Ce gars avait eu pire que lui. Mille fois pire.
Une petite vie rangée, la célébrité surprise, un pied dans la tombe : Un trio gagnant, golden trio dont écopaient seulement les super héros de comics d'habitude. Mais le gars à se trouver devant ses yeux n'était pas un héros, pas un de ces héros en tout cas. Sinon, le grand amateurs de comics qu'il était l'aurait reconnu.
Voilà près d'un mois que Jacob Barber était dans le coma. Il l'avait lu sur sa fiche, son état de santé et surtout son nom. Un nom tristement familier pour la plupart des américains n'habitant pas en pleine forêt loin de toute civilisation et surtout des moyens de se tenir informés des nouvelles plus ou moins triées, rangés, jugée les plus retentissantes. Puis il avait sourit en remarquant seulement maintenant que ce jeune homme et lui même partageaient un point commun à attiser son intérêt pour les choses sortant de l'ordinaire. Des trucs bizarres comme disaient les gens ennuyeux pour qui ce terme n'évoquait que dégoût et mépris.
En fait, lui aussi s'appelait Barber, Stanley Barber. Et Stanley avait de suite eu envie de devenir l'ami de Jacob. À l'instant même où son chemin avait croisé celui de cet autre Barber, encore plus en apprenant son nom et sans se démonter en contextualisant le personnage.
Indirectement, peut-être bien que ce germe de liaison humaine pas encore mis en terre avait eu lieu dès qu'il l'avait aperçu brièvement à la télévision et que son père avait commenté que ce gamin tueur était encore plus fêlé que son propre fils, Stan avait eu cette envie soudaine mais évidente de devenir l'ami de ce gars qui semblait si perdu, pour ne pas dire désespéré. À lui donner l'impression que malgré ce geste peu courtois (oui, ce n'était pas bien de poignarder un de ses camardes de classe, bien que parfois certains tourmenteurs pouvaient dangereusement affaiblir les limites de leur cibles déjà bien fragiles), ce jeune meurtrier donnait l'impression d'être lui même la victime plus que la vrai victime annoncées et officielle... Ça, Stanley Barber aurait une fois de plus eu fière allure en soutenant un soi-disant assassin dont il avait l'intime conviction que son geste trouvait une raison logique. En se voulant l'avocat du diable, il aurait côtoyé un gars qui ne pouvait pas être ce monstre dépeint par les journaux ou la télévision. Il aurait sympathisé, plaisanté avec lui sur tout ces trucs en plus de le soutenir. C'était bien ça que faisaient les vrais amis après tout, bien que Stanley n'avait pas l'impression d'avoir eu de vrais amis proche une fois dans sa vie. Ceux amassés par la force des choses (et de la chance) lors de sa petite enfance ça ne comptait pas vraiment puisque l'éloignement suivait une certaine évolution elle aussi... Les vrais amis, ceux qu'on voulait et se destinait à garder sous le coude toute une vie, agissaient de façon normale. Un semblant, un peu de normalité au moins pour ce genre de choses certes stupides mais tellement agréables.
Et puis ce n'était certainement pas non plus pour rien si le jeune homme s'était retrouvé dans le même hôpital que le tristement célèbre Jacob Barber, il y avait bien une raison évidente à cela. Pour réaliser ce rêve trop incongru pour être formulé, cette envie brièvement coupable, cette si belle bizarrerie, les faire se rencontrer !
Stanley Barber, le gars étrange et indigne de toute l'aura du pathétisme que certains lui donnaient avec condescendance qui se retrouvait nez à nez avec Jacob Barber ce prétendu psychopathe foncièrement dangereux issu d'une lignée se passant l'arme du crime de grand-père en petit-fils, à avoir assassiné de sang froid un de ses camarades de classe.
Ces deux là étaient forcément faits pour se rencontrer et devenir de bons amis !
Et c'était maintenant chose faite. Enfin presque... !
Aussi maladroit soit-il dans ses bonnes intentions, Stanley n'avait pas fait l'affront de demander aux parents pourquoi Jacob se retrouvait ici et encore moins de jouer sournoisement à celui qui ne connaissait pas Jacob Barber.
