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Salutations !
Ceci est ma deuxième oeuvre sur le fandom Good Omens/De bons présages, j'espère que ça vous plaira :)
J'ai commencé cet OS en voulant une douce tranche de vie d'Aziraphale lisant devant sa cheminée, et je me suis retrouvée avec deux scènes de nos deux loustics qui boivent du vin, ça doit être ineffable !
(Si vous n'êtes pas des êtres millénaires, faites attention à votre consommation d'alcool)
Bonne lecture !
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Cèdre, feu de cheminée, vol éhonté et verres de vin
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Troisième étage d'une librairie poussiéreuse. Londres. Angleterre. Plan terrestre.
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Une montagne de livres à ses côtés, l'ange de Soho lisait tranquillement en attendant l'arrivée de son compère déchu. Confortablement installé dans son fauteuil bien-aimé, il tournait avec minutie les pages de chaque tome à la lueur mordorée d'un feu de cheminée.
Les flammes dans l'âtre dévoraient une même bûche de cèdre odorante depuis plus de vingt ans déjà.
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Un soir d'hiver, deux décennies plus tôt, Rampa avait fait irruption dans la librairie, le bout de bois sous le bras, dans une bourrasque de vent et de neige. Aziraphale avait failli ne pas le reconnaître - il ne l'aurait pas fait, vraiment, si quelqu'un d'autre avait été susceptible d'entrer dans la boutique. Sa silhouette maigre et cassante était totalement engloutie sous un tas de laine. S'il s'en souvenait bien - et croyez-le, Aziraphale avait une bonne mémoire pour ces choses-là - le démon disparaissait alors sous trois pulls ; un violet acidulé dont on voyait à peine le col, un rouge écarlate qui dépassait et couvrait ses hanches, et un tricot à grosses mailles, couleur puce, qui devait jadis avoir été noir. Ses pantalons en tissus épais lui donnaient presque l'air humain, ou en bonne santé tout du moins. Le tout était caché sous un duffel-coat sombre et entouré de diverses écharpes colorées. Pas étonnant que l'ange se soit figé pendant de longues secondes au beau milieu de ses salutations habituelles.
Inconscient de l'effet de sa tenue hivernale, Rampa était passé devant son homologue céleste en un froissement de tissus avant de s'agenouiller devant l'âtre.
C'était une belle construction, toute de briques brunes et de pierres crème, et Aziraphale l'aimait comme on aime une belle décoration dans une pièce. Ornementale, typiquement humaine, sans besoin d'entretien. Elle avait alors pour seul défaut celui de n'avoir jamais été allumée. Défaut qui disparut aussi sec quand le démon lâcha brutalement sa lourde bûche sur les chenets en métal du foyer.
En un sifflement, le feu crépitait. Les flammes léchèrent alors la plaque en fonte au fond de l'âtre, y gravant un large pommier familier.
Tandis que le démon se redressait, un air satisfait sur le visage, l'ange, encore éberlué par son arrivée impromptue si peu de temps après leur réconciliation, pouffa. Les bottes écailleuses de Rampa n'avaient pas échappé à la folie laineuse de leur porteur et se retrouvaient affublées d'affreuses jambières grises. (1) Mais le souffle soulagé des bottes, alors qu'elles se prélassaient dans la chaleur du feu, était tout ce qui importait.
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1. Aziraphale ne se doutait alors pas que l'accessoire allait devenir la coqueluche de la prochaine décennie. 2
2. Comme pour de nombreuses modes, il ne s'en rendit pas plus compte à ce moment-là. À dire vrai, les années 1980 furent assez mouvementées pour l'excuser.
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Capuchon, chapeau, bonnet, manteau et montagne d'écharpes ôtés, Rampa semblait de nouveau lui-même. Il s'affala alors sur le canapé d'Aziraphale - qui s'était déplacé de plusieurs mètres pour accueillir le démon au plus près de l'âtre et n'avait plus bougé depuis - et s'y désossa. Le tas de membres enfoui sous la couverture en tartan rugueuse d'Aziraphale lui lança enfin un « Salut, mon ange ! ». Une bouteille de rouge prit place entre eux, et leurs rencontres accidentelles reprirent leur cours.
Jusqu'à l'annonce de la naissance de l'Antichrist, mais ceci est une autre histoire.
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Depuis lors, la bûche de cèdre était devenue l'un des symboles de la librairie. Ses senteurs cendrées et boisées accompagnant les quelques privilégiés dans leurs circonvolutions entre les hautes étagères.
