La Grande Inquisitrice scruta finement le présent qui venait de lui être fait. La lame étincelait à la lumière à mesure qu'elle la faisait tourner entre ses mains.

« Tu veux l'essayer ? » avait murmuré une voix chaude en face d'elle. Aurora releva ses yeux turquoise. Le chevalier roux l'épingla du regard, ses yeux inquisiteurs laissaient paraître son attrait pour la réponse. La jeune femme brisa ce contact d'une manière volontairement dédaigneuse.

« Que me proposes-tu ? demanda-t-elle en rangeant l'arme dans son fourreau de cuire.

- Un duel, pour te la mettre en main.

Aurora le toisa, main sur la hanche.

- Contre le chef de la garnison ? lança-t-elle désinvolte.

- Qui d'autre pour affronter la Grande Inquisitrice ? répondit-il joueur.

Aurora ne put brimer l'apparition d'un sourire malicieux sur son visage. Elle détailla le chevalier qui se tenait debout devant elle de la tête aux pieds, avant de le transpercer de nouveau de ses iris claires.

- Très bien alors. »

Le rouquin afficha un sourire satisfait et défiant. Aurora fit de même. Elle savait pourtant bien que, question fierté, c'était inévitablement du suicide, mais elle avait tout de même bon espoir de lui donner du fil à retordre. La Grande Inquisitrice ne laissa rien paraître de tout cela.

Les deux gens de loi se mirent, sans plus attendre, en chemin vers la caserne. Aurora troqua sa tenue de cérémonie pour une cuirasse et un bas d'entraînement, avant d'attacher ses cheveux. Garnet fit de même avant de l'attendre sur le terrain en terre battue de la caserne.

Ces deux-là échangèrent à peines quelques mots et se positionnèrent sur le terrain, face à face, à quelques mètres de distance, arme à la main.

« A toi l'honneur d'ouvrir le combat, Grande Inquisitrice, lança le jeune homme, un grand sourire arrogant au visage.

L'interpelée pinça ses lèvres face à cet affront. Qu'insinuait-il, qu'elle avait besoin de temps pour se concentrer ? Mais la jeune femme ne le laissa pas altérer son sang-froid. A la place, elle haussa les sourcils et le gratifia d'un regard glacial fort empreint de déception.

- Le duel n'a pas encore débuté que vous vous montrez déloyal, Sire ?

- Non, juste galant » siffla-t-il amusé.

Aurora fit jouer sa nouvelle épée dans sa main gantée afin de l'empoigner, prête au combat. Elle ne put s'empêcher de remarquer qu'elle était incroyablement légère, et maniable. C'était bien là l'œuvre du meilleur artisan de la cité, et Garnet le lui en avait fait le cadeau.

Assez parlé. La Grande Inquisitrice ne le quittait plus des yeux et salua son adversaire de sa lame.

« En Garde ! »

Poing gauche dans leurs dos, bustes légèrement de profil, les jambes sensiblement fléchies, les deux inquisiteurs se miraient en chien de faïence.

« Prêts ? »

Garnet hocha de la tête.

« Allez ! »

Les deux inquisiteurs commencèrent à piétiner et à se tourner autour. Garnet attendait qu'Aurora attaque la première, cela ne manqua pas de l'exaspérer, mais c'est ce qu'elle fit pour débloquer la situation. Le chevalier para brusquement son coup et recula. Un large sourire fendit son visage. Aurora se fit plus incisive dans son deuxième assaut. William le para encore. Le combat resta en suspens quelques secondes. Qu'attendait-il ? Lasse de voir que ce combat tournait à sens unique, l'Inquisitrice décida de provoquer son adversaire par un assaut encore plus précis et virulent. Elle fut également la première à lâcher un râle de guerre, aussitôt suivi de son partenaire qui eut, il fallait l'avouer, bien du mal à esquiver le coup. Aurora s'acharna sur lui par des coups toujours plus rapides, toujours plus précis. Garnet les parait tous, non sans peine. Les minutes s'égrainaient sans qu'aucun des deux ne prenne l'avantage de l'autre. Le vacarme des lames s'entrechoquant emplissait la caserne.

Avant de se faire acculer, le chevalier riposta violemment. Aurora accusa lourdement le coup. Déséquilibrée, elle glissa sur le sol mais réussit à se dégager. Garnet attendit qu'elle se campe de nouveau sur ses appuis. Les deux jeunes gens avaient le souffle court.

Aurora s'agaça :

« Garde ta pitié, William !

- Qui te parle de pitié, ricana-t-il un peu déconcerté.

La Grande Inquisitrice fondit de nouveau sur lui.

- Mes sorcières ne t'auraient pas fait de cadeaux, elles !

- Ah oui ? Et la Grande Sorcière alors ? Prend-elle pitié de braves chevaliers ?

William la repoussa si fort que ses pieds glissèrent de nouveau dans la poussière. La Première Ombre se redressa avec hargne, ses forces commençant à lui faire défaut, ce qu'elle masqua sous un rictus moqueur.

