Note d'auteur.
Je vous retrouve aujourd'hui pour le dernier OS que j'ai écrit pour la week EreJean ! Le dernier thème était Soulmates, et si vous me connaissez un peu vous savez que j'adore ça : sous toutes ses formes, avec ou sans fantastiques, bref vraiment j'adore les âmes soeurs =)
DU COUP !
Erejean hein :) J'ai vu le thème, et au départ je me suis dit "whaou, l'occasion de faire un truc développé, genre depuis le lycée et sur plusieurs années ahah" bref j'avais de grandes ambitions, puis c'est parti en fumée (ouais j'avais trop envie d'écrire sur Spencer Reid mais pour ça je devais terminer cette histoire-ci...enfin voilà) donc me voilà avec un high-school UA erejean =)
J'espère de toute mon coeur que cette histoire vous plaira, c'est moins du crack que pour les autres histoires que j'ai posté récemment, et par moins du crack j'entends : ils sont encore plus cons oui, mais aussi un peu plus torturés héhéhé
Des âmes-soeurs donc ! Avec des marques ! Et une promesse d'amour éternel ! Bon voilà ça va être niais aussi faut pas déconner =))))
(pas besoin de me faire remarquer que j'ai écrit Berthold/Bertholt bref je savais plus où j'habitais et flemme de corriger pour harmoniser)
DU COUP !
Pour terminer, Neil je te remercie de tout mon coeur t vraiment la meilleure, j'ai adoré hurler pendant toute cette week erejean avec toi ! je t'aime fort fort fort coeur coeur
Je vous embrasse donc !
QUITTE A GUIDER MES PAS
Le couloir du troisième étage possède presque toujours une odeur désagréable.
Ça s'arrange avec les heures, au fur et à mesure que vient la nuit, mais quand les portes de l'internat des garçons s'ouvrent à 16H après les cours, l'odeur de renfermé, de chaussettes sales, et de mauvais déodorant lui donne envie de gerber. Le vieux sol en lino grince comme de véritables planches de bois, les murs jaunes le font grimacer, et même après deux semaines il a du mal à s'habituer aux douches communes (qui sont heureusement individuelles, mais n'importe quel couillon peut sauter au-dessus pour rigoler).
Jean n'a pas été ravi par l'idée de partir dans un lycée privé. Ses parents ne lui ont pas laissé le choix : sa première année n'a pas été un franc succès, et terminer au poste de police local après avoir fait le mur avec ses potes n'avait pas forcément été très malin. Jean regrette un peu, car franchement cette soirée ne valait pas le coup de se faire envoyer à la campagne, dans un internat aux règles rigides.
Jean soupire. Allongé sur son lit, l'odeur de ses draps propres remontant à ses narines, il fixe un instant son plafond en soupesant le pour et le contre. Ce n'est pas qu'il est particulièrement asocial : il était plutôt populaire dans son ancien lycée, et s'entendait plus ou moins bien avec presque toute sa classe.
Mais ici, ça lui paraît un peu plus difficile.
Déjà, il n'a pas forcément envie de rester, et c'est un problème. Ensuite, sa classe est remplie d'abrutis finis, de petits délinquants ridicules (et l'un d'entre eux lui a demandé s'il avait de l'herbe, parce qu'apparemment Jean a la tête du fils à papa qui approvisionne tout le monde en beuh de mauvaise qualité). L'internat, le troisième étage rempli de garçon, n'est pas franchement mieux.
Mais, tout de même, Jean a eu un peu de chance dans son malheur. Des dizaines et des dizaines de chambres, réparties sur deux longs couloirs séparés par une bifurcation où sont placées les deux salles de douches (et bien sûr, les toilettes sont également là, trois pauvres cabines souvent sales). Des chambres, qui contiennent deux à cinq adolescents : dans son malheur, oui, Jean est tombé dans une chambre de deux, avec un type nommé Marco Bolt, qui se trouve être le mec le plus sympa du lycée.
Il est poli, pas bruyant, studieux, et respecte à la lettre l'espace privé de Jean et son côté de la chambre. Bonus pour ses affaires sales qu'il range dans un sac en plastique, dans son armoire (Jean s'est rapidement rendu compte que dans cet endroit, les affaires sales ça a tendance à traîner un peu partout).
Donc, allongé sur son lit, fixant le plafond de la chambre qu'il partage avec Marco, Jean pèse le pour et le contre : rester là à attendre l'heure de rendre son téléphone comme un bon petit chien, avant d'aller se coucher, ou bien se lever, traverser le couloir, et se rendre à la chambre 5 du Dortoir 6 (autrement appelé D6).
« Je vais voir mon pote, tu peux nous rejoindre si tu veux. Ça lui posera pas de problème ». Jean aurait pu dire non directement, refuser et ne plus être emmerdé, mais voilà : il n'est pas certain de vouloir passer le reste de ses années au lycée dans une absolue solitude, à bouder comme un gamin.
Alors, après quelques secondes de plus à regarder les carrés blancs du faux plafond, il se décide à soupirer une dernière fois avant de se lever.
Le chemin est rapide, bien évidemment : Jean marche lentement, en essayer de ne pas utiliser ses talons au risque de voir l'une des surveillantes de l'étage du dessous venir lui demander d'arrêter de marcher comme un éléphant. Tout le monde le fait, ici, et elle vient au moins une fois tous les soirs pour les fusiller du regard et leur mettre des heures de colle sous le nez. Collé pour marcher trop bruyamment, ça ne lui dit trop rien alors Jean passe devant les douches (qui sont quasiment utilisés toute la soirée, il y a toujours quelques pour diffuser une odeur de savon dans le couloir) puis devant les premières chambres avant d'enfin arriver face à la chambre 5 du D6.
Il hésite à toquer. Le fait quand même. Une voix lui dit « ouais ? » et il entre.
La première personne qu'il voit est un mec blond, assis à son bureau. Il relève la tête en le voyant, et son visage n'a pas l'air méchant ou particulièrement bête, au contraire. Ses cheveux sont peut-être un peu longs, et il n'a pas l'air bien costaud.
— Oh, Jean.
Assis sur le bureau, à côté de la tête blonde, Marco lui sourit. Il a l'air sincèrement content de le voir là, et Jean est presque gêné d'avoir hésité aussi longtemps.
— Salut, dit-il en fourrant ses mains dans la poche de son jogging. Je dérange pas ?
— Je t'avais dit de passer. Les gars, commence-t-il en s'adressant au reste de la pièce, c'est Jean. Il est dans ma chambre.
Jean avance encore, afin de refermer la porte dans son dos. Cette chambre-là est bien plus grande que la sienne, et il compte quatre lits, dont un qui semble inutilisé (pas de draps, un matelas nu, et un bureau qui sert apparemment de débarra).
— Salut, Jean.
— C'est Armin, lui apprend Marco. C'est sa chambre, avec Connie et Eren. Les deux là-bas c'est Berthold et Reiner, ils sont dans la chambre d'en face.
Le regard de Jean suit son doigt, lentement. Il lui pointe tout d'abord Armin du pouce, qui sourit. Puis Jean hausse un sourcil en voyant le gars super grand à côté de la fenêtre, appuyé contre le radiateur, et son pote aux épaules larges assis sur le lit inoccupé. Il remarque des gestes, des hochements de tête (ils n'ont pas l'air d'être dérangés de sa présence, et cette chambre est de toute façon pleine de squatteurs).
Jean fait un pas de plus, et Marco présente « Connie et Eren » : un qui fait plus jeune qu'eux, et dont les grands yeux ressortent étrangement grâce à son crâne rasé (qui se rase le crâne de nos jours ?).
Puis Eren. Et Jean a l'impression que quelque chose de très lourd vient de lui écraser le ventre. Il fait chaud, tout à coup, ou alors très froid : dans tous les cas il retient sa respiration, et ne peut se permettre de fermer les yeux. La chambre lui paraît silencieuse. Eren, perché sur son bureau au milieu de feuilles volantes et de manuels épais, lève la tête de son livre. Quelques mèches brouillent son regard, et Jean sent quelque chose naître dans sa gorge, quelque chose qui lui donne envie de faire encore quelques pas pour écarter ses cheveux, pour toucher sa peau. Quelque chose qui lui donne envie d'entendre sa voix, à tout prix.
Quelque chose qui lui donne envie de pleurer. Sans raison.
Il déglutit, et se reprend légèrement. Le bruit revient, ses pieds retrouvent le sol, et Eren hausse un sourcil.
— T'as un problème, mec ?
Le ton est bas, c'est presque un grognement.
Jean a l'impression qu'on vient de lui balancer un seau d'eau glacé à la figure, et il se renfrogne. Le regard d'Eren est si étrange, si particulier, qu'il met encore une seconde avant de se détourner. Sa gorge est presque douloureuse à présent.
Il n'arrive même à ouvrir la bouche pour répondre quelque chose.
— Eren, soupire Armin dans son dos. Commence pas.
— Bah quoi ? Il me mate comme s'il allait se mettre à chialer.
