quant à ses amis, ils étaient habitués à ses silences. Ce n'était pas que leurs liens étaient distendus, loin de là. C'était juste que la vie les tenait occupés mais ils savaient que, quand ils se reverraient, l'envie de boire une bière ensemble leur viendrait bien vite. Il était seul et ne pouvait compter que sur lui-même.


Il pleuvait encore et chaque goutte lui donnait la sensation de le narguer. Il avait toujours soif, sa gorge était sèche, sa bouche pâteuse, il avait mal à la tête et le peu d'urine qu'il produisait était un signe qu'il n'allait pas bien. Il devait fuir. Il ne pouvait plus attendre. Il patienta jusqu'au dimanche matin, entendant la voiture partir pour la messe dominicale. Là, malgré ses mains tremblantes à cause du froid car il avait gelé la nuit précédente, Roberto s'appliqua à défaire la grille du soupirail puis à casser la fenêtre avec une vieille brique qui traînait depuis des lustres près d'un vieux buffet. Il repoussa les éclats de verre et tenta tant bien que mal de se faufiler par le nouvel accès. Le granit lui griffait les bras. Il serra les dents, encaissa la baffe du vent hivernal ainsi que la nouvelle bruine annonciatrice d'un déluge et se poussa au maximum de ses capacités jusqu'à ce que le bout de ses chaussures quitte l'endroit maudit. Il l'avait fait. Il avait du mal à réaliser. Il l'avait pourtant fait. Il était sorti. Son cœur battait à se rompre alors que la joie l'envahissait. Son cerveau le rappela vite à l'ordre : c'était bien beau de réussir à partir mais on pouvait encore le rattraper.

Il devait désormais fuir.

Fuir loin, fuir vite, en laissant le moins de traces possibles.

La vive douleur qu'il ressentit au niveau de son flanc avorta toute envie de réjouissance. La priorité, c'était de s'éloigner de cette maison maudite et de trouver l'appartement de Ben Lyk. Il l'avouait, il avait de bonnes raisons de penser que le youtuber accepterait de le prendre comme colocataire. Il avait vu quelques-uns de ses vlogs et oui, il était spécial, cependant loin d'être mauvais. Ou de ce qu'il laissait paraître. Et à défaut de l'héberger, il pourrait peut-être lui accorder un coup de fil pour aller à l'hôpital puis porter plainte à la police pour séquestration et attaque homophobe. Il pensa aussi au fait qu'il devrait peut-être mendier. Cela lui apparut pourtant comme une vie plus belle que celle qu'il vivait actuellement. Il ajusta sa chemise et se mit à marcher, la carte soigneusement pliée dans sa poche. Et alors qu'il avait la sensation de geler de l'intérieur, il se surprit pourtant à sourire.


La tête de Ben quand il ouvrit sa porte et le découvrit fut un bon indicateur de l'état dans lequel il devait être. Roberto s'était vu dans les reflets des vitrines de magasins ou dans les fenêtres des voitures. Il était trempé jusqu'aux os, ses cheveux étaient gras, sa barbe ne ressemblait plus à grand chose, ses vêtements avaient connu des jours meilleurs. Les citoyens de Londres avaient dû le prendre pour un fou échappé de l'asile.

- Je... Je peux vous aider ? Demanda-t-il

Il observait discrètement ses plaies, inquiet. Le visiteur ne pouvait qu'imaginer toutes les questions qui lui passaient par la tête. Qui était-il ? Que voulait-il ? Pourquoi semblait-il malade ? C'était quoi ces coups ? Etait-il en danger ? Fuyait-il un compagnon ou une compagne violent ? Le jeune homme voulait lui dire bonjour, lui annoncer qu'il venait pour la place de colocataire, dire quelque chose pour le rassurer, briser la glace. La seule parole qui sortit de sa bouche avant qu'il ne perde connaissance fut une supplique :

- Sauvez-moi...


Il ne sentit rien au début. Puis il commença à entendre des sons. Un bip régulier. Des voix. Il était au chaud, il y avait des draps sur sa peau. Il avait l'impression d'être comme dans un cocon. Puis la douleur arriva. Il serra les dents, se retint de crier. Il ouvrit les yeux et eut la surprise de constater que Ben était à ses côtés. Il eut l'air soulagé de le voir reprendre connaissance.

- Vous m'avez fait une sacrée peur ! Lui annonça-t-il gentiment

Roberto voulut se redresser, l'influencer l'y aida. L'alité découvrit qu'il était dans une chambre d'hôpital. Le jeune homme avait dû appeler les urgences. Logique.

- Vous êtes à l'hôpital. Lui confirma son sauveur. Apparemment, vous avez une côte cassée. Vous étiez en état de déshydratation importante. Et vous auriez été battu.

Il acquiesça, sentant l'homme à ses côtés se figer en comprenant l'horreur de la situation.

