Rating : T
Genre : Friendship, General.
Disclaimer : L'univers et les personnages de My Hero Academia appartiennent à Kohei Horikoshi, et ceux de Koe no Katachi (A Silent Voice) à Yoshitoki Oima.
Note : Ce texte a été écrit à partir du thème "Printemps" donné dans le cadre du Drabble Club sur le blog des Plumes Guerrières (plus de détail par MP). Cela faisait très longtemps que j'avais envie d'écrire un crossover entre ces deux œuvres, pour le parallèle entre Bakugo et Ishida. Par contre, je m'assoie joyeusement sur la time-line et les derniers chapitres de My Hero Academia, mais j'assume.
TW : harcèlement, suicide (incitation, tentative).
La fête du Printemps
Ses parents avaient insisté pour qu'ils se rendent en famille au festival.
Ou plutôt, sa mère avait insisté. Son père avait accepté avec joie sitôt l'idée émise, et Bakugo avait eu beau protester, sa mère avait eu le dernier mot. Comme toujours. Non qu'il refusât de passer du temps avec ses parents, mais ils avaient le don de le mettre sur les nerfs, en particulier sa mère. Ils s'accrochaient souvent et Bakugo finissait toujours par céder face à elle, ce qui lui laissait un goût amer de défaite au fond de la gorge. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher d'aller à la confrontation, peut-être parce que sa mère était l'une des rares personnes de son entourage à avoir autant de répondant que lui.
Musutafu n'était pas la ville la plus réputée pour la floraison des cerisiers, mais possédait une belle plantation sur les berges de l'Ogawa, suffisamment fleurie pour attirer les touristes et pour que se développent au fil des ans attractions populaires, stands de nourritures et de souvenirs le long du fleuve. Des spectacles de son et lumière attiraient les spectateurs au bord de l'eau, tous les week-ends. Un feu d'artifice était même prévu pour clôturer la fête du Printemps.
Bakugo détestait ce genre de rassemblement. L'affluence des visiteurs qui se pressaient sur les berges dans une foule mouvante et imprévisible, les cris stridents des enfants qui courraient d'un bout à l'autre de la rive sans se soucier de bousculer les passants : il avait envie de frapper une personne différente tous les trois mètres. Il ne comprenait pas que des arbres en fleurs suscitent autant d'intérêt. La floraison des cerisiers avait lieu tous les ans, pourtant la fascination du public ne faiblissait pas.
Cette bonne humeur, générale et injustifiée, avait le don de l'irriter.
Bakugo avait toutefois bon espoir de croiser certains de ses amis du lycée, Kirishima, Kaminari et Ashido ne parlaient plus que du festival depuis une semaine. Il les voyait déjà assez en cours, mais peut-être cela rendrait-il la soirée plus supportable.
Ils n'étaient pas arrivés depuis dix minutes que son père s'extasiait déjà devant les pétales de fleurs balayés par le vent. L'adolescent leva les yeux au ciel, marmonna une excuse qui ressemblait à une provocation puis s'esquiva, abandonnant ses parents au milieu de la foule. Il alla à contre-courant des visiteurs qui s'agglutinaient autour des enfants de l'école élémentaire de Suimon, déguisés pour l'occasion, prêts à défiler le long du fleuve sous les acclamations ébahies des spectateurs. Bakugo ne se rappelait que trop bien des costumes ridicules et de l'hypocrisie ambiante des adultes face à leur prestation bancale, préparée à la va-vite par un instituteur désintéressé. Il préférait encore éviter ce spectacle au goût d'humiliation.
Avançant d'un pas rapide, Bakugo quitta bien vite le cœur de l'animation.
En quête de calme, l'adolescent traversa le pont de Tsuji mais se figea en plein chemin. Une silhouette se tenait debout sur le parapet de sécurité, face au vide. Prête à sauter. Bakugo reconnut le visage, l'image d'un petit garçon criant « BOUH ! » avant d'éclater de rire le heurta de plein fouet. Dans son dos, la musique et le bruit de la foule résonnaient au loin, très loin. Une voix trop bien connue chuchota à son oreille : « Saute du troisième étage ! ». Un poids tomba dans son ventre.
