Prompt du 30 avril : Écrire une scène entre un père et sa fille


Le Sanguinaire et sa fille


-Vous étiez attachée depuis longtemps, comme ça ?

Guenièvre sursauta, avant de se retourner, son corps tendu à l'extrême. Elle se détendit légèrement en découvrant Léodagan à l'entrée de sa chambre – sa chambre à elle et Arthur, la chambre royale, celle où tant s'était dit, tant était arrivé, et elle n'aurait jamais pensé y revenir…

Ce n'était que son père.

Pas Lancelot.

Pas un des hommes du camp.

Juste son père.

Son rude, mal élevé, sauvage, ours mal léché de père.

Qui la fixait avec une expression indéfinissable.

Guenièvre détourna la tête, en même temps que sa main se posait instinctivement sur un de ses poignets.

La trace rouge de la corde était toujours bel et bien présente, malgré le traitement apporté par Merlin. Passer la crème trois fois par jour, avait ordonné gentiment le druide, sous les regards perçants de ses parents et d'Arthur.

Séli avait refusé de la quitter des yeux depuis son retour.

Oh, elle n'avait pas échappé aux commentaires lapidaires, ou remarques assassines. Mais ces derniers avaient été limités par les réponses sèches d'Arthur, dont l'attitude alternait entre tension, inquiétude et protection.

Guenièvre ne savait pas quoi en faire.

Elle n'avait jamais été douée pour le comprendre.

Elle n'avait jamais été douée pour grand-chose, de toute manière.

Ce n'était pas surprenant, que leur couple n'ait jamais fonctionné.

Mais elle aurait pensé, que les choses se seraient améliorés avec le temps.

Elle avait été cruellement détrompée.

-Quelques heures, murmura-t-elle finalement, le regard rivé sur le paysage lui faisant face depuis la fenêtre.

La forêt, immense, sombre, dangereuse, la forêt semblait la narguer depuis l'autre côté de la muraille. Guenièvre sentit sa gorge s'assécher, et serra les dents, luttant pour conserver le masque qu'elle avait posé sur son visage depuis son retour au château.

Ne rien montrer, ne rien exprimer. Ignorer, laisser passer.

Elle avait été si douée pour cela, à une époque.

Pourquoi était-ce si difficile de recommencer ?

-Mmmm .. ça lui arrivait souvent ? De vous faire ça ?

La jeune femme secoua la tête.

-C'était la première fois.. Un flot de larmes lui monta aux yeux à ce souvenir. Il .. Il n'était pas … Il a perdu la tête..

-Perdu la tête, perdu la tête, je vous l'confirme, qu'il a perdu la tête, ce connard ! Je le retrouve, je l'égorge moi-même ! Et je donne son corps aux chiens ! Non, aux cochons, tiens, ou je sais pas, p'tèt que je le balancerai direct dans la forêt, on va pas nourrir les bêtes avec ça !

Léodagan avait tonné, sa colère évidente faisant frémir sa fille qui se mordit la lèvre, tentant en vain de retenir ses larmes.

-Il n'était pas.. Il ne pensait pas à mal..

-Pensait pas à mal ? répéta son père, ahuri, avant de traverser la pièce à grands pas, se plaçant à coté d'elle. Vous me la refaites, celle-là ? Pas penser à mal ? C'est un malade ! Et j'suis pas un tendre, ok ? Mais là ? Il a juste totalement perdu la boule, point !

-Je sais, souffla Guenièvre, son cœur se brisant un peu plus à cette pensée.

-J'dis pas qu'il vous a pas aimée, à sa façon.. Mais il a totalement perdu la boule, y a aucun doute à ce sujet. Je sais même pas s'il l'avait pas perdue y a déjà longtemps.. Léodagan secoua la tête, ses sourcils froncés. Jamais pu m'entendre avec ce mec, de toute manière. Trop droit, trop pur. Trop parfait. Ça existe pas, ces trucs. Parfait. Personne n'est parfait.

-Il était gentil, tenta de protester Guenièvre. Il m'écoutait, il ..

Elle s'interrompit, fixant son père de son regard humide.

Léodagan secoua la tête.

-Il vous l'a joué chevalier servant, pendant que l'autre abruti courrait le jupon ailleurs.. J'suis même pas surpris, vous savez, que vous soyez partie avec.. J'peux voir d'où est venue l'attraction.

Guenièvre rougit, et détourna la tête, atrocement gênée par le tour que prenait la conversation.

Son ours de père était la dernière personne avec laquelle elle avait envie d'échanger sur ce sujet.

Ce n'était pas comme s'ils avaient jamais été particulièrement proches.

Guenièvre avait toujours été une enfant discrète et sensible, et Léodagan ..

Leurs caractères avaient toujours été opposés.

Le silence retomba, tendu.

-Vous avez manqué à votre mère.

La reine jeta un regard surpris à son père, occupé à fixer le paysage au dehors.

-Ah bon ?

-Mmm mmm.. Une vraie machine à larmes … Elle nous a fait des tartes.. aux fraises.. En votre souvenir.. Guenièvre se mordit la lèvre, ne sachant que répondre. Je supporte plus jamais ça, j'vous préviens. Léodagan lui jeta un regard de côté, son expression fermée et brute. Vous me refaites jamais ce coup.

Sa fille détourna les yeux, le cœur gros.

Était-ce la manière de son ours de père de lui dire qu'elle lui avait aussi manqué ?

Ou était-il simplement furieux contre elle ?

Ils n'avaient jamais su se parler.

-Ne vous inquiétez pas, Père, murmura-t-elle finalement. Je ne compte pas repartir.