Prompt du 23 avril de la Bibliothèque de fiction (avril 2021): "Qu'est-ce que le chagrin si ce n'est l'amour qui persévère ?"


Date anniversaire


Tout le monde s'accordait à dire qu'Owen Harper n'était pas un homme aisé à vivre.

Râleur, bagarreur, moqueur, alcoolique à ses heures perdues, avec des tendances masochistes et suicidaires qui auraient permis d'écrire des thèses entières à un psychanalyste …. La liste était longue.

Owen était dépressif, mais plutôt que de chercher une aide saine, il avait préféré se laisser sombrer dans la violence et la haine, s'auto-détruisant avec complaisance et répétition.

C'était ce qui arrivait, lorsque vous étiez incapable de sauver votre fiancée.

L'homme gentil mais fragile qui avait rencontré Kate s'était transformé en un être amer, vulgaire et franchement peu recommandable, et Torchwood ne lui avait malheureusement pas permis de l'aider à s'améliorer. Sur certains points, il n'avait même fait qu'empirer.

Depuis des années à présent - cinq ans - Owen avait entretenu son apparence égoïste et insultante.

Il en était arrivé à un stade où ce qui n'était au départ qu'un masque était devenu sa réelle personnalité.

Autant le dire, il n'était pas facile à vivre.

Travailler avec lui pouvait être autant brillant qu'un véritable calvaire.

De manière générale, il ne se priverait pas de faire subir ses sauts d'humeur à tous ceux l'entourant, et son équipe en particulier. En retour, il recevrait des réactions très variées, mais la plupart consisterait en un vaste panel d'insultes ou commentaires acides.

Mais bon, c'était Owen : à force, c'était comme avec les chats sauvages, on s'y faisait.

L'envoyer balader, le laisser bouder et mariner dans son laboratoire, lui confier des analyses compliquées pour l'occuper des heures, ne pas oublier quels gâteaux il préférait avec son café.. L'homme était un ours, mais il pouvait s'apprivoiser.

Et puis, il y avait ces jours.

Ces jours où rien n'allait.

Ces jours où tout explosait.

Ces jours qu'on aurait préféré oublier.

Aujourd'hui était une de ces journées.

Malheureusement, personne n'avait eu le temps de prévenir Gwen avant son arrivée.

Alors, lorsqu'elle avait comme à son habitude salué le groupe à la cantonade, elle ne s'était pas forcément attendue à une réponse très enthousiaste d'Owen – leur relation demeurait très distendue, même après tout ce temps – mais pas à une vague d'insultes.

La Galloise avait vu rouge, évidemment.

Pour qui ce connard se prenait-il ?

Elle n'était pas un chien !

-C'est quoi, ton problème ? Putain de merde, je viens juste d'arriver, tu peux pas te la contenir ? Si tu veux te défouler, va nettoyer les cellules, je suis sûre que Ianto appréciera !

-Va te faire foutre, Cooper ! Personne ne t'a demandé d'ouvrir ta grande gueule !

-Tu vas voir si..

-Okaaaaaaaaaay ! Gwen, avec Tosh, Owen, avec moi !

La brune pivota sur ses pieds, ses yeux humides se posant sur Jack qui venait d'apparaitre à la porte de son bureau, une expression tempétueuse sur le visage.

C'était une expression qu'elle ne lui avait que rarement connue, depuis son arrivée à Torchwood mais c'en était une, dont elle avait appris à s'inquiéter.

Jack était sur le pied de guerre.

-Jack ? souffla-t-elle en le regardant descendre les marches quatre à quatre, en direction du laboratoire médical.

Le capitaine s'immobilisa à coté d'elle, et posa sa main sur son épaule, la pressant gentiment.

-Bonjour, Gwen. Reste loin d'Owen, ok ? Tosh t'expliquera, murmura-t-il.

-Je .. Okay, souffla-t-elle, perdue.

Jack pressa son bras un peu plus fort, avant d'embrasser son front. L'instant d'après, il se détourna, se dirigeant à grands pas vers la balustrade bordant le laboratoire où Owen tentait en vain de se terrer.

-Met ta veste, on sort.

-Je ne t'ai rien demandé, Harkness ! hurla le jeune médecin, furieux.

