Hey !

Alors alors. Ça fait un moment que j'avais envie de me lancer dans un défi du genre, alors je saute le pas. Voilà. Préparez-vous à avoir de la lecture pour un moment.

Pour celleux qui ne connaissent pas, le principe des 100 thèmes est assez simple. On a une liste de 100 thèmes, et on fait 100 OS avec. Voilà. Normalement il y a une liste "officielle" qui circule, mais j'avoue qu'elle me tente moyen, alors j'ai fais ma propre liste en piochant des mots au hasard dans des bouquins et voilà le résultat ! Aussi, comme le titre du recueil l'indique, tous les OS tourneront autour de Dem, parce que voulait un lien moins vague que juste KH, et que Dem est le meilleur personnage de tous les jeux du monde. Voilà x2.

Pour ce qui est de la régularité, j'aimerais poster au moins deux fois par mois, mais ça va vraiiiment dépendre de mon rythme d'écriture parce qu'entre le boulot et d'autres gros projets, j'ai de quoi faire. Disons qu'il y aura grand minimum un OS par mois ? Et puis, j'ai un peu de réserve pour l'instant !

Mais bref, trève de blabla ! Je vous laisse avec le premier texte de ce recueil qui a été écrit sur le thème Rester. C'est un de mes préférés à l'heure actuelle, et je l'ai écrit en écoutant One de U2. (je voulais la citer dans l'OS mais ça collait pas au niveau des dates, bouh)

Merci à Yu pour sa relecture !

Bonne lecture !


Résumé : 1990, Vanitas rencontre Demyx. Il sait dès leurs débuts quelle sera la fin de l'histoire. Et pourtant, il choisit de rester.
Rating : T
Genre : Romance/Drama
Univers : UA Moderne

Personnages : Demyx, Vanitas (un peu Axel)
Pairing : Demyx/Vanitas


Jusqu'au bout

.

Tu savais. Tu savais, mais t'es resté. Alors t'es le seul responsable dans cette histoire.

Le seul à qui tu peux en vouloir.

C'est ta faute si t'es là, derrière ton pare-brise coloré par l'ombre noire de ta tignasse. Le cœur étouffé par les souvenirs, tiré par ce poids amer qui appelle à la colère. La colère. La rage, la rancœur. Le mépris. T'as tout ça à l'intérieur de toi. C'est tout ce qu'il te reste, t'as l'impression. Tout ce que t'es capable de ressentir. Ta dernière prise pour pas plonger droit dans le vide terrifiant qui t'attend.

Ta bagnole pue la clope.

Le vide et la colère, ce sont tes miettes à toi.

Et pourtant.

Au début, c'était la lumière. La lumières dans les rues sales alors que tu traînais des pieds jusqu'à ce vieux bar gay coincé entre deux immeubles. Tes pieds écrasaient la neige noircie. Ça crissait, tu détestais ce bruit. Tu le détestes encore. T'as poussé la porte, comme tous les soirs. Enfin, tous les soirs où tu venais, parce que tu venais pas tous les soirs. T'as pas la tune pour ça. Et malgré ton joli cul, tous les mecs du coin se précipitaient pas pour te payer un verre. Dommage.

C'était un soir comme ça, l'hiver dansait au son du vent. Dedans, la chaleur t'a frappé. Comme un nuage tiède collé à la peau. Ou alors c'est le froid du dehors qui t'avait congelé la chair et elle fondait soudain. T'as posé le cul sur une chaise, devant le bar. A moitié tourné. Tu zieutais les gars qui passaient en sirotant ta bière. Y en a qui te souriaient, tu crois. C'est flou, ça remonte. Peut-être que non, qu'on te snobait et que tu penses ça juste pour regonfler ton égo. Toi en tout cas, tu souriais pas. T'abordais pas. T'attendais juste, la place près de toi aussi libre et dispo que tu l'étais.

T'aurais voulu un cocktail classe, mais tu savais même pas à quoi correspondaient les noms inscrits sur le mur. Bière, au moins, c'était familier.

Lui, c'était un parfait inconnu.

Peut-être qu'il était jamais venu. Peut-être qu'il était là les soirs où tu t'effondrais sur ton canapé après une journée de taf. Peut-être.

Tu sors ton paquet de clopes et tu te dis que c'est con, quand même. T'as eu trois ans pour lui poser la question, et tu l'as jamais fait.

Il était là. La lumière sur sa peau humide. Gras ou sueur, tu sais plus. Juste il s'est approché, un sourire d'illuminé sur le visage, la bouche qui sentait le rire et l'herbe. Ou c'était ses cheveux qui sentaient le shampoing, peut-être. Ses cheveux rasés sur le côté, ébouriffés. Une fête.

