Stiles avait les mains dans la mousse de la vaisselle et il avait incliné sa tête sur le côté pour tenir son téléphone contre son épaule. Venant de lui, le pari était risqué. Tenir un appareil électronique était déjà une épreuve en soit. En tenir un proche d'un point d'eau relevait du suicide. Heureusement, son père avait fait attention à la mention « waterproof » lorsqu'il avait choisi son cellulaire.
-Madame Reyes, je vous jure que le costume de la scène six n'a pas besoin d'être retouché. Occupez-vous de la traîne de la robe de la scène 13. Elle n'est pas assez bouffante, voire surement trop lourde pour voler quand le mannequin marche. C'est assez décevant quand on imagine l'effet que ça pourrait faire !
Il entendit la femme au téléphone marcher en mâchant un de ses éternels chewing-gum. Ses talons claquaient et Stiles se demanda si elle n'était pas née avec un morceau de caoutchouc entre les dents.
- Non, Non, elle est déjà parfaite et puis, c'est pas si grave. Les gens ne vont pas s'arrêter à la façon dont la traîne vole ! La robe est déjà super belle. Maintenant, répond ! la doublure, orange ou rouge ?
Stiles grimaça en frottant un verre de vin en forme de ballon.
-Madame... se plaint-il. Il détestait quand elle ignorait ses conseils comme si ses idées étaient idiotes avant de lui demander son avis juste après, d'un air important. Orange. Répondit-il malgré tout. Mais si vous changez la couleur de la doublure, il faut aussi changer les boutons de manchette. Un costume orange avec des boutons verts, ça fait con.
- Ils sont presque noirs, Stilinski. personne ne le remarquera.
- Peut être pas les amateurs, mais vous oubliez que Laura Hale sera notre hôte lors de la représentation.
- Il y a 80% de chance pour qu'elle se désiste à la dernière minute, de toute façon. Et le ton qu'employa sa responsable à ce moment là était tout bonnement méprisant. Il l'entendit même renifler de dédain.
Apparemment, les deux femmes s'étaient déjà rencontrées auparavant mais le feeling n'était pas passé comme prévu. La blonde a chewing-gum ne pouvait pas l'encadrer mais elle ne pouvait pas non plus, financièrement parlant, refuser une invitation à un des bals de Laura Hale ( Et pourtant, ce n'était pas la motivation qui lui manquait ). Seulement, ce défilé était un grand coup de pub pour sa marque et elle ne pouvait pas prendre le risque de laisser tomber cet aspect.
- Eh bien, pour les 20% de chance qui restent, je pense qu'on peut changer six pauvres boutons.
Stiles grimaça de sa propre audace. D'habitude, il savait mieux se retenir face à elle. Le claquement de langue qu'émit Erica Reyes, sa patronne, le conforta dans sa bêtise. Au moins eût-il la chance d'avoir raison. Elle lâcha un petit « Va pour les boutons noirs » et le jeune homme devina qu'elle écrivait les quelques mots sur l'un des papiers qu'elle donnait aux costumières. C'était de mauvaise grâce et Stiles avait bien sentit que sa place en avait prit un coup. Enfin, il en avait l'habitude.
Il entendit un bruit derrière lui et devina que quelqu'un descendait les escaliers de la maison où il se trouvait. Il sortit les assiettes qu'il rinçait de l'eau et chuchota plus doucement :
-Je dois vous laisser, Madame Reyes, je suis au travail. Penchez vous sur la robe, je vous en supplie. Un petit changement de tissus rapide ne devrait pas être si difficile. De la mousseline chiffon pour alléger ? Proposa-t-il en vitesse.
Comme à son habitude, Erica Reyes lâcha un soupir dédaigneux et raccrocha dans un bruit de mastication et de salutation coupée. Stiles se sécha rapidement les mains sur son tablier en entendant les pas se rapprocher de la cuisine. Il récupéra son téléphone, le glissa dans sa poche et se redressa juste à temps pour accueillir son client avec un sourire professionnel. Il n'avait qu'un travail à mi-temps en tant que styliste dans la boutique d'Erica Reyes. Le reste de son maigre salaire, il le devait à une agence d'homme à tout faire.
Quand il n'habillait pas les mannequins de la Boutique Rancy, quand il ne dirigeait pas les costumière et les couturiers pour les différents défilés ; Stiles devait faire la vaisselle, nettoyer le carrelage ou tailler la haie des particuliers qui lui demandaient. Au moins, ces gens là avaient la décence d'avoir de meilleurs manières que sa patronne. Beaucoup d'entre eux étaient des personnes en manque de compagnie, comme lui, qui ne demandaient qu'a discuter un peu. Ses clients ne disaient rien quand il se mettait à babiller et c'était ce qui l'avait poussé à faire partie de ce métier d'homme à tout faire. Même s'il n'était pas non plus le plus grand modèle d'habileté... Quand il prenait son traitement et qu'il se concentrait, tout se passait bien. Surtout lorsqu'il était détendu. Et peut être encore mieux quand il avait de la musique en fond.
