Un épais brouillard recouvrait les rues de la capitale. Ses volutes tourbillonnaient au gré des pas d'une silhouette élancée.
Megara était en retard.
Ses bottes claquaient frénétiquement la chaussée alors qu'elle accélérait le pas pour rejoindre le Styx.
En pivotant à l'angle d'une énième ruelle -ce fut un chemin qu'elle connaissait par coeur même dans le noir complet- elle grogna.
Hadès allait encore lui chercher des poux.
Saloperie de métro fermé.
Elle poussa la porte de service d'un bâtiment plongé dans l'obscurité moite de la nuit et plissa les yeux face à la lumière éblouissante qui en jaillit.
Les loges grouillaient de monde, les danseuses s'affairaient devant des miroirs ornés d'ampoules à la lumière froide, les costumiers s'arrachaient les cheveux pour faire les ajustements de dernière minute tandis que les maquilleurs essayaient tant bien que mal d'être précis malgré le vacarme ambiant.
Elle referma la porte avec un soupire et s'élança à travers la fourmilière humaine. Le bruit lointain des basses et de la batterie l'apaisaient un peu.
Non sans jouer des coudes pour se faufiler jusqu'à son fauteuil, elle s'assit dans une chaise noire dont les lettres dorées de son nom étaient inscrites sur le dossier.
Une main crochue se posa sur son épaule, et elle retint une grimace d'agacement.
-"Meg, ma Mégadorable, ma Mégabelle, n'es-tu pas légèrement en retard ?" Souffla une voix crissante à son oreille.
Hadès était le manager de l'équipe et Megara le méprisait de tout son être. Suave et imbus de lui-même, l'homme aux cheveux bleus l'avait recrutée sur le tard, l'empêchant de finir à la rue lorsque le bar auquel elle exerçait fit faillite il y a quelques mois.
Megara ne fut pas en position de refuser son offre, et dû accepter de travailler pour lui. Elle était alors passée de cheffe de troupe à simple danseuse. En dépit de sa place au fond de la scène, Hadès semblait lui accorder une attention toute particulière qui la révulsait.
-"J'ai eu quelques problèmes de transport. Rien de quoi tu n'as besoin de te préoccuper."
Il émit un ricanement glacial en plongeant son regard dans le sien grâce au miroir en face d'eux.
-"Megara, prends garde à ta folie des grandeurs parce que je commande ici." Trancha-t-il avant de se retirer pour aller terroriser quelqu'un d'autre.
La jeune femme soupira, plus agacée qu'apeurée par sa passive-agressivité.
L'horloge accrochée au mur indiquait vingt heures moins dix. Il lui restait donc quinze minutes pour se préparer avant le début du show.
Elle sauta dans sa tenue -une longue robe pourpre fendue jusqu'à la hanche- et laça à ses pieds des talons hauts. Un long frisson remonta le long de son échine à cause du dos nu de son vêtement. Elle attacha ses cheveux en un demi chignon et en dégagea deux mèches pour venir encadrer son visage.
-"En scène dans deux minutes les filles !" Beugla Hadès depuis les coulisses.
Megara dessina un trait discret d'eye-liner -juste assez pour lui donner un air félin- et appliqua du rouge à lèvres mat.
Elle était prête et, en jetant un œil dans le miroir, eut un rictus satisfait malgré elle.
La brune entendit le roucoulement d'une de ses collègues, qui la regardait par-dessus son épaule.
-"Ouhhh… Mais quelle femme fatale !"
C'était Perséphone, la chanteuse principale.
Megara soupçonnait qu'elle entretenait une liaison avec Hadès, ou du moins qu'elle aurait aimé, vu comment elle le dévorait des yeux lorsqu'il se trouvait dans son champ de vision.
Elle esquissa un sourire cordial avant de s'éclipser vers la scène, mal à l'aise avec cette proximité soudaine.
La belle brune se positionna au fond, à sa place, et se prépara mentalement à affronter la lumière des projecteurs.
Elle aimait vraiment la scène. Mais le cabaret chic d'Hadès -le Styx- était si différent du petit bar auquel elle travaillait. La familiarité et la bienveillance de l'Olympe, une taverne cachée dans les bas-fonds de la ville, lui manquait. C'était un endroit chaleureux où elle se plaisait à jouer, à chanter et même à servir parfois. Son petit coin de paradis loin du chaos ambiant extérieur. Elle buvait un peu avec les habitués après quelques chansons et rentrait chez elle à reculons quand venait le matin.
L'ouverture des rideaux la tirèrent de sa nostalgie, révélant le public applaudissant déjà les artistes.
Au fond de la salle, elle distingua le regard dur d'Hadès, les surveillant. Les danseuses, posées sensuellement sur la scène comme des poupées de nacre, fixaient Perséphone, qui fit signe aux violonistes de commencer. Elles entamèrent quelques mouvements gracieux en suivant les valses de la musique et le spectacle commença.
Megara ne remarqua pas que, dans l'assistance, un homme roux à la carrure impressionnante la remarqua presque instantanément.
Il s'appelait Hercules et était l'héritier d'une fortune colossale, amassée par ses parents, qui détenaient le monopole de la distribution d'énergie électrique du continent.
Le bougre s'était retrouvé un peu par hasard à cette soirée. En effet son coach sportif et grand ami de la famille y avait au départ prévu une réservation à son nom avec son coup de foudre du moment. Néanmoins cette dernière avait aimablement décliné l'offre en partant en courant ; Philoctètes étant un peu trop avenant selon elle, alors que ça faisait -déjà !- deux heures qu'ils s'étaient rencontrés. Ce dernier avait donc invité Hercules à sa place pour éviter de se retrouver seul.
Mais Phil, dans sa légendaire admiration du genre féminin, l'avait laissé tomber pour courir à un autre rendez-vous galant.
Le rouquin se retrouvait donc seul à une table ornée de bougies et d'un bouquet de roses.
La fin de l'introduction sonna au grand soulagement de Meg.
Mais elle n'était pas tirée d'affaire, en tout, il y allait avoir trois scéniques.
Une avant l'entrée pour mettre le public dans l'ambiance.
Une autre après ledit service pour faire patienter l'assistante avant le plat principal.
Puis une dernière avant le dessert.
Les danseuses descendirent de scène pour laisser le public déguster leurs petits fours.
Le regard curieux de Meg balaya la salle rapidement et tomba sur le bel homme. Sans le contexte, la scène qui se déroulait sous ses yeux était hilarante. Un Supermâle s'étant fait poser un lapin par sa dulcinée. Elle pouffa avant de retourner en coulisses.
Pauvre chou.
Prochaine entrée sur scène dans vingt-cinq minutes.
