LOVESICK

Note de l'autrice : Pour celles qui se demanderaient pourquoi je poste un One Shot sorti de nul part au lieu de publier la suite de In Pursuit Of, sachez qu'elle n'arrivera que d'autant plus vite maintenant que j'ai évacué cette petite idée qui me trottait dans la tête.

C'est une histoire d'amitié entre Hermione Granger et Lavande Brown, sur fond de Dramione. Ça traite de sororité, d'amour et de guerre. En espérant que ça parle à certaines d'entre vous.


Lavande Brown avait beaucoup à dire au sujet de l'amour.

Des fadaises enrobées de sucre et enrubannées de soie ; des romans cocottant l'eau de rose et le désir maladif d'être aimé ; des contes de fées peuplés de galants dévoués jusqu'au dernier souffle à leur dulcinée.

Du moins, c'était ce qu'avait présumé Hermione, du haut de sa tour de rationalité, emmurée dans son mépris et son hypocrisie. Comme s'il ne lui arrivait jamais de s'endormir en se racontant ces mêmes histoires. Comme si, de Gilderoy Lokhart à Ron Weasley, elle ne s'était pas éprise des mêmes hommes que sa camarade. Comme si elle n'avait rien, strictement rien à voir avec Lavande.

A posteriori, Hermione aurait voulu pouvoir dire qu'elle avait questionné ce besoin malsain de se différencier d'elle il y a bien longtemps. Mais elle n'avait pas le beau rôle dans cette histoire. Jusqu'à leur sixième année d'étude, ses préjugés étaient demeurés entiers. Ils avaient même culminé, cette année-là, en une amère jalousie, quand Ron et Lavande s'étaient mis ensemble.

Désormais, elle se sentait malade d'avoir jugé la jeune femme en adoptant un regard étranger. Un regard masculin. Lavande était on-ne-peut-plus féminine, expressive et enthousiaste – ce qui la rendait risible aux yeux d'un monde misogyne. Qui prendrait au sérieux une adolescente passionnée de coiffure et de divination ? Qui regarderait ses démonstrations d'affection autrement qu'avec condescendance ? Qui écouterait ce que sa voix fluette et mielleuse disait entre deux gloussements ?

Pourtant, si le monde avait tendu l'oreille, il aurait été surpris. Et si Hermione avait prêté attention – au lieu de se croire trop « différente » des autres filles pour passer du temps en leur compagnie – elle aurait su que Lavande avait en effet beaucoup à dire.

Sur le sujet de l'amour, contrairement à ce que s'imaginait Hermione, elle se révélait plus pragmatique qu'idéaliste.

Lavande adorait les romans d'amour, mais elle ne s'aventurait jamais à en prêter une de ses copies sans glisser en dessous Maria de Mary Wollstonecraft, Une chambre à soi de Virginia Woolf ou quelque autre complément féministe.

Lavande était une éternelle amoureuse, mais elle mettait en garde les filles de son dortoir : la romance n'est qu'une arme de plus dans l'attirail des hommes. Ils vous glissent de doux mensonges à l'oreille et attendent leur dû. Ils vous caressent tendrement la main sous les étoiles, et l'instant d'après, vous baisent maladroitement dans une tente, en manquant de vous donner un orgasme mais pas une maladie sexuellement transmissible. Ils promettent le monde, demandent à jouir sur votre visage puis n'osent plus vous regarder en face au moment de rompre.

Et il ne fallait pas s'y méprendre. Lavande ne voulait pas dire par là qu'il ne fallait pas consentir, si on le souhaitait, à quelque pratique sexuelle que ce soit avec un homme; elle ne voulait pas non plus dire que toute entreprise de séduction était forcément malveillante, ni même que l'amour était impossible. Non, elle souhaitait seulement souligner que certaines mains manipulatrices brandissaient de nobles et grands mots à des fins médiocres. Et qu'en ce domaine, les hommes étaient experts.

Si Hermione ne s'était pas tant réfugiée dans la salle commune ou à la bibliothèque, elle aurait aussi entendu Lavande citer The Beauty Myth tout en tressant les longs cheveux noirs de Parvati un matin ; ou elle l'aurait vue rassembler les filles du dortoir, certains soirs, pour échanger des conseils qui ne se limitaient pas à des questions de mode et de maquillage. Ses camarades rougissaient quand elle évoquait les techniques de masturbation féminine ou les sortilèges de contraception, mais Lavande n'en démordait pas. « C'est très important, et vous savez ce qui est plus important encore ? Le consentement », disait-elle, avant d'enchaîner sur les dangers des philtres d'amour et les moyens de défense face aux hommes mal intentionnés.

Lavande en savait plus long qu'il n'y paraissait sur la violence.

C'était une jolie jeune fille aux yeux bleus, aux lèvres pulpeuses et aux boucles blondes. Cela lui donnait sans doute toute l'expérience nécessaire, face à la gente masculine, pour tenir le discours d'une mère inquiète du haut de ses dix-huit ans.

Ce monde n'était pas tendre avec les femmes, et Poudlard ne faisait pas exception à la règle : c'était une affaire entendue pour Hermione. Cependant, personne ne l'avait mise au courant que, chaque fois qu'il était arrivé quelque chose à l'une des étudiantes de l'