L'homme à qui il rendait visite aujourd'hui était un retraité de 83 ans qui se plaignait de douleur aux hanches. S'il pouvait encore bouger, il n'arrivait pas à rester debout longtemps et souvent Stiles s'arrangeait pour que le vieil homme ait une chaise à disposition quand ils se mettaient à discuter ensemble.
-Tu parles encore tout seul, Stiles ? J'aurais juré que tu parlais avec quelqu'un à l'instant.
Il eut un air penaud, et comme il n'aimait pas vraiment mentir à l'homme en face de lui, il avoua d'un seul jet, nerveux :
- J'avais ma patronne au téléphone. Elle m'a appelé pour un changement de costume. Je sais que je devrais pas appeler sur mon lieu de travail, mais c'était une urgence ! Et puis, on a un concours dans pas longtemps et...
Le vieil homme le coupa en rigolant.
- Ne parle pas si vite, Stiles ! Je ne vais pas te sauter à la gorge parce que tu appelles quelqu'un. En plus, j'étais aussi au téléphone, il fallait bien que tu trouves une autre victime à tes bavardages.
Il conclut avec un petit clin d'œil et, plus à l'aise, Stiles s'accouda au plan de travail pour essuyer sa vaisselle.
- Comment va votre petit fils ? demanda-t-il alors.
- Scott ? Comme un charme. Il vient de se trouver une nouvelle petite-amie, j'en suis sûr !
- C'est celui qui fait des études pour être vétérinaire, c'est ça ?
Son vis-à-vis acquiesça et ils purent commencer une véritable discussion à propos du petit fils de son client. Depuis que sa fille avait cassé avec le père de Scott, celui-ci ne pouvait pas le voir souvent. En effet, le vieil homme désapprouvait un peu le choix de sa fille et il aurait largement préféré qu'une discussion s'installe après l'incident qui avait poussé Rafael McCall à partir, plutôt qu'ils ne se séparent en si mauvaises conditions. Oh, il ne voulait pas que les deux se remettent ensemble. Mais au lieu de se faire la guerre dans leur coin, il aurait préféré que l'ex-couple se comporte comme de vrais adultes. Heureusement, Son petit-fils faisait fi des affaires de famille et devait justement passer dans l'après-midi. D'après les dires de son grand père, le garçon était adorable, un peu naïf mais très serviable. Stiles ne l'avait encore jamais vu mais comme il était là pour la journée, le jeune homme était déjà impatient de le rencontrer.
- Je pense que vous allez bien vous entendre. Il est incapable de détester quelqu'un et il peut être une vraie pipelette, lui aussi.
Stiles sourit au vieil homme. Scott devait se dépêcher de profiter de son grand père. Son aura défaillait déjà. Et son don ne mentait jamais. C'était toujours comme ça... Quand il rencontrait quelqu'un, il pouvait sentir le danger autour de lui. C'était comme quelque chose de palpable. Comme si l'air s'alourdissait autour de la personne quand elle allait bientôt mourir. Stiles appelait invariablement ce phénomène " aura " ou "potentiel de dangerosité" et quand il se moquait des cas que son père rencontrait au boulot, il disait : "Dysfonctionnement de la sécurité motrice".
Avec le temps, il avait apprit à en faire abstraction, ou plutôt, il l'avait intégré ce don a sa façon de vivre et il faisait la part des choses. Mais Stiles ne pouvait pas s'empêcher de profiter du vieil homme juste parce qu'il le savait en danger. En plus, la menace qu'il sentait ne spécifiait pas si elle était dû à une mort, une chute ou un petit rhume. Il ne pouvait pas non plus évaluer le temps. Si c'était demain ou dans trois ans qu'une personne allait mourir, il n'en savait rien. Il sentait juste le danger. Et parfois, quand cette aura se manifestait chez ses proches, cela pouvait être particulièrement angoissant.
Petit, il avait inconsciemment trié ses amis de cette manière. Ceux qui avaient une aura trop forte, il s'en était éloigné. Et quand quelqu'un devenait dangereux et se voilait d'une aura étouffante, il l'évitait. Le problème, c'est qu'il avait rapidement finit seul. Et quand lui-même fut en danger, il n'eut personne sur qui compter.
