Note de l'auteur : publiée à la base en 5 chapitres sur un autre site, je la publierai en trois ici.
Bonne lecture !
Chapitre un : la rencontre
Samedi 26 octobre 2019
Des boucles couleur châtain sortant d'un chapeau en paille souple à large bord, des yeux d'un vert éclatant malheureusement cachés par des lunettes de soleil sombres, des lèvres pulpeuses attirant le regard et une mâchoire sexy semblant avoir été ciselée par Apollon lui-même.
Voilà ce qui définissait bien Alexandra Woods.
- Merde ! Jura Clarke en regardant de tout côté. Pardon ! S'excusa-t-elle lorsqu'elle bouscula malencontreusement une femme qu'elle n'avait pas vue.
Voilà tout ce que la blonde avait aperçu avant de perdre la célèbre PDG de vue.
Clarke soupira en passa une main dans ses cheveux courts. Elle avait absolument besoin de cette photo si elle voulait garder son job. Elle avait déjà causé la colère de son chef trois mois plus tôt en ramenant des photos de Finnley Collins sans avoir vu qu'il avait une cigarette en main. Ce qui les rendait malheureusement inutilisables.
Photographier des stars afin d'étaler leur vie privée dans les magazines n'était pas du tout ce que Clarke voulait. Mais pour occuper le poste qu'elle voulait à tout prix, il lui fallait d'abord gravir les échelons et, surtout, montrer à Pike qu'elle le méritait.
Voilà pourquoi elle passait son week-end au New Hampshire à poursuivre Alexandra Woods venue se détendre au festival de la citrouille.
Si Clarke pensait que la prendre en photo serait du gâteau après l'avoir repérée grâce à son chapeau qui était tout le contraire de "discret", elle s'en mordait maintenant les doigts car, entre les touristes venus goûter aux tartes à la citrouille, les habituées venus montrer leur citrouille en se vantant d'avoir la plus grosse de l'état et les gens simplement venus pour pique-niquer et profiter de l'ambiance, elle avait bien des difficultés à voir la PDG plus d'une seconde.
Temps bien insuffisant donc pour la prendre en photo.
Pike voulait la virer, c'était sûr. Sinon pourquoi lui donner pour mission de photographier la PDG la plus privée de la côte Est ?
Alexandra Jasmine Woods était devenue orpheline à l'âge de quinze ans et avait hérité de l'empire financier de ses parents Woods Inc. Elle avait suivi un double cursus commerce/finance à l'université avant de reprendre les rênes de l'entreprise familiale à vingt-deux ans. Six ans plus tard, l'entreprise avait le monopole sur le matériel médical électronique dans tout l'Amérique du Nord et le nom d'Alexandra Woods était dans tous les magazines médicaux, people, ou traitant de la finance ou de la technologie.
Et c'était tout ce qu'on savait d'elle.
Les rares photos de la PDG dataient d'il y a cinq ou six ans, quand elle était sortie de l'université puis quand elle avait commencé à diriger l'entreprise puis plus rien. Elle ne faisait aucune apparition à la télévision, refusait les interviews qui n'avait pas son travail pour sujet et aucun paparazzi ne l'avait jamais vue avec quelqu'un d'autre que son assistante Anya Pine ou l'un de ses gardes du corps. Sa vie privée était un véritable mystère.
En fait, si la PDG n'avait pas un compte Instagram sur lequel elle postait des photos de paysage, Clarke ne l'aurait jamais trouvée aujourd'hui. La photo d'une grosse citrouille avec la banderole "concours" à l'arrière avait été un indice très mince mais il fallait dire que les festivals de la citrouille n'étaient pas nombreux dans le coin.
Cherchant Alexandra Woods dans la foule, Clarke soupira en constatant qu'il y avait de plus en plus de monde alors elle se mit à prendre quelques photos de l'événement. Elle utilisait son appareil personnel, cadeau de son père pour fêter l'obtention de son diplôme, donc elle pouvait très bien prendre les photos qu'elle voulait en attendant de trouver sa cible.
Deux petites filles dont les joues étaient barbouillées de purée de citrouille.