- Comment vous vous appelez ?

- Roberto. Roberto Leone.

- Moi c'est Ben. Ben Lyk.

- Je sais... Je venais pour l'offre de colocation...

Il le vit cligner des yeux, son visage trahissant son incompréhension. En fait, on aurait dit qu'il buguait. S'il n'avait pas été aussi mal, il aurait presque trouvé ça mignon.

- Je me suis enfui de chez moi. Avoua-t-il. Mes parents ont appris que j'étais bi et ça ne leur a pas plu. Alors, ils m'ont enfermé dans la cave et ils ont tenté leur version de la thérapie de conversion. J'ai réussi à m'échapper et comme je savais que vous cherchiez quelqu'un, vous êtes devenu, en quelque sorte, mon objectif à atteindre.

Ben pâlit, incapable de prononcer le moindre mot. On aurait dit qu'il réalisait pour la première fois combien le monde pouvait être cruel, ignoble, sadique.

- Il faut aller voir la police. Parvint-il à dire après quelques instants de blanc. Ils doivent payer pour ça. Et vous devez récupérer vos affaires.

- Je n'ai pas de chez moi.

- Désormais si. Je n'ai pas encore trouvé de colocataire. Alors, en attendant, faute de mieux...

- Je n'ai pas encore de travail fixe.

- C'est un détail, ça. On verra ça plus tard.

- Je ne veux pas vous forcer la main. Mon but était de partir. C'est fait. Vous n'avez pas à vous sentir responsable de moi.

- C'est un petit peu trop tard pour ça. Sourit le vidéaste. Ca ne me dérange pas, ça vous dépanne et qui sait ? On pourrait devenir amis. Et puisqu'on va vivre ensemble, autant se tutoyer non ? Par contre, avant d'accepter, je dois te prévenir : je peux être lourd, je parle beaucoup, genre beaucoup de ma carrière, et je risque de te demander souvent ton avis.

Roberto eut un rire avant de grimacer de douleur.

- Je pense que je m'y ferai.


Deux ans plus tard

Roberto fut réveillé par le pépiement joyeux des moineaux dont le nid était dans les branches des arbres sous sa fenêtre. Le soleil perçait gentiment à travers les rideaux, donnant à la chambre à coucher des lueurs douces et tamisées. Mais surtout, dos à lui, dans ses bras, Ben dormait encore du sommeil du juste, leurs peaux nues se frôlant doucement. Leurs vêtements au sol, jetés de manière brouillonne, étaient la preuve de la nuit peu chaste qu'ils avaient passée. Le jeune homme avait eu raison : ils étaient vite devenus amis. Puis plus, beaucoup plus. Ils étaient l'évidence de l'autre, l'âme avec laquelle tout était simple, sans prise de tête. Vivre avec le youtuber était comme un rêve. Bien sûr, il y avait des hic mais en comparaison avec le traumatisme qu'il avait vécu, c'était le Paradis. Il était écouté, aimé, accepté en entier. Robbie, car Ben le surnommait Robbie, n'était pas sorti tout à fait indemne de son passage dans la cave. Sa santé physique s'était remise. Sa santé mentale un peu moins. Il avait du mal à rester dans un endroit clos et étroit. Si c'était devenu moins fréquent, il lui arrivait encore de cauchemarder, de revoir ce qu'il avait subi, un peu plus d'ailleurs au moment du procès de ses géniteurs et de sa sœur. Il se demandait encore comment il avait eu la force de leur faire face au tribunal. Ils avaient écopé d'une peine de prison que son compagnon jugeait ridicule. Ils lui devaient de l'argent aussi. Assez pour les mettre tous les deux à l'abri un moment. Hier soir, c'était le dernier jour du procès, le jour de la sentence, la fin d'un chapitre. La première chose qu'ils firent en rentrant chez eux, ce fut de s'aimer comme si le monde devait arrêter de tourner le lendemain matin. Quand il y repensait, les premiers mots qu'il avait adressés à celui qui allait devenir son mari s'étaient révélés prophétiques :

Sauvez-moi.

Ben l'avait sauvé. Il continuait de le faire. Sa confiance, son amitié, son amour, le sauvaient tous les jours un peu plus. Il lui avait ouvert la porte, les bras, le cœur puis l'âme. Il se lova un peu plus contre lui, posa son menton sur son épaule et referma les yeux pour grappiller quelques minutes de sommeil en plus. Mais avant, il remercia Dieu :

Il l'avait mis à l'épreuve, c'était certain. Néanmoins, en mettant Ben Lyk sur son chemin, c'était plus que l'espoir qu'il lui avait offert pour accéder à une vie meilleure et plus belle. Il lui avait fait rencontrer son âme sœur. Et pour cela, il ne pourrait jamais assez lui rendre grâce.

FIN