Comme à son habitude et avec ses méthodes bien à lui, Stan s'était tout simplement incrusté. Imposé avec autant de finesse qu'une bonne punchline qu'on garde précieusement dans un coin de sa tête, de façon un peu crispante au début puis avec une familiarité rassurante. Apaisante comme pouvait l'être un personnage préféré de série ou de film qu'on finissait pas adopter puis adorer.
Tout comme il avait précisément envie d'être les héros de ces histoires que Laurie Barber racontait quotidiennement à son fils, Jacob. Des livres d'images pour enfants, Stan avait dû avoir les mêmes étant gosse mais il ne s'en rappelait que très vaguement comme ça lui faisait un petit pincement au cœur. Aussi, suivre les aventures du fier chevalier ou d'un capitaine pirate par bribes en passant furtivement devant la porte de la chambre ne devait pas aider non plus à très bien saisir comment le héros se sortait toujours aussi facilement de n'importe quelle situation... Quoique, cela ressemblait de très prêt à la manière de faire de Stanley Barber, mais en moins cool !
Pourtant, un beau jour (à peine une semaine après son petit manège et sa rencontre symbolique avec Jacob) le jeune homme avait été invité par Laurie en personne à y prendre part. À leur tenir compagnie, à Jacob et elle (car oui Jacob était bien là, même si pour le moment il ne s'imposait que par sa simple et unique présence physique). À assister à la lecture de ces contes, les préférés de Jacob quand il était petit comme l'avait souligné la mère de ce dernier de la même manière qu'elle l'aurait signalé à un ami de son fils. Avec forcément la même émotion dans la voix. Mais à présent, par déduction, Stan se doutait que le palmarès des amis de confiance après une affaire pareille ne devait pas être des plus glorieux selon le jugement de ceux qui ne juraient que par le nombre d'abonnés sur les réseaux sociaux.
Tout perdre de son image parfaite ne valait pas grand chose quand à côté on perdait ses véritables amis, le jeune homme était bien placé pour le savoir depuis que celle qui aurait pu devenir sa meilleure amie avait mystérieusement disparue pour enfin devenir une super héroïne...! Il en était sûr, il voulait y croire. Ça le rassurait, le faisait se sentir moins coupable de ne pas avoir été davantage là pour elle... Et le faisait toujours serrer très fort la main de Jacob dans la sienne lorsqu'il y repensait. Comme quoi il ne voulait pas perdre ce futur ami à en devenir (forcément, c'était écrit dans leur nom après tout !) comme il avait perdu sa première petite amie puis potentielle meilleure amie. Mais il ne voulait pas non plus trop en faire, trop espérer, cette pulsion lui avait joué si souvent des tours...
Pour être tout à fait honnête et surtout respectueux de la douleur des parents de Jacob, Stan n'avait pas voulu s'imposer. Venir avec ses gros sabots alors que Madame Barber lisait calmement une histoire merveilleuse à son fils qui devait sûrement l'entendre et être heureux. Peut-être bien aussi heureux que l'était son futur ami Stan, assis sur une chaise à côté du lit, en écoutant silencieusement lesdites histoires. En vivant presque chacun de ces récits, se demandant ce que Jacob penserait de ce passage qui les ferait à n'en point douter tous les deux beaucoup rire. Stanley était même prêt à parier que son nouvel ami et lui auraient de grands débats sur la fin de ces contes. Sans trop savoir pourquoi, Jacob Barber se classait dans son esprit comme quelqu'un habité de bonnes intentions, instinctif, assez terre à terre, direct mais en usant de tact après coup, doté d'une grande sensibilité et d'un sens de l'humour bien à lui. Les paroles pleine de justesse et de tendresse venant de Laurie sur son cher fils n'avaient fait que confirmer ses premiers traits du portrait sensiblement psychologique de Jacob.