Son rictus fait bouillir quelque chose à l'intérieur.
— Première fois à l'internat et ta maman te manque ? C'est ça ?
Le changement est si radical, si soudain, que Jean a presque envie de se pencher pour vomir à ses pieds toute l'étrangeté du sentiment qu'il vient de ressentir. Il ne le fait pas, serre le poing, et fusille l'autre connard du regard.
— C'est quoi ton problème ?
Eren lève le menton d'un air irrité.
— Je déteste les pleurnicheurs.
— Eren, gronde presque Reiner.
Ils s'échangent un regard silencieux. Jean se sent presque obligé de préciser, les joues brûlantes :
— Je ne suis pas un pleurnicheur. J'allais pas chialer, tu t'inventes une vie.
En vérité, la boucle dans le fond de sa gorge est encore là et il avale plusieurs fois pour la faire disparaître. Eren ne se retourne même pas vers lui, apparemment contrarié que Reiner ait haussé la voix : il continue de le défier du regard, et Jean assiste à ça, impuissant.
Il ne sait même pas ce qu'il fait encore là. C'était de toute évidence une très mauvaise idée.
— Si tu le dis, mec. Jm'en branle pas mal.
La bouche de Jean s'ouvre, mais soudain Eren descend de son bureau en refermant son livre dans un claquement sonore. Armin soupire bruyamment.
— Eren, vraiment tu...
— Je vais prendre ma douche.
Il récupère rapidement la serviette étendue sur une chaise, puis ouvre une armoire pour attraper une bouteille de savon.
Sans un mot de plus, et en prenant soin de cogner l'épaule de Jean avec la sienne en partant, Eren sort de la chambre et tout redevient silencieux. Pas très fort, Jean souffle :
— Okaaaay.
Il n'est pas certain d'avoir tout compris.
— Désolé, Jean, s'excuse Armin et il se retourne vers lui. Il est pas toujours comme ça.
— Donc il est tout de même comme ça souvent.
Berthlod semble gêné, dans son coin près de radiateur. Reiner, lui, a l'air plus énervé qu'autre chose.
— Désolé, s'excuse Jean sans trop savoir pourquoi. J'aurais peut-être pas dû venir.
Marco penche la tête d'un air désolé.
— Eren a un caractère de merde. Il se bat avec presque tout le monde, hormis nous. Le prends pas pour toi, je t'assure. Tu peux rester, on allait regarder un épisode sur l'ordi d'Armin.
Jean s'apprête à refuser, à dire « nan, j'ai pas envie de pourrir l'ambiance », à parler du fait qu'Eren, leur ami, vient juste de lui sauter à la gorge et que Jean a l'impression d'avoir la peau à vif (parce qu'il sait, ou tout du moins il a l'impression de savoir, que les choses n'auraient pas dû se passer ainsi. Pas du tout, même.
Il se mord la lèvre.
— Je vous dérange pas ?
— Nan mec, répond Connie. Absolument pas. Fais comme nous, ignore Eren pendant ses mauvais jours.
C'est étrange (et terrifiant) et un peu réconfortant : Jean hoche lentement la tête, et attend que tout le monde pose le PC sur une table de chevet avant de s'installer sur le sol ou sur le lit ou n'importe où tant qu'il y a de la place.
Quinze minutes plus tard, Jean ne peut s'empêcher de relever la tête quand la porte s'ouvre à nouveau. Une silhouette traverse la chambre plongée dans le noir, dépose sa serviette sur le dossier d'une chaise en bois, puis se glisse sous les draps du lit seul au coin de la pièce.
Jean appuie son dos contre le sommier du lit, reporte son regard sur l'écran, et essaye d'ignorer sa poitrine étroite et le fantôme de la sensation de tout à l'heure.
Jean prend rapidement ses marques, et comprend que personne ne va à la laverie un dimanche matin à 8H. Il les comprend, et normalement il aurait fait la même, mais pouvoir laver ses vêtements dans le calme (et profiter d'un peu de silence à l'odeur de lessive) et traîner sur son téléphone en paix, ça n'a pas de prix.
Son sommeil s'en remettra. Et il peut toujours faire la sieste, quand tous les abrutis de l'étage se décident à descendre dans le parc du lycée pour jouer au foot.
Donc, c'est au bout de la troisième semaine sans croiser personne que Jean peut présenter l'affirmation : la laverie à 8H un dimanche, c'est plus ou moins le bon plan. Descendre en pyjama, les cheveux encore aplatis d'un côté, ses fidèles mules un peu moches aux pieds.
Cette fois, il prend son temps pour avancer jusqu'à la machine numéro trois. Ce n'est pas une très grande pièce, allant avec le reste de l'internat un peu décrépi : des radiateurs sans doute trop vieux, des machines usées qui ont autrefois été blanches, une odeur chaude dans l'air avec des accents de fraîcheur et de propre. Tout est un peu humide, aussi, et avec les sèches linges et l'électricité statique, Jean ne manque jamais de se prendre un coup de jus en se laissant tomber au bout du banc.
Mettre ses affaires dans le tambour, lancer la petite capsule à l'intérieur, et régler le tout avant d'appuyer sur démarrer. Même avec les yeux encore fatigués et emmitouflé dans sa veste épaisse du matin, Jean peut faire ça sans problème.
Il ignore, comme d'habitude, son ventre grognant qui commence à se réveiller, et sort son téléphone pour enfiler ses écouteurs et lancer un épisode de la série qu'il regarde en ce moment. Parfois, il plaint sincèrement ceux qui n'ont pas un abonnement téléphonique correct, car passer quelques mois sans internet lui paraît être une punition assez affreuse. Bon, à présent, il est devenu suffisamment proche d'Armin pour que ce dernier lui donne tranquillement le code de la clé 4G qu'il planque dans son placard, et qu'il a honteusement hacké pour qu'elle ne lui coûte rien du tout.
Toute la chambre en profite. Jean est bien content de pouvoir télécharger quelques épisodes en venant discuter un peu le soir.
Un bâillement étouffé s'échappe de sa bouche. Au même moment, la porte de la laverie s'ouvre et son regard se pose sur la figure d'Eren Jaeger. La seule fenêtre, en hauteur et au bout de la pièce, illumine le soul-sol d'une couleur oranger qui n'agresse pas trop les yeux.
Il voit Eren plisser les paupières. La porte se referme dans son dos. Jean se tend, prêt à une nouvelle confrontation, et son pouce peine à trouver le bon endroit sur son écran pour mettre son épisode en pause : quand il y parvient, seul le son du tambour de la machine en face de lui se fait entendre.
Eren s'est déjà avancé dans la pièce, sans dire un mot.
Son panier, celui qu'il tient à bout de bras, est affreusement rempli et Jean trouve ça presque étrange : rares sont ceux qui rentrent chez eux les week-ends. La plupart des garçons et des filles du lycée viennent de loin, et Jean sait qu'ils sont catégorisés en tant « qu'enfant à problèmes ».
Son propre père lui a dit de se mettre un peu de plomb dans la tête, et sa mère lui a dit au revoir : le message est passé on ne peut plus clairement, et Jean s'est fait à l'idée de ne pas rentrer avant les prochaines vacances. Ce qui lui va bien, finalement. Autant rester ici, plutôt que de bouder dans sa chambre et se sentir un peu coupable de ne pas aider sa mère à faire la vaisselle.
Jean observe Eren, du coup de l'œil.
Ce silence le surprend, car maintenant il sait qu'Eren Jaeger n'est pratiquement jamais silencieux : il crée des bagarres à chaque coin de couloir, et les seules personnes avec qui il semble s'entendre sont le petit groupe présent dans la chambre (et encore, Jean le voit souvent échanger des regards pleins de colère avec Reiner). Eren est le roi de la provocation, ça aussi il s'en est rendu compte. Un mot, un ton particulièrement désagréable, et n'importe qui semble prêt à lui foutre son poing dans la tronche.
Quelqu'un semble l'avoir fait récemment, d'ailleurs, car le coin de la lèvre d'Eren est coupé, et un peu violacé. C'est discret, mais c'est là. Comme ses cernes, aussi, et son panier de linge rempli à ras bord alors même qu'il est parti le vendredi pour soi-disant rentrer chez ses parents (des informations venant d'Armin, que Jean n'a absolument pas demandé mais apparemment son regard traînait trop du côté du lit vide, dans la chambre).
Jean attend. Un petit moment quand même : le bruit des machines, son propre cœur, le fourmillement dans son ventre plein d'attente, mais finalement rien ne vient et Eren reste silencieux. Il finit par s'asseoir par terre, contre un sèche-linge éteint. Il rabat la capuche de son sweat-shirt sur sa tête, et Jean croit rêver quand il le voit dodeliner de la tête.
Trois minutes plus tard, Eren s'est endormi dans la laverie.
Jean remet ses écouteurs, et relance son épisode, sans pouvoir se retenir de jeter de temps à autre un coup d'œil au garçon étrangement silencieux, et à sa mine un peu éteinte.
Jean aime bien le repas du soir.