Deux vieilles dames goutant la tarte de l'autre et se donnant mutuellement des conseils pour l'améliorer.
Deux fermiers se disputant virulemment, arguant que leur citrouille respective était bien plus grosse et bien plus grande que celle de l'autre.
Trois adolescentes prépubères habillant les épouvantails censés protéger les citrouilles des oiseaux.
Clarke fronça les sourcils en regardant l'un des épouvantails puis regarda la photo qu'elle avait prise sur son appareil.
Un chapeau de paille proéminent et des cheveux châtains.
La blonde écarquilla les yeux et courut tant bien que mal jusqu'aux épouvantails, cherchant la PDG des yeux. Mais déjà le chapeau se perdait dans la foule. Aucun moyen de prendre une photo d'Alexandra d'ici et Pike se ficherait bien d'avoir une photo du chapeau de la PDG.
Elle marcha d'un pas rapide, suivant le chapeau. Elle était déterminée à ne pas la perdre des yeux. Elle aurait cette satanée photo !
Quand la foule s'amincit, elle vit la brune trente mètres plus loin sur le trottoir alors qu'un taxi s'arrêtait devant elle. Clarke se dépêcha de mettre son appareil devant son visage et prit une photo mais déjà la brune avait ouvert la porte et la moitié de son corps était à l'intérieur du véhicule.
Ça ne suffirait pas.
Mentir n'était pas son truc non plus. Pas qu'elle ne soit pas douée dans ce domaine, mais elle détestait mentir. Déjà dans sa vie quotidienne mais encore plus quand elle le faisait pour le boulot.
Elle avait fait ses recherches. Dans un rayon de vingt kilomètres -pourquoi Alexandra Woods irait-elle plus loin ?-, elle avait repéré treize hôtels : deux prestigieux, sept motels et quatre de type standard –et donc idéal pour rester incognito.
Malgré ses critères de recherches plus qu'hasardeux, Clarke s'était lancée. Armée d'un paquet léger mais volumineux, d'un bonnet noir et d'une veste rouge sans manche trouvée dans un magasin de vêtements de seconde-main, elle était déjà entrée dans le hall de trois des hôtels standards. Elle avait simulé une livraison pour une certaine Alexandra W. Ainsi si la personne à l'accueil avait reconnu la PDG, elle se méfierait moins de Clarke si elle faisait semblant de ne pas connaitre le nom de famille d'Alexandra.
Si elle ressortit des deux premiers hôtels assez rapidement –les hôtesses d'accueil feraient mieux de relire la signification de "vie privée"- ayant tout de suite reçu une réponse négative à sa question, elle dû user de ses charmes auprès du garçon s'occupant du registre dans le troisième hôtel avant qu'il n'accepte de vérifier le registre pour finir par lui dire qu'il n'y avait personne ayant un nom commençant par W.
Elle descendit du taxi devant le dernier hôtel de sa liste, croisant les doigts pour que la PDG y soit. Elle dut attendre une vingtaine de minutes qu'une cliente ait terminé de se plaindre auprès de l'hôtesse d'accueil avant que cette dernière ne demande ce qu'elle pouvait faire pour elle.
- J'ai une livraison pour Alexandra W.
- W. ? Demanda la jeune femme en pianotant sur son ordinateur. Vous n'avez pas un nom de famille sur le bon de commande ? Demanda-t-elle ensuite hésitante.
- Ecoutez, je ne suis que la livreuse : je livre les colis aux adresses indiquées et si je ne trouve pas la personne, le colis est renvoyé à l'entrepôt mais j'ai à cœur de faire mon maximum pour satisfaire les clients. Alors non, je n'ai pas de nom de famille, je n'ai que le prénom, l'initiale du nom ainsi que l'adresse de cet hôtel. Alors est-ce que vous pourriez, s'il vous plait, m'aider un peu à livrer ce colis à son destinataire ?
La jeune femme, dont le badge indiquait qu'elle s'appelait Maya, se gratta l'oreille, pensive, alternant entre regarder Clarke et son écran.
- Il y a bien une cliente dont le nom de famille commence par W., dit-elle.