- C'est une supplication ?

- Demander grâce serait indigne de mon rang, répondit-il sur le même ton.

Cette fois, le chevalier s'avançait vers elle. Les assauts reprirent. Aurora esquivait agilement ce qu'elle pouvait et parait le reste. Ses muscles la lançaient, la fatigue lui faisait cruellement défaut. Elle cherchait une ouverture, un moyen de lui asséner un coup fatal. Garnet fut plus rapide et un coup au sternum finit de la faire s'écrouler au sol, le souffle coupé. Quand elle rouvrit les yeux après le choc, le chevalier était debout au-dessus d'elle, triomphant, la lame pointée vers sa gorge. Le temps de réaliser sa défaite, Aurora, amère, se laissa de nouveau tomber au sol, jeta son épée sur le côté et ramena ses mains en évidence, paumes tournées au ciel au niveau de sa tête. Ses yeux assassins rencontrèrent une fois de plus ceux de son partenaire.

- Demandez grâce et je vous épargnerai.

Aurora fronça vivement les sourcils, le fusilla du regard et aboya :

- Même pas en rêves, William !

L'inquisiteur arbora un sourire malin.

- Dis-le.

L'Inquisitrice n'était absolument pas encline à perdre la face à ce point.

- Non.

Le chevalier s'avança davantage, il enjamba son corps et changea sa prise sur son épée. Elle était désormais pointée à la verticale au-dessus d'elle. Comme si ce n'était pas suffisant, Garnet descendit sur ses cuisses et posa genoux à terre.

- Dis-le.

Aurora inspira difficilement, décontenancée. Malgré tout le contrôle qu'elle avait sur elle-même, elle savait qu'elle ne pouvait s'empêcher de rougir, même rien qu'un peu, à cet instant. Plus de honte que d'embarras, ça, elle ne le savait pas. Encagée par les jambes du chevalier, sous le joug de son épée, dans cette ridicule position de faiblesse, elle était impuissante. Elle redoutait surtout que quelqu'un ne les surprenne, seuls, dans la cour d'entraînement, et surtout dans cette position. Sa fierté lui interdisait de répondre à sa volonté. Elle essaya d'éluder la situation. Aurora souffla, agacée :

- Halte ?

Garnet ne s'attendait manifestement pas à cela. Cette réponse lui arracha un soupir à la fois amusé et exaspéré. Le contact visuel fut rompu alors que le chevalier jetait son épée à leur côté. Il lança un regard en coin à la jeune femme. Aurora, toujours prisonnière, continuait d'afficher cet air contrarié qui perdait tout son sérieux à cause de son rougissement. Garnet se pencha au-dessus de son visage, prenant appui sur sa main et son avant-bras, qu'il plaça à quelques centimètres de chaque côté de sa tête. L'expression de l'Inquisitrice se troubla encore plus, le chevalier s'en délecta.

- Tu manques de technique et de force mais tu t'es bien battue. Bravo.

Le rouquin déposa un baiser à la commissure de ses lèvres. La jeune femme fit mine de ne pas réagir. William se défit d'elle et sourit, amusé.

- Eva, tu boudes ?

Eva lui lança un regard noir.

- Je ne boude pas.

Le sourire du chevalier s'élargit encore plus alors qu'il se penchait de nouveau sur ses lèvres.

- Si, tu boudes.

Il l'embrassa une seconde fois. L'Inquisitrice cassa sa joie.

- C'est bon, tu peux me laisser me relever maintenant ? »

Garnet souffla, à la limite entre l'amusement, la frustration et l'exaspération. Garnet la libéra. Aurora refusa son aide pour se relever. Face à tant d'entêtement, le chevalier se résigna et partit ramasser les armes au sol. Aurora s'époussetait. Ramassant la toute jeune épée de l'Inquisitrice dans le gravier, William lui proposa, très sérieux :

« Je pourrais te donner des leçons d'armes, si tu veux.

Aurora prit cela pour une énième provocation et s'avança vers lui.

- William… » soupira-t-elle.

Le chevalier tourna la tête dans sa direction. Il eut à peine le temps de remarquer son expression, ces lèvres pincées et ces yeux dédaigneux, les mêmes lorsque son travail ne la satisfaisait pas à l'époque où ils travaillaient ensemble.

La seconde d'après, il était à terre, à plat ventre, à mordre la poussière. L'Inquisitrice lui faisait une clef de bras dans le dos, ses genoux appuyés sur son cou et ses omoplates, bloquant son coude entre ses cuisses. Garnet étouffa un râle de douleur. Bien fait pour lui, il n'aurait pas dû baisser sa garde, surtout avec elle. Il ne pouvait pas le voir, mais Eva arborait désormais ce petit sourire satisfait et sadique qu'elle affectionnait tant. La jeune femme se pencha à son oreille, le chevalier grogna un peu plus au mouvement, et elle lui intima dans un susurre :

« Tu manques de souplesse, mon amour ».