M. Barrow se réveilla un peu désorienté, sa chambre éclairée par une faible lumière, signe que le soleil était levé et que son propre réveil semblait donc imminent. Il cligna des yeux plusieurs fois, comme pour reconnecter son cerveau et ses pensées. Il se sentait encore confus et flottant, ses sens toujours endormis. Il s'étira, ses pieds dépassant de son lit par la même occasion, et il se frotta les yeux doucement. Il n'avait pas mal dormi mais clairement pas assez pour être parfaitement d'attaque et rattraper l'angoisse et les émotions contradictoires ressenties par les évènements de la veille au soir. Il avait eu l'impression en une soirée d'être passé par tous les sentiments possibles et inimaginables, lui qui d'habitude ne vit qu'une morne existence sans saveur, enfermée dans sa propre routine. Chris, le raid, M. Ellis. Excitation, peur panique, apaisement.
Le regard perdu dans les lézardes du plafond, il prit une profonde inspiration et s'assit sur le bord du lit. Il passa la main dans ses cheveux noirs comme pour commencer à les discipliner ; il savait que c'était peine perdue sans produit pour l'y aider. Il se leva, marcha en direction de son costume et entreprit de s'habiller, l'esprit toujours un peu groggy. Une fois vêtu, il se dirigea vers le lavabo et le miroir pour peaufiner son allure et parfaire la toilette nécessaire à tout bon majordome qui se respecte.
Alors qu'il se passait de l'eau sur son visage, il surprit son propre reflet à sourire. Ce n'était pas souvent ; il lui semblait pourtant avoir plus souri et rigolé ces dernières 24h que toutes les années qu'il avait vécues auparavant. Il s'était laissé aller physiquement, verbalement, il avait été lui. Même si les conséquences auraient pu être dévastatrices, il s'était senti tellement bien pendant quelques instants. D'abord avec Chris, où il lui avait semblé avoir enfin le droit à l'insouciance de tout un chacun, ce qui l'avait fait rajeunir de 15 ans le temps d'une danse. Puis enfin avec M. Ellis où il avait pu se montrer fragile, échanger, sans être sur la défensive, prêt à attaquer, à mordre au moindre geste ou à la moindre remarque, valable ou non d'ailleurs.
Thomas se savait mal-aimé, il ne véhiculait aucune sympathie en général, à juste titre, il faisait tout pour cela. C'était sa façon d'affronter le monde qui l'entourait et qui le méprisait pour quelque chose sur lequel il n'avait jamais eu aucun contrôle. En se créant ce personnage souvent abject, sans scrupule, il protégeait ce qu'il était vraiment. Ce n'était pas lui qu'on détestait, c'était ce masque de cynisme et d'arrogance derrière lequel il se camouflait. Maigre consolation mais, au moins, on le détestait parce qu'il avait choisi, lui, de dire ou faire quelque chose de... détestable ; cette rancœur était donc justifiée et en quelque sorte plus vivable. Cela faisait sens pour lui même si la limite entre les deux était parfois ténue et, M. Barrow, à plusieurs reprises, s'était perdu en chemin, oubliant que ce personnage qu'il s'était crée n'était pas lui, Thomas. Il l'avait payé cher et n'avait failli jamais revenir de cet égarement.
Pourtant hier soir, il avait pu être Thomas, un homme on ne peut plus ordinaire qui en étant juste lui, à nu, sans mensonge, s'était senti reconnu, apprécié par M. Ellis qui n'avait eu de cesse d'échanger avec lui, de le rassurer, de lui parler et de lui sourire, de sa sortie de prison jusqu'au retour à Downton. Il semblait sincère quant il s'adressait à lui. Il était sincère. Comme il en avait eu besoin de cette reconnaissance, plus qu'il ne pensait quelque chose s'était dénoué dans sa poitrine, qui lui avait permis de respirer plus aisément ensuite. Il n'était pas fou, il n'était pas vil, il n'était pas une erreur de la nature à force d'être seul, il l'avait oublié ou, tout du moins, s'était mis à en douter. Fortement.
Ayant fini de se coiffer, il se lava les mains afin de se débarrasser de la lotion qui lui collait aux doigts. Il s'inspecta une dernière fois dans le miroir. Par un réflexe inexplicable -ou presque- de son index il effleura délicatement ses lèvres et soupira. M. Ellis. Quel sourire. Il se regarda de nouveau timidement dans le glace. Il était prêt à descendre.