Le visage de Clarke s'éclaira et elle resserra sa prise sur le carton dans ses bras.
- Mais je ne suis pas autorisée à vous donner son nom ni à vous laisser rejoindre sa chambre sans être certaine qu'elle est bien la destinataire de ce colis.
Le visage de Clarke dut refléter sa déception car Maya s'empressa de rajouter :
- Mais ne vous inquiétez pas ! Madame est dans sa chambre. Je vais l'appeler et lui demander si elle attend bien un colis.
Attends ! Quoi ?!
Mais Clarke n'eut pas le temps de dire quoi que ce soit, que déjà l'hôtesse appelait.
- Toutes mes excuses pour le dérangement Madame, mais une jeune femme à l'accueil a un colis qui pourrait vous être destiné. Comment ? Demanda-t-elle après un court instant. Cheveux courts blonds, oui, répondit-elle après avoir jeté un rapide coup d'œil vers Clarke.
En entendant ces mots, le sang de Clarke se glaça. Alexandra Woods semblait l'avoir repérée et sûrement demandait-elle à ce que Maya appelle la sécurité. Elle fit un pas en arrière -l'hôtesse au téléphone ne regardait pas dans sa direction- puis un deuxième pas.
- Très bien, d'accord. Bonne journée à vous également Madame Woods. Madame Woods attend son colis avec impatience, annonça Maya à la blonde avec un sourire lorsqu'elle eut redéposé le téléphone sur son socle. Elle loge dans la chambre trente-sept.
Elle attend son colis avec impatience ?! Mais qu'est-ce que c'est que cette blague ?
Malheureusement, il était désormais impossible de faire machine arrière.
- Merci pour votre aide, dit Clarke à la jeune femme avec un faux sourire.
Et c'est avec appréhension qu'elle se dirigea vers l'ascenseur.
Qu'est-ce qui allait lui arriver ?
Se montrer avec une boite vide aurait pu avoir l'air plus que curieux. Alors, elle l'avait remplie de chocolats et petits gâteaux de toutes sortes afin de pouvoir cacher son appareil en-dessous. Mais maintenant, elle se sentait prise au piège, debout devant la porte numéro trente-sept, avec sa boite de sucreries contenant son outil de travail.
Elle ferma les yeux et repensa au plaisir qu'elle avait de parcourir les galeries d'art et les musées, au plaisir qu'elle ressentirait lorsqu'elle pourrait les parcourir autant pour le plaisir que pour le boulot puis elle ouvrit les yeux et frappa à la porte.
Des lunettes de lecture au cadre noir, un t-shirt blanc des Yankees et un legging noir étaient tout ce qui habillait Alexandra Woods. Décontracté mais sexy.
La jeune femme de vingt-huit ans tenait la porte d'une main et le cadran de la porte de l'autre, barrant l'accès à la chambre de son corps. Clarke déglutit en rencontrant le regard impassible de la PDG, réalisant qu'elle avait inconsciemment balayé le corps de la brune du regard.
- Alors, c'est vous qui avez passé la journée à me suivre, dit-elle.
- Et c'est vous qui avez accepté de me laisser monter alors que vous n'attendiez pas de colis, répliqua nerveusement Clarke.
Le regard d'Alexandra Woods descendit jusqu'à ses pieds avant de remonter jusqu'à ses yeux puis elle regarda la boite que Clarke avait dans ses bras.
- Qu'est-ce qu'il y a dedans ? Demanda-t-elle.
- Du chocolat et des cookies entre autres. On va dire que c'est pour m'excuser du dérangement, tenta de plaisanter Clarke.
La brune croisa les bras, son regard ne révélait rien de ce qu'elle pouvait bien penser. Puis, au bout d'un long moment durant lequel Clarke pensa qu'elle allait appeler la sécurité, elle décroisa les bras et ouvrit plus largement la porte.
- Vous avez deux minutes pour m'expliquer ce que vous me voulez.
Puis elle entra dans la chambre.
Surprise, Clarke fit un pas en avant, penchant son corps vers l'intérieur pour jeter un œil dans la chambre, mais il n'y avait personne d'autre que la PDG et cette dernière l'attendait avec un sourcil levé.