Un gars qui ne le traiterait pas de fou (s'il pouvait lui répondre) en l'entendant raconter tous ces trucs, tard le soir à l'heure où les visites étaient terminées depuis longtemps mais cela tombait bien puisque c'était ces moments là que Stanley Barber avait choisi pour raconter ses propres histoires à son futur nouvel ami. Non, pas parce qu'il ne pouvait pas parler et donc manifester son peu d'intérêt pour ces divagations comme le faisaient beaucoup de ses camarades de classe, Stan ressentait au fond de lui que ce jeune homme l'écoutait, le croyait, le comprenait, l'appréciait. Autant que lui même l'appréciait déjà beaucoup.
Déjà, pour bien commencer cette aventure (leur aventure plus précisément, car Stan n'avait encore jamais raconté cette histoire à personne d'autre qu'à lui même pour ne jamais l'oublier), Jacob avait écouté avec un calme attentif et exemplaire quand son cher ami au style aussi cool qu'inégalable mais définitivement bizarre lui avait présenté sa super héroïne préférée : Sydney Novak, alias Syd, une jeune fille au demeurant des plus banales surtout pour des scénaristes voulant une adolescente la plus mystérieuse et torturée possible, très jolie avec son propre petit charme bien a elle, sans l'être de trop non plus. Juste assez pour attiser la curiosité et la sympathie du public. Et du gars bizarre de service qui était bien évidement tombé amoureux d'elle. On ne se refaisait pas ! Syd n'était vraiment pas comme les autres, elle n'était pas ennuyeuse ni hypocrite ou à l'esprit étroit et creux comme la plupart des habitants de leur ville merdique.
Ouais vraiment, il ne se passait rien dans cette ville loin de tout, chiante, triste, donnant l'impression d'être éternellement endormie et bloquée dans le passé. Mais pas dans la partie du passé qui faisait tant rêver ce gars drogué au groupe Blood Witch, au style vintage et à la weed. Pour se redonner du courage et quand l'effet planant d'une de ses drogues faisait correctement son effet, Stan se disait qu'après le lycée il allait se tirer illico de cette ville. Avec un beau camping-car d'époque pour aller jusqu'à Albuquerque pour s'y installer !
En effet, sans parler de devenir le complice redoutable d'une armée de méduses (ça, c'était pour plus tard) Stanley rêvait de partir de cette ville pour voguer ailleurs et Syd lui avait fait entrevoir plus clairement ce rêve. En couleur. De vraies couleurs, pas celles provoquées par certaines hallucinations... À peine, mais assez pour le faire s'imaginer devenir le mentor de la jeune fille à l'époque déjà lointaine de leur amitié un peu particulière ! Cette perspective pouvait bien amuser Jacob (Stan l'avait entendu et vu soupirer un peu plus fort), c'était un projet très sérieux. On ne peut plus sérieux ! Sydney possédait de super pouvoirs. Il l'avait vu de ses yeux en plus d'avoir failli y rester et que cette découverte devienne son dernier souvenir avant d'entrevoir la fameuse lumière...!
Tout en riant, à se remémorer ce moment d'adrénaline digne des meilleurs films d'action des films kitch, Stan avouait que la meilleure utilisation des pouvoirs de Sydney Novak s'était révélée quand ceux ci avait servi à faire taire Brad. Littéralement. Éternellement ! La meilleure fin possible pour le si admiré et magnifique Mr Bradley Lewis.
Elle était tout simplement parfaite, sa super héroïne, la fille de ses rêves qui était bien réelle puisqu'il avait pu l'embrasser, la toucher et coucher avec elle. Clairement la plus belle nuit de sa vie...
Repenser à ces instants d'euphorie insouciante avec celle qui avait été sa vraie première petite amie lui avait justement fait se demander si Jacob en avait eu une, petite amie. Ou un petit ami qui sait... Enfin, qu'importe son genre, si cette éventuelle moitié n'y avait visiblement pas cru. À son innocence, son humanité, jusqu'à en soutenir Jacob Barber durant ces moments qui avaient dû être les plus durs de sa jeune existence. Aujourd'hui et ce depuis son entrée à l'hôpital, vu qu'il était tout seul avec le plus grand fan du groupe Blood Witch, l'éventuelle personne aimée n'avait pas su faire fi des accusations et du voile d'ombre qui ferait maintenant toujours partie de ce jeune homme. Ou pas réussi à le faire malgré tout l'amour ressenti.