La cantine est moins bondée, seulement remplie par les internes qui viennent de descendre pour le seul et unique service. Un personnel plus tranquille, une queue bien moins longue, et une possibilité de traverser le hall jusqu'au self en chausson et en jogging, sans que personne n'en ait grand-chose à faire.
Jean aime bien le repas du soir, quand sa joue ne lui fait pas mal et qu'il ne va pas devoir être privé d'heure libre juste après l'étude simplement à cause d'un abruti. Un abruti, qui se trouve à deux places de lui, de l'autre côté de Marco qui s'est placé entre eux.
Son assiette ne contient que quelques pâtes pleines d'eau et un poisson fade. Ils ne sont pas arrivés à temps pour les desserts.
— Va vraiment falloir que vous arrêtiez, tous les deux.
En face de lui, dans la diagonale, Jean voit Mikasa le dévisager avec colère, comme elle le fait presque tout le temps. Au début, ça l'intimidait un peu, mais à présent il s'en fiche pas mal et l'irritation qu'il ressent à l'idée qu'une fille avec autant de potentiel reste simplement attachée au cul d'un sale petit con comme Eren lui fout les boules.
Armin, qui vient de parler, termine son assiette en prenant soin à bien la nettoyer. L'homme qui récupère leurs plateaux lui offre toujours un sourire avec un « Bonne soirée Armin », ce qui a le don de tous les faire halluciner. Parce que ce mec ne sourit à personne, qu'il a au moins quatre-vingts ans, qu'il râle toute la journée, et qu'ils sont presque sûrs qu'il déteste tout le monde. Tout le monde, sauf Armin, apparemment : quelle chance pour lui.
— Les gars, répète Armin en donnant un petit coup de pied à Jean. Je suis sérieux.
Jean hausse les épaules, et Eren grommelle quelque chose, le nez dans son assiette.
— Il a pas tort, soutient Marco. Ça vous dérange pas de rester en colle jusqu'à 22H ?
Bien sûr que si, ça le dérange. Jean n'est pas encore maso.
— J'ai entendu dire que Hanji était ravie de vous deux.
Tout le monde grimace, même Mikasa. Jean fait la moue, et avale difficilement la pâte qu'il fourre dans sa bouche. Eren se racle la gorge.
— Et qu'est-ce qu'ils ont fait pour ça ? demande Berthold.
Armin croise ses mains au-dessus de son plateau.
— Le labo du troisième étage a failli partir en cendre.
— C'est faux, contredit Jean.
— Ah ?
Leur ami semble attendre qu'il lui prouve le contraire. Rendre Hanji Zoé ravie, c'est faire quelque chose de peu recommandable.
— Une fiole est...tombée.
— Ça a fait un trou dans le carrelage, grogne Eren à l'autre bout de la table. Puis de la fumée. Donc on a pris l'extincteur, et c'était réglé.
En vérité, Jean s'est précipité sur l'extincteur en voyant le trou dans le sol et en reniflant l'odeur de cramé. Eren était trop occupé à essayer de le cogner à nouveau.
Une petite dispute dans la classe d'Hanji, et la moitié de leur classe a failli y passer. Jean se demande très sérieusement qui a laissé quelqu'un comme Hanji devenir prof. Qui a pris cette décision débile, et s'est dit que c'était sans danger de laisser des mineurs en sa compagnie ?
— Ouais, approuve Jean de mauvaise foi. Et c'était réglé.
Armin soupire. Son regard descend de son regard à la mâchoire de Jean, encore un peu gonflée. Le visage d'Eren n'est pas mieux.
— Faut vraiment que vous arrêtiez. Vous allez finir par vous faire renvoyer.
— Erwin ne va pas nous renvoyer, contre Jean.
Eren continue :
— On est ses petits espoirs, ses élèves de la seconde chance. Nous renvoyer, c'est avouer son échec.
Un silence se pose sur la table. Ils ont presque tous terminé. Mikasa dit :
— Le nain va vous enterrer quelque part. Deux disparus, c'est sûrement mieux que deux échecs.
Ils se retournent tous vers elle, et elle hausse les épaules. Ce n'est pas tout à fait faux : le coach Levi n'a pas beaucoup de patience, et cette dernière semble être arrivée à son terme avec Jean et Eren. Dès qu'il croise l'un ou l'autre dans la cour ou les couloirs, il leur donne d'office une heure de colle.
Et si c'est lui le professeur le plus proche lorsqu'une bagarre explose, alors...
Jean déglutit.
— Ça arriverait pas si Eren était pas aussi...
— Ou si Jean n'avait pas un tel balai dans le...
— Les gars.
Une boulette de pain arrive sur le plateau de Jean, et il la renvoie vers Eren en lui lançant un regard noir.
C'est affreux, de sentir que la colère n'est que la couche dure et visible de ce qu'il ressent pour Eren Jaeger et son attitude de demeuré.
— Bon, j'ai fini. Je vous attends dehors.
Eren se lève, non sans lui lancer un regard. Tout le monde l'observe s'en aller, rendre son plateau, et s'échapper par la porte grande ouverte de la cantine. Quand Jean se retourne vers Armin, ce dernier le fixe.
— Jean, faut vraiment faire quelque chose.
— Eren se bat avec tout le monde.
— Il se bat une fois, puis c'est fini. Avec toi, c'est toutes les semaines.
— Il a qu'à être moins con.
— Jean.
Ça l'énerve, qu'Armin soit obligé de lui parler à lui car il sait déjà qu'Eren est une cause perdue.
— Jean, ne rentre pas dans son jeu.
— Plus facile à dire qu'à faire.
Reiner soupire à côté de lui, et Jean se retourne.
— C'est ce qu'il veut. Il attend juste que quelqu'un lui cogne dessus.
— Reiner, grogne Mikasa.
— Quoi, c'est pas vrai ? S'il est tellement en colère, il a qu'à parler à quelqu'un. Je compte pas l'excuser d'être un con.
Les sourcils se Jean se froncent. Il a envie de demander, de poser quelques questions, des choses comme « vous connaissez Eren depuis combien de temps ? » ou bien « pourquoi Eren est-ce que lui n'a rien senti ? » mais il se tait. Ça ne le regarde pas, et ça ne les concerne pas.
— Bon, j'y vais aussi. Je suis collé, de toute façon.
Il s'échappe de la table, et les laisse à leur conversation. Eren Jaeger est un crétin, y'a pas grand-chose de plus à savoir.
Jean entend du bruit au bout du couloir, au moment même où il referme la porte de sa chambre.
C'est d'abord des voix, un peu trop fortes, puis un son sourd qui fait légèrement trembler le mur. Jean fronce les sourcils, suit du regard le surveillant qui le dépasse pour aller voir ce qui se passe, puis décide de le suivre car après tout, il était parti pour rejoindre la chambre d'Armin dans le dortoir d'en face.
La première chose qu'il voit, en arrivant à la bifurcation près des douches, c'est un groupe d'interne amassé autour de l'entrée de la pièce humide. Au moins huit élèves, qui observent en parlant et ça forme un brouhaha assez désagréable. Puis ensuite, presque immédiatement, le surveillant qui se créer un chemin et qui gronde :
— Eren ! Marlowe ! Ça suffit !
Jean ne peut retenir le soupir exaspéré qui s'échappe directement de sa poitrine. Bien sûr que Jaeger est impliqué dans la bagarre. Bien sûr que c'est lui qui est à l'origine de ce boucan.
Une moue sur les lèvres, Jean s'approche un peu. Qu'a fait ce mec (qui se trouve dans les premières chambres près de l'entrée du dortoir, si sa mémoire est bonne) ? Il lui a marché sur le pied ? À la bonne heure, encore une soirée passée dans la tension créée par Eren Jaeger et son caractère de merde.
Parfois, ça l'énerve vraiment. Il voit Eren rire au loin, en compagnie d'Armin et de Mikasa. Il le voit se battre gentiment avec Reiner dans l'herbe du parc du lycée, ou encore lire un livre avec Marco à midi. Il le voit être presque doux et insouciant avec tous les autres : mais dès que quelqu'un s'invite, dès qu'une autre personne ose lui adresser la parole, Eren montre les crocs et l'ambiance devient lourde.
Ça s'arrange, petit à petit. Il ignore Jean de plus en plus quand il vient dans leur chambre, et se contente de s'éloigner dans son coin. Il ne regarde rien avec eux, ne parle plus (sinon pour aboyer) et une fois Jean l'a entendu rire de bon cœur avec Connie sitôt la porte refermée. Une seconde à peine, Jean n'est plus dans les parages, et Eren Jaeger devient un petit chiot adorable que tout le monde apprécie.
C'est exaspérant, et particulièrement vexant.
— Eren ! Lâche-le, c'est clair ? Tu veux repartir en colle ou quoi ?
La personne devant Jean se décale légèrement, et alors il peut assister à la scène. Eren, qui bloque l'autre garçon contre le mur avec force, les yeux brillants de rage. Eren, qui montre les dents et qui refuse de relâcher la pression. L'autre mec, qui a l'air prêt à pisser dans son froc.