La silhouette sur le parapet vacilla. Bakugo bondit en avant, agrippa fermement le pan de la veste d'uniforme et tira Ishida en arrière, qui tomba par terre avec un cri de surprise.
Il était à bout de souffle, le cœur battant avec force contre sa poitrine comme s'il venait de piquer un sprint. L'adrénaline pulsait dans ses veines, faisait trembler ses mains. Bakugo ne pouvait détacher son regard de l'adolescent à terre, en face de lui. Ishida Shōya. Il ne l'avait pas vu depuis des années, mais il n'avait aucun doute. C'était bien lui.
– Mais qu'est-ce que tu fous, bordel de merde ?!
– Ba… Bakugo ? s'ébahit Ishida en le reconnaissant.
Ils se dévisagèrent en silence, Bakugo encore fébrile et Ishida abasourdi. Le temps parut se suspendre alors que l'atmosphère pesait sur leurs épaules et que de vieux souvenirs surgissaient du fond de leur mémoire.
– Alors ? s'énerva Bakugo. Tu faisais quoi, là, putain ?!
Les joues d'Ishida se teintèrent de rouge et il baissa les yeux, honteux.
– Tu… tu dois bien savoir, marmonna-t-il, incapable de le regarder. T'étais comme moi à l'école primaire…
Le sol manqua de se dérober sous les pieds de Bakugo. Il vacilla puis serra les poings, subitement furieux. « Saute du troisième étage ! » répéta la voix sous son crâne. « Saute du troisième étage, et prie pour avoir un meilleur alter dans ta prochaine vie ! ».
– Arrête tes conneries, grogna Bakugo.
Pourtant les images et les paroles remontaient les années, s'entrechoquant entre les bras étouffants de la culpabilité.
Il revoyait Ishida dans la cour d'école de Suimon, un sourire brûlant d'anticipation aux lèvres, s'approcher en catimini de sa camarade, mettre ses mains en porte-voix contre l'oreille de la petite fille et hurler « BOUH ! » sous les éclats de rire des élèves de sa classe. Et la gamine, malentendante, sursauter sans comprendre ce qui arrivait, portant la main à ses appareils auditifs avec une grimace de douleur. Bakugo avait assisté à la scène de loin, à celle-ci et à bien d'autres, échangeant un regard de connivence avec Ishida dans l'hilarité générale. Ils n'étaient pas vraiment amis. De classes différentes, ils se croisaient à la cantine ou dans la cour, plaisantaient ensemble, parfois ; aux dépens des autres, toujours.
Bakugo aussi s'attirait l'admiration et l'engouement des autres en malmenant plus faible que lui. Il n'avait pas consciemment décidé de faire de Deku son souffre-douleur. C'était parti d'une mauvaise blague. L'hilarité de la classe avait pris le dessus sur la peine de son camarade. Les adultes félicitaient chacun de ses exploits scolaires, vantaient ses mérites intellectuels et son alter prodigieux à longueur de journée, mais aucun n'avait pris le temps de remettre en question la façon dont il traitait Deku. Les moqueries étaient devenues monnaie courante, quotidiennes, banales. Légitimes. Même s'il avait confusément conscience de la méchanceté gratuite de son comportement, Bakugo avait refusé de se regarder en face. Et la situation avait dérapé.
« Saute du troisième étage, et prie pour avoir un meilleur alter dans ta prochaine vie ! » avait-il craché à la figure de Deku, hautain, méprisant, moqueur. Ce n'était que plus tard que la violence de ses propres mots avait frappé Bakugo.
– Arrête tes conneries ! répéta-t-il avec colère, agrippant le col de l'uniforme d'Ishida pour le relever. T'étais un p'tit con au primaire, et alors ? Tu crois que sauter du pont va effacer c'que t'as fait ? De cette hauteur, tu vas juste réussir à te péter une jambe, abruti !
Le pont Tsuji ne surplombait la rivière que de quatre ou cinq mètres à tout casser.