Stan ne lui jetait pas la pierre, lui aussi avait eu du mal à se faire à l'idée que Syd ne l'aime pas comme lui l'aimait. La chose avait été douloureuse, dure à encaisser mais pas la fin du monde non plus. Sauf pour lui, au début. Maintenant c'était juste un souvenir encore un peu délicat mais une mésaventure de plus pour l'histoire de Sydney Novak.
Encore un truc mille fois pire que son propre cas, entre se faire lâcher par sa moitié après s'être fait innocenter in-extremis d'accusations de meurtre et se faire friendzoner par sa petite amie idéale ensuite disparue pour vivre de vraies aventures, le choix ne se faisait pas. Il s'imposait de lui même !
Tout comme cette autre évidence s'était imposée à lui dès les débuts de leur cohabitation hospitalière : Jacob possédait des parents tout bonnement géniaux.
Sans jalousie ou amertume aucune, Stan se rendait compte que dans son malheur Jacob Barber avait bien de la chance d'avoir des parents comme Andy et Laurie. Des Barber issus d'un monde parallèle à tous les Barber de sa propre famille bien plus biscornue pour dire les choses de façon un minimum correcte !
Son père à lui, un Barber dans toute la splendeur de leur malédiction, l'aurait jeté en pâture à tout le monde pourvu que ça rapporte de la popularité et surtout de l'argent. Mais néanmoins beaucoup moins intervenir si Stanley s'était fait lyncher par la populace excitée à cause des médias, ce genre de situation l'aurait même très certainement fait beaucoup rire de son fameux rire malsain et désabusé.
Cette cruelle vérité l'avait fait rire lui aussi, d'un petit rire mal à l'aise. Son père ne l'aimait pas. Il ne l'aimait pas comme Andy aimait son fils. Le sien ne remuerait pas ciel et terre pour sauver son enfant, cet enfoiré serait plutôt à observer en silence et pas mécontent que son foutu gamin se fasse humilier. En se disant que ce raté n'avait que ce qu'il méritait et que ça lui mettrait un peu de plomb dans la cervelle comme lui même s'évertuait à le faire en l'insultant, l'humiliant, le frappant parfois aussi.
Comme il avait presque réussi à si bien le faire la dernière fois, pour carrément envoyer son cher fils à l'hôpital... Mais Stan ne voulait plus y penser. À son père, cet accident, ces ennuis à venir.
Il préférait se concentrer sur ce lien très nouveau et précieux avec ce gars.
Un Barber comme lui, mais d'un autre type. Un Barber qui allait changer, inverser, la tendance et lui montrer que cette espèce de dimension parallèle dont il faisait partie depuis que sa route avait enfin croisée celle de Jacob, le nom Barber n'était pas maudit. Ce nom devenait même béni puisqu'il lui avait porté bonheur pour rencontrer, sympathiser et se lier d'amitié avec Jacob Barber. Techniquement parlant. Ils étaient presque amis après tout, les parents de Jacob commençaient à l'apprécier et voyaient d'un très bon œil que ce jeune homme du même âge que leur fils tienne compagnie à ce dernier tous les jours avec toujours le même enthousiasme sincère. Mais ce que Laurie et Andy ignoraient, c'était que Stan passait également ses nuits avec Jacob. En tout bien tout honneur, à lui raconter des histoires en serrant sa main dans la sienne. En lui souriant car il savait que Jacob l'entendait et pouvait le percevoir, ressentir cette présence se voulant amicale.
Il l'adorait déjà ce Jacob Barber, qui lui faisait enfin aimer ce nom honni que Stan portait autrefois avec une certaine honte. Maintenant, celui qui s'intronisait The King of Rock 'N' Roll quand il chantait sa chanson fétiche était même fier de porter le même nom que le gars qui serait forcément un bon ami.