Au moins, il avait toujours eu son père à ses côtés pour le repêcher durant ses moments de coups durs. Et puis, par la suite, il y eu Lydia. La première personne "dysfonctionnelle" de sa vie qui intégrait son cercle d'amis et qui semblait bien déterminée à y rester. Aujourd'hui, Stiles ne regrettait pas de l'avoir invitée dans sa vie ( même si les termes exacts seraient plutôt que Lydia s'invitait toute seule, où elle voulait et quand elle voulait. Stiles n'était pas d'une grande résistance non plus, par ailleurs) et il savait pertinemment qu'il pouvait compter sur elle a la moindre occasion. Stiles n'était pas riche d'amis, mais il était comblé avec ses proches.
Alors qu'il préparait le dîner pour son client -un poulet rôti aux pommes de terre-, Stiles entendit une moto débouler dans l'allée de garage du vieillard. Celui-ci se mit à rire, et se leva de son siège pour ouvrir la porte.
- Il n'arrive jamais à l'heure prévue ! Soit avant, soit après ! fit-il à Stiles pour lui expliquer.
Quelques secondes plus tard, un jeune homme entrait dans la maison. Stiles ne put pas le voir et il se contenta de sortir les assiettes du placard. Un des bons points de ce travail, c'est qu'il pouvait manger sur place quand ses clients le lui proposait. Jusque là, il n'avait jamais eu de personne assez rustre pour le foutre à la porte une fois que le dîner était prêt. Stiles écoutait distraitement la discussion -hachée par les murs- qui se tenait dans l'entrée, et ce, pendant qu'il installait un couvert de plus. Quand le petit fils de Nicolash Delgado -son client- entra dans la pièce, Stiles ne put s'empêcher d'avoir un sursaut et de serrer les dents.
Si le grand père avait une aura qui exprimait un danger lointain, ce garçon, lui, transpirait carrément le danger et Stiles se demanda même si ce n'était pas lui la vraie menace pour son aïeul.
Il tenta de se détendre en posant les verres sur la table et il se tourna vers le nouvel arrivant avec un sourire crispé. Mais le regard suspicieux que lui accorda l'autre garçon ne l'aida pas du tout a le mettre à l'aise et il comprit qu'il avait sentit la tension de Stiles. C'était un homme brun, ils devaient faire la même taille et ses yeux étaient marron foncés, presque noirs. Comme il avait la peau tannée, Stiles ne put s'empêcher de couler un regard sur le tatouage qu'il avait sur le bras. Il avait l'impression que l'inconnu le passait au scanner tant ses yeux étaient insistants. Encore un peu et il aurait pu avoir l'impression d'être à poil devant lui. En plus -il avait peut être rêvé, en y repensant- mais il lui avait semblé avoir surpris l'autre homme en train de le renifler.
- Scott McCall. Finit-il par se présenter en tendant la main vers Stiles.
- Stiles Stilinski. Enchanté.
Il s'empressa de serrer la main du petit fils de Nicolash. Contrairement à ce que sa carrure baraquée aurait pu laisser paraître, la poigne du jeune homme était tout sauf violente.
- Stilinski ? J'ai déjà entendu ce nom. On s'est peut-être déjà croisé durant notre scolarité ?
Le styliste retira sa main de l'étreinte le plus rapidement possible, comme s'il avait peur que le danger que manifestait Scott ne déteigne sur lui. Il lui offrit un sourire faux. Après tout, ils avaient surement le même âge.
- Possible, j'ai fait mes années de collège et de lycée a Beacon Hills.
- Comme moi ! sourit enfin McCall et Stiles sentit immédiatement l'air se détendre.
Comme l'avait prévu Nicolash, son petit fils s'avéra être un bavard de haut niveau, surtout quand Stiles l'emmenait sur des sujets aussi larges que les films ou les musiques. Ils eurent plusieurs fous-rires, parlèrent peu politique, comme s'ils s'étaient connus depuis longtemps et qu'ils se retrouvaient en évitant tous les sujets fâcheux. Le vieillard avait de la bonne humeur à revendre et ils parlèrent longtemps des souvenirs d'enfance de Scott. La fois ou il s'était enfui de chez lui à ses six ans pour « aider Spiderman à sauver des gens » ou quand il s'était tordu la cheville en sautant d'un arbre. La discussion dériva sur leurs clubs de sport au collège et sur l'équipe de crosse. Ils parlèrent beaucoup, rirent tout autant et quand Stiles dû quitter la famille à la fin de son service, il se rendit compte qu'il n'y avait jamais eu de silence.
