18 septembre 2018 [21:45]
Quartier de Setagaya
« Tu n'es rien pour moi. »
Bakugo Katsuki fit tout son possible pour chasser l'écho douloureux de cette phrase hors de sa tête. Il n'avait pas le temps de réfléchir, ni même de penser, pas alors qu'il courait à en perdre haleine dans les rues encore bondées de Tokyo.
« Tu n'es rien pour moi. »
En vain.
Sa poitrine se serra davantage. Un sacré handicap à sa course effrénée, alors qu'il manquait déjà cruellement d'oxygène. Cela n'avait rien d'étonnant, même lui, le futur numéro 1 des Super-Héros, connaissait des limites d'endurance. Pour autant, il choisit d'ignorer le tiraillement enflammé de ses muscles et la brûlure toujours plus ardente dans ses poumons.
Il ne pouvait pas se permettre de s'arrêter. Pas alors que quelques mètres plus loin, la personne qu'il aimait le plus au monde, menait un autre combat hautement plus difficile que son petit marathon improvisé.
- Tiens bon, je t'en prie, trouva-t-il le moyen de souffler dans le vide.
C'était un ultime appel à l'aide, adressé à des divinités et concepts célestes auxquels Bakugo ne croyait même pas. Pourtant, à cet instant, il aurait été prêt à tout pour que sa prière soit entendue. C'était sans aucun doute la requête la plus invraisemblable et égoïste de sa vie. Mais qu'aurait-il bien pu faire d'autre ?
Il avait encore cinq cent mètres à parcourir, les paumes des mains entaillées par tout un tas de petits morceaux de verre et la vision troublée par les larmes. Absurde, hein ? Bakugo Katsuki ne restait jamais avec une blessure qui pouvait troubler l'utilisation de son alter. Et il ne pleurait pas en public. Des règles établies que le lycéen avait bien vite envoyé balader en recevant l'appel qui l'avait conduit jusqu'ici : à l'hôpital de Matsuzawa.
Il pénétra dans le bâtiment en trombe, sans se soucier du regard inquisiteur du personnel face à ses cheveux en vrac et ses vêtements froissés, qui lui servaient de pyjama. Il repéra rapidement Tamaki Amajiki, membre des Big 3 plus connu sous le nom de code : Sun Eater.
Le terminal était assis sur l'une des chaises de l'accueil, le regard dans le vague et les doigts entrelacés sur ses genoux. Il ne pleurait pas, ce qui rassura Bakugo. Tamaki était connu pour sa timidité et son hypersensibilité. Sa peur de l'échec à elle seule pouvait suffire à lui monter les larmes aux yeux. Donc s'il ne pleurait pas, c'était que tout allait bien.
Pas vrai ?
- Bakugo ?
La voix de Monsieur Aizawa résonna sur sa droite. L'intéressé se tourna vivement, impatient d'entendre les bonnes nouvelles que son professeur avait à lui donner, après le coup de fil plus qu'inquiétant qu'il lui avait passé quinze minutes plus tôt.
- Il est déjà réveillé ? demanda-t-il.
Il avait posé la question avant même de voir l'état dans lequel se trouvait son enseignant.
Accompagné de Fat Gum, Aizawa affichait une mine à faire peur. Ses yeux, d'ordinaire, juste un peu rougis par la fatigue, étaient injectés de sang. On pouvait voir ses mains trembler, même alors qu'elles étaient fourrées dans les poches de son pantalon.
Le héros IMC, lui, avait le visage penché, comme si le sol contenait les plus grands secrets de l'univers. Pour sa part, c'était ses épaules qui tremblaient. Remarquez, il faisait un peu froid dans ce hall. Cela n'avait rien d'étonnant.
- Je dois attendre demain matin pour les visites, j'imagine ? reprit Bakugo. Il doit se reposer.
Son esprit avait beau être dans le déni le plus total, sa voix se brisa sur ce dernier mot. Comme si ses cordes vocales avaient compris la situation, bien avant son cerveau.
Aizawa réalisa toute la détresse qui faisait rage à l'intérieur de son élève. Détresse dont Bakugo n'avait même pas encore pleinement conscience. Alors il s'approcha de lui et déposa une main bienveillante sur son épaule.
- Je suis sincèrement désolée, Bakugo, déclara-t-il. Les médecins ont fait tout ce qu'ils ont pu.
Les mots arrivèrent jusqu'aux oreilles de l'apprenti-héros, sans avoir le moindre sens. Comment ça « désolé » ? Comment ça « tout ce qu'ils ont pu » ? Ça ne voulait rien dire. À part que ...
Bakugo se recula instinctivement, comme si le contact d'Aizawa sur son épaule l'avait électrifié. Ses yeux fuyants appelés au secours, ratissaient l'entièreté de la pièce à la recherche d'un visage souriant : un médecin, une infirmière, même le foutu concierge, n'importe qui qui viendrait lui dire que tout allait bien. Mais il ne vit que Tamaki, toujours immobile sur sa chaise, le regard éteint.
- Le poulpe ne pleure pas, répliqua simplement Bakugo. Il ne pleure pas, alors c'est que tout va bien.
Il se tourna vers son aîné, dans l'espoir qu'il le soutienne dans sa réflexion. À quoi d'autre aurait-il pu se raccrocher ?
Mais Tamaki ne put que relever légèrement la tête pour dévoiler ses yeux tirés par des cernes aussi sombres que ses cheveux, et ses joues, parcourues de sillons encore humides. Il ne pleurait pas, parce qu'il n'avait plus aucune larme à verser. Parce que tout lui avait échappé entre le moment où Bakugo avait reçu cet appel, et celui où il était arrivé à l'hôpital.
L'affreuse vérité heurta le blond en plein cœur, comme le plus douloureux des coups de poignards.
Eijiro Kirishima.
Son meilleur ami, et seul amour qu'il ait jamais connu, était mort en mission à l'âge de seize ans.
« Tu n'es rien pour moi. »
Et ces mots qui ne cessaient de tourner en boucle dans sa tête, comme un vieux disque rayé, étaient les derniers que Bakugo lui avaient adressés.
À suivre.