- Alors ?
- Vous me laissez sérieusement entrer ? Ce n'est pas dangereux ? Je pourrais être une tueuse en série, vous savez ?
La brune haussa les épaules.
- Mon garde du corps est dans la chambre voisine. Si je cris, il accourra dans la seconde, ajouta-t-elle avec un sourire amusé.
- C'est noté, répondit timidement Clarke devant la nonchalance de la brune.
Puis elle entra.
C'était une grande chambre. Sur le mur de droite, il y avait un lit deux place, avec une table de chevet de chaque côté. Contre le mur où se trouvait la porte, il y avait une table, une chaise et une lampe où la PDG avait déposé un ordinateur portable et quelques papiers. Face à elle, il y avait une grande baie vitrée et, juste devant, un fauteuil avec une petite table ronde sur laquelle il y avait une tasse remplie d'un liquide fumant et un livre ouvert posé à l'envers. Sur le mur de gauche, il y avait une télévision à écran plat accrochée et, en dessous, un petit meuble avec deux portes ; l'une en verre laissait voir des appareils électroniques tels qu'un lecteur DVD et un boitier satellite, l'autre porte devait être celle d'un mini-frigo. Au bout de ce mur, il y avait une porte qui devait conduire à une salle de bain attenante.
- L'horloge tourne, rappela la brune avec calme. Que me voulez-vous ?
- Ah oui, c'est vrai, dit Clarke en passant une main dans ses cheveux. Je m'appelle Clarke Griffin et, on vous a probablement sorti cette excuse un nombre incalculable de fois, mais je risque vraiment de perdre mon job si je ne ramène pas une photo de vous à mon patron.
- Ah, un paparazzi ! S'exclama la brune avec un air irrité.
- Non, non ! Démentit rapidement Clarke. Je suis photojournaliste pour le magazine Arkadia.
Elle ouvrit sa pochette et en sortit une carte de visite qu'elle tendit à la brune.
- Le magazine de loisirs ? Réalisa la PDG avec étonnement en lisant la carte.
Son agacement semblait s'être dissipé.
- Pourquoi s'intéresser à moi ?
- Il y a une nouvelle rubrique cette année, expliqua la blonde. Mon patron souhaite y mettre tous les mois la photo d'une personne connue en train de faire quelque chose de banal pendant son temp libre. Et comme je n'ai pas pu lui donner la photo qu'il voulait de Finnley Collins la dernière fois, il m'a demandé d'en faire une de vous.
Les lèvres de la brune s'étirèrent pour la première fois pour former un sourire narquois.
- Vous devez être dans son collimateur alors, fit remarquer Alexandra Woods. Pourtant, ça ne vous a pas empêcher de profiter du festival et de prendre des photos sur place.
Clarke rougit.
- Vous n'êtes pas facile à trouver, dit-elle en haussant les épaules. Il fallait bien que je m'occupe.
- Eh bien, je suis là, devant vous. Je dois dire que j'ai été surprise lorsque l'hôtesse d'accueil m'a confirmé que c'était vous. Ça n'a pas dû être facile de trouver l'hôtel dans lequel je me trouvais.
Clarke ne réfuta pas.
- Alors qu'est-ce que vous aviez l'intention de faire une fois que vous m'aviez trouvée ? Parce que je ne pense pas que vous puissiez me prendre en photo en n'ayant pas votre appareil avec vous.
- En fait... Hésita Clarke en regardant la boite dans ses bras. Il est là-dedans, avec les chocolats.
Alexandra Woods cligna des yeux deux fois puis un rire lui échappa avant qu'elle ne se mette à la regarder d'un air pensif, un fin sourire étirant ses lèvres.
- Il vous plait votre travail ? Demanda-t-elle ensuite. Vous aimez ça, poursuivre des gens pour les prendre en photo ?
- Honnêtement ? Non.
- Alors pourquoi venir ici ? Pourquoi m'expliquer votre situation en espérant que je vous laisse me prendre en photo ?