M. Ellis était réveillé depuis 30 minutes déjà. Il s'était habillé et nettoyé promptement afin de préparer ensuite les différentes valises qui repartaient avec lui à Londres. Il ne se sentait pas des plus efficaces ce matin. Il avait déjà dû faire puis défaire deux-trois rangements mal anticipés qui n'avaient mené à rien. En temps normal, il aurait été agacé de cette inefficacité, pourtant il se surprit à sourire stupidement à plusieurs reprises. Ses pensées n'étaient clairement pas au travail et il s'en moquait comme de sa première chemise.
M. Barrow. Quel homme charmant. Railleur, complexe, fragile, beau. Ce qui s'avérait être une tournée provinciale banale s'était transformée en véritable révélation pour lui. Il n'aurait jamais imaginé les dénouements de la veille au soir. Le jeune majordome lui avait tout de suite plu : impertinent, fier, taquin... séduisant. M. Ellis le regardait à la dérobée et ne savait que penser de lui. Il était contradictoire sur de nombreux plans : souriant et taciturne, effronté et réservé, sociable et solitaire, nonchalant et sensible, amical et défiant. M. Ellis était perdu sur ses intentions, il lui semblait que le jeune majordome jouait sur plusieurs tableaux différents personnages, en fonction des situations, des personnes, du contexte. Il n'arrivait pas à le saisir. Il voulait le saisir. Et si...
Ils avaient échangé ensemble, toujours dans une atmosphère détendue et amicale. Cela avait poussé M. Ellis, sur une impulsion calculée, à l'inviter à plusieurs reprises venir boire un verre avec lui 3 scénarios s'envisageaient : un refus, une acceptation débouchant sur un échange amical, une acceptation débouchant sur... quelque chose d'autre. Dans tous les cas, il n'y avait pas de danger, aucun sous-entendu envisageable ou tout du moins rien qui ne puisse être désamorcé sur le champ au besoin. Prudence toujours.
Jusqu'à l'incident du Turton's. Son ventre qui s'était serré quand le gérant du bar lui avait dit où étaient partis les deux hommes. Deux hommes... Ce regret d'avoir eu raison. Décider quand même d'y aller et au diable la prudence pour cette fois, la faute à cette paire d'yeux... Gris ? Bleus ? Cela dépendait de la luminosité avait remarqué Richard. Son ventre qui s'était serré une deuxième fois quand les policiers avaient envahi les lieux et raflé les participants. Raflé Thomas. Le faire sortir de là, merci la maison royale. Et puis aller attendre dehors, près de la voiture, redevenir prudent et remettre le masque. Respirer à nouveau... Pour le moment.
M. Ellis l'avait vu sortir, hagard, penaud. Ses yeux étaient fuyants, M. Barrow savait qu'il avait été démasqué et qu'il était à découvert mais il tentait quand même de se recomposer en minimisant la situation, voire en la niant. Si on n'en parlait pas, peut-être qu'il ne s'était rien passé ? Cette attitude n'avait pas plu à Richard qui n'avait donc rien fait dans un premier temps pour le mettre à l'aise, il avait été moins chaleureux qu'à l'accoutumée, voire dur dans son attitude et son ton de voix. Il s'était mis en danger, après s'être fait lourder fallait-il le rappeler, la moindre des choses aurait été d'assumer M. Barrow et d'arrêter cette comédie ; M. Ellis n'était pas lui non plus un homme ordinaire...
Et puis, sa fierté blessée avait finalement cédé rapidement et honteusement devant le mal-être de Thomas qui ne trouvait pas les mots pour expliquer la situation mais avait su sans hésitation aucune se remettre en cause, se dénigrer ; force de l'habitude. Ce regard. Implorant. Dépassé. Perdu. « J'ai bien peur d'avoir été stupide ». Stupide de quoi M. Barrow ? D'avoir voulu vous amuser ? D'avoir voulu vivre ? Cela avait été étonnant pour M. Ellis de contempler cette culpabilité, cette honte, cette peur. Les rôles inversés, il aurait ressenti la même chose pourtant, c'est sûr. Il les avait déjà ressenties sans que cela n'ait été juste. Cela n'était pas plus juste maintenant pour M. Barrow ni pour les autres toujours au commissariat. C'était ça toute leur force aux Hommes ordinaires hein, persuader les hommes comme eux d'être des dégénérés, des monstres, des erreurs qui feraient mieux de se supprimer. Se sentir tellement seul, tellement à part. Toujours différent. Ne jamais pouvoir être soi. Jamais. M. Ellis avait donc été à l'essentiel pour apaiser M. Barrow, en lui rappelant qu'il ne l'était pas, seul. Jamais. Les yeux écarquillés de M. Barrow lorsque ce doigt contradictoire était venu se poser sur sa bouche; il fallait juste être prudent, tout le temps. Il faut obéir et jouer selon leurs règles silly boy. Les autres l'ont juste décidé ainsi, c'est tout M. Barrow.
Le retour en voiture avait été calme, chacun ayant eu besoin de se remettre de ses émotions. M. Ellis avait surpris à plusieurs reprises M. Barrow le regarder à la dérobée, commencé à ouvrir la bouche pour prendre la parole sans finalement qu'aucun son n'en sortît. Richard avait parlé un peu de sa jeunesse, de sa famille, les souvenirs que lui avaient évoqué les différents endroits au fur et à mesure qu'ils les avaient passés. Cela lui avait permis de retrouver une composition, il semblait qu'il en avait été de même pour M. Barrow qui s'était alors détendu progressivement. Dans les différents silences qui s'étaient présentés, pas forcément désagréables ni gênants d'ailleurs, M. Ellis s'était tourné vers M. Barrow et lui avait souri. Sincèrement. Il s'était toujours dit que partager un sourire avec quelqu'un était l'une des meilleures reconnaissances possible. Il avait espéré que M. Barrow le prenne comme tel, ce qui avait semblé être le cas puisqu'il lui avait alors retourné timidement. Ses yeux s'étaient rallumés un peu. Quel joli regard. Il avait fallu une bonne dose de volonté à M. Ellis pour ne pas l'embrasser.
Ils avaient déposé la voiture, continué de parler un peu plus ensemble sur le chemin qui les ramenait à Downton. La conversation s'était avérée plus sérieuse mais M. Ellis avait été soulagé d'entendre les propos de M. Barrow. Sa culpabilité s'était éloignée, il avait pu interroger la responsabilité des autres, inclure Richard dans ses propos et parler « d'eux » de manière générale. Il n'était à nouveau plus seul. M. Ellis l'avait écouté et lui avait souri. Il aurait aimé lui dire plus, faire plus mais il ne voulait surtout pas gâcher ce moment. Il avait senti Thomas à l'aise, à nouveau confiant. Sans s'en rendre compte, il avait soutenu son regard et il n'avait jamais été aussi souriant. C'est plus simple quand on est deux, hein M. Barrow ?
Ils étaient rentrés discrètement à l'intérieur et n'avaient plus prononcé un mot ensuite. M. Ellis avait suivi M. Barrow dans les escaliers puis dans le couloir qui mène aux chambres. Ils s'étaient arrêtés tous les deux devant la chambre de Thomas, située avant, et s'étaient observés. Il n'y avait eu aucun mot à prononcer, leurs regards avaient parlé d'eux-mêmes. Leurs respirations s'étaient accélérées légèrement et M. Barrow avait alors tendu maladroitement sa main. M. Ellis s'en était saisi et l'avait serrée délicatement. Au contact de la peau de Thomas, il n'avait pas pu s'empêcher de caresser de son pouce les jointures de ses doigts. M. Barrow s'était laissé faire, non sans piquer un fard, la respiration accentuée. M. Ellis n'avait pas lâché de son regard rieur les yeux qui lui faisaient face et, au prix d'un effort redoutable, avait retiré sa main tout en murmurant « bonne nuit ». Il avait marché jusqu'à sa chambre sans se retourner, sentant le regard de M. Barrow sur lui jusqu'à ce qu'il atteigne la porte. M. Ellis avait souri encore une fois rendu à l'intérieur...
… Et souriait toujours en attaquant le rangement de sa valise personnelle. En mettant de l'ordre dans ses effets, M. Ellis tomba sur son porte-clé à l'effigie d'un croissant de lune. Cela faisait des années qui l'avait et ne s'en séparait jamais. Il lui avait été offert par ce qu'il considérait être son premier amour, qui lui avait enfin permis d'être lui, l'avait initié aux amours homosexuelles et, surtout, lui avait appris la marche à suivre pour réussir à vivre quand même, malgré tout, malgré les autres.
Richard était arrivé à Londres dans sa 22ème année après avoir frôlé la folie à York. S'il aimait sa famille et s'il aimait cette ville, il n'avait pu réussir à faire semblant davantage, à accepter d'être en proie à la culpabilité, à la honte permanentes. Sa famille l'avait vu sombrer sans pouvoir s'expliquer pourquoi, lui qui était si souriant, si lumineux, si beau. Il s'était vu sombrer, il savait pourquoi. Lui si solaire d'habitude était devenu l'ombre de lui-même. Son départ à Londres avait donc constitué sa dernière bouffée d'air possible. Il aurait pu faire semblant, comme il sait si bien le faire avec sa voix; d'autres hommes l'avaient fait avant lui, et cela aurait été tellement plus simple, mais il n'avait jamais pu. Il avait essayé, cela avait été pire que tout, comme l'impression de se perdre définitivement.
Très vite, il avait trouvé un emploi et avait gravi les échelons jusqu'à arriver au palais royal, reconnaissance suprême. Ses manières étaient impeccables et il dégageait une aura de confiance et de bonhommie qui plaisait à ses employeurs. Richard s'était en partie dégagé de sa torpeur. L'avantage de travailler pour le Roi et la Reine c'est que même en plein jour, on devient insignifiant et inexistant. Ce sont eux les objets de toutes les curiosités, tous les autres restent inexorablement dans l'ombre. Cela lui avait convenu. Il n'arrivait pas encore à respirer à plein poumons mais des nœuds s'étaient relâchés dans sa poitrine.
C'est à cette période là à peu près qu'il s'était mis à traîner -de manière qu'il pensait discrète- près des bars du côté de Soho. Il n'avait pourtant pas encore osé rentrer dans un de ces établissements et s'était contenté d'observer de loin, les yeux plein d'envie, les hommes qui en entraient et en sortaient. Il les avait trouvés on ne peut plus ordinaires et cela l'avait rassuré. Cela avait été la première fois qu'il avait pu s'identifier quel sentiment agréable. Comme à chaque fois, il avait fini sa promenade dans le parc le plus proche où il s'était assis sur un banc et avait continué son livre. C'est là que Hugh l'avait rejoint la toute première fois.
« Vous n'êtes pas très discret.
- Je vous demande pardon ?
- Vous manquez de discrétion. Vos yeux sont bien trop expressifs, cela vous jouera des tours si vous continuez ainsi.
- Je... Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.
- Si, vous le savez très bien. Je vous ai repéré, et je ne pense pas être le seul. Vous passez difficilement inaperçu auprès de vos pairs...
- Je... »
Hugh avait regardé autour de lui -le parc avait été quasi désert- et avait alors posé son doigt sur sa bouche puis sur celle de Richard. « Je suis comme vous. Vous devez juste apprendre à être plus prudent silly boy».
Ils s'étaient revus régulièrement par la suite. Hugh, plus âgé, avait un appartement à lui et une concierge discrète, ce qui avait facilité les choses d'autant plus. Également plus expérimenté, il l'avait initié au sexe. Il avait été tendre, doux, patient. Il avait laissé Richard se reconstruire en l'écoutant, en souriant, en l'apaisant il avait pansé ses plaies une à une et l'avait réconcilié avec lui-même. M. Ellis s'était laissé aimé car cela lui avait fait du bien et parce qu'il en avait le droit. Dans les bras de Hugh, il avait compris que le problème ce n'était pas lui, ce n'était pas eux, c'était simplement les autres. Il avait adopté son credo : « pour vivre heureux, vivons caché ».
La veille du départ d'Hugh pour la Somme, lui et Richard avaient fait l'amour tendrement une dernière fois. Hugh avait été amoureux, Richard n'avait jamais réellement su où il en était, même s'il l'avait apprécié et qu'il lui avait été très attaché. Comme cadeau de départ -qui s'avèrerait être un cadeau d'adieu puisqu'il serait tué par un obus 9 mois plus tard- Hugh lui avait offert ce petit porte-clé avec un croissant de lune. Richard avait remercié, en s'étonnant quelque peu de ce présent. Cela avait fait sourire Hugh qui l'avait embrassé puis serré contre lui, tout en lui caressant les cheveux. « C'est pour te rappeler d'être prudent, si je ne suis plus là. A choisir entre les deux astres, sois toujours comme la lune. Le soleil est trop voyant et attire trop l'attention. La lune est plus discrète et, finalement, peu la considère». Hugh s'était arrêté un instant pour lui embrasser les cheveux. « Elle existe malgré tout ». Un autre baiser, il avait resserré son étreinte sur Richard « Et elle n'en brille pas moins dans le ciel pour autant Richard».
Il le caressa du bout des doigts puis sourit. Il l'associa instinctivement à M. Barrow et se promit de le lui donner comme cadeau d'adieu à l'inverse de ce qui s'était passé pour lui, il espérait que ce serait un cadeau d'au revoir. Il mit le porte-clé dans sa poche de costume et finit d'empaqueter ses affaires. Il vérifia une dernière fois tous les recoins de la chambre puis consulta l'heure qu'il était. Il constata avec amertume qu'il était légèrement en retard pour le petit déjeuner, une occasion toute trouvée pour Wilson de le réprimander. Il s'inspecta à la va-vite dans la glace. Il avait les traits légèrement tirés mais cela ferait illusion, il se reposerait dans le train pour être d'attaque une fois à Londres. Il sortit de la chambre et s'apprêta à refermer la porte quand il entendit au loin dans son dos une voix dont il ne se lassait pas:
« Bonjour M. Ellis.
- M. Barrow. Bonjour à vous.
- Bien dormi ?
- Plutôt bien je vous remercie. Et vous ?
- Pareil », puis en baissant la voix, « Je n'aurais pas été contre une ou deux heure(s) de plus ». Son visage était resplendissant, ses yeux rieurs. Richard lui sourit, il ne pouvait pas résister. Sur un ton plus fort et plus neutre : «Si vous voulez bien me suivre pour le petit-déjeuner ».
M. Barrow avait redressé sa posture, mis ses mains dans le dos et avait descendu les marches d'un pas rapide et agile. Il s'était arrêté en bas de l'escalier et avait fait face à M Ellis, par courtoisie, afin de le laisser passer pour rejoindre l'ensemble des domestiques. Richard avait fini la descente des escaliers et au moment de passer devant Thomas, il avait marqué un imperceptible arrêt pendant lequel il avait planté ses yeux taquins dans celui de son vis-à-vis, avec un léger rictus sur les lèvres pour accompagner le tout. Avant d'avoir passé la porte, il avait recomposé son personnage de (second) valet du roi. M. Barrow en avait fait autant, en poussant une forte expiration avant de rentrer dans la pièce. Fini de respirer librement pour le moment, chacun des deux hommes s'était apprêté à affronter le monde extérieur. Seul un regard complice durant le petit-déjeuner avait percé leur armure le temps d'un battement de cils.
Ils avaient ensuite vaqué à leurs occupations jusqu'au départ imminent de Ses Majestés. M. Ellis avait alors rejoint M. Barrow. « Vous êtes prêt à partir pour Londres alors ? …
Dans le train, Richard s'était décidé à écrire une très courte lettre à Thomas.
« Cher M. Barrow,
Je vous écris du train qui me ramène vers Londres. Nos adieux ont été écourtés et j'en suis le premier désolé.
Quand nous nous reverrons, je trouverai le courage de vous raconter l'histoire du porte-clé, ce qu'il signifie pour moi et pourquoi je vous l'ai donné.
Je regarderai la lune ce soir en pensant à vous.
Sincèrement,
R. Ellis
Comme à son habitude, avant de se coucher, M. Barrow était allé fumer une dernière cigarette. Cette fois-ci, il ne l'avait pas fait près de la cheminée, dans son fauteuil favori mais il était allé à l'extérieur, au grand étonnement de Miss Baxter et M. Bates. Malgré le froid, il s'était senti bien, réchauffé.
Il avait voulu observer la lune.