Scott et lui avaient échangé leurs numéros de téléphone et il grimaça quand il sortit de la maison. Son instinct lui disait clairement de ne pas revoir le jeune homme mais il s'était tellement bien entendu avec lui que Stiles n'avait pas envie de couper les ponts. Il était certain que s'il n'avait pas été un handicapé social durant ses années de lycée, Scott et lui auraient pu être de bons amis. Tout ça parce qu'il avait peur de l'aura des gens. Et bien que Scott sentait le danger à plein nez, Stiles avait l'impression que son don lui mentait. Comment un type aussi gentil que lui pourrait-il lui apporter des ennuis ?
Comme il l'avait prévu, ils gardèrent contact. Ils s'envoyèrent des petits messages par-ci et par-là et sortirent régulièrement pour voir des films au cinéma ou pour des soirées jeux vidéos. Ensemble, ils parlèrent de leurs passions, de leurs métiers. Si Stiles voulait absolument s'engager dans le monde de la mode qu'il rêvait de travailler avec des stylistes de renom, Scott quant à lui, voulait reprendre l'affaire d'un de ses mentors vétérinaires. C'était son but ultime et quand Stiles rencontra pour la première fois le collègue plus âgé de Scott, il ne put s'empêcher d'avoir une bouffée d'affection pour cet homme plein d'humour grinçant. Le fils du shérif aimait beaucoup discuter avec Deaton en attendant Scott, quand il venait le chercher sur son lieu de travail pour une sortie à deux. Les deux vétérinaires avaient beau sentir le danger plus que de raison, Stiles ne pouvait s'empêcher de se détendre quand il s'agissait du jeune homme, même s'il avait mit du temps avant d'abandonner sa vieille habitude d'être sur ses gardes. En fait, il avait l'impression que Scott était comme un ami d'enfance qu'on retrouvait par hasard après plusieurs années.
La seule chose qu'il pouvait lui reprocher et que Stiles trouvait bizarre c'est quand il coupait court à une sortie pour rejoindre des gens qu'il ne connaissait pas et que Scott ne lui avait pas présenté. La plupart du temps, ces interventions sonnaient sous le ton de l'urgence et Scott avait l'air contrarié. Mais Stiles ne pouvait pas non plus lui demander de tout lui confier, quand bien même ils s'étaient rapprochés a vitesse grand V.
Ce jour là, deux mois après leur première rencontre, Stiles était fourré chez Nicolash. Ils venaient de finir un dîner avec le petit-fils de son client et ils rigolaient en se moquant de la nouvelle coupe de cheveux de la voisine. Celle-ci avait opté pour une permanente rousse osée et Stiles n'avait pas pu s'empêcher de faire le rapprochement avec un cosplay discount du fils d'Hermione et Ron Weasley. Depuis que son petit-fils venait plus souvent, Nicolash avait visionné tous les films dont les mentions pouvaient être faites dans les discussions des deux jeunes. Et cela semblait beaucoup l'amuser.
Quand Stiles quitta la petite famille et qu'il se dirigea vers la boutique Rancy, le jeune homme eu un mauvais pressentiment. L'évolution du défilé allait vers le terme : il ne restait plus qu'une petite semaine pour finir les costumes. En fait, on était mardi et le concours était prévu de vendredi à samedi. Stiles avait commencé par la plus grosse part de son travail et s'il avait laissé plusieurs de ses prototypes chez lui, c'était uniquement parce qu'il n'avait plus qu'à créer ses dernières tenues.
Il salua quelques uns des mannequins qu'il voyait fumer et il fit même la bise à une styliste avec qui il travaillait quand leurs horaires étaient communs. Comme il ne travaillait que le soir à partir de 16 heures jusqu'à 21 heures 30, il ne pouvait pas rencontrer tous les gens qui travaillaient sur leur prochain défilé.
Enfin, défilé était un bien faible mot pour définir ce que cet événement représentait. Ou en tout cas, s'en était un qui sortait du cadre de l'ordinaire. Cette fois-ci, c'était un concours organisé entre plusieurs boutiques du pays pour décerner un chèque et une mention de qualité a la marque gagnante. Ce concours, organisé tout les deux ans, était surtout un lieu de rendez-vous pour tous les représentants de la mode et pour les nouvelles têtes du métier qui désiraient se construire un nom.
D'habitude, il s'organisait comme un défilé normal avec un thème. Mais cette fois-ci, comme l'organisatrice -Laura Hale- fêtait le 15ème anniversaire de sa propre marque, le concours s'organisait en saynètes. Chaque représentant avait le droit à une dizaine de scènes selon l'importance de leur boutique et, en plus de réaliser les costumes, ils devaient également construire le décor et composer une musique autour pour accompagner leurs créations. Le but était de créer une petite histoire et le gagnant obtiendrait même un partenariat avec un producteur de film connu.