Eren, dont le t-shirt est trempé et sûrement enfilé à la va-vite, et dont les cheveux gouttes dans son cou.
Cette vision lui paraît étrange, dérangeante, et alors que ses sourcils se froncent, Jean se surprend à se demander pour une fois ce qui s'est vraiment passé. Car de toute évidence, ce Eren-là n'est pas l'Eren sarcastique et irritant qui attend qu'il lui porte le premier coup.
Il est vraiment en colère.
— Eren ! répète le surveillant d'un ton plus dur (Marc ? Will ? Jean n'arrive jamais à se rappeler son nom).
Eren ne semble pas l'entendre, pas alors qu'il siffle avec colère :
— Je te reprends à faire ça, et je t'assure que tu vas le regretter.
Quelques personnes chuchotent. Quelqu'un crie « Jaeger, arrête ton cirque ». Jean les entend à peine.
— Mec, je suis...
La voix de Marlowe est rauque et sincèrement effrayée. Ses genoux tremblent, la peau est pâle, et il doit être presque certain qu'Eren va réellement lui casser la tronche.
— Je voulais juste plaisanter, je pensais pas...
— Eren, répète encore une fois ce pauvre homme qui s'approche vraiment cette fois, et tire sur le bras d'Eren.
Celui qu'il utilise pour plaquer l'autre gars contre le mur.
Jean n'a jamais vu ses yeux flamboyer comme ça. Il a l'impression que son estomac se tord, se tord tellement fort qu'il va simplement se plier en deux et disparaître. Il n'est même pas sûr de pouvoir détourner le regard.
— Si tu veux mater des culs, articule Eren très lentement, t'as qu'à aller ailleurs. Je revois ta sale tronche au-dessus de la porte encore une fois et je t'assure que ton nez aura la marque de ta connerie pour toujours.
Il inspire, comme pour essayer de se calmer, et soudain c'est terminé. Eren le lâche, Marlowe glisse le long du mur en agrippant douloureusement sa nuque, et Jean entend le soupir soulagé du surveillant.
— Eren, collé jusqu'à la fin de la semaine.
— Ouais, ouais.
Il se retourne, comme pour retourner dans la salle de douche récupérer ses quelques affaires, et c'est à ce moment-là que son regard croise celui de Jean. Ils se dévisagent un instant, Jean déglutit, et tout à coup les pupilles d'Eren brillent à nouveau.
Il est le premier à se détourner.
Jean reste immobile encore quelques instants.
La lumière au-dessus du miroir de sa chambre vacille un peu, en ce moment.
C'est un renfoncement, un endroit un peu sombre où on est presque toujours obligé d'allumer la lumière. Un lavabo, un miroir, deux portes-serviettes et deux étagères : sommaire, mais bien pratique pour se laver les doigts, poser ses shampoings, ou encore boire un peu d'eau au milieu de la nuit.
Jean lève les yeux vers cette lumière, qui clignote un instant avant de s'arrêter. Ça arrive de plus en plus souvent ces derniers temps, et ça rend Marco fou quand il se lave les dents juste avant d'aller se coucher. Il ne sait pas trop qui il faut prévenir, pour ça : le surveillant s'en fiche, les femmes de ménage n'allument pas la lumière.
Attendre, et espérer qu'elle ne va pas cramer avant la fin de l'année.
Face à lui, le miroir lui renvoie un visage familier. Il dort davantage, depuis qu'il est arrivé ici : plus de téléphone après 22h, et un réveil à 7h pour aller en cours. Marco ne ronfle pas, et étrangement tout est calme la nuit. Même pas de fuite énervante ou d'animaux à l'extérieur. Seulement la lumière un peu trop forte de la lune qui passe à travers les rideaux trop fins devant la seule et unique fenêtre, juste à côté du lit de Jean.
Une peau lisse, peu ou presque pas de cernes, des cheveux qui poussent trop et qu'il va faire couper aux prochaines vacances. Ce qu'il voit aussi, c'est une peau qui commence à être bronzée par le soleil, à force de passer ses journées et ses heures de pause dans le parc, dans l'herbe, à simplement attendre.
Ses yeux ne sont pas posés sur son visage. Sa main se lève doucement, puis vient se poser sur l'os de son bassin. Aucune sensation au toucher, même pas une boursouflure : c'est là la différence entre la Marque et un simplement tatouage.
La marque, ce n'est que de la peau : on naît avec. Elle est là, pour toujours. Parfois, Jean se dit que c'est un peu comme le cœur. On sait qu'il est là, qu'il bat fort dans la poitrine, qu'il est apparemment coupable de tant de choses, mais en vérité les sentiments n'ont rien à voir avec lui.
Le cœur, l'amour. Aucun rapport. Simplement l'attribut physique, sensible, quelque chose qu'on peut toucher, quelque chose de plus tangible qu'un sentiment abstrait.
La marque, c'est un peu pareil. Elle rappelle l'appartenance, la vie, l'âme sœur, mais au final elle n'a presque rien à voir : le cœur, avec ou sans marque, sait reconnaître sa jumelle. C'est ce qu'on dit, en tout cas.
Jean n'est pas trop certain de ce qu'il ressent à ce propos. Il regarde dans le miroir le bout de ses doigts qui dessine le contour, et ça ne lui fait presque rien : il y pense moins, en ce moment. C'est bientôt la fin de l'année, il a eu des mois pour s'y faire. Des mois pour comprendre.
Des mois pour enfin accepter que oui, son âme sœur à lui n'en a très certainement rien à foutre d'une petite marque noire sur un corps. Et c'est un peu dur, de passer sa vie en étant certain d'un jour trouver La Personne, pour finalement se rendre compte qu'il n'est qu'un bug dans la matrice, une pauvre âme destinée à la solitude, une voie sans issue.
Un ado, qui se retrouve avec une marque unique au monde. Un ado, qui a vu son corps réagir pour une personne qui de toute évidence n'a pas ressenti la même chose.
C'est un peu comme se regarder dans la glace, et ne rien y trouver. Ne pas avoir de reflet. De pas avoir de chance.
Jean soupire. La lampe au-dessus du miroir clignote, et il retire sa main. Au même moment, la porte s'ouvre doucement et il retient un sursaut en voyant Marco enter dans la chambre.
— Oh, Jean.
Marco lui sourit. Il referme la porte. Ses yeux ne dévient même pas sur la marque en bas de son ventre.
— T'as déjà rendu ton tel ?
— Il est déjà 22h ?
— Ouais, mec. Bientôt 22h10, en fait. J'ai pas vu le temps passer. Faudra que tu viennes demain, Armin a téléchargé un truc sur son ordinateur et on peut tous y jouer ensemble depuis nos téléphones.
Jean sourit. Il se détourne, ignore le miroir, et marche vers son lit pour enfiler un t-shirt et attraper son téléphone qui charge sur la table de nuit.
— Hâte de voir ça, dit-il.
L'été est si chaud cette année que les chambres ressemblent à des fours.
L'isolation n'est pas terrible en hiver, mais ils peuvent au moins se réchauffer sous des couvertures épaisses. Là, leurs fenêtres bloquées ne leur permettent de laisser entrer qu'une minuscule brise à l'intérieur des murs brûlants.
C'est sans aucun doute pour ça que Jean a accepté de sortir dans le parc, pour suivre tous ces abrutis dans leur envie de faire un match de football en plein cagnard. La folie le guette sûrement. La chaleur va le faire vomir toute la nuit, à ce rythme.
— Jean !
La passe arrive de derrière, et Jean aperçoit le visage de Reiner pendant une seconde à peine avant que son pied ne réceptionne la balle. Accepter de jouer au football comporte apparemment un point noir assez important : Jean est obligé de vraiment jouer.
Il court, le long du terrain inégal et plein de bosses, en essayant de ne pas se faire voler le ballon trop vite. Il n'est pas forcément le gars le moins sportif de l'internat (ça, c'est sûrement Armin) mais il n'est pas pour autant une bête de course comme l'autre crétin de Jaeger. Ce dernier est adulé par tous les clubs de sport du lycée, depuis l'équipe de basket jusqu'à celle d'athlétisme.
Même le coach Levi s'adoucit un peu en voyant les points marqués par le cancre sur pattes qu'est Eren (et Jean trouve ça un peu injuste que ses heures de colle à lui soient du nettoyage intensif tandis que celles d'Eren soient une obligation de participer à tel match ou tel entraînement ou simplement sourire des heures autour du gymnase. Bon, Jean n'a pas forcément envie de courir comme un demeuré sur des kilomètres, car il en vomirait ses boyaux, mais l'idée est là).
Jean commence à sentir ses poumons le brûler légèrement quand une ombre arrive de sur le côté pour le tacler violemment, frappant sa cheville avec (heureusement) de vieilles baskets sales. Sa chute sur le dos lui coupe presque le souffle, et il entend Eren renvoyer le ballon à l'arrière, loin des buts de son équipe.
— Putain, souffle-t-il.
Il n'a pas tellement envie de se relever, car clairement il a eu son compte, mais une voix nasillarde se fait entendre au-dessus de lui.