Même s'il suffisait de trébucher sur un trottoir et de mal se réceptionner pour se tuer, les chances de survie restaient relativement bonnes jusqu'à sept mètres de chute. Le risque mortel devenait bien plus important au-delà de trois étages, et presque inéluctable passé douze mètres. Sans compter l'eau qui amortirait le choc ; même si le danger de la noyade n'était pas à écarter, l'instinct de survie poussait vers la surface et la proximité du festival présumait la présence de témoins et de secours potentiels.
Ishida avait plus de chances de se blesser que de mourir en sautant de ce pont.
La colère crépita dans les veines de Bakugo alors qu'il secouait l'autre adolescent comme un prunier. Même Deku avait eu la force de ne pas sauter. Même Deku n'avait pas fait une chose aussi stupide.
Comment Ishida pouvait-il se permettre une telle faiblesse ? Se laisser malmener par de simples mots, prononcés ou entendus, aujourd'hui ou avant, des années plus tôt… Mais Bakugo savait, en fait. Il savait que ce n'étaient pas seulement des paroles en l'air. Que les blessures causées par les moqueries et l'humiliation restaient invisibles, mais ne disparaissaient pas pour autant. Elles continuaient de saigner, de se répandre, jour après jour, année après année. Il fallait une force incroyable, une volonté de fer, une résilience tenace pour les surmonter, se relever et avancer sur un chemin pavé d'embûches, sans jamais reculer. Toujours regarder droit devant, sur l'objectif fixé. Ne jamais le lâcher des yeux. Même quand le monde entier vous affirmait que c'était impossible.
– Je sais bien que ça ne va rien effacer ! s'écria Ishida en se dégageant.
Plongé dans ses pensées, Bakugo n'eut pas le réflexe de le retenir. Ishida recula d'un pas et le défia du regard, la colère remplaçant la honte d'avoir été surpris dans une position si vulnérable.
– Mais qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Hein ? s'énerva-t-il. Je sais que je ne vaux rien. Que le monde se porterait mieux sans moi. Alors pourquoi j'imposerais ma présence à…
– Alors, c'est ça ? Tu abandonnes ?! rugit Bakugo, aussi furieux que lui.
Ils s'affrontèrent en silence, sans un geste. L'un face à l'autre. À bout de souffle. Frémissants de rage. Un groupe de touristes s'engagea sur le pont, leur bruyante conversation enveloppant Bakugo et Ishida sans qu'ils se lâchent des yeux.
Un homme heurta Bakugo qui ne cilla pas alors que l'autre trébuchait sur ses propres pieds. De petits rires éclatèrent parmi les visiteurs alors que l'insulte fusait, éclatante et solitaire. Bakugo l'ignora. Le groupe s'éloigna, un autre s'approcha alors que la foule se répandait d'une rive à l'autre, sans doute pour assister au feu d'artifice prévu dans la soirée.
La colère se tarit dans le regard d'Ishida.
– Tu arrives à te regarder dans un miroir, toi ? chuchota-t-il, comme s'il craignait que sa voix dérange.
Bakugo ne sut que répondre. Bien sûr qu'il était capable de prendre un foutu miroir et de voir son reflet. Il le faisait tous les matins, tous les soirs, en se lavant les dents, en se séchant les cheveux. Mais se regarder vraiment… affronter le tort qu'il avait causé… « Saute du troisième étage ! ». Il voyait Deku tous les jours à Yuei. Ils n'étaient pas amis. Mais le secret partagé au sujet du One for All avait tissé une espèce de complicité entre eux. Ils étaient toujours en compétition pour devenir numéro un, mais leur rivalité était plus équitable. Deku avait enfin cessé de répondre à ses attaques par sa gentillesse désarmante. Oh, il était toujours le même nerd pétri de bons sentiments, mais il rendait les coups maintenant. Et il devenait sacrément bon à ce jeu-là.
Alors ouais, Bakugo pouvait voir Deku en face. Mais ils n'avaient jamais évoqué les humiliations du primaire et du collège. Deku était trop gentil pour le confronter là-dessus. Et Bakugo… Bakugo n'aimait pas regarder dans cette direction.
La foule grossit autour d'eux, menaçant de les engloutir. Ishida détourna les yeux et amorça un mouvement, comme pour se fondre dans la multitude et disparaître. Bakugo l'arrêta, agrippant la manche de sa veste.