-Tu as une minute, répliqua froidement Jack. Après, c'est moi qui viens te chercher.

-Va te faire foutre !

-Amusant, je l'ai fait il y a une heure. Gwen grimaça, et se détourna, en même temps que Tosh rougissait. Du coin de l'œil, elle aperçut Ianto, une expression stoïque sur le visage, en train d'aider Jack à enfiler son manteau militaire. Toi, par contre, je peux dire que cela fait longtemps que tu ne t'es rien enfilé. Je te proposerai bien, mais Ianto a ses critères.

-Eeeeeeeeerk … Garde tes fantasmes pour toi, pesta Owen, son dégoût évident.

-Met ton manteau, répliqua Jack, sa voix aussi froide que la glace.

Et c'était un ton, que Gwen avait appris à haïr. Un ton qu'elle avait déjà entendu plusieurs fois, bien que rarement envers elle, et qui provoquerait toujours en elle une tension prenant plusieurs heures à disparaitre.

C'était un ton de menace, et d'avertissement.

Le ton du capitaine, pas l'ami.

Un ton que Jack n'appréciait que très peu d'employer, mais qu'il avait appris à parfaitement maitriser.

L'immortel détestait peut-être diriger, mais il possédait sans aucun doute certaines qualités nécessaires à ce fait.

Mais Owen étant Owen, il ne rendait bien sûr jamais les choses faciles.

Gwen se serait attendue à voir celui-ci davantage batailler – en plus d'être outrageusement grossier, le médecin était aussi atrocement têtu – aussi fut-elle choquée de le voir apparaitre en haut des marches, sa veste de cuir sur le bras. Elle ne put que relever combien son corps était tendu à l'extrême, son expression fuyante alors que Jack enveloppait son bras autour de son épaule, l'attirant à lui dans un geste tout aussi autoritaire que protecteur.

Le visage du médecin se crispa, mais il ne le repoussa pas, se laissant entrainer vers la sortie par un capitaine déterminé.

-Okay, souffla Gwen lorsque la porte se referma dans un hurlement strident. Quelqu'un peut me dire ce qu'il vient de se passer ?

Tosh soupira, et secoua la tête, alors que Ianto se frottait la nuque, gêné.

Parfois, ils oubliaient que Gwen n'était pas présente dans l'équipe depuis aussi longtemps qu'eux.

La jeune femme n'avait jamais vu Owen à cette période de l'année.

-Je vais faire du café, on en aura besoin, soupira l'archiviste. Tosh, je te laisse nous faire un peu de place sur ton bureau ?

-Bien sûr, hocha de la tête l'informaticienne.

Gwen haussa un sourcil, reconnaissant le type d'échange à venir. Perturbée, elle s'assit à coté de sa collègue, jouant avec un crayon de papier en même temps que Ianto préparait sa boisson magique. Quelques minutes plus tard, celui-ci les rejoignit, armé d'un plateau sur lequel étaient posées trois tassés fumantes, et un cake aux pommes fait maison.

-Miam … Oh, tu es un amour, grogna Gwen en prenant le plateau de ses mains.

-On me le répète souvent, sourit le Gallois, avant de saisir le couteau.

Quelques gorgées brulantes et des parts de gâteaux dévorées plus tard, Gwen se redressa, son expression intense.

-Ok. Qu'est-ce que je dois savoir ? Ne me prenez pas pour une bille, je sais reconnaitre une réunion café quand j'en vois une. C'est à propos d'Owen ?

Perspicace, comme toujours. Ses collègues échangèrent un regard, avant que Tosh ne secoue les épaules, laissant la parole à Ianto qui roula des yeux.

-Perspicace, comme toujours, Gwen. Oui, c'est à propos d'Owen. Soyons bien clairs, que nous ne t'avons rien dit tu n'es au courant de rien. A part si Jack t'en parle, bien sûr. Ce qu'il fera, sans aucun doute, puisqu'il nous a laissés seuls avec toi.

Gwen hocha la tête.

-Evidemment. Alors, vas-y, dis-moi. Qu'est-ce que j'ai dit pour me faire détruire ainsi ? grimaça-t-elle.