— Il est sympa ton tatouage, Kirschtein.
Jean cligne des yeux, aveuglé par le soleil, avant de se redresser. Il sent l'air chaud sur sa peau, juste en dessous de la limite de son t-shirt qui est sûrement remonté pendant sa chute.
Il pose sa main juste au-dessus de l'os de son bassin, là où il sait qu'une marque noire en forme d'aile est incrustée.
— Pas besoin de la cacher, ta marque est sympa : un peu kitch mais ça te va bien.
Face à lui, un garçon de son dortoir le regarde avec un rictus, les mains dans les poches de son short. Jean ne se souvient pas vraiment de son nom : Flotch, Flitch, quelque chose comme ça. Ils sont ensemble en cours d'anglais, et le moins qu'on puisse dire c'est que ce gars a un ego plus grand que l'Amérique.
Et qu'il n'aime pas beaucoup Jean, pour la bonne raison que dans aux moins trois matières ce dernier le bat à plate couture.
— Tu veux quoi ? grogne-t-il en se relevant.
Son regard croise celui d'Eren, qui attend non loin que la balle revienne vers eux. Il suit l'échange du coin de l'œil.
— Rien, mec. Rien du tout. Je regardais juste ta marque.
Jean plisse les paupières, sentant tout à coup la tension le faire grincer des dents. Dans leur monde, la phase « Je regardais juste ta marque », n'existe pas. Certains ont des grands dessins sur la peau, d'autre de simples symboles : c'est un tatouage aussi intime que peut l'être une paire de fesses. Jean n'a jamais caché la sienne, traînant sans problème dans les couloirs torse-nu, mais ça c'est différent.
— Regarde ailleurs, alors.
Défense, irritation : ne pas parler d'une marque, c'est une politesse commune. Mais ce gars a sans doute été élevé avec les porcs, car il demande :
— Tu sais que des scientifiques s'intéressent à la taille de la marque par rapport à la puissance du lien ? Apparemment une petite marque serait plus facile à briser.
Il ose lui sourire.
— La tienne n'est pas très grande.
Jean grogne, et essaye de ne pas tomber dans le panneau.
— Les scientifiques devraient plutôt s'intéresser à la taille de ta pauvre cervelle, car ça non plus c'est pas très grand.
— La ferme, vous deux, siffle Eren en les fusillant du regard. Si vous voulez jacasser comme des gonzesses, vous avez qu'à aller sur le banc.
Jean se retourne vers lui, et presque aussitôt il le sent : cette colère qui brûle toujours chaque fois qu'il pose les yeux sur Eren Jaeger. Une colère mélangée à tellement d'autres choses, que ça le menace de l'avaler tout cru.
— Eren, tu..., commence l'autre abruti mais Jean le coupe.
— Pourquoi, t'as besoin de toute ta capacité de concentration pour suivre un pauvre ballon des yeux ? T'es vraiment aussi diminué ?
La mâchoire d'Eren se crispe.
— Je veux juste pas entendre votre conversation de merde sur ta stupide marque. Tout le monde s'en carre le cul, moi le premier.
Ça, ça menace de consumer Jean entièrement, car la colère le prend à la gorge. Il s'est rapproché sans même faire attention, et Eren aussi. Ils se toisent.
— Hey, intervient l'autre. Vous pouvez pas...
— Ta gueule, Flitch, grogne Eren sans détourner son regard de Jean.
L'autre renifle avec irritation.
— C'est Flotch, contredit-il.
— Je m'en branle.
Jean a l'impression que sa poitrine va éclater, comme toujours quand il est aussi proche : c'est insupportable. Il serre la mâchoire encore plus fort, jusqu'à entendre ses dents grincer.
Il articule :
— Pas étonnant qu'entendre des gens parler d'une marque te fasse chier, Jaeger.
Quelque chose passe dans le regard d'Eren, mais Jean n'est pas un foutu devin alors il ne voit pas bien ce que ça peut être, à part une nouvelle vague d'irritation. Il se rapproche encore plus, et Jean sent son souffle s'écraser juste au-dessus de ses lèvres.
— Ah ouais ? Et pourquoi ça ?
Eren attend une réponse, une vraie. Et Jean est tout disposé à la lui donner car il articule lentement :
— Les gens comme toi, les connards sans cœur qui pensent qu'à eux, ils n'en ont pas. Alors, Jaeger, ça fait quoi de savoir que tu vas passer le reste de ta vie seul ? De toute évidence tu le vis pas si bien car sinon tu te mettrais pas en rogne pour une pauvre discu...
Le coup qui lui arrive en plein dans la mâchoire, Jean veut bien admettre qu'il le mérite. Ça ne veut pas dire pour autant qu'il ne le rend pas.
Et que le terrain de football improvisé n'est pas bientôt rempli par des élèves qui essayent de les séparer. Le coach Levi, qui arrive depuis le gymnase, paraît prêt à aller chercher une pelle histoire de cacher leurs corps à tous les deux.
Le cœur de Jean, ce traître, ne veut toujours pas arrêter de battre comme un fou.
Jean descend les larges escaliers d'un pas rapide.
Le silence lui paraît toujours étrange : sortir après le couvre-feu, sortir quand le lycée est vide et que plus personne ne se trouve dans le hall en bas de l'internat. Quand les odeurs de la cantine ont disparu, que tout est sombre et que les lumières ne s'allument que s'il décide d'appuyer sur un bouton un peu plus bas.
C'est étrange et agréable. Jean aime bien ce silence, cette tranquillité : ignorer le regard des surveillants du dortoir des filles en descendant les trois étranges, passer devant quelques couples qui se retrouvent dans les escaliers pour quelques minutes, puis soudain plus personne.
Il se retrouve tout en bas, les clés en main, et marche tranquillement jusqu'à la porte extérieure. Dehors, c'est un peu plus lumineux et l'air est lourd. Le gymnase, juste en face, est encore complètement allumé : les grandes vitres sur les côtés permettent de tout voir, et Jean remarque en quelques secondes à peine qu'il n'y a personne. Tout est rangé.
Quand il tire la porte vitrée, sur un côté, afin de pénétrer à l'intérieur, il est à peine surpris par l'odeur de transpiration. Cet endroit sent toujours ainsi, et c'est presque logique.
— Y'a quelqu'un ?
Jean fait la moue quand seul le silence lui répond. La porte de la remise est bien fermée, et Jean n'imagine même pas la tête que ferait le coach Levi en le trouvant ici. Il n'accepte les nuls que pour les cours, et pas forcément de gaîté de cœur. Voir un allergique au sport comme Jean dans son antre (qu'il va récurer au poil une fois le matin venu) lui donnerait certainement envie de lui donner une heure de colle.
Jean se détourne, et marche vers les vestiaires.
Il n'est pas particulièrement ravi d'être là : bien sûr que sortir pour prendre un peu l'air et en profiter pour échapper à sa chambre brûlante semble un bon compromis, mais il aurait largement préféré que le surveillant choisisse quelqu'un d'autre. Il ne se souvient jamais de son prénom, en plus.
Son « Jean, t'es occupé là ? » il aurait pu se le mettre là où Jean pensait, car il aurait carrément dû répondre « oui, absolument ».
Tu peux aller chercher Eren ? Il est au gymnase pour le sport du soir, mais ça va faire au moins 30 minutes qu'il aurait dû être rentré. Il a du mal à s'arrêter quand personne le surveille, alors peut-être toi...
Comment si Jean est ami avec lui. Comme si ce surveillant ne pouvait pas aller voir Armin ou même Mikasa à l'étage du dessous.
Jean soupire, et passe devant le vestiaire des filles sans y jeter un regard.
— Jaeger, t'es là ?
Aucun son de lui parvient, alors sans même s'arrêter ou toquer il pousse la porte, et pénètre dans la pièce : des carreaux blancs et noirs, un peu comme les vestiaires d'une piscine. À l'intérieur, une odeur de savon lui informe que quelqu'un est venu tout récemment, alors il s'avance encore pour sortir de la petite alcôve où se trouve la porte.
— Jaeg...
Ce qui surprend Jean en premier, c'est le grand bruit qui arrive immédiatement : il ouvre sa bouche, commence à appeler Eren à nouveau, puis tout à coup une silhouette sursaute et des affaires tombent du banc en bois. Son téléphone chute sur le coin droit.
Eren se redresse, et se retourne vers lui avec des yeux écarquillés.
— Désolé, soupire Jean en sentant déjà la dispute arriver. Écoute je voulais pas te faire flipper, mais on m'a envoyé te chercher parce que t'es à la bourre et qu'il est bientôt l'heure de rendre les téléph...
Sa voix meurt dans sa gorge.
Ses yeux, qui avaient essayé de se concentrer sur la partie supérieure du corps d'Eren, et non sur la partie un peu trop visible de son torse nu, ont fini par descendre doucement de long de sa peau.
La bouche de Jean se ferme dans un claquement. Son regard se fixe sur une trace noire et boursouflée, juste au-dessus de l'os de son bassin. Une cicatrice affreuse et sombre, qui force Jean à se souvenir de comment il faut respirer.