- Si je perds mon job, je perds toute chance d'occuper le poste que je veux vraiment.
- Quel poste ? Voulut savoir la PDG, curieuse.
- Je voudrais m'occuper de la rubrique artistique.
- Et pourquoi cette rubrique en particulier ?
Ça commençait à faire beaucoup de questions personnelles mais, si y répondre lui permettait d'avoir sa photo, quel mal y avait-il de répondre ?
- Je me passionne pour l'art depuis toute petite : peinture, sculpture, photographie... Je peux rester des heures devant La nuit étoilée de Van Gogh ou Le cri de Munch sans m'ennuyer.
- Je comprends, dit Alexandra en hochant lentement la tête. Je suis pareil devant Le radeau de la méduse de Géricault. Je trouve son histoire aussi fascinante que macabre.
- C'est en effet une belle peinture chargée d'Histoire, approuva Clarke.
Elle se mordit la lèvre, ne sachant pas quoi dire d'autre et attendant que la brune dise quelque chose. Elle laissa son regard vagabonder dans la pièce et l'arrêta sur le livre posé près du fauteuil : d'ici, elle reconnaissait aisément la couverture du troisième tome de Divergent de Veronica Roth, l'une de ses sagas préférées.
- Quelle est votre deadline ? Demanda soudainement la brune après avoir regardé la carte de visite de Clarke à nouveau.
- Je dois lui remettre une photo de vous dans neuf jours au plus tard, répondit-t-elle avec espoir.
La PDG se dirigea vers la table qui lui servait de bureau, écrivit quelque chose sur une feuille et en déchira un bout avant de le tendre à Clarke.
- Je serais à cet endroit samedi prochain à dix-sept heures trente.
Clarke déposa la boite par terre et prit le papier.
Galerie d'Orsay, Boston , était-il écrit.
Elle releva la tête d'un coup, bouche bée.
- Vous voulez dire que...
- Prouvez-moi que vous êtes aussi passionnée d'art que vous le dites et peut-être que je vous laisserai me prendre en photo.
Toujours pas remise de ce retournement de situation, elle ne réalisa pas que la brune avait ouvert la boite, prit son appareil photo, l'avait passé autour de son cou puis l'avait subtilement poussée jusqu'à la porte.
- Ne soyez pas en retard, ajouta Alexandra Woods avec un sourire amusé.
Clarke ne reprit complètement ses esprits qu'une fois la porte fermée.
Qu'est-ce que...
Elle regarda à nouveau le papier puis la porte.
Est-ce que c'était un rendez-vous ?
Chapitre 2 : le dilemme
Samedi 2 novembre 2019
Dix-sept heures vingt-huit. Deux minutes d'avance.
Un miracle pour Clarke qui était plutôt du genre à arriver avec cinq minutes de retard.
Son appareil photo autour du coup, la blonde ouvrit la porte, faisant attention à ne pas rater la marche. Il serait dommage de se croquer une cheville maintenant alors qu'elle ne l'avait pas fait en marchant avec ses talons jusqu'ici. Une dame en tailleur vint lui demander si elle voulait bien lui donner son manteau pour qu'elle l'accroche à un porte-manteaux dans un coin. Clarke enleva son long manteau couleur crème mais garda sa pochette. Il n'y avait pas grand-chose à l'intérieur mais elle contenait le strict minimum dont elle avait besoin : ses papiers d'identité, son téléphone, les clés de son appartement et assez d'argent pour payer le taxi pour le chemin du retour.
N'ayant pas soigné sa présentation la fois où elle avait rencontré Alexandra Woods à son hôtel - comment aurait-elle pu être à son avantage dans une veste rouge sans manches de livreur ? -, elle avait opté pour un jean bleu clair, des bottines couleur beige et un pull blanc à col large. Non pas qu'elle chercha à impressionner la PDG mais Clarke ne voulait pas que la brune pense d'elle qu'elle ne prenait pas soin d'elle. Ce n'était pas vraiment important en soi, mais Clarke avait quand même passé une vingtaine de minutes à essayer divers vêtements avant de venir à la galerie.