L'odeur n'avait pas changé en vingt ans, songea pensivement Aziraphale. Considérant que la boutique avait brûlé avant qu'un jeune garçon de Tadfield ne fasse que sa destruction n'ai jamais existé, c'était une sacrée chance. Ou une chance maudite, dirons-nous. L'ange étant, et bien un ange millénaire, il ne lui vint pas à l'esprit que le fait que la même bûche ait pu tenir plus d'une soirée était le plus grand miracle. Face à une telle foi, le morceau de cèdre n'aurait jamais osé se consumer. Si l'idée lui était venue de laisser son écorce roussir, le regard jaune qui l'inspectait à chaque visite l'en aurait vite dissuadé.
Regard jaune qui commençait à se faire attendre…
Aziraphale ferma le rouleau qu'il venait de terminer ; un livre de compte passionnant d'un marchand Sogdien, rendu plus précieux encore par les notes de sa fille qui narrait leur périple le long de la Route de la Soie - bien que personne ne la nommait ainsi à l'époque. Pris dans sa lecture - ce n'était pas une découverte, l'ayant reçu du marchand lui-même (3) alors qu'il était à Samarcande - l'ange n'avait jusqu'alors pas remarqué qu'il était si tard.
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3. L'homme était très gentil, ils avaient commencé à discuter et Aziraphale s'était retrouvé invité à dîner dans la maison familiale. Aziraphale étant Aziraphale, il était reparti l'estomac bien plein, la tête remplie de recettes qu'il n'oserait jamais tenter (4) et les bras chargés de rouleaux, datant alors d'une décennie, qui n'intéressaient personne d'autre que lui.
4. Il y avait une raison pour laquelle l'ange fin-gourmet hantait auberges et restaurants depuis leur création. Ne laissez jamais un ange s'approcher de votre cuisine. Jamais.
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Ignorant la tension anxieuse qui faisait tressauter son genou, Aziraphale ouvrit un volume relié de cuir bordeaux, bien plus récent bien qu'il soit toujours considéré comme une antiquité. Seulement, il n'avait pas vraiment la tête à la lecture ; ses pensées revenues à ce matin-là.
« À ce soir », avait-il dit alors que le démon passait le pas de sa porte, les mots plus faciles chaque jour, presque naturels. Comme s'ils n'avaient jamais reçu l'ordre de s'annihiler au premier regard. Seule la clochette au dessus de sa porte d'entrée lui répondit. Mais l'ange n'avait pas besoin de mots pour voir les épaules de Rampa se détendre et sa main s'agiter avec une fausse désinvolture, plus claire qu'une signature de feu sur un contrat. Il reviendrait.
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L'un des plus grands changements de leur situation - tout ce grand binz post-Apocal'Oups concernant leur démission de leur poste respectif - concernait leurs rencontres. Sans plus de raison de se croiser dans le parc en nourrissant les canards derrière un large journal, d'aucuns auraient pu s'ennuyer.
Heureusement, la logique n'avait jamais dicté leurs rencontres clandestines et celles-ci continuèrent sans autre motif que le fait qu'ils y étaient habitués et que franchement, ils aimaient ça. Personne ne pouvait leur reprocher d'avoir l'âme d'espions après six millénaires à en inventer le style et les codes. (5)
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5. Saint James Parc devint le point de contact de tous les espions de passage à Londres pour deux raisons. La présence d'une faune de type 'canard' exceptionnellement résistante et celle, depuis la fin du XIXème, de la pâtisserie préférée d'Aziraphale. Les espions retournèrent dans leur pays, allèrent espionner un pays moins impassible, et les réunions hebdomadaires sur un banc public s'expatrièrent avec eux. À quoi bon perdre du temps et de l'énergie à se saborder quand on peut s'échanger poliment quelques infos mineures entre gentlemen ?
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Leurs rencontres privées, elles, avaient évolué. Sans aucune raison pour éviter la seule personne qui les connaissait depuis toujours, ils avaient cessé de se rendre visite. Pour dire simplement, ils ne se rendaient plus visite car ils ne s'étaient pas encore quittés plus de quelques dizaines d'heures, le temps d'un souffle pour eux, depuis l'Armag'ehbéNon.
Il s'avérait que le démon pouvait diablement s'incruster quand il le voulait bien ! Mais six millénaires de modes de vie opposés ne se gommaient pas en un emménagement occulte officieux.