Pour une fois dans l'histoire du concours, les thèmes étaient totalement libres. Au moins, ça laissait une marge d'actions à tous les concurrents et ils éviteraient ainsi de tomber dans le déjà vu à chaque passage. Mais comme sa patronne l'avait dit, le concours avait beau être réalisé par une des meilleurs styliste du pays, celle-ci n'était quasiment jamais présente aux défilés. En fait, elle venait pour les premières minutes et pour la remise du prix mais tout le monde la voyait partir pour s'occuper de quelque chose d'autre en plein milieu de la représentation.
Stiles faisait partie des gens qui comprenaient son comportement. Quand on était un indépendant et que la concurrence était aussi forte sur le marché, il se doutait que la jeune femme devait faire en sorte que tout soit parfait à l'un de ses regroupements. Si un accident parvenait, ça serait un coup dur pour l'image de la marque mais également pour la jeune femme. Celle-ci était connue pour prendre de bonnes précautions et être minutieuse au possible. Et un Bad buzz pour un spot de lumière qui tombe ou une coupure de courant, c'était toujours quelque chose d'emmerdant. Stiles admirait vraiment Laura Hale pour son professionnalisme. Et même s'il se doutait qu'il n'allait que la voir sur scène au moment du dénouement du concours, il avait quand même hâte de la rencontrer.
Il entra dans la boutique Rancy et dépassa la partie de la boutique réservée a la vente pour se rendre directement dans les ateliers de l'étage. C'était un des points forts de la boutique d'Erica Reyes. Comme ses ateliers et sa boutique étaient au même endroit, cela minimisait une grande part des prix de livraison et permettait des prix accessibles a un large public. De plus, elle avait compris que restreindre sa marque a la gente féminine n'était pas une bonne approche et c'est pourquoi elle investissait autant dans la mode masculine que dans l'autre.
Au moins, sur la technique de vente de sa supérieure, Stiles n'avait rien a dire. Elle savait profiter des événements de la vie courante, faire des soldes au bon moment et son plan financier était plus que nickel. Sans parler qu'elle faisait appel a des investisseurs de bonne réputation pour maintenir une image de marque propre et droite. En bref, c'était une pro du business et du marketing. Le problème, c'est qu'elle n'avait pas la patte créative. En fait, même si ça pouvait paraître perturbant au premier abord, c'est son fiancé Boyd Vernon, un black tout en muscles, qui avait plus facilement l'œil de l'artiste. Parfois, ça pouvait paraître étrange parce qu'il avait plus la tête et la carrure d'un conducteur d'engin de chantier qu'un homme avec des dons de dessin.
Stiles salua plusieurs personnes sur son chemin. Certaines d'entre elles finissaient la journée tandis que d'autres la commençait en même temps que lui. Chaque atelier était destiné a une scène. Comme Erica avait un total de 16 ateliers, durant le concours, 13 étaient destinés aux saynètes tandis que les trois derniers devaient réapprovisionner le magasin. En tant que styliste et en tant que chef d'atelier, le jeune Stilinski travaillait sur cinq saynètes différentes. La 11ème saynète était la sienne, et il devait donner des coups de mains aux autres stylistes quand on l'appelait à l'aide. Et c'était particulièrement régulier, alors il avait prit un peu de retard sur les deux dernières robes de sa création. Erica lui avait laissé carte blanche au niveau des costumes et des décors et chaque styliste de la boutique Rancy en avait une. Au total, Stiles devait gérer une trentaine de personnes : les équipes variaient entre cinq ou six employés par atelier.
Il se dirigea machinalement vers son lieu de travail quand il croisa l'une de ses couturière. Celle-ci portait un sac en bandoulière sur son épaule et elle se dirigeait vers l'atelier 6. Stiles fronça les sourcils en la voyant faire et il l'interpella.
- Margaux ! La petite brune au carré se tourna vers lui. Où est-ce que tu vas ?
- Atelier six, Monsieur Stilinski.
Elle tirait sur sa salopette pour cacher ses rondeurs. C'était une fille timide et depuis que Stiles lui avait proposé de dévoiler ses yeux bleus plutôt que les cacher, elle avait fait une belle frange qui lui arrondissait le visage. Elle était vraiment mignonne et Stiles aurait bien pu tomber sous son charme s'il n'était pas si obsédé par le travail. Elle fit une petite grimace penaude face au styliste.
- J'ai appris ce qu'il s'est passé lundi à votre atelier, monsieur. Je suis vraiment désolée pour vous.
A ces mots, Stiles fronça les sourcils et répéta :
- Mon atelier ?
Ne semblant pas remarquer l'air perturbé de son vis-à-vis, Margaux continua :
- Qu'il soit fermé comme ça, sans préavis... C'est vraiment dommage. Surtout qu'il avait un énorme potentiel au niveau des décors.