– Demyx, il a dit.

– Van.

T'as pensé qu'il était sûrement fan de Bowie. Et la réponse à cette non question, tu l'as eu en entrant dans son appart. Des posters comme chez les ados boutonneux. Sauf qu'il avait de l'acné que les restes de cicatrices sur les joues. L'état d'esprit, par contre, ça collait. T'aurais pu lui donner quinze piges juste à le voir gigoter dans sa chambre une fois le vinyle délicatement placé sur son tourne disque.

Il était toujours en train de chanter. Toujours. Un refrain qui lui restait coincé dans la gorge, une mélodie qu'il se sentait obligé de partager.

T'y penses et tu fredonnes.

A poil, il avait l'air tout maigre. Pas maigre flippant, ni maigre anorexique, non. Pas comme Axel qui révise ses cours de médecine en se regardant dans un miroir pour situer ses os. Maigre comme quelqu'un qui a grandi trop vite, et dont le corps a pas suivi. Un tempo trop rapide. C'est marrant, parce qu'avec ses vêtements larges, t'aurais juré qu'il était gros. Jusqu'à ce qu'il fasse sauter son sweat. En dessous, rien. Juste sa peau étirée. Et les milliers de grains de beauté qui couraient dessus.

Il bouffait pour quatre, pourtant. Enfin, il bougeait pour quatre, aussi. Tu t'es dit que ça devait équilibrer. Tu savais pas, au début.

Le lendemain - parce qu'il y a eu lendemain, t'as dormi comme une pierre et oublié d'un même coup de te barrer en douce et d'aller au taf - tu l'as trouvé en pyjama devant les dessins animés, un bol de céréales à la main. Samedi matin. Pas cours il a dit, quand tu lui as demandé. Etudiant. Vingt ans. Un peu jeune pour toi. Tu les chopes toujours plus âgés. Mais allez, une exception de temps en temps.

Il était gentil, vraiment. Tu l'as compris quand t'as vu qu'il avait gardé le son de la télé tout bas, le temps que tu te réveilles.

– Y a des Chocapics dans le placard, si tu veux.

Mais des Chocapics à onze heures, tu voulais pas trop, non. T'aurais bien mangé du salé. Il t'a sorti le saucisson, il s'en est coupé un bout et il l'a fourré dans sa bouche entre deux céréales chocolatées. T'as eu un haut-le-cœur. Il a rien vu, heureusement. Mais quand même.

Il a pris ses médocs dans la foulée, un truc contre ses allergies, puis il a récupéré la bouteille de lait.

– Et... Van, c'est ça ?

– Mm ?

– T'as un numéro ou autre ? Genre une adresse mail ?

T'as haussé un sourcil. Toi, t'avais déjà oublié son nom, et lui il demandait ton numéro. Il avait pas l'air fou amoureux, pourtant, avec son pyjama Tintin et sa petite cuillère encore à la main. Peut-être qu'il voulait juste un plan cul régulier, ou un pote. L'un comme l'autre, ça te branchait. Tu connaissais pas masse de monde dans le coin, Axel et deux trois collègues exceptés. T'as dit oui.

Et aujourd'hui, t'ouvres la porte de ta bagnole enfumée, et tu fais un effort monstre pour pas chialer.

Pas devant les autres, tu t'es juré. Pas devant eux.

Un rendez-vous, autre. Un paquet de capote de déquillé. Au début, c'était juste cul et petit dej devant le Club Dorothé. Parfois Dem se levait tôt pour aller en cours. Il te laissait le double des clefs. Il avait la confiance, le gars. Parce que clairement, t'as pas la gueule du mec sympa qui va les ramener. Sûrement qu'il a vu plus loin que ta caboche de chien. Il était doué pour ça, Demyx. Voir loin. Là où les gens aiment pas qu'on regarde. Sous ses airs d'ado petit con, il cogitait à cent à l'heure.

Il t'a expliqué, une fois que le monde c'était comme un immense bureau. Il avait juste à classer les gens selon les traits qui prédominaient. Sale gueule mais bon coup, qu'il a dû écrire sur ton dossier imaginaire.

– C'est facile. Suffit d'voir comment les gens réagissent quand tu grattes un peu. S'ils s'cachent ou pas. Ce qu'ils te disent et comment y l'disent.

Il les cernait en deux mots, les gens. Façon de parler, mais quand même. C'était impressionnant. Et flippant, aussi.