Elle n'avait pas pris de parapluie, pressée par le temps mais aussi parce que le seul qu'elle avait se trouvait soit chez Octavia, soit chez Raven. Elle passait tellement souvent voir ses meilleures amies qu'il n'était pas étonnant qu'elle y oublie quelques affaires à chaque fois. Elle espéra que les nuages gris dans le ciel au-dessus d'eux n'étaient pas annonciateurs de pluie.
La clochette au-dessus de la porte tinta, la prévenant de l'ouverture de la porte. Elle se retourna et vit la brune qu'elle attendait entrer. Bien sûr, elle était là pile à l'heure.
Elle portait un pantalon et un blaser aussi noir que le charbon et une chemise blanche dont le premier bouton était défait. Ses boucles châtaines tombaient en cascade sur son épaule et ses yeux vert émeraude scintillaient à la lumière artificielle.
Clarke déglutit : Alexandra Woods était sublime en costume.
- Clarke Griffin, la salua-t-elle après que la femme à l'accueil l'eut débarrassée de sa veste.
Elle lui tendit une main que la blonde s'empressa de serrer, notant par l'occasion la douceur de sa peau. Les doigts de la brune étaient longs et chauds contrairement aux siens, plus petits et froids. Sa poignée de main était ferme mais pas douloureuse, donnant l'impression d'une assurance solide mais pas destructrice.
- Madame Woods, salua à son tour la blonde.
- Appelez-moi Alexandra, lui dit alors la PDG qui sembla apprécier sa tenue à en croire le sourire en coin qu'elle afficha après l'avoir regardé de manière évidente.
Elle bougea le bras, l'invitant à avancer puis dit :
- On commence ?
- ...en 1929. Dali venait d'être accepté dans le cercle parisien des surréalistes où il rencontra Gala, la femme du poète français Paul Eluard, poursuivit Clarke. Dans cette peinture, on peut interpréter le questionnement de Dali sur son orientation sexuelle : on dit de lui qu'il était homosexuel puisqu'il aurait eu une relation avec Federico Gardia Lorca, un poète, peintre et compositeur espagnol et qu'il avait peur des femmes avant de rencontrer Gala.
- D'accord, dit la PDG, songeuse. Mais que représente cette tête ?
- Dali, sans doute, ou une personne lambda ; un homme en tout cas, en train de s'adonner à l'onanisme, dit Clarke avec un sourire amusé, guettant la réaction de la brune.
- La masturbation, dit la brune, impressionnée par le vocabulaire de Clarke. Et le buste féminin et les jambes d'homme ?
- L'homme imagine une scène pour alimenter son plaisir. Mais au vu du membre au repos, je dirais que ça ne fonctionne pas très bien pour lui. J'imagine que c'est dû au fait que ce soit une femme qui s'apprête à lui faire une fellation et donc que c'est Dali qui représente sa peur des femmes.
- Et les trois personnages ? Demanda ensuite Alexandra.
- Eh bien, il y a deux théories. La moins connue et celle à laquelle je n'adhère pas serait que le couple n'est autre que Dali et Gala, formant une seule et même ombre, et que le personnage solitaire serait Eluard.
- Et l'autre théorie ?
- Dali a perdu sa mère quand il avait seize ans et son père a fini par se remarier assez rapidement avec sa tante, la sœur de la mère de Dali. Il parait qu'il n'a jamais accepté ce remariage.
- Je vois, dit la brune. J'adhère moi aussi davantage à cette théorie. Ça explique mieux pourquoi la femme que l'homme tient dans ses bras semble être en putréfaction.
- Ça reste moins macabre que le cannibalisme dans Le radeau de la Méduse , n'est-ce pas ?
- En effet mais ça n'en est pas moins passionnant, rétorqua Alexandra avec un sourire.
- Assez passionnant pour une photo ? Suggéra timidement Clarke.
Cela faisait quarante-cinq minutes qu'elles faisaient le tour de la galerie et, bien que la PDG ait reconnu presque toutes les peintures accrochées, c'est Clarke qui leur avait servi de guide, faisant des commentaires sur toutes les œuvres. Bien que le but de cette visite fût de gagner une photo de la brune, Clarke avait passé un bon moment entre les œillades discrètes et les sourires qu'elles s'échangeaient. Elle regrettait presque que cela arrive à sa fin.