La styliste du sixième atelier héla la couturière et celle-ci se détourna de Stiles. La petite brune continua sa route dans le couloir en laissant le fils du shérif abasourdi derrière elle.
- je dois y aller, Monsieur Stilinski. Peut-être a une prochaine fois ?
Margaux disparut de la vision du garçon en trottinant vers l'atelier six. Bientôt, Stiles se retrouva seul dans les couloirs blanc, bras ballants. Il se décida a réagir quand il entendit les premières machines de broderie se déclencher. Le brun courra vers son atelier 11 et monta les escaliers en quatrième vitesse. Quand il se retrouva devant la porte, il la poussa d'un geste fébrile. La salle était presque vide et cela lui provoqua un hoquet douloureux. Les machines de coutures avaient disparut, probablement redirigées vers d'autre salles, et les grandes pièces de tissus avaient été balayée des tables. Comme il s'y était attendu, il n'y avait plus un seul de ses employés sur place. Les mannequins a moitié habillés ressemblaient a des épouvantails morts. La dentelle de l'un d'eux avait même été retirée. Apparemment, les gens s'étaient servit. Et pour cause, le panneau sur le tableau de bord de l'entrée indiquait « Atelier en liquidation, servez-vous ». Il reconnaissait l'écriture d'Erica.
Il se dirigea vers le tableau blanc, se saisit d'un chiffon et essuya énergiquement les quelques mots. Serrant les lèvres, Stiles chercha a dissimuler les larmes qui pointaient le bout de son nez. L'œuvre de plusieurs mois de travail venait littéralement de voler en éclats. Il avait même placé un bon nombre de ses propres économies dans cette réalisation ! Et tout venait d'être lâchement jeté aux ordures ! Il ne comprenait pas. Pourquoi Reyes avait-elle décidé de supprimer sa saynète alors que tous les autres stylistes avaient la leur ? Alors qu'elle lui demandait encore des conseils tous les jours, preuve qu'elle avait foi en sa créativité ?
Une boule remontait dans sa gorge et il déambula dans l'atelier vide en ramassant les paires de ciseaux ou les aiguilles qu'il trouvait par terre. Il passa la main dans les trois costumes encore épinglés sur leur mannequin. En plus de la broderie qui avait été retirée, les boutons et la doublure de satin avaient été décousus. Il ne pouvait pas en vouloir a ces collègues parce que lui-même trouvait normal qu'on ne gâche pas du bon tissus lorsqu'un atelier était liquidé ou qu'un raté était mit a disposition. Néanmoins, il ne savait pas comment il allait réagir quand il verrait sa broderie, sa dentelle ou ses boutons sur l'œuvre d'un autre. Pourquoi Erica ne l'avait-elle pas prévenu en premier ? Il méritait au moins d'être au courant avant les autres, non ? C'était son atelier, quand même. Et puis, qu'est-ce qu'il avait bien pu faire de si grave pour qu'elle le ferme comme ça, sans raison apparente ?
Il savait bien qu'il n'était pas le styliste modèle : il était trop franc, maladroit, il allait souvent a l'encontre des autres mais au moins avait-il le bon gout d'être talentueux dans son métier. Il savait ce qu'il faisait et il avait toujours pensé que sa capacité a dire les choses honnêtement était une chose appréciable dans un métier où tout le monde frôlait l'hypocrisie. Pour lui, c'était une force.
Mais apparemment, ce n'était pas l'avis de tout ses collègues.
Les mots lui manquaient, les larmes lui manquaient et il tira la dernière chaise de la salle vers lui pour s'empêcher de tomber à même le sol. Ses jambes ne lui répondaient plus. Il se tenait avachi sur son siège, ses yeux ne quittant pas le spectacle effroyable d'un atelier vide de toute vie. Il ne se rendait même plus compte qu'il grimaçait pour s'empêcher de pleurer. Ce concours représentait tellement pour lui.
Une porte pour l'avenir. Il avait travaillé tellement dur pour être a la hauteur du défilé ! Des mois à préparer cet événement et même des années a améliorer ses compétences et son savoir faire. Sans parler des efforts qu'il avait dû fournir pour entrer dans la boutique d'Érica. Tous ses espoirs volaient en éclat. Au moins, les décors n'avaient pas encore été emportés, encore intacts. Mais il du penser trop vite parce que le jeune styliste de l'atelier numéro 4 entra dans la pièce avec un air incertain.
- L'atelier est bien en liquidation ?
Stiles hocha faiblement la tête, ne se sentant pas capable de prononcer le moindre mot. Le jeune homme - il devait a peine avoir la vingtaine, Stiles en était sûr- se ragaillardi et se dirigea vers les décors au fond de la pièce, suivit de près part deux de ses costumiers.