– Toi par exemple, tu la joues loup parce que les gens te font peur, pas parce que t'es méchant.

Il avait dit ça, une fois, entre deux tartines. Tu t'es senti mal. T'es parti. En laissant le double. Ça t'avait pas empêché de revenir la semaine suivante, mais quand même. Ton ventre retourné, tu repassais cette conversation en boucle. Tu te demandais ce qui t'avais trahi.

– Bah tout. Ça se voit. La manière dont tu regardes les gens. Tu gonfles l'égo, mais t'es jamais hautain quand on parle. T'as pas vraiment d'orgueil. Puis tu serres les dents dès que quelqu'un dit un truc qui t'va pas. T'as peur qu'on t'cerne. Tu sors ton arrogance que quand t'as besoin de t'défendre.

T'aimais pas ça. Mais t'aimais assez Dem pour revenir quand même.

T'as rencontré ses amis, lui le tien. Marluxia, Zexion, Lexaeus. Des noms que t'as retenu. Des têtes que tu croisais parfois. 1990 a passée. La nouvelle année. Au premier Janvier, il t'a regardé, l'air pas trop bien. Avec ce sourire qui ment. Tu le sais quand il ment son sourire, parce que ses yeux suivent pas. Suivaient pas. Ils avaient l'air d'une marre triste. Un étang plein d'algues et de grenouilles qui chantent.

Une sale gueule qu'il tirait, un peu comme celles qu'il avait, quand ses migraines l'emmerdaient. Ou qu'il avait encore ces mots de ventre, parce qu'il avait bouffé un truc qui lui détraquait l'estomac.

– Dis, c'est sérieux comment entre nous pour toi ?

T'as pas compris, sur le moment. Tu t'es dis, ça fait un moment, autant officialiser. Il a souri un peu quand t'as répondu, puis il s'est laissé tomber sur le lit.

– J'ai pas vraiment d'allergies, en fait.

T'as plissé les yeux.

Séropo. C'est tombé comme une enclume.

Séropo. T'as repensé aux images dans les magazines. Aux photos pas très propres. Aux morts qui tombaient comme des dominos. Aux cachets, aux médecins. A ces potes qu'Axel accompagnait aux enterrements. Aux quelques types que tu croisais souvent au bar. Qui, un jour, venaient plus.

Séropo. T'as mis un visage sur la maladie.

T'as accusé le coup. Et t'as dit ok. Ok quand même. A tes risques et périls.

T'es resté.

Il y a eu la lumière. Les moments pétillants, la joie. L'énergie, toujours, parce que Demyx débordait. Les soirées avec ses potes, l'alcool, les baisers longs sur le balcon. Il riait contre ta bouche. Puis il est parti vomir. Ça t'a serré le cœur parce que tu savais pas si c'était la faute à l'alcool, à la maladie, ou aux médocs. AZT, qu'il t'avait expliqué. AZT, il disait avec les potes qui trimbalaient la même boite que lui. C'était pas marqué comme ça, dessus. Mais c'est le mot qui restait. Ça sonnait comme une explosion nucléaire. Un truc qui rongeait le corps.

Il est revenu tout pâle, avec son sourire forcé. T'as eu peur. Tu t'es dit qu'un jour il s'endormirait l'air tout aussi mal, et il se réveillerait pas.

Pour te rassurer, tu pensais que toi aussi, un jour, tu te réveillerais pas. Comme tout le monde. Elle était faite comme ça, la vie. Avec une fin. Puis si ça se trouve, t'allais crever avant Demyx. Un truc con, un accident de voiture. Une chute dans les escaliers. Un prêt pas remboursé auprès du mauvais type. Une autre maladie. Et puis elle progressait, la médecine. Ils trouveraient peut-être un truc pour soigner cette saloperie avant que Dem tire sa révérence. Un vaccin ou un traitement solide, qui lui donnerait dix, quinze, vingt, cinquante ans de plus à vivre. Peut-être même que vous alliez vous séparer avant ça, et que tu saurais jamais comment il avait fini.

Tu poses ta tête sur le volant, et tu penses à toutes ces nuits que t'as perdues, à tourner et retourner la question dans ta tête. Des heures. Des jours.

– C'est pas que t'as peur des gens, en fait.

Il a dit ça, un jour. Son bras glissé autour de ta taille. Son nez dans ton cou comme un petit animal. Une belette. Ça lui allait bien, la belette.

– T'as peur tout court.

Sa main a glissé sur ton torse.

– Et ta peur, elle saute sur tout ce qui t'entoure. Elle a besoin d'une prise pour se montrer.