-Tu n'as rien dit.. Ianto soupira, cherchant comment expliquer l'attitude de son collègue sans révéler trop d'éléments de sa vie privée. Ok, formulons-le ainsi. As-tu déjà … perdu quelqu'un ?

-Je .. Oh.. Oh, non, merde, c'est .. une date anniversaire ? La date arrive ?

-C'est aujourd'hui, confirma doucement Tosh. Qui, quoi, comment, nous ne savons pas. Simplement ce que Jack nous a dit … Ce n'est pas important; ce qui compte, c'est que la perte de cette personne, qui quelle soit, a détruit Owen.

-Apparemment, sa première année à Torchwood, il avait pris un jour de congé, et Jack l'a retrouvé ivre mort derrière un bar.. Depuis, il reste travailler ici, insulte tous ceux qui l'entourent encore plus que d'ordinaire, et tente de se suicider en allant traquer des Weevils, ou n'importe quelle crasse que la Faille nous jette.

-Charmant.. Oh, merde, non, soupira Gwen en fixant sa tasse de café, avant de saisir une nouvelle part de gâteau, la dévorant d'une traite. Je ne peux même pas imaginer.. Elle ferma les yeux, alors que le souvenir du corps tâché de sang de Rhys se rappelait à elle. Son chagrin..

-Qu'est-ce que le chagrin si ce n'est l'amour qui persévère ?murmura doucement Tosh, avant de presser gentiment la main de Ianto, dont le regard était rivé sur sa tasse de café.

-Oh, c'est vrai, Ianto.. Oh merde, décidément, c'est la journée, marmonna Gwen, avant de secouer la tête et venir le prendre dans ses bras.

Son ami ferma les yeux, avant de se détendre, lui souriant gentiment avant de reculer, gêné.

-Tout cela pour dire, qu'Owen sera un vrai connard pendant encore au moins une semaine. Je sais que c'est dur, mais ignore-le. Tu es la bienvenue dans les archives.

-Je sens que je vais me développer une nouvelle compétence, rit Gwen en pressant son bras. Merde, non, mais j'aurai quand même aimé savoir avant..

-Ah, tu connais Jack, il zappe tout ce qui compte, et on n'y a pas davantage pensé, commenta Ianto en se redressant, avant de rajuster sa cravate.

-Où est-ce qu'ils sont, d'après toi ?

-Là ? Occupés à se bourrer consciencieusement dans un bar bien pourri de Cardiff. Après ? Aucune idée, et je ne veux pas savoir.

-Tu .. n'as pas tort, grimaça Gwen. Certaines choses étaient supposées demeurer silencieuses. Ça vous dérange, si je vais m'entrainer à tirer quelques heures ?

-Tant que tu nettoies derrière toi, répliqua le Gallois, provoquant le rire des deux femmes.

-Tosh ? Tu veux venir ?

-C'est gentil, Gwen, mais je préfère continuer mon travail, sourit celle-ci. Peut-être une autre fois.

-Tu devrais vraiment lâcher ton ordinateur, roula des yeux la brune. Ianto ?

-Laisse-moi cinq minutes, le temps de nettoyer ce bazar, et je te rejoins.

-Pas de souci ! Ianto ? appela-t-elle en le voyant se diriger vers la cuisine. Ce dernier se tourna vers elle, un sourcil levé. Merci… Pour le gâteau. Et le café.

-A ton service, sourit le Gallois.

Gwen le regarda partir en souriant, son cœur plus léger. Elle jeta un coup d'œil à Tosh, déjà replongée dans ses calculs, et tendit la main, pressant gentiment son bras. Celle-ci sursauta, avant de la fixer, surprise. Gwen lui sourit, tentant de convoyer tous ses sentiments dans le geste – communiquer avec Tosh avait toujours été si difficile, mais elle voulait vraiment lui montrer combien elle lui était reconnaissante pour avoir pris le temps d'échanger avec elle sur un tel sujet.

Le message dut certainement passer, car l'informaticienne se détendit, lui souriant à son tour. Et c'est avec un cœur apaisé que Gwen se dirigea vers la salle d'armes, bien décidée à évacuer le reste de ses pensées négatives sur les dizaines de cibles l'attendant dans la pièce.