– Amène-toi, se contenta-t-il de dire.
Ishida fronça les sourcils, mais se laissa entraîner sans protester. Ils descendirent du pont, retournant sur les berges où Bakugo acheta des brochettes de dangos et en colla une dans les mains d'Ishida. Ils trouvèrent un banc, à la périphérie du festival, à l'écart de la foule. Les deux adolescents dégustèrent les sucreries en silence, alors que le soleil touchait l'horizon du bout des doigts.
Bakugo percevait la gêne d'Ishida, qui se trémoussait et lui jetait de fréquents coups d'œil. Il devait probablement se demander pourquoi les dangos, pourquoi cette compagnie forcée alors qu'ils ne s'étaient pas vus depuis des années, qu'ils n'étaient même pas vraiment amis. Sans doute aurait-il préféré s'en aller, s'isoler loin du monde et des regards après sa tentative avortée sur le pont. Peut-être voulait-il recommencer ? Bakugo frémit. Il avait cauchemardé pendant des années sur un corps chutant dans le vide. À présent, il voyait le visage d'Ishida à la place de celui de Deku dans cette vision d'horreur. Pas question.
– C'est pas le miroir qu'il faut regarder, c'est l'autre.
Ishida sursauta et se tourna vers lui, mais Bakugo garda les yeux fixés sur le fleuve, juste en face. Les pétales de fleurs de cerisier dessinaient des arabesques à la surface de l'eau.
– Tu es en classe avec Midoriya, dit finalement Ishida, tout bas. Je vous ai vus à la télé, pour le tournoi sportif.
– Deku, corrigea automatiquement Bakugo.
– Tu l'appelles toujours comme ça ?
– C'est lui qui le fait.
Bakugo détestait ce surnom. Depuis que cet idiot de nerd en avait fait son nom de héros, l'appellation n'avait plus rien de la blague d'enfant lui attirant rires et popularité. Elle ne gardait que le goût amer de son indignité.
Pour autant, il ne pouvait retirer cela à Deku.
– Donc… il t'a pardonné ? demanda Ishida avec réserve, comme s'il n'osait croire à cette idée.
La farine de riz du dango empoissa la bouche de Bakugo et il déglutit avec difficulté.
– J'en sais rien.
Les enfants de l'école de Suimon arrivèrent devant eux, défilant dans des costumes de bric et de broc confectionnés à la va-vite, sous les acclamations surjouées de parents en extase.
Bakugo se rappelait encore la robe-cerise qu'il avait été contraint de mettre, gamin, pour parader devant la foule avec les autres élèves de sa classe. La brûlure de l'humiliation l'avait marqué, mais n'avait pas suffi à lui ouvrir les yeux sur son acharnement envers Deku. Il se sentait d'autant plus coupable de ne pas s'être remis en question plus tôt.
Comment pouvait-il espérer devenir comme All Might avec un tel passif ?
– Et toi, tu… tu t'es pardonné ?
Bakugo jeta un coup d'œil à Ishida, recroquevillé sur lui-même, la tête basse, la brochette de dangos intacte entre ses doigts. Il n'osait pas le regardait, comme s'il craignait d'entendre la réponse à sa question.
Une fraction de seconde, Bakugo s'imagina esquiver la question avec un « Tch » blasé, une insulte bien choisie, ou une quelconque autre provocation. Mais il n'était pas un lâche. Et il pouvait difficilement demander à Ishida d'affronter ses torts si lui-même était incapable de leur faire face.
– Non. Je m'efforce de devenir le meilleur.
Ishida releva la tête, sans comprendre.
– C'est ce que tu as dit au tournoi, non ? Que tu étais là-bas pour être le numéro un...
Les enfants de Suimon s'éloignèrent, repartant en sens inverse vers l'autre rive, suivis par le troupeau de parents faussement émerveillés. Le calme revint, dans la douceur de la nuit tombante. Bakugo loucha sur le dernier dango de sa brochette. Il n'avait plus faim.
Il se racla la gorge :
– C'est pas ça. Je… J'étais un p'tit con au primaire. Et un connard de première au collège. J'veux juste devenir le meilleur. La meilleure version de moi-même.