- Si vous voulez me prendre en photo, ce sera devant cette peinture, exigea-t-elle en pointant l'œuvre de Dali devant elle.
- Vous êtes sûre ? Demanda Clarke, surprise.
- Aussi certaine que vous ne direz pas non si je vous invite à dîner.
Le cœur de Clarke se mit à battre plus fort et plus vite alors qu'elle essayait de ne pas montrer son trouble.
- C'est assez présomptueux de votre part, fit remarquer la blonde.
- Peut-être mais votre regard quand vous m'avez dévisagée plus tôt et la semaine dernière était sans équivoque. Vous me trouvez séduisante et ce n'est pas une simple observation.
La blonde se lécha les lèvres, un tic nerveux qu'elle avait depuis le collège et dont elle ne parvenait pas à se débarrasser.
- Je vous trouve séduisante, oui, confirma Clarke sans rougir. Mais j'ai des yeux, ça ne veut pas dire que je suis célibataire.
- Donc si je vous demandais de bien vouloir accepter de dîner en ma compagnie ce soir, vous refuseriez ?
- Si vous n'étiez pas aussi confiante, j'aurais dit oui.
- Alors vous êtes bien célibataire mais vous refusez quand même ? Demanda Alexandra, quelque peu surprise. Pourquoi ? Vous ne trouvez pas la confiance attirante ? Je vous mets mal à l'aise, peut-être ? Se demanda-t-elle soudainement, l'air préoccupée.
- Votre certitude quant à ma réponse à votre proposition me fait penser que votre sérieux ne réside que dans vos affaires et pas dans votre vie amoureuse.
- Et que savez-vous de ma vie amoureuse ? Rétorqua la brune en croisant les bras.
- Rien, justement. Personne ne sait si vous avez déjà eu des petits-amis ou si vous voyez quelqu'un en ce moment. Je viens tout juste de découvrir que ce n'est pas le cas mais également que vous êtes attirée par les femmes. Je ne sais rien de vous mais votre présomption ne me rassure pas.
Un silence suivit sa déclaration mais fut rapidement coupé par la PDG.
- Un dîner n'engage à rien, répondit-elle, comprenant l'hésitation de la blonde. Acceptez, apprenons-nous à nous connaitre et voyons où ça nous mène, proposa-t-elle ensuite.
Clarke réfléchit. Ce n'était pas professionnel d'accepter de dîner avec quelqu'un en lien avec son travail mais, une fois la photo prise, cela ne comptait plus vraiment, si ?
- Et qu'est-ce qui vous dis que je n'accepte pas ce dîner juste pour avoir ma photo sans finalement me présenter au restaurant ?
- Rien, avoua Alexandra en haussant les épaules. Mais qu'est-ce que vous avez à perdre en acceptant de dîner avec moi ?
- Mon temps ? Proposa-t-elle bien qu'elle ne le pensât pas.
- Vraiment ? Demanda la brune, n'y croyant pas. Je vais peut-être devoir refuser de vous laisser me prendre en photo finalement...
Clarke leva les yeux au ciel, un sourire menaçant d'étirer ses lèvres.
- Très bien, accepta-t-elle sans vraiment se forcer.
Parce que, franchement , qui refuserait de dîner avec Alexandra Woods ?
Mardi 12 novembre
- GRIFFIN ! DANS MON BUREAU !
Clarke ferma les yeux et grimaça. Ça ne pouvait pas être bon.
Sur le chemin entre son box d'un mètre carré et le bureau de son patron, Clarke essaya d'ignorer les regards compatissants de ses collègues et de comprendre ce qu'elle avait bien pu faire de mal.