Si leurs rendez-vous dans des parcs et des musées étaient encore moins un hasard qu'auparavant, leurs soirées dans la librairie conservaient ainsi cette aura d'imprévu. L'ange évoluait dans son milieu naturel, sa librairie encombrée bien-aimée. Le déchu-mais-en-fait-j'ai-plus-trébuché conservait son chaos originel. Tours de Londres en Bentley, visites surprises afin que ses plantes ne se relâchent pas, pièces collées au sol devant les boulangeries préférées d'Aziraphale ; Rampa ne s'ennuyait pas. Il disparaissait même parfois quelques jours, revenant avec un sourire narquois et soudain une fâcheuse coïncidence relocalisait exceptionnellement dans le quartier de Soho, orchestre, exposition ou spécialités culinaires, au ravissement du libraire.
En un mot comme en cent, la vie se passait étrangement bien.
Alors, évidement, le duo éthéré commençait à serrer les dents en attendant le revers de la médaille. Enfin, comme le soulignait toujours Rampa, les Cieux comme les Enfers avaient fait de la bureaucratie leur maître mot. Il leur faudrait autant de décennies pour remplir la paperasse nécessaire que pour réussir à s'entendre. S'ils ne commençaient pas à se trahir avoir d'avoir signé quoi que ce soit…
Ils étaient tranquilles jusqu'à la fin du XXIème siècle, voire du suivant. Un battement de paupière pour des immortels comme eux. Mais le déchu avait toujours bougé bien plus vite que ses semblables et Aziraphale savait que, s'il se laissait entraîner dans son sillage, ils seraient prêts.
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L'ange recentra son regard sur le texte qu'il lisait, un ouvrage de 1823 sur la fermentation du vin et le brassage. Le fait qu'il ne puisse pas en dire le titre était une preuve de plus, s'il en fallait, qu'il était distrait. Peut-être devrait-il appeler le démon ? Le téléphone en bakélite qu'avait fait installer Rampa au milieu du siècle était toujours posé sur son bureau. Mais nul doute qu'il pouvait se contenter d'attendre. La présence de son comparse n'avait jamais été nécessaire à sa routine, rien n'avait à changer.
Pourtant un simple coup de fil...
Le tintement de la clochette au-dessus de la porte d'entrée prit la décision pour lui.
Le pas glissant du démon approchait.
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« Une femme m'a donné du vin, deux jolies bouteilles destinées à une fin tragique. Envie de les boire avec moi, mon ange ?, fit sa voix depuis le rez-de-chaussée, Bon, quand je dis donner, c'était plus de l'emprunt à long terme mais si t'avais vu la voiture qu'elle conduisait t'aurais aussi voulu sauver ces deux beautés !, divagua-t-il en sautant les marches avec l'expertise de l'habitué.
Aziraphale posa son livre avec tout l'empressement qu'on pouvait attendre d'un être qui traitait chaque mot écrit avec la prudence d'un oisillon sortit de l'œuf.
— Rampa, je suis au troisième, monte !, appela-t-il.
Un miracle enjoué plus tard, deux verre à pieds se tenaient sur le guéridon. Deux verres délicatement ciselés. Cela avait été un miracle particulièrement enthousiaste, mais l'ange n'avait pas le cœur à simplifier son ouvrage. Le déchu ne s'en était jamais plaint après tout.
Aziraphale leva les yeux juste au moment où Rampa passait le palier. Son visage s'éclaira face au sourire de serpent de son invité à temps indéterminé.
— Goûte-moi ça, mon ange. C'est un péché dans une robe de soie pourpre ! »
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D'une main experte, le déchu attrapa les deux verres avant de déboucher les bouteilles d'un coup de dents que l'ange avait vu bien trop de fois pour reconnaître son impossibilité, et de verser à chacun une dose de vin rouge.
L'ange accepta son verre, presque une offrande, avec un hochement de tête. Ses mots disparus au froid contact des doigts de Rampa contre les siens.
Quand il reprit ses esprits, le démon s'était déjà effondré sur le canapé près du feu et Aziraphale repris sa place, droit et sérieux dans son fauteuil à haut dossier.
Avec la facilité de l'habitude, une conversation démarra, sans qu'aucun des deux ne sut qui l'avait entamée. Son siège plus proche du canapé qu'il ne l'avait été, le libraire gloussa, peu digne, face aux gesticulations que faisaient son ami pour illustrer son illustre sauvetage des bouteilles en détresse.
Son ami... Depuis leur démission respective des Cieux et des Enfers, Aziraphale se prenait de plus en plus à penser au démon sous ce terme affectueux, jadis toujours non-dit par peur que cette pensée puisse attirer l'attention du Ciel. Parfois, dans le cocon intime de la librairie, quand les flammes de la cheminée dansaient dans les fines pupilles de Rampa, l'ange se surprenait même à oser l'appeler en pensées, son bon ami. Si le démon notait la rougeur qui teintait alors ses joues, il devait l'associer au vin qu'ils buvaient car il ne l'avait jamais fait remarquer.