Son but n'avait pas changé : Bakugo rêvait toujours devenir le héros numéro un du Japon. Mais il avait récemment pris conscience qu'il ne pourrait jamais être exactement comme All Might. D'ailleurs, il n'y avait guère d'intérêt à devenir sa copie conforme. Il devait donc envisager un chemin quelque peu différent pour atteindre son objectif. Devenir sa propre version du « héros numéro un », de la même façon qu'Endeavor se taillait sa propre place au sommet du classement héroïque.
– Je vois, souffla Ishida.
Bakugo se demanda s'il voyait vraiment ou s'il se contentait d'être poli. Il n'avait toutefois guère l'envie de s'appesantir sur ce sujet. Il n'avait jamais formulé ces pensées à voix haute avant aujourd'hui et nierait à quiconque d'autre le connaissant avoir un jour prononcé ces mots. C'était idiot, égoïste, ingrat, il le savait parfaitement. Il ne voulait pas perdre tout ce qu'il possédait, être déchu de la position à laquelle il s'était élevé.
– Je ne l'ai jamais revue… reprit Ishida au bout d'un moment.
Bakugo n'eut pas besoin de précisions pour savoir qu'il parlait de Nishimiya.
Malgré son habitude de donner des surnoms dégradants à ses proches, il n'avait aucun souci pour retenir les noms. Seulement il ne laissait personne – ou presque – s'approcher de lui. Bakugo avait maintes fois prouvé être meilleur bourreau qu'ami. Il comprenait le langage de la compétition, celui de la rivalité, mais n'avait jamais su répondre à la gentillesse gratuite, à la bienveillance offerte sans contrepartie. Il communiquait plus avec les actes qu'avec les mots.
La fille malentendante, dans la classe d'Ishida, avait quitté l'école en milieu d'année. Sa mère avait fait un scandale auprès du directeur à cause du nombre d'appareils auditifs perdus ou cassés. Le harcèlement dont avait été victime Nishimiya, jusque là connu mais soigneusement ignoré de tous, même des adultes, avait subitement été étalé en plein jour. Ishida avait été désigné comme bouc émissaire. Mais s'il avait souvent été instigateur et meneur des moqueries, il n'était pas le seul coupable. Ses amis s'étaient retournés contre lui, même les adultes lui avaient imputé l'entièreté de la faute. Bakugo l'avait vu, de loin, tomber du piédestal de la popularité dans l'exclusion bien pensante du groupe qui se purge de toute responsabilité en repoussant la brebis galeuse.
– J'ai toujours son carnet, reprit Ishida d'un ton distant, les yeux dans le vague. Celui qu'elle utilisait pour communiquer et qu'on avait couvert d'insultes. Je lui ai pris mais je ne lui ai jamais rendu…
Il ne s'adressait pas vraiment à Bakugo, alors ce dernier ne répondit pas. Il enfourna le dernier dango de sa brochette, s'efforçant de ne pas penser au carnet dissimulé dans sa propre chambre.
– Je ne sais pas pourquoi je l'ai gardé. Elle ne voudra probablement pas le récupérer…
– Tu ne sauras qu'en lui demandant.
Ishida tourna un regard perdu vers lui, comme si revoir Nishimiya lui était inconcevable.
– Je ne peux pas lui infliger ça… souffla-t-il.
– C'est à toi-même que t'oses pas l'imposer, grogna Bakugo.
Ishida blêmit, mais ne répondit pas. Le tact n'avait jamais fait partie des qualités de Bakugo, mais la franchise, oui. Sauf peut-être avec lui-même. Il fit tourner la baguette en bois de sa brochette entre ses doigts, avant de la briser d'un coup sec. Au même instant, un sifflement traversa les airs, suivi d'une explosion et d'une gerbe de lumière dans le ciel.
Les deux adolescents levèrent les yeux sur le feu d'artifice, laissant les détonations remplacer les mots et résonner dans leur poitrine. Bakugo ressentait l'écho des explosions jusque dans ses veines, comme une musique secrète dont lui seul percevait le sens. Ils n'étaient pas les mieux placés pour assister au spectacle nocturne, mais au moins étaient-ils loin de la foule. Le bouquet final répandit de larges fleurs colorées et scintillantes au milieu des étoiles, sous les acclamations émerveillées du public.