Est-ce que ça avait à voir avec le fait qu'elle avait encore entartré la machine à café ce matin et ne l'avait pas détartrée tout de suite, empêchant Pike d'avoir un café en arrivant au bureau ? Ou alors les retours négatifs de sa caricature de Trump jouant au golf -elle faisait aussi des caricatures pour le magazine car juste prendre des gens connus en photo ne payait pas assez puisque qu'elle ne faisait qu'un article par mois- étaient plus nombreux que ce qu'elle pensait ? Ou alors la photo d'Alexandra Woods devant Le Grand Masturbateur ne plaisait pas à Pike...
Arrivée devant la porte à moitié ouverte, elle frappa contre le bois et Pike, assis dos à elle, lui fit signe d'entrer. Elle s'assit sur l'unique chaise à sa disposition et frotta ses mains devenues moites à cause de sa nervosité sur son pantalon.
- Je suis très étonné... Commença-t-il en se retournant.
Il avait le magazine sorti quelques jours plus tôt en main et cliqua sur sa souris, affichant une page sur l'écran de son ordinateur.
- Quand Jeff m'a dit que vous aviez effectivement une photo d'Alexandra Woods et qu'elle correspondait à nos critères de publications, j'ai eu du mal à le croire, lui dit-il en tournant son regard vers elle. Quand j'ai parcouru le premier exemplaire du magazine de ce mois, j'ai été même agréablement surpris.
Puis il tourna l'écran vers elle.
- Lisez Griffin.
Elle s'assit sur le bord de sa chaise et lut la dizaine de commentaires qui étaient affichés sur les trois cent soixante-quatre publiés sur le site internet du magazine. Un homme avait fait un sous-entendu suggestif, trois femmes avait apprécié le fond de la photo, quatre personnes lambda débattaient sur le message prétendument caché de la photo et deux personnes dont les noms lui étaient étrangement familiers sans qu'elle n'arrive à savoir pourquoi saluaient la mise en scène et félicitaient la photojournaliste d'avoir réussi à photographier la PDG.
Donc elle.
- Monsieur ? Demanda-t-elle, ne sachant pas ce qu'il attendait d'elle.
- Vous connaissez ces noms Griffin ? Demanda Pike en tapotant son écran du doigt. Raymond Frum est le rédacteur en chef du Times, continua-t-il avant qu'elle n'ait eu le temps de répondre, et Daniel Arroyo, celui de Forbes. Entre 2014 et aujourd'hui, le Times a publié quelques articles sur Alexandra Woods sans jamais avoir eu d'interview avec elle ni aucune photo et le Forbes n'a eu droit qu'à deux interviews brèves sur l'évolution de son entreprise et la vente de nouveaux produits médicaux révolutionnaires et leur dernière photo d'elle date d'il y a cinq ans.
Il joignit ses mains et se pencha en avant sur son bureau.
- Puis vous voilà, à la veille de la parution de notre numéro du mois de novembre avec une photo d'Alexandra Woods ; photo dont elle semble consciente et consentante.
Il la regarda intensément.
- Comment avez-vous fait ? Demanda-t-il après une courte pause.
- Elle pensait que j'étais un paparazzi mais je lui ai parlé de notre nouvelle rubrique et elle a semblé apprécier l'idée, expliqua Clarke avec hésitation. Elle m'a demandé de la rejoindre une semaine plus tard dans une galerie pour que je la prenne en photo.
- Vous êtes donc dans ses bons livres, dit-il en hochant la tête avec un sourire satisfait. Excellent ! Excellent ! S'exclama-t-il. Griffin, vous désirez toujours être à la tête de la rubrique artistique, je me trompe ?
Le cœur de Clarke rata un battement.
- Je le veux toujours monsieur ! Répondit-elle avec enthousiasme.
- Interviewez Woods sur ses hobbys, sur ce qu'elle fait durant son temps libre, ses passions, remettez-moi ensuite l'enregistrement pour le prochain numéro et considérez-vous comme promue à la rubrique artistique.
Le sang dans les veines de la blonde se glaça.
Pouvait-on être heureux et horrifié à la fois ?
Alexandra avait accepté de faire une photo mais à contrecœur. Que dirait-elle d'une interview ?
Et comment allait-elle-même amener le sujet au dîner ?
Voilà ! Je mets la suite demain et l'épilogue lundi.
Bon week-end !