C'était vrai. Ça l'est encore. Tu sais pas d'où ça vient, mais depuis tout petit, il y a ça en toi, la peur. Un truc qui tournait dans ta tête. Alors tu taffais quarante heures par semaine pour l'oublier le jour. Tu t'envoyais en l'air quand tu pouvais, pour déconnecter ton cerveau. Parfois, ça marchait. Parfois, tant que ton partenaire y croyait, c'était déjà une victoire.

En passant au lycée, t'as flippé.

En découvrant la fac, t'as flippé.

En commençant à taffer un an après, t'as flippé. Tellement flippé d'être nul que t'as joué le coq devant l'employeur pour cacher ce grand vide en toi. Il t'a rappelé le lendemain pour dire qu'il te prenait.

Quand la maladie a commencé à faire du bruit, t'as flippé. Des tests. Rien. Et t'avais peur quand même. Que le doc se soit planté. Peur d'avoir une forme nouvelle et inconnue du virus qu'on aurait pas détectée. Peur de crever. Peur de vivre avec la peur.

Demyx est arrivé, et t'as eu peur. Parce qu'il te connaissait trop bien.

Puis t'as eu peur pour lui, à cause de la maladie.

Mais t'as jamais eu peur qu'il te la refile. Étonnamment.

– Dors, t'as dis.

Ça sonnait comme un Ta gueule, alors il a fermé les yeux. Et toi, t'as dû fixer le plafond pendant une heure avant de l'imiter.

Il avait tellement d'énergie Dem. Parfois tu te disais qu'il était pas malade, que c'était pas possible de péter la forme comme lui avec ce virus dans le corps. Une erreur de diagnostic, voilà comment t'expliquais le truc. Il respirait tout : la joie de vivre, la force, le rire, l'avenir. Tout ce qui pouvait donner envie de se lever le matin.

Bien sûr, c'était pas une erreur. Pas possible, après un suivi aussi long. Il passait la matinée aux toilettes à cause d'une chiasse monstre, et ça te ramenait à la réalité.

T'y penses, et tu te sens minable. Parce qu'il te filait une énergie que t'arrivais pas à lui donner. Tout ce que tu savais faire, c'était choper ta carte bleue pour aller acheter un nouveau pack de papier cul.

Au moins, maintenant, tu feras les courses moins souvent.

Avec la lumière, il y a eu les rires. Ta main qu'il prenait en te traînant dans la rue, alors qu'il t'attendait à la sortie du boulot. Tes doigts qu'il serrait dans le parc, et tant pis pour les gens qui vous zieutaient. Il y avait la colère, aussi. La colère chez Demyx, inconcevable. Et pourtant. Ça t'as tellement surpris, t'es pas prêt de l'oublier. Il voyait un tag Crevez les PD, et il insultait le mur. Une affiche du mauvais parti politique, et il l'attrapait à pleine main pour l'arracher, quitte à se râper les doigts. Des nouvelles aux infos, un doigt d'honneur au présentateur. Un appel d'un proche pour annoncer la mort de machin, et il éructait contre les labos qui les laissaient crever. Les recherches qui avançaient pas. Le nouveau traitement qui lui retournait le ventre et le collait sur la cuvette des toilettes.

– Tu parles, ils font juste du blé sur notre dos pendant qu'on crève !

Il gueulait derrière la porte. Ça couvrait le bruit.

Il y avait le calme, aussi. Ce moment où sa longue paluche passait dans tes cheveux pour inventer des dessins éphémères sur ta nuque. Ces soirées à la lumière de l'écran télé, la cafetière encore posée sur la table alors qu'il oubliait le scénario du film pour se concentrer sur tes lèvres. Ces promenades dehors, en plein hiver. Vous parliez du chien que vous auriez peut-être un jour, et que vous sortiriez à tour de rôle. Ces longues matinées occupées à s'exercer sur sa guitare, sa voix tremblante perdue dans l'appartement.

– Faudra racheter des lingettes.

- Y reste du papier.

- Oui mais ça irrite moins, les lingettes.

Tu t'es senti con de lui refuser ça. T'as marqué lingettes sur la liste de courses, et t'es allé les faire le lendemain.

Le calme, il accompagnait aussi les mauvaises nouvelles. Ces moments où Demyx reposait délicatement le téléphone sur son socle. Tu voyais son dos trembler. Ses épaules secouées. T'osais pas poser la question, mais tu savais. Pour Zexion, tu l'as aidé à trouver une tenue sobre en chipant une chemise à Axel. Noire, adaptée à son corps longiligne. T'as passé ta main dans ses cheveux toujours plus fins. Tu fumais devant l'entrée du cimetière. Lexaeus t'en a pas tenu rigueur. Il t'a même demandé une clope. Il pouvait bien se mettre à fumer.