Parfois… Dans des moments comme celui-ci.
Peut-être même à ce moment précis.
Aziraphale plongea dans son verre de vin, ignorant que le sourire de Rampa s'était adouci à son geste.
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La soirée se poursuivit. Entre questions métaphysiques sur les canards, questionnements amusés sur Ses créations, silence partagé et anecdotes des temps passés.
Bientôt, les hautes flammes qui léchaient presque les étoiles s'assagirent. Or, jaune, vert et orangé. Leur danse était presque domptée alors que les deux créatures plus vraiment célestes ni démoniaques s'installaient dans une douce quiétude.
Aziraphale se leva pour poser son verre ciselé sur le guéridon et prit avec soin un livre d'un vert lustré par les années, (6) avant de s'y plonger.
Rampa - son ennemi héréditaire, homologue, co-conspirateur, ami, bon ami, amour - avait comme à son habitude, transformé le canapé en nid de serpent, embrouillamini de plaids, courtepointes et couvertures. (7) La fameuse couverture en tartan remontée jusqu'au menton, ses yeux aux fines pupilles suivaient les flammes. Ses fidèles lunettes sombres, elles, gisaient depuis longtemps sur l'épais tapis qui recouvrait le parquet.
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6. Aziraphale avait trouvé l'œuvre glissée dans sa sacoche après une courte rencontre avec le démon à la cour du roi Charles IV du Saint Empire romain germanique. Il s'agissait d'un manuscrit. Unique exemplaire d'un poète à l'humour pointu qui s'était accoquiné de Rampa lors du séjour de ce dernier au Royaume de Bohème.
7. S'il y avait dans le tas une certaine veste chère au cœur de l'ange, ce n'était que pur hasard. Aux dernières nouvelles, elle était toujours accrochée au porte-manteaux trois étages plus bas.
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Une douce ivresse faisait fredonner le Serpent dans un mélange de chants malais et de mélodies populaires - du rock apparemment, pas du bebop, non pas qu'Aziraphale remarqua la différence.
L'ange de son côté lisait à haute voix les poèmes les plus amusants du recueil, accueillants les grognements et commentaires sarcastiques avec une tendresse entraînée. Commentaires de plus en plus éparses alors que la nuit s'étirait.
Conscient du goût de son ami pour dormir, Aziraphale s'enfonça dans son fauteuil, son livre toujours ouvert sur la tablette de l'accoudoir qu'il rapprocha de lui, avant qu'une pensée ne lui traverse l'esprit.
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« Rampa ?
— Oui mon ange ? », répondit ce dernier d'un ton ensommeillé.
L'ange se contenta de lever le nez de son manuscrit et de le regarder fixement.
Au bord du sommeil ou non, Rampa savait lire les silences de son ami. Il laissa celui-ci durer un peu plus longtemps, par défi et par goût dramatique, avant de pousser un long soupir et de lever ses deux bras en l'air, comme un pantin désarticulé qui chercherait à se lever.
« Bien, d'accord !, s'exclama-t-il d'un ton théâtral, Ne t'en fait pas pour le vin, il agita ses mains avant de les enfouir bien au chaud sous ses couvertures, elles ont juste roulé au fond du coffre de cette atrocssse voiture. La dame aux bouteilles les retrouvera au matin. Elle pourra conserver son surnom et boire du grand cru dans une tasse à café ou quelque-soit les atrocsssités qu'les Londoniens font ces temps-ci.
— Merci Rampa.
— Ne me remercie pas », grogna-t-il avant de tomber dans les bras de Morphée.
Le ton de cette phrase familière, jadis colérique et effrayé, n'était plus que pure affection.
Aziraphale sourit. Il lâcha des yeux la silhouette endormie, et reprit sa lecture.
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Les flammes mordorées faisaient ressortir l'encre sombre sur le papier crème du manuscrit.
Les senteurs riches du cèdre embaumaient la pièce.
Le bruissement des pages qui se tournent était semblable à celui des vagues sur le sable.
Depuis la plaque de cheminée en fonte, à moitié cachés derrière un large pommier, un serpent et un ange veillaient.
Tout cela aurait suffi à apaiser n'importe qui.
Mais c'était l'aura familière, tout près, qui tranquillisait vraiment le libraire.
Car tout était à sa place.
Le cœur léger, Aziraphale se plongea entièrement dans sa lecture.
Ce soir, tout irait bien.
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Merci de votre lecture !
Je serais ravie de lire un avis, un commentaire, une remarque ou critique.
On est si peu nombreux du côté francophone du fandom c'est toujours agréable de ne plus se sentir seuls ;p
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