Retour à la maison

Il fait toujours noir dans l'espace. C'est froid et sans vie. Ça semble tellement inhospitalier, des fois je me demande ce que je fiche ici. Pourquoi je me suis embarqué dans cette mission, pourquoi j'ai choisi de m'éloigner si loin de la maison, de la Terre. Est-ce que je croyais vraiment que moi, Flavien Bouchard, je serais capable de contribuer à la plus grande mission jamais entreprise par l'Homme? Peut-être que j'avais seulement voulu contempler les étoiles de plus près. Il y avait un temps où je les trouvais merveilleuses, ces astres célestes qui s'élevaient chaque soir au dessus de nos têtes, sur une gigantesque toile de velours noir tissé de ces millions de diamants scintillants.

Maintenant je ne voyais plus que le vide de l'espace, le froid qui y régnait sans pitié, glaçant tout ce qui ose s'y aventurer. Je m'y étais aventuré plusieurs fois, muni d'un scaphandre et toujours accroché à la carlingue du vaisseau. Ça n'avait pas toujours été sans danger, mais tout le monde s'en était toujours sorti… Jusqu'à maintenant. Je regardai ma main engourdie flotter dans l'apesanteur. J'étais là depuis combien de temps, je n'aurais pu le dire. Sûrement quelques heures avaient passées. J'étais proche de la fin. Je savais qu'ils ne viendraient pas me chercher. Le météore qui m'avait envoyé valser dans l'espace avait gravement endommagé les moteurs d'après ce que j'avais pu voir. Ils ne pourraient jamais les réparer à temps. J'allais mourir ici, à la dérive dans une galaxie étrangère, de froid ou du manque d'oxygène, quelle importance?

Le bris dans mon scaphandre était minime. L'air ne passait pas, mais le froid lui, m'engourdissait peu à peu. Il m'enveloppait comme une couverture glaciale, une enveloppe sournoisement mortelle qui endors peu à peu et qui aspire la vie dans son souffle létal. Il est impitoyable, sans mercis. Le froid est comme un poison qui s'imbibe à travers la peau et qui glace les veines jusqu'à ce que tout devienne engourdi. La Grande Faucheuse peut alors se servir sans aucune résistance.

J'aurais voulu, avant de mourir, revoir une dernière fois la femme que j'aime. J'avais tellement à lui dire, tellement à vivre avec elle. Mais jamais plus je ne la reverrais, jamais plus je ne toucherais ses cheveux soyeux, sa peau de satin. Jamais plus je n'entendrais son rire délicieux, jamais plus je ne goûterais ses lèvres délicates. Je ne pourrais plus entendre ses arguments énoncés avec tant de passion, ou ses doux murmures dans la nuit.

Je ne sentais plus le bas de mon corps. Sous la poitrine, il n'y avait plus rien, pas même un frisson. Mes bras et mon torse bougeaient avec peine, lourds et léthargiques. Mon visage était gelé. Je ne sentais presque plus rien. Je sentais que je perdais la raison, le délire allait bientôt m'emporter.

-Trouve-moi, Murmurai-je lentement.

J'aurais voulu que Pétrolia soit là avec moi. Je ne voulais pas mourir seul.

-Trouve-moi ici…Parles-moi…

Seul le silence m'entendait. Mais peut-être pouvait-elle m'écouter, peut-etre…

-Je veux te toucher, j'ai besoin de t'entendre…Tu es toujours là quand je me sens seul. Tu es l'espoir qui me laisse encore faire confiance, la force qui me tient debout quand je ne peux plus avancer, la lumière quand tout est noir autour de moi.

Je ravalai ma salive. Je ne sentais presque plus le haut de mon corps. Je fermai les yeux, résolu.

-Lorsque je suis avec toi, il n'y a plus de tempête, seulement le calme. Lorsque tu me prends dans tes bras, je sais que tu ne me laisseras pas tomber, je suis en sécurité. Tu es tout ce que je veux, tout ce que j'ai besoin… Tu es tout pour moi…

Ma respiration se fait lente. Je n'ai plus de forces.

-Tu me manques…

Ma tête ne tient plus, le monde tourbillonne.

-Je t'aime…

Le monde s'écroule. J'entends une voix lointaine.

-Je t'aime aussi.

Tout est fini. Je souris.

Je rentre à la maison.