- Tu vois, je trouvais que ces décors étaient bons et comme on est plutôt à la traîne sur ce terrain, je pensais que ça serait quand même plus facile de prendre ceux là. De toute façon, c'est en liquidation, alors...
- Ouai c'est une bonne idée ! répondit l'autre homme. Si on met du rouge là pour rappeler la robe, c'est nickel. En plus, le tissus et l'assemblage sont de super bonne qualité.
Évidement que c'était de la qualité. C'était son travail, quand même. Stiles se leva et les autres hommes lui adressèrent à peine un regard quand il sortit de la pièce en faisant racler sa chaise. Il ne pouvait pas en écouter plus et voir son travail disparaitre ainsi sous ses yeux. Maintenant, il voyait ce que ça faisait de se faire prendre son œuvre de la pire façon qui soit. Il devait penser a autre chose.
Il erra sans but entre les ateliers, répondit a quelques questions techniques que lui posaient certains de ses collègues et il quitta son travail sans demander son reste. Il risquait de perdre son job pour abandon de poste mais Stiles était tombé dans un tel état d'affliction que plus rien ne l'atteignait. Il n'arrivait simplement pas à comprendre. Il voulut rentrer chez lui mais sa jeep refusa de démarrer. Alors il prit juste de l'argent et entra dans le premier bar qui venait. Il se foutait bien d'être sous traitement et que son Adderall lui interdisait la consommation d'alcool entre certaines heures. Tout ce qu'il voulait, c'était oublier ce qu'il venait de subir et ignorer le message plein d'excuses bidons qu'Erica venait de lui envoyer.
Elle lui expliquait des choses sordides, comme quoi le concours était dans une semaine et qu'il n'avait que ses décors de faits et que trois de ses costumes n'étaient pas finit, qu'il ne lui avait pas encore envoyé la musique qu'il voulait utiliser sur sa scène et qu'elle ne voulait pas risquer de ralentir le spectacle. S'il ne la connaissait pas si bien il aurait pu croire a ses doux mots et ses excuses. Seulement, la blonde savait qu'il travaillait le reste de ses costumes à domiciles et que c'était normal qu'il n'y ai que 3 costumes dans l'atelier. En plus, Stiles l'avait déjà vu faire le même coup à deux de ses collègues auparavant et il savait très bien que c'était son moyen à elle de booster les autres ateliers pour qu'ils ne relâchent pas la pression avant le concours. Il savait aussi que ça fonctionnerait et qu'elle n'en n'avait rien à faire tant que sa boutique continuait de tourner. Et c'était ce qui le mortifiait le plus : le fait qu'a ses yeux, il ne représentait qu'un mal pour un bien, un petit sacrifice mais également un élément dont elle pouvait se passer.
C'était rabaissant. Il oublia la sensation d'être souillé seulement quand il avala son cinquième verre.
Erica Reyes rentrait chez elle, retirant immédiatement ses talons clinquants en entrant dans l'appartement. Il n'était pas très grand, bien rangé et lumineux en journée. Et surtout, son homme l'attendait dans la cuisine. Elle sentait principalement l'odeur des oignons mais connaissant Boyd, il était en train de leur faire un repas de chef. La blonde accrocha son sac a main sur le porte manteau de l'entrée, extirpant son portable pour vérifier ses messages.
Elle se dirigea par automatisme dans la cuisine, venant poser son front entre les épaules de son copain. Il ne parut pas surprit et il lâcha sa spatule pour se retourner et mieux la prendre dans ses bras. Ça faisait des années qu'il se réveillait en pleine nuit pour faire à manger à Erica lorsqu'elle rentrait tard du boulot. Quand il l'entendit pousser un long soupir, il sut qu'elle venait de passer une mauvaise journée.
- Tu regrettes ? demanda-t-il.
- T'avais raison. marmonna-t-elle, le visage enfoui dans le torse du grand black.
- Il a désisté son poste ?
Elle hocha la tête sans pour autant se décoller de Boyd. Celui-ci eu un sourire presque amusé et il noua ses bras autour des épaules de la blonde.
- Le coup du tirage au sort n'est pas toujours le meilleur. Stiles était celui avec le meilleur projet, pas vrai ?
- Oui, je saiiiis... Mais je ne vais pas changer mes méthodes pour lui ! dit-elle d'un ton boudeur en se décollant un peu. Je veux dire, j'ai toujours procédé comme ça la veille d'un concours. Il le sait très bien ! Pourquoi il a quitté son poste ? Personne ne fait ça ! Ce n'est pas parce qu'on ne participe pas à un concours qu'on quitte son boulot, si ?