Bakugo se tourna vers Ishida :
– File-moi ton téléphone.
Il n'hésita qu'une fraction de seconde avant de tirer le mince appareil de sa poche, le déverrouillant avant de le tendre à son camarade. Bakugo rentra dans son propre numéro dans les contacts et lança l'appel, jusqu'à sentir les vibrations de son téléphone au fond de sa poche. Il raccrocha alors et rendit l'appareil à Ishida.
– Appelle, la prochaine fois qu'il te prend l'envie de monter sur un pont, marmonna Bakugo.
Ishida lui jeta un drôle de regard. Il hocha doucement la tête, mais Bakugo n'était pas certain qu'il le fasse. Il n'insista toutefois pas et salua Ishida d'un signe de tête avant de se fondre dans la foule animée des visiteurs sur le départ pour retrouver ses parents. Son père vanta avec enthousiasme la beauté du feu d'artifice au-dessus du fleuve et des cerisiers en fleurs, tandis que sa mère lui reprochait avec véhémence d'avoir disparu toute la soirée.
Bakugo l'écouta à peine, penché sur son téléphone.
« Et mange ces putains de dangos », écrivit-il à Ishida.
.
Bakugo lâcha brutalement son sac sur la table où Deku étudiait, à la bibliothèque de Yuei.
– Katchan... Tu viens réviser, toi aussi ?
– La ferme, le nerd, grogna-t-il en se laissant tomber sur la chaise à côté de son camarade.
Comme s'il avait besoin de ça. Bakugo était parfaitement capable de travailler seul, il n'avait besoin de l'aide de personne. Deku fronça les sourcils, attendant qu'il explique la raison de sa venue. Il avait peut-être cessé de s'aplatir dès que Bakugo élevait la voix, mais il avait conservé cette gentillesse désarmante qui le déstabilisait autant qu'elle l'irritait. Ce qu'il pouvait être agaçant quand il s'y mettait.
Bakugo grogna de nouveau et, pressé d'en finir, tira la fermeture éclair de son sac pour en sortir un vieux carnet de notes.
Il était en mauvais état : la couverture gondolée, les pages froissées, déchirées par endroits, tachées d'auréoles brunes, pourtant les yeux de Deku s'agrandirent aussitôt de surprise. Le titre, presque effacé, était encore lisible : « Étude des Super-Héros en vue de mon avenir – n° 8 ». Bakugo le lui avait arraché des mains, des années plus tôt, il ne savait même plus pour quelle raison. Il l'avait brûlé avec ses explosions, ou bien noyé au fond du bassin de l'école de Suimon. Ou peut-être bien les deux. Deku l'avait supplié de lui rendre. Bakugo s'était contenté d'éclater de rire en lui promettant de jeter le carnet aux ordures. Sauf qu'il ne l'avait pas fait.
Il avait gardé ce stupide carnet, des années durant. Bakugo l'avait même lu, une fois, surpris de découvrir des remarques pertinentes et bien plus poussées que ce que l'on attendrait d'un gamin de primaire. Puis il l'avait remisé au fond d'un tiroir de son bureau et l'avait presque oublié. Jusqu'à ce qu'il trouve cet abruti d'Ishida sur le point de sauter du pont Tsuji.
– Tu… tu l'as gardé...?
– Non idiot, j'ai brisé l'équilibre spatio-temporel pour aller le récupérer dans le passé, souffla Bakugo avec agacement.
Il en avait beaucoup, des questions stupides comme ça ?
Deku eut un sourire penaud, avant de tendre timidement la main vers le carnet. Il le prit et le feuilleta, sourire nostalgique aux lèvres alors qu'il relisait ses notes. Bakugo se renfrogna. Il n'y avait vraiment que lui pour se souvenir de l'insouciance de ses rêves d'enfant tout en ignorant le harcèlement et les humiliations dont il avait été victime. Ne pouvait-il pas, pour une fois, laisser jaillir la colère et le ressentiment ? Lui montrer une bonne fois pour toutes qu'il le détestait – car comment pourrait-il en être autrement ? Quand cesserait-il de jouer la comédie pour enfin lui renvoyer la vérité en face ?