À l'intérieur de sa poitrine, tout est si douloureux et étroit qu'il manque de s'étouffer sur place : c'est la chose la plus violente qu'il a ressentie depuis des semaines, des mois, depuis leur rencontre dans la chambre.
Quand il rencontre le regard d'Eren, il s'attend à voir de la rage. De la colère. Peut-être la mère que ce jour, à la sortie des douches, pour ce pauvre gars qui n'a même pas dû avoir le temps d'apercevoir un morceau de peau noircit.
Il s'attend à tout voir, sauf l'expression horrifiée et horriblement peinée qu'il lui renvoie. Jean ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais sa voix ne veut pas sortir. Quelque chose comme quoi ? Qu'est-ce que c'est ? Pourquoi ? Comment ?
Il déglutit.
— … tu…
C'est un électrochoc, Jean le voit immédiatement. Le corps d'Eren tremble un coup, puis la seconde d'après il se tord en deux pour attraper son t-shirt et le passer rapidement. Ses cheveux encore humides tombent dans sa nuque. Il renifle étrangement bruyamment. Son sac est sur son épaule.
Puis il passe à côté de Jean, sort presque en courant du vestiaire, et alors il est seul.
Sa poitrine va sûrement bientôt exploser. C'est ce qu'il se dit en regardant le sol, et en écoutant les pas d'Eren Jaeger disparaître.
Jean voit Marco s'approcher de lui avec une expression décidée et expectative, et il sait déjà ce qu'il va lui demander.
Il n'est donc pas étonné quand son ami marche rapidement à sa hauteur dans les couloirs étroits, à la sortie du cours de science.
— Tu viens dans la chambre, ce soir ?
Jean sait très bien que Marco ne parle pas de la leur, c'est assez évident. La chambre, c'est celle, immense, qu'ils ont squatté presque toute l'année pendant des heures.
— Je... ne pense pas.
— Pourquoi ?
Son ami lui retourne un regard déçu. Jean déglutit.
— Des devoirs à faire. Tu sais, pour les examens et tout...ça va arriver rapidement, et j'ai aucune envie de passer encore une année de plus ici.
C'est la bonne excuse, ça. Celle qu'il lui sort tous les soirs depuis presque une semaine et demie.
Ce n'est pas vraiment sa faute : il a essayé, au moins. Il a essayé de faire comme si rien ne s'était passé, au début. Défiant le regard d'Eren Jaeger, venir le soir dans la chambre, manger avec eux. Mais si Jean ne s'attendait pas forcément à quelque chose, c'est bien à la technique qu'Eren a choisi : la bonne vieille fuite.
Ne plus le regarder, ne plus l'approcher, et quitter sa propre chambre pendant plusieurs heures quand Jean vient.
Jean parle ? Eren l'ignore. Jean le croise ? Eren l'ignore. Jean essaye de l'énerver un peu pour obtenir une réaction, n'importe laquelle ? Eren l'ignore.
C'était irritant et particulièrement vexant, jusqu'à ce que Jean se rende compte qu'Eren ne fait pas que l'ignorer. Il baisse les yeux. Détourne le regard. Marmonne qu'il va marcher un peu. S'enfuit comme un enfant.
C'était irritant et particulièrement vexant, jusqu'à ce que Jean se rende compte qu'Eren est gêné, triste, et carrément mal dans sa peau. Et ça : ça ça lui brise le cœur, car Jean n'est qu'un pauvre abruti qu'un petit changement attendrit.
Eren Jaeger est un connard. Et tout à coup, il agit comme un pauvre agneau blessé et alors quoi ? Tout est pardonné ?
Très honnêtement, Jean aurait aimé avoir la force de vire « merde » et de simplement l'envoyer de faire voir. De dire « t'es pas le centre du monde, Jaeger, arrête de faire ta victime ! ». De dire « je l'ai vu torse nu, et alors ? Tu frappes tout le monde sans raison et la seconde où je voix ton point faible, tu t'attends à ce que quelques regards tristes me donnent envie de te laisser tranquille ? ».
Jean aurait aimé dire ça, car la vérité est que oui, quelques regards tristes de la part d'Eren sont suffisants pour lui faire baisser les armes. Pour faire se serrer sa poitrine. Pour picoter sa marque. Pour le faire se sentir coupable de plus ou moins dégager un gars de sa propre chambre, simplement par sa présence.
Tout le monde a remarqué qu'Eren était bizarre. Seul Armin semble avoir fait le rapprochement avec Jean. Il n'a rien dit. Il n'a pas arrêté de l'inviter.
Jean a simplement arrêté de venir. Et Eren a donc arrêté de partir.
Marco lui retourne un regard un peu triste, en descendant les escaliers pour se diriger vers la cantine à l'autre bout de la cour.
— Ça va, en ce moment ?
— Ouais, Marco. Tout va bien. J'me sens juste un peu coupable d'aller m'amuser avec vous, quand j'ai des devoirs qui m'attendent sur le coin de mon bureau.
Il lui offre un sourire désolé. Et Marco, comme le gars incroyablement gentil qu'il est, lui dit simplement :
— D'accord. Bon courage avec ça, alors. Tu sais que si t'as du mal avec une matière, tu peux me demander ? Ou même demander à Eren : c'est une bête en littérature. Je suis sûr que si tu demandes poliment même lui te dira oui.
Jean résiste à l'envie de rire. Il acquiesce, sourit, et répond :
— D'accord, Marco. Merci.
Eren Jaeger arrive dans sa chambre le soir même, et Jean se dit que là, il ne comprend vraiment plus rien.
Assis à son bureau, réellement penché sur ses cours de littérature avec lesquels il se bat depuis des mois, Jean ne relève qu'à peine la tête en entendant toquer. Il dit « oui » un peu trop fort, attendant que la voix du surveillant se fasse entendre (pour lui demander quoi ? Ça change à chaque fois, mais la plupart du temps la réaction de Jean est la même « putain fais chier ». Il est poli, en revanche, alors il le fait de mauvaise grâce).
Mais la voix du surveillant de se fait pas entendre, justement. À la place, dans son dos, Eren Jaeger se racle la gorge :
— Hum, je peux entrer ?
Le sursaut de Jean les prend tous les deux par surprises, et ils s'observent quelques instants avec la même expression.
Des sourcils haussés, des lèvres serrées, et une gêne palpable dans toute la pièce. Eren est venu après sa douche, et il laisse dans son passage une odeur d'aloe vera. C'est agréable et étonnant de se rendre compte que quelqu'un si souvent énervé peut avoir une odeur aussi douce.
Jean essaye de ne pas y penser. De ne pas penser à l'odeur d'Eren, ni au fait qu'il se trouve dans sa chambre pour la première fois.
La porte se referme derrière lui, et le silence s'installe. Un silence trop long, et trop embrassant.
Finalement, Eren fourre ses poings dans les poches de son short, se dandine d'un pied sur l'autre, et jette un coup d'œil au jardin, au parc visible de l'autre côté de la fenêtre. Jean sait ce qu'il pense tout d'un coup : sa fenêtre à lui donne sur le parc, tandis que celle de l'autre chambre donne sur l'arrière du lycée, et accessoirement sur la prison juste en face.
Jean se racle la gorge. Eren inspire.
— Je... je venais...
Il regarde partout dans la pièce : partout sauf le bureau, où Jean est assis. Finalement, il semble se décider.
Son regard est plus bleu qu'hier, et plus vert qu'avant hier. Calme, comme un lac. Mouvementé, comme la mer. Jean sent sa poitrine se serrer tellement fort que ça lui coupe le souffle. Il se force à inspirer lentement.
— Tu l'as dit à personne.
Jean met sans doute quelques secondes de trop à intégrer la phrase. Il souffle :
— Pardon ?
— Ce que t'as vu. T'en as parlé à personne.
Ce n'est pas une question. C'est une affirmation étonnée, surprise, qui force Jean à serrer le poing.
— Bien sûr que non.
— Pourquoi ?
— Pourquoi j'en ai pas parlé ? Pourquoi j'en aurais parlé, plutôt ?
Il lève les yeux au ciel et soupire.
— Tu voulais que je dise ça à qui ?
Eren le fixe à nouveau sans colère, et c'est perturbant. Parce que le corps de Jean réagit à ça, que son cœur s'emballe et que le sentiment qui arrive avec les mots « Eren Jaeger » n'est plus la colère ou la haine.
— Je sais pas. Y'a plein de types qui m'aiment pas, ici. T'en trouves un, tu lui dis, et le lendemain ils s'y mettent à cinq pour me désaper histoire de vérifier.
Avec horreur, Jean relève la tête vers lui. Son regard vert devient bleu et se trouble.
— Pourquoi est-ce que je —
Il ferme la bouche. Inspire par le nez.
— Tu pensais que j'allais faire ça ?
Eren a au moins la décence de répondre honnêtement.
— Ouais. Je me suis tenu prêt pendant des jours.