L'enterrement suivant, c'était le sien.

Petit à petit, vos soirées se sont amaigries. Moins de monde. Dem économisait l'énergie qui commençait à lui manquer.

Il y a eu des jours semblables. De la musique jusqu'à deux heures du matin dans la chambre où tu passais presque toute ta vie, maintenant. Who want to live for ever qu'il lançait avant de te faire t'allonger, et de te dire de fermer les yeux pour profiter. Juste le son qui s'échappait du lecteur CD, léger comme du parfum. Une fois sur deux, tu t'endormais. Une fois sur deux, vous vous tripotiez mollement sur la couette, à moitié déshabillés.

Il se levait le lendemain pour réviser. Avec des pauses toutes les vingt minutes pour choper un bol de céréales. Les examens. La licence validée. La recherche d'un taf. En vain. Il a tenu un mois derrière une caisse de supermarché.

Et puis, il a eu une grippe. Une grosse grippe.

Cloué au lit. Celui de la chambre.

Puis celui de l'hôpital.

Le retour de la peur. Tous les jours après le taf, t'y allais. Les médecins t'expliquaient des trucs que tu comprenais pas. Des histoires de T4 en chute, de charge virale. Tu hochais la tête jusqu'à ce qu'ils se taisent, puis t'allais prendre la main de Dem. Tu glissais ses doigts entre les tiens. T'aurais voulu le traîner au parc, l'emmener voir l'herbe verte et les oiseaux qui picorent le pain. Voir son regard de gosse en extase devant les boules de plumes.

Une semaine.

Deux semaines.

Il est enfin sorti. Vivant. Il tenait sur ses jambes. Il s'est doucement remis, à l'appart, et il a plus jamais été question de trouver un boulot. T'as laissé ta piaule pour habiter la sienne. Ses parents lui envoyaient du fric, mais tu voulais tout le confort du monde pour lui. Tout ce qu'il était possible de lui donner. Même si tu râlais quand il demandait quelque chose.

Ses parents, justement. Tu revois leur visage fermé devant la tombe. Leurs traits sont flous dans ta tête. Tu les as observés de loin. Dents serrés, debout près d'un Marluxia assombri.

Il en disait jamais du mal, de ses parents. Des gens un peu coincés, mais pas méchants. Il les aimait bien. Mais il les aimait de loin.

– Et toi ?

– Ma mère est cool.

C'est vrai. Et elle aimait beaucoup Dem, pour les deux fois où elle l'a vu.

– Et ton père, il est comment ?

– Mort.

Accident du travail. Ça arrivait. Il fallait bien mourir d'une manière ou d'une autre.

T'as regardé Dem, et t'as regretté cette pensée.

Les rires sont revenus. Mais t'arrivais plus à y croire comme avant, quand il t'embrassait et que t'avais juste envie de te perdre dans sa bouche.

T'as jamais flippé qu'il te le refile, non. Mais t'avais peur de ce que toi, tu voulais lui refiler. Une connerie qui passait, une vilaine gastro qui aurait achevé son système immunitaire déglingué.

Il y avait les cachets. Tu connaissais ses dosages par cœur. C'est même toi qui préparait les prises quand il était trop crevé, achevé par une longue journée de guitare. Parfois il jouait dehors, et il ramenait des pièces. T'avais peur qu'il s'use, qu'il perde le peu d'énergie qu'il lui restait pour du fric que tu pouvais gagner pour deux. Mais non. Dem, il avait juste besoin de faire quelque chose.

Besoin d'agir. Parce qu'il était constamment en mouvement. Une étoile inébranlable.

Pas si inébranlable.

– J't'aime, il disait à la va-vite, quand il quittait l'appart pour la journée.

Parce qu'il avait peur lui aussi, parfois. Peur de crever, et d'avoir oublié de te le rappeler avant. C'est la seule crainte que t'as captée, chez lui.

Si Demyx voyait les gens comme des livres bien rangés qu'il pouvait feuilleter à sa guise, pour toi, il était comme un coffre cadenassé. Tu savais ce qu'il acceptait de te dire. Ce qu'il voulait bien laisser voir, et ce qu'il arrivait pas à cacher.

Et maintenant, maintenant il y a toutes ces questions que t'as pas posées, tout ces non-dits, et Dem restera un mystère pour toujours. Une jolie boîte fermée.