Bakugo avait envie de hurler, de cogner et de frapper pour le réveiller, pour crever enfin l'abcès de ces non-dits qui le pourrissaient de l'intérieur. Mais Deku se contentait de sourire, comme toujours.
– Merci Katchan.
– Mais putain, ta gueule ! explosa Bakugo.
Il se leva à demi de sa chaise, penché en avant, les poings crépitant de rage.
– Pourquoi faut-il toujours que tu rendes les choses si compliquées ? J'suis désolé, okay ? Pour toutes les crasses que je t'ai faites. Pour t'avoir dit de sauter du troisième étage. Alors arrête de faire ton putain de nerd ou je te fume, saloperie de Deku. Sérieux, viens pas me remercier pour cette merde de carnet alors que c'est moi qui l'ai mis dans cet état. T'es vraiment trop con, bordel !
– Votre langage ! réprimanda sévèrement la documentaliste en approchant à pas furieux. Et veuillez sortir de cette bibliothèque si vous n'êtes pas là pour étudier.
Bakugo lui adressa à peine un regard, récupéra son sac à dos et se leva. Il posa brièvement les yeux sur Deku qui le fixait d'un air interloqué, grogna, puis fit volte-face et quitta le bâtiment. Putain d'idée à la con. Il ne se sentait absolument pas mieux de ces excuses, bien au contraire. Il n'avait pas changé depuis le primaire. Il était toujours ce sale môme, cet enfant terrible qui ne connaissait pas les limites et blessait tout le monde.
– Katchan, attends !
Il accéléra le pas. Il avait assez donné, merci bien. Il n'avait pas la patience de supporter la gentillesse désarmante et gratuite de Deku. Bakugo allait encore s'énerver, crier, insulter, et peut-être même cogner.
Mais dans le genre têtu, Deku se posait là.
– Katchan !
– Quoi encore ?!
– Je… Merci. Pour…
– Mais tu le fais exprès, c'est pas vrai ! rugit Bakugo. Tu comprends pas que…
– Laisse-moi parler, le coupa Deku avec une autorité qu'il ne lui connaissait pas.
Alors, presque malgré lui, Bakugo resta muet.
– Pour tes excuses. Merci. Je n'en ai pas eu besoin pour avancer, mais ça me touche que tu l'aies fait. Et pour le carnet aussi, ajouta-t-il en agitant l'objet du délit sous son nez. Il manquait un numéro sur mon étagère, c'était assez perturbant.
Bakugo cilla. Ce con était perturbé par un numéro manquant dans sa putain de bibliothèque, mais pas pour son incitation au suicide ? Deku avait définitivement une case en moins.
– Bref, c'est important, et pas seulement pour une question d'étagère. Alors merci.
– Tch.
Quatre fois qu'il le disait, alors c'est bon, Bakugo avait compris. Il détourna le regard, mal à l'aise. Des plantations de cerisiers bordaient le haut bâtiment de la bibliothèque du lycée. Des pétales fanés s'accumulaient au pied des arbres, parfois dérangés par la brise qui soufflait de petits tourbillons colorés.
– Tu vas pas sauter, hein ? s'entendit-il demander.
– Je n'en ai jamais eu l'intention.
– Bien.
Bakugo tourna les talons avant que Deku ne puisse ajouter quoi que ce soit. Ils en avaient assez dit pour aujourd'hui.
Par chance, son camarade ne chercha pas à le retenir et Bakugo traça jusqu'à l'internat sans une seule fois relever les yeux. Il ne s'arrêta que lorsque Kirishima l'apostropha dans la salle commune du dortoir, échangeant quelques mots avec lui avant de monter au quatrième étage et de s'enfermer dans sa chambre.
Son téléphone vibra alors qu'il se laissait tomber sur son lit. Un message d'Ishida.
« Je vais présenter mes excuses à Nishimiya. »
Alors seulement Bakugo détendit ses muscles crispés et s'autorisa un sourire.