Ça ne l'énerve même pas d'entendre ça. C'est juste triste, et franchement pathétique.
— Jaeger..., souffle Jean avec fatigue. T'es juste un pauvre con qui frappe trop fort, pas Satan en personne. Je vais rien dire à personne, alors tu peux dormir sur tes deux oreilles.
Eren le fixe, et c'est affreux. Quand Eren Jaeger fixe quelqu'un, c'est avec des yeux trop grands, trop lumineux, et presque surnaturels. Jean a l'impression de les voir briller, ce qui est impossible.
— Merci, dit-il finalement.
— Pas de quoi. J'imagine que ça t'a arraché la bouche de me dire ça ?
— Ouais. T'imagines même pas à quel point.
Jean pouffe en secouant la tête, et ils échangent un regard et un sourire. Finalement, quand Eren fait un pas en arrière pour repartir, il dit tout de même :
— T'es moins con que ce que je croyais. Presque cool.
La porte s'ouvre. Jean répond, juste avant qu'elle se claque en silence :
— Fais attention, Jaeger. Je pourrais croire que t'es en train de m'apprécier.
— Va vraiment falloir que vous arrêtiez, tous les deux.
Jean a comme une impression de déjà-vu, en relevant la tête de son assiette. Encore du poisson pour ce soir : ça fait au moins une semaine qu'ils leur servent ça tous les jours pour le dîner. Du poisson, et des pâtes nature pleines de flotte.
À côté de lui, Eren hausse un sourcil. Le regard d'Armin est sans appel, et il les fixe chacun leur tour.
— Qui ? demande Eren.
— Nous ? hasarde Jean.
Mikasa le fusille du regard, comme elle le fait chaque fois qu'il est un peu trop près d'Eren. De l'autre côté de la table Reine soupire et Bertholt lui tapote l'épaule. Trois tables derrière eux, Connie et Sasha font une bataille de nourriture.
— Oui, vous. Qui d'autres ? Aux dernières nouvelles, Berthlot n'a pas encore une fois manqué de faire exploser le labo d'Hanji.
Jean grimace. Oui, c'est peut-être arrivé pas plus tard que dans l'après-midi : discuter avec Eren, ricaner pour rien, puis incorporer sans faire attention le mauvais produit dans le tube à essai.
Deux secondes plus tard Eren le prenait pour le secouer comme marquer dans le manuel, et le bouton partait à fond la caisse en direction du faux plafond de la salle qui leur est presque tombée dessus.
Depuis, Hanji essaye par tous les moyens de recruter Jean (recruter, comme si Jean n'est pas un lycéen dont les examens approchent bientôt).
— On l'a pas fait exploser, réplique Eren.
Il se tasse sur lui même en surprenant le regard de Mikasa et Jean fait de même. Armin soupire.
— On a eu cours juste après vous. Hanji était aux anges. On a même dû changer de salle étant donné que le plafond était tombé sur un bureau.
Jean se racle la gorge et baisse les yeux sur son assiette. Eren fronce les sourcils.
— Oh, allez. C'est déjà arrivé, des trucs comme ça : c'est Hanji. Elle nous met des trucs interdits entre les mains, pas étonnant que ça ait des effets bizarres. En plus, ce plafond est super fragile.
— Eren.
Armin n'a pas l'air ravi. Jean trouve que c'est un peu l'hôpital qui se fout de la charité : Armin passe son temps à faire des trucs illégaux sur internet, et il a déjà construit entièrement un site internet rien que pour prouver qu'il avait raison à propos de quelque chose. La professeure est allée vérifier sur Google, est tombée sur le site, et a présenté ses excuses à Armin.
Leur ami n'avait même pas eu une seule seconde de remord.
Il télécharge des trucs, modifie des sites, s'est déjà introduit dans le système du lycée pour changer une de ses notes que le prof de maths refusait de changer (« J'ai eu 19,5 parce qu'il est de mauvaise foi. Il marqué 17 dans mon bulletin. Je vais changer ça tout de suite, et tout rentrera dans l'ordre ».
« Rentrer dans l'ordre », pour Armin, c'est faire des mauvaises choses mais sans se faire choper.
— D'accord, d'accord, capitule Eren. On fera plus attention la prochaine fois. Jean évitera de verser le mauvais truc dans cette foutue fiole.
Jean hausse un sourcil en se retournant vers lui.
— Outre le fait que tu m'as déconcentré, je suis la raison pour laquelle tes notes de science ne sont pas à pleurer.
Eren lui retourne un sourire.
— Et je suis la raison pour laquelle tes notes de littérature sont au-dessus de la moyenne. Donnant-donnant, tu te rappelles ? Moi, j'ai pas encore fait sauter la salle de Petra.
Jean lève les yeux au ciel. Armin s'attendrit un peu en les voyant.
— Bon, faites attention alors.
Il n'a plus l'air si en colère, et Jean sait très bien d'où ça vient : un sourire d'Eren, et son meilleur ami se ramolli comme du beurre au soleil. Eren Jaeger est définitivement le point faible et le côté tendre d'Armin, ce qui est à la fois adorable et dégoûtant selon Jean.
— C'est tout ? D'habitude tu continues de me donner les statistiques des accidents annuels des salles de chimie au moins jusqu'à ce qu'on aille se coucher. Et là « faites attention alors » ?
Jean se retourne vers l'autre crétin avec les sourcils froncés, parce qu'il ne comprend vraiment pas pourquoi Eren tient tant que ça à se faire assommer par les infos incompréhensibles d'Armin.
— Je vais pas abuser non plus, explique Armin avec un sourire. Je pourrais te faire un cours avant de dormir si t'y tiens tant que ça, mais je trouve que ton comportement est presque exemplaire en ce moment, alors...
Il hausse les épaules.
— Disons que ça sera tout pour aujourd'hui.
Jean voir les yeux d'Eren s'ouvrir un peu plus grands, ses sourcils se hausser en entendant « comportement presque exemplaire » puis il se tourne et soudain son regard est dans celui de Jean. Quelques secondes passent, puis ils baissent tous les deux la tête vers leurs assiettes.
— Si tu le dis, souffle Eren.
Dans sa périphérie, Jean voit Reiner lever les yeux au ciel. Bertholt lui tapote le bras.
L'air est chaud, aujourd'hui.
Étouffant, brûlant, insupportable. Deux heures pour manger, pour reprendre sa respiration après avoir cuit comme des œufs dans leurs salles de classe du matin. Les vieux bâtiments sont affreusement mal foutus. Les fenêtres ne s'ouvrent pas en grand, et les murs sont aussi fins que du papier de verre.
Allongé à côté de lui, perpendiculairement, la tête sur sa cuisse, Eren tourne une page de son livre. Jean se demande comment il peut avoir la force de porter quoi que ce soit à hauteur de son visage : lui n'est plus bon qu'à s'allonger dans l'herbe et ne plus bouger.
À moitié à l'ombre, à moitié au soleil, et entièrement à la merci de cette foutue chaleur qui va le rendre fou. Son short et son t-shirt ne sont d'aucune utilité. Il se mettrait tout nu s'il le pouvait.
Jean soupire.
— Eren ?
— Quoi ?
— Tu lis quoi ?
— L'un des livres au programme.
— Au programme de quoi ?
Jean est certain d'avoir vu la couverture. Et de ne jamais avoir entendu parler de ce gros pavé.
— Au programme de la fac que je veux rejoindre l'année prochaine. Je prends de l'avance.
— Beaucoup d'avance, ouais.
Il soupire, et le silence revient. Des gars jouent au foot non loin de là, et c'est à peine croyable de pouvoir se mouvoir ainsi par ce temps. Des cris, des tires, et des filles qui encouragent faussement en ricanant.
Eren tourne une nouvelle page.
— Eren ?
— Quoi ?
Jean hésite. Il sent Eren se retourner un peu vers lui.
— Quoi ? répète-t-il.
— Je... je me demandais juste...
Il hésite à nouveau. C'est pas vraiment ses affaires. A-t-il envie de connaître la réponse ?
— Quoi ? répète à nouveau Eren et sa patience commence à s'effilocher.
Jean regarde le ciel, au-dessus, à moitié caché par les branches des arbres sous lesquels ils sont.
— Comment tu t'es fait ça ?
Le silence lui répond. Puis :
— Ça quoi ?
— Ta marque, comment est-ce qu'elle est devenue comme ça ?
La tête d'Eren ne bouge pas de sa cuisse, mais Jean le sent se tendre. Il n'a jamais demandé : au départ par respect, puis par peur de le voir se vexer. De le voir se fermer à nouveau, et redevenir un petit con colérique (ce qu'il est toujours, mais plus vraiment avec lui).
— Si tu veux pas le dire, c'est pas grave, hein. Je demandais juste parce que... et bien parce que c'est pas —
— Comment tu sais que je suis pas né comme ça ?
Jean se souvient de ce qu'il lui a dit, ce jour-là pendant la partie de foot. Il se mord la lèvre.
— C'est le cas ?
— Non. C'est mon père. J'avais 8 ans.
