Un Rêve éveillé

Harry l'observait du coin de l'œil depuis l'autre bout de la grande salle.
Quatre ans qu'il n'avait reçu que des moqueries et des insultes de sa part.
Quatre ans que Harry l'observait.
Il distingua un mouvement de bras, une main se perdant dans des cheveux blonds.
Et pour la centième fois ce jour-là, il se demanda comment il en était arrivé là.
Il se remémora une énième fois toutes les étapes, mais la logique lui échappait. Il souffla, c'était le principe, non ? Que ces choses-là n'aient ni logique ni raison.
Toutes ces années passées à Poudlard, à le surveiller du coin de l'œil, à connaître ses mouvements, ses amis. À savoir où il se trouvait, pour pouvoir se défendre. Tellement de haine, tellement de combats, physiques, magiques, verbaux.

Pourtant, à force de l'observer, de le découvrir, la haine s'était atténuée. Se transformant en compréhension, en compassion… en affection.
Harry le voyait lutter pour avoir sa place, et surtout la garder. Au sein de sa classe, dans son cercle d'amis, parmi sa famille.
Et Harry le comprenait si bien ! Lui qui n'avait aucune famille comprenant peut-être plus que d'autres l'importance qu'elle a dans une vie. Comment on serait prêt à tout faire, tout commettre, pour la garder, pour avoir sa place attitrée dans son sein.
Et tous les efforts qu'il faisait étaient aussi visibles que la souffrance d'être un orphelin l'était pour Harry. Facile à esquiver pour qui ne veut pas voir, mais pour peu que l'on s'arrête, qu'on ouvre les yeux, elle était partout. Il portait sa douleur partout, en essayant de se distinguer continuellement sans jamais y parvenir. En cours, il n'était pas exceptionnel et c'était bien ce qu'il reprochait à Hermione. Ses amis le toléraient tout au plus et de même c'était pour cela qu'il ne supportait ni Ron, ni les Weasley. Ils étaient tous de bons vivants, facilement appréciables, amis de tous et proches de beaucoup.

Et Harry… Il haïssait Harry particulièrement. Sa popularité, son traitement de privilégié, alors qu'il n'avait rien fait pour le mériter, rien pour l'obtenir ! Lui qui travaillait si dur pour avoir du respect, il s'accrochait désespérément aux maigres traces que son père daignait lui accorder.
Mais Harry… Cet arriviste, cet orphelin, que tout le monde aimait et admirait, que tout le monde respectait. Non, Draco ne pouvait que le haïr.

Harry en avait parfaitement conscience. Il le comprit au fur et à mesure, à force de le guetter et de le craindre. Il ne sut, à quel moment sa crainte se changea en affection. Que son observation de l'autre pour sa propre protection s'était muée en recherche par curiosité. Comment allait-il aujourd'hui ? Est-ce qu'il avait mangé ? S'était-il réconcilié avec Blaise ?
Et Harry le voyait pleinement. Il voyait ses yeux rouges lors de ses nuits trop courtes, ses démarches raides après une visite chez son père. Son regard mélancolique après avoir vu sa mère, sa fierté et ses larmes.
Harry voyait toutes ces choses et en voulait plus.

Il voulait rentrer dans sa vie, décortiquer son passé, connaître ses opinions, être quelqu'un dans sa vie qui lui donnerait cette place, ce respect qu'il désirait tant.
Il lui donnerait de l'admiration et de l'amour. Il lui prendrait la main pour l'encourager, l'enlacerait pour le réconforter, l'embrasserait…
Harry soupira.
Draco l'avait remarqué et s'approchait :
— Alors Potter ta popularité t'empêche de manger ? Ne t'en fait pas, on se rendra compte bien assez vite que tu n'es qu'un raté.
— Au moins ce n'est pas un problème pour toi, tout le monde le sait déjà.
Harry se leva et entreprit de sortir de la salle. Il ne pouvait pas laisser qui que ce soit voir à quel point ces mots lui coûtaient.

Une fois à l'abri dans un couloir, il s'apaisa comme il en avait l'habitude. Respirer doucement et imaginer que Draco l'ait suivi. Il avait dessiné cette scène dans sa tête tellement souvent qu'elle lui paraissait réelle. Draco lui lançant des remarques tranchantes, lui souriant avec toutes ses émotions mille fois refoulées.
Draco surpris, suspicieux, se préparant à une attaque. Harry s'attristant devant la confirmation de ce qui ne pourrait être.
Très lentement, les paumes ouvertes pour indiquer qu'il n'y avait pas de danger, Harry avança sa main, frôla la tempe de Draco, avant de caresser doucement sa joue.
Et cette fois il osa, il approcha et déposa le baiser rêvé au coin des lèvres de celui qui hantait ses nuits. Après un dernier regard affectueux, il se retourna et partit en direction de sa salle commune.
Il était rare que son imaginaire arrive aussi bien à l'apaiser.


Laissé seul dans le couloir, Draco était stupéfié.
Il porte ses doigts au coin de ses lèvres.
Que venait-il de se passer ?