Il y a eu de longues nuits que vous passiez collés l'un à l'autre. Et d'autres où tu terminais sur le canapé, par peur de le réveiller. Ou parce qu'il te réveillait. Ou parce que vous vous étiez engueulés.

Ça arrivait, parfois. Il fallait bien passer vos nerfs.

– Mais vas pas voir tes parents si t'as pas envie ! C'est des sales cons, c'est tout !

– C'est eux qui paient le loyer de l'appart, j'te rappelle.

– On peut le payer nous-même, le loyer !

– 'tain mais c'est bon ! C'est mon problème au pire !

– Ton problème ? Ils t'ont foutu à la porte parce que tu te tapes des queues, c'est pas juste un problème !

– Ils m'ont pas foutu à la porte !

– C'est tout comme ! Ils font la gueule chaque fois qu'tu parles de moi quand ils t'appellent et ils font croire à tes grands parents que tu vis avec une meuf qui existe même pas ! Ils sont même pas venus te voir à l'hosto, c'est moi qu'ai payé ta chambre !

– Mais ta gueule là, merde ! Tu crois que j'le sais pas mieux qu'toi ? C'est moi qu'en prend plein la gueule avec eux, pas toi !

– C'est toi qui continue d'les voir !

– C'est ma famille ! Oui j'ai envie d'la voir, tu peux comprendre ça ?

Dem, énervé, c'était comme de voir un chien enragé. Les dents serrées, la colère qui éblouit pire que le soleil en été. Sa voix qui s'éraille, à croire que ses cordes vocales sont pétées. Les mots qui sortent plus vite qu'on pourrait les penser. Pour peu, il aurait pu t'en coller une. Une baffe. Ça lui démangeait les doigts, tu le voyais. Le pire, c'est que tu l'aurais mérité.

– Bah vas-y, vas perdre le temps qu'il te reste avec les sales cons qui veulent pas voir la gueule de ton mec !

Ça criait tellement fort, et tu terminais dans la cuisine. Tu sais pas comment vous faisiez, pour vous mettre sur la gueule comme ça. Pour trouver toutes ces choses qui sortaient, toute cette bile. Cette hargne qui jaillissait de vos tripes.

Un immense silence suivait. Tu te préparais un café en grognant dans ton coin, à retourner les braises de ta colère. Tu soufflais dessus comme on appuie sur un bleu, jamais trop fort, juste ce qu'il faut pour maintenir la douleur.

Et puis, quand tu l'entendais chialer, tu le rejoignais dans la chambre. Tu passais un bras autour de lui.

Vous vous excusiez pas toujours. Mais, au moins, c'était terminé.

Il y a eu la maladie. Pour de vrai, cette fois. Pas seulement les cachets. La fatigue, souvent. Les draps à changer. Les malaises. Ces tâches sur sa peau, Sarcome de tu sais plus quoi. Pas un truc aussi dégueu que ce qu'on voyait parfois dans les gros titres. Mais ça te serrait le cœur, parce que tu comprenais.

Les traitements progressaient pas. Pas assez. L'espoir vous filait entre les doigts.

Il a choppé une autre grippe. Enfin, pas vraiment une grippe. Mais t'y connais rien en maladie. C'est comme ça que tu dis, quand quelqu'un a la fièvre qui monte et que la saleté ressemble pas à une gastro.

Puis c'est ce qu'ils ont dit, aussi, à l'enterrement.

Une grippe. Ses jambes qui tremblaient. Les médocs. Les médecins. Encore l'hôpital. Axel qui restait avec toi parfois, le soir. Qui bossait ses examens tout en surveillant ton assiette, que tu te laisses pas crever de faim.

Un jour, Dem riait dans la chambre. Il te parlait de ce fameux chien que vous n'aviez toujours pas. Il voulait l'appeler Bowie, évidemment. Tu lui as dit que c'était pas un nom, pour un chien. Il a fait remarquer que Vanitas, pour un humain, ça sonnait petit con prétentieux.

– Justement.

Tu t'es souvenu, la première fois que tu l'as vu nu. Tu l'avais trouvé maigre. Quelle connerie. C'était pas maigre, ces os taquins qui titillaient ses hanches, alors que son ventre rebondissait.

Maigre, c'est ce que t'avais sous les yeux, là.

– Ils te filent à bouffer ici ?

– Ouais. Des petits pois, même.