Boyd la regarda avec une infinité d'amour dans les yeux, lui caressant les cheveux.
- Tu ne peux pas deviner ce que les gens ont dans la tête, Erica. Peut-être que Stiles tenait vraiment a faire ce concours.
- Tu penses que j'aurais dû tirer au sort sans l'inclure dans le lot, juste parce qu'il est bon ?
- Ça ne serait plus équitable. fit remarquer son compagnon d'un ton neutre.
- Qu'est-ce que j'aurais dû faire, alors ? Je veux pas privilégier quelqu'un en particulier ! Demanda-t-elle, un poil désespérée.
- Mais tu ne voulais pas non plus perdre Stiles de ton équipe.
- ... mhgnon. puis, elle poussa un soupir terrible qui mit Boyd en alerte.
Erica ne soupirait pas deux fois dans un écart de 20 minutes, sauf si elle avait fait une bêtise.
- Tu l'as viré, c'est ça ? comprit Boyd avec fatalité.
Il était tombé amoureux de la spontanéité de la jeune femme mais parfois il ne pouvait que reconnaitre que ça frôlait la bêtise. Erica dû sentir son regard désapprobateur parce qu'elle se mit immédiatement a se justifier.
- Il n'est pas venu au boulot ! plaida-t-elle. Je ne pouvais pas laisser ça couler ! Malia et Kira étaient déjà en train de jaser, et si je ne resserre pas un peu les vis, l'atelier va devenir aussi bordélique que tous les autres et tout le monde va commencer a faire ce qu'il veut, quand il veut. Je ne veux pas de ça à Rancy.
Boyd laissa un blanc s'installer. Et Erica planta des yeux de chien battu dans les siens.
- C'est dommage. Dit seulement son copain en arrêtant ses caresses dans les cheveux de la blonde. J'aimais bien Stiles.
- Tout le monde aime Stiles ! gémit la jeune femme en levant les yeux au ciel.
Mais Vernon se contenta de secouer la tête pour signifier que ce n'était pas là où il voulait en venir.
- Je veux dire que j'aimais bien son boulot. Sa gamme de costumes masculins est à couper le souffle.
- Tu parles du costume avec les dorures ? demanda Erica, après un silence rêveur.
Même si elle n'avait pas des goûts des plus distingués, elle savait quand même voir du bon travail, avec le temps. Et la seule fois où elle avait visité l'appartement de Stiles pour voir une tenue, son regard avait été attiré comme une mouche par le fameux premier costume. Celui-ci était, à l'époque, seulement en cours de fabrication dans l'atelier du plus jeune. C'était probablement le seul vêtement qui avait réussi a marquer Erica. Il attirait l'œil et il se tatouait dans l'esprit.
- C'est le plus beau. approuva Boyd en hochant la tête.
Le noiraud remarqua alors que son attitude n'arrivait pas a réconforter Erica. Mais c'était plus fort que lui. Il était quelqu'un de franc, et il savait que la jeune femme avait fait une bêtise en mettant Stiles a la porte. Néanmoins, Erica était une femme de principe, qui donnait une chance a tout le monde, et qui n'avait pas remit ses habitudes en question, même si elle devait perdre un précieux parti pour ça. Et cette force d'esprit là, Boyd l'admirait. Même s'il aimait beaucoup le travail de Stiles et que le jeune styliste était un atout qu'il aurait préféré garder dans la boutique. Il resserra son emprise sur la blonde et alla même jusqu'à la porter pour la poser sur le plan de travail. Boyd pris le visage d'Erica en coupe, plantant ses yeux sombres dans ceux, fautifs et penauds, de sa copine.
- C'est dommage, certes, mais ce n'est pas pour ça que ta marque va couler ou rater le défilé, n'est-ce pas ? A moins que tu ne veuilles abandonner ?
- Quoi ?! Non, jamais !
Sa réaction vive fit sourire Boyd et en le voyant faire, Erica comprit son stratagème. Elle eu un sourire ravi et posa un baiser papillon sur le front de Boyd.
- Non, je compte bien fermer le clapet de Laura. Même sans Stiles. déclara la blonde avec un air déterminé.
- C'est cette Erica là à qui je suis fiancé. fit le jeune homme en effleurant ses lèvres. Une vraie femme de caractère.
Il l'embrassa. Et les oignons brûlèrent.
Hey ! Je poste une petite histoire qui traine dans mes brouillons depuis un moment : j'ai déjà 5 chapitres de côté (sachant que je ne veux pas en faire plus de 10) , mais je bloque un peu pour écrire la suite... Je vous fais confiance : je sais que vous me donnerez la motivation pour écrire ;)
Coeur sur vous