L'air encore un minimum détendu de Jean disparaît complètement. Son ventre se tord, encore et encore, jusqu'à devenir affreusement douloureux. Il sent le lien tirer, tirer fort, puis son cœur commence enfin à ralentir et il inspire profondément.
— Pourquoi ? souffle-t-il.
Il y a sûrement de meilleures questions. Comment ? Est-ce que ça dure toujours ? Est-ce que tu es en sécurité, Jaeger ?
— Parce que ma mère est morte cette année-là. Que c'était son âme sœur. Et que ça l'a détruit.
Il entend quelque chose dans la voix d'Eren, dans le ton détaché, dans le regard qui reste tourné vers le ciel. Il a envie de tendre la main pour la poser dans ses cheveux. C'est juste là, à portée de bras. C'est peut-être pas le moment. Ou c'est peut-être un peu trop le moment, justement.
— Eren...
— Je vis chez Armin depuis mes 10 ans. Son grand-père est adorable. Il lit beaucoup. Mikasa habite la maison juste à côté.
Il détourne le sujet. Plus ou moins. C'est encore un peu le sujet, mais pas tout à fait. Jean attend, patiemment : le soleil tape, le vent souffle, les feuilles bougent. Il serre les lèvres.
— Il pleurait tous les jours. Il a arrêté de travailler. Il était médecin, tu sais ? Un bon, apparemment. Chirurgien.
Une nouvelle pause.
— Un jour, il a juste vu ma marque. La sienne était devenue terne, presque grise. C'est comme ça, quand ton âme sœur meurt. Il la voyait tous les jours dans le miroir, et ce jour-là c'est la mienne qu'il a vue. C'était l'hiver. Le tisonnier n'était pas loin, et la cheminée était allumée. Tu devines la suite.
Malheureusement, Jean imagine un peu trop bien pour que ça soit réel. Il voit des images derrière ses paupières. L'endroit où la tête d'Eren est appuyée contre sa jambe le picote. Un cri, des pleurs, un fer chauffé à blanc. Une voix peinée qui lui demande d'arrêter de pleurer.
Jean inspire profondément.
La première fois qu'il a vu Eren, il a juste eu envie de pleurer.
— Je suis désolé, dit-il.
Car il l'est.
— C'est pas grave. Ça fait longtemps.
— Ça veut rien dire. Je suis quand même désolé.
— Je sais même plus à quoi elle ressemble. Parfois je me dis que j'aurais du prendre une photo, ou quelque chose comme ça.
Jean se mord la lèvre. La voix d'Eren est toute petite.
— Peut-être que ça a détruit le lien. On connaît pas encore toutes les influences d'une marque. Peut-être que je suis passé à côté, et que je ne le saurais jamais.
Il déglutit. Jean tend lentement la main : doucement, tout doucement, puis ses doigts effleurent les cheveux d'Eren.
Il caresse doucement. Les paupières d'Eren se ferment. Il sourit avec douceur.
Eren ne dit rien de plus.
Jean sort du bâtiment au moins une heure avant la fin de l'épreuve.
Il n'est pas certain de savoir ce que ça veut dire : peut-être que c'est bien, peut-être qu'il savait tout simplement tout faire rapidement. Ou peut-être qu'il s'est foiré, qu'il n'a pas vu une quatrième page d'énoncé, ou que tous ses calculs sont faux.
Il déglutit, et sort dans la chaleur.
Dehors, le soleil n'a pas bougé : toujours aussi insupportable que quand il l'éblouissait dans la salle d'épreuve. Jean soupire et commence à se diriger vers le parc. Les allées du lycée sont encore plus ou moins vides. Certains attendent devant les grilles, d'autres fument à côté du muret, et quelques personnes bronzent dans l'herbe, presque endormie.
Jean marche tout droit vers la silhouette penchée sur un livre qu'il aperçoit tout au bout, sous les arbres. Il avance, son sac à dos sur l'épaule, celui qui contient ses pauvres stylos, sa calculatrice, et tous ces brouillons qu'on leur file et qu'ils n'utilisent jamais. Jean, tout du moins, ne les utilise jamais. Eren, lui, marque un nombre indécent d'idée pour ses dissertations.
— Alors ? Demande Jean en arrivant derrière lui.
Eren sursaute. Fort. Ce qui est suspect car en général Eren s'en fiche un peu de tout.
— Oh, t'as déjà fini ?
Jean s'apprête à s'asseoir à côté de lui, histoire de débriefer sur l'épreuve qu'il vient de passer, mais tout à coup Eren referme son livre et il est debout face à lui. Droit. Les joues rouges.
Jean fronce les sourcils.
— Est-ce que ça va ?
— Pourquoi ça n'irait pas ? Ça va super. Ouais. Ouaip. Génial.
D'accord. Les sourcils de Jean se dérident puis se haussent très lentement. Eren détourne le regard innocemment, et commence à se dandiner d'un pied sur l'autre.
— Eren ?
— Oui, oui. Attends. Je...je vais juste faire un truc et tu... et tu ne vas pas me frapper ou quoi. Peut-être une gifle, si tu y tiens tant. Mais j'ai des bons réflexes alors peut-être que je vais te la rendre sans faire exprès.
Jean se dit que peut-être il s'est endormi pendant son examen, et qu'il est en train de rêver. Souvent, ses rêves n'ont absolument aucun sens. Comme maintenant.
— Ce que tu dis n'a aucun sens.
— Attends.
Eren inspire profondément. Il regarde leurs chaussures un instant, puis souvent se redresse et se penche vers lui. Jean a tout juste le temps de sentir deux mains attraper le côté de ses joues avant que les lèvres d'Eren se posent sur les siennes.
Tout son corps se tend. C'est forcément un rêve. C'est forcément un rêve car Eren ne sait pas que —
Les lèvres bougent, remuent, et un électrochoc le parcourt si intensément que Jean fait un pas en avant et appuie encore plus fort : sa respiration se coupe, la seule chose à laquelle il pense est ce pauvre crétin qui donne à son corps l'impression de ne plus lui appartenir. Son cœur s'affole, son ventre se tord, sa poitrine devient si étroite...
Ils se séparent.
Face à lui, les yeux d'Eren sont plus verts que bleus. Ils brillent.
— Je suis désolé, entend Jean.
C'est à peine audible.
— Je sais que...que ta marque...
Il déglutit, mais ne s'éloigne pas pour autant.
— Le moment venu je m'écarterais, je te le jure, mais en attendant est-ce que je pourrais pas juste...
Jean se penche à nouveau, et empêche un mot de plus de passer ses lèvres. Eren a un goût de tout : tout ce qu'il a toujours attendu, tout ce qu'il a toujours voulu, et tout ce qu'il a toujours imaginé.
Embrasser son âme sœur, c'est un peu comme placer la dernière pièce d'un puzzle de 1000 pièces. La sensation est indescriptible. La satisfaction n'a pas son pareil.
— Tais-toi, tu veux ?
Jean essaye de l'embrasser à nouveau, mais soudain Eren se recule un tout petit peu. Il pose une main sur son torse, et penche la tête de manière à rencontrer son regard.
Eren ne brise pas le contact, ne bouge pas. Les secondes s'étirent, encore et encore : le silence autour d'eux est intact, presque personne n'est aux alentours, et Jean ne comprend pas bien ce qu'il cherche.
Jusqu'à ce qu'Eren Jaeger écarquille lentement les yeux. Et que son expression trahisse absolument tout ce qu'il vient de lire dans le regard de Jean.
— Putain de merde. C'est toi ? C'est toi, c'est ça ?
Jean soupire, d'abord de soulagement car Eren n'a l'air ni furieux ni à deux doigts de lui mettre son poing dans la figure. Puis de fatigue, car la discussion à venir l'épuise déjà.
Il pose sa tête contre l'épaule d'Eren.
— Et t'as lu ça dans mes yeux ?
— Plus ou moins. Quelque chose comme ça. Alors c'est ça ? Cette sensation étrange qui me donne envie de m'arracher la peau et de me rouler par terre ? Le fait que mon sang boue chaque fois que je te vois ?
Il n'y a qu'Eren pour confondre ça avec la reconnaissance d'une âme sœur. Pour confondre la rage et...et quoi que ce soit réellement.
— Ouais. Ça me fait cet effet-là aussi.
— Pourquoi tu me l'as pas dit ?
— Parce que t'es un pauvre con, Jaeger. Et que tu m'as sauté à la gorge la première fois qu'on s'est vu.
Il entend Eren pouffer, puis des bras le serrent fort.
— Putain de merde.
— Ouais.
L'été est brûlant. Les examens sont terminés. Et Eren Jaeger ne s'est pas battu avec lui depuis presque trois mois.
La marque de Jean le picote. Peut-être qu'elle le sent, elle aussi. Elle sent que l'avenir est là, possible et proche, et que bien heureusement Eren en fait partie.
C'est affreusement niais : Jean ricane dans sa nuque, puis se redresse pour embrasser ses lèvres une ou deux fois de plus.
Puis, aussi simplement que ça, le lycée se termine.
Des bisous !