Il adorait les petits pois. Mais tu lui faisais quand même rentrer du jambon en douce, qu'il s'enquillait dès que le doc quittait la chambre. Quitte à se vider les tripes, autant qu'il bouffe un truc qu'il aimait.

– Mais vraiment. Bowie. Et on prendra un Beagle. Nami en avait un avant. Elle m'a montré les photos. C'est trop mignon.

T'as quitté l'hôpital en pensant que des cuisses de poulets ce serait bien aussi, pour changer. Un truc gras qui lui collerait aux doigts. Tu le voyais déjà en train de les lécher consciencieusement.

L'hôpital a appelé dans la nuit.

Demyx l'aura jamais, son Beagle.

Tes mains tremblent autour de ta clope.

T'aurais voulu que l'histoire s'arrête là. Mais non, il y avait la suite. L'enterrement. Il y a eu Axel pour te pousser, Nami pour t'aider à gérer. Sa petite amie que t'appelles la noiraude, qui la suit toujours en silence, toute discrète. D'autres potes de Dem. Pour ce qu'il en restait. Toi, tu pensais aux absents. A ceux qui n'auraient pas à choisir leurs tenues.

Et enfin, le jour de l'enterrement.

Là aussi, t'es resté jusqu'au bout. Et Dieu sait que c'était pas facile.

Bien sûr, t'étais pas invité. Ça t'a pas empêché de venir. Personne t'a bloqué l'entrée, c'est déjà ça.

Au premier rang, la famille. Des gens qui connaissent Dem depuis si longtemps. Qui l'ont vu grandir. Qui ont entendu ses premières notes, quand il a eu sa guitare à Noël, avec sa promesse de cours. Qui ont caressé sa tête alors qu'il était haut comme trois pommes. Qui lui ont acheté des vêtements, des Mcdo les mercredis en sortant de cours. Des manteaux pour les hivers rigoureux. Des gosses qui ont joué au foot avec lui dans le jardin des grands-parents, à courir après un ballon pour mieux s'écorcher les genoux.

Des gens qu'il a aimés et que t'as jamais vus, pendant trois ans de relation.

Des gens qui l'ont aimé, et qui ne savent pas à quoi le gars qu'il aimait ressemble. Qui ne savent même pas, pour certains, qu'il aimait un gars.

T'étais un inconnu au milieu d'autres inconnus. Le cercueil de Dem, tu peinais à l'apercevoir, derrière la tête de son père. Très grand, lui aussi.

Il y a eu les discours, et ils ont dit grippe. Ils ont dit grippe, et t'as vu rouge. Rouge comme la tignasse d'Axel, rouge comme les petits points sur la main de Naminé là où elle enfonçait ses ongles.

Rouge comme tes yeux, maintenant.

Ils ont dit grippe, et t'as eu envie de t'avancer pour hurler. C'est pas faux, techniquement. Mais pas vrai non plus. Mensonge par omission. La grippe, elle a fait son nid grâce au Sida. Mais ce mot là, Sida, ce mot qui vous a accompagné toutes ces années comme un troisième membre du couple, ils l'ont oublié. Ils savaient, pourtant. Les parents de Dem étaient au courant. Il leur avait dit. Ils savaient, les cons. Ils savaient.

Mais il fallait pas le dire, hein, que leur fil avait un maladie de pédé. Ç'aurait tâché le tableau.

Ils chialaient. Et ils savaient même pas comment il était mort.

T'as eu envie de grimper sur le cercueil, pour sortir tout ce que t'avais dans le ventre, comme quand tu t'engueulais avec lui. Sauf que tu t'engueulerais plus avec lui. Ça te bouffait la tête, cette envie de gifler la mère éplorée qui regrettait son fil hétéro en citant sa petite amoureuse du primaire. T'aurais voulu choper le père par le col, lui dire que son gosse, t'avais couché avec tellement de fois que tu pouvais même pas compter. Qu'il était clairement pas gêné quand il prenait ta queue dans sa bouche. Qu'il te l'avait même déjà mise, et pas qu'une fois. Gueuler que c'était pas en allant cueillir les pâquerettes qu'il l'avait chopé, son virus.

Tu voulais voir leur visage horrifié, brisé. Les mettre à terre. Vomir ta rancœur. Tu voulais pas pleurer Dem, non. Tu voulais hurler sa mort, la partager. Leur dire qu'il était crevé comme tellement de ses potes avant lui, de la même saloperie. Leur montrer qu'ils savaient rien de lui. Mais que toi, toi, t'étais resté jusqu'au bout ! Tu l'avais vu malade, tu l'avais vu sourire, tu l'avais vu pleurer, et dormir contre toi, et t'embrasser, et manger des céréales à midi dans son pyjama Tintin.

Mais toi, qu'est-ce que tu sais vraiment de lui, au fond ?

Qu'est-ce que tu sais de son enfance ? De ses premiers rires ? De ses amoures de gosse ?

De lui, t'as eu que des morceaux. Les plus importants, peut-être. T'espères.

T'as pas bougé. T'es resté, là, au fond, bien sagement. Poings serrés. T'as écouté les discours. Vous êtes sortis. T'es retourné à la voiture.

Et maintenant, tu pleures. Tu pleures toute cette rage contenue que t'as pas laissée sortir. Tu pleures trois années qui viennent de s'éclipser devant toi. Tu pleures votre histoire qui n'a eu sa place dans ce dernier sacre. Tu pleures parce que tu sais que Demyx aurait voulu qu'on parle de toi. Qu'on parle de vous. Des garçons qu'il a aimés. Il se cachait pas. Il avait pas honte.

Il t'embrassait dans la rue.

Tu pleures parce qu'aujourd'hui, t'as pas enterré Demyx. T'as juste regardé sa famille l'effacer. Coller sur sa tête une belle image plus proche de ce qu'ils auraient voulu. Une photo de fils parfait. Un mensonge.

Tu pleures.

Tous ces mois. Ces années. Et soudain, plus rien. T'es resté. Et maintenant, tu restes seul.

Tu repenses à vos disputes. Même ça, ça te manque. Au moins, après, tu te sentais apaisé. Tout était sorti, restait plus qu'à se réconcilier.

Aujourd'hui, il te reste que ta colère. Et tu refuses de faire la paix avec le monde. Le monde a tué Demyx une seconde fois, en l'oubliant.

En vous oubliant.

En t'effaçant de sa vie.

Ça toque contre ta fenêtre. Trois petits coups. Tu sais que c'est Axel. Il fait la même quand il tape à la porte de ta chambre pour savoir si ça va. Ta chambre, qui est surtout sa chambre d'ami. Forcément. Tu peux plus rester chez Dem, maintenant. Mais t'as encore le double. Il faut que t'y passes. Que tu récupères tout ce que tu peux récupérer, avant que ses vieux ne viennent prendre vos souvenirs. C'est à vous, tout ça. Et tout ce qui est à vous, maintenant, c'est plus qu'à toi.

Tu vas tout prendre. Et tant pis si on te traite de voleur. Tant pis si tu passes pour le rapia de la famille, qui arrache aux parents éplorés le souvenir de leur enfant. Ils peuvent bien cracher sur ta gueule. Au moins, tu ne seras pas le seul à ruminer ta rage. Ils ne méritent ni les vinyles proprement rangés que vous écoutiez le soir, ni sa collection de magnets récupérées dans les boîtes de céréales. Demyx est un être entier. S'ils ne l'acceptent pas tel quel, alors ils n'auront rien. Pas le moindre morceau. Pas même les miettes.

Tu le gardes pour toi.

Tu ouvres la porte.

– Ça parle d'aller faire le ménage à l'appart après le repas chez la vieille tante, là-bas. Si tu veux y repasser…

– J'y vais.

– Ok.

Il hoche la tête.

– Je prends la voiture, il ajoute. A deux, on aurait peut-être pas besoin de faire plusieurs trajets.

A deux. Tu voudrais faire ça seul. Mais ça prendra plus de temps. Tu sais que tu pourrais croiser ses parents. A deux, oui, ça ira plus vite.

"D'acc."

Tu fermes la porte. Axel s'éloigne. Il disparaît dans le parking. Sûrement qu'il va déposer Nami et sa meuf avant de te rejoindre. Ça te laisse le temps d'y retourner. De te recueillir une dernière fois. De prier dans ton temple avant que ses parents l'entâchent de leur présence.

Allez.

Les CD, les vinyles et sa guitare préférée. Tu les descendras en premier. Puis les posters. Et vos photos.

Tu tournes les clefs. Le moteur ronronne. Tu inspires.

Le silence t'accompagne tout le long du trajet.

Plus personne ne fredonnera dans ta bagnole.


Et voilà pour ce premier texte ! Plus que 99 OS. Bien bien. J'espère que ça vous aura plu ?

(Et encore une fois, c'est un texte qui m'a été inspiré par le bouquin N'essuie jamais de larmes sans gants, de Jonas Gardell. J'aime beaucoup trop ce livre)

Normalement je vais alterner les ambiances donc promis, le prochain OS ne sera pas crève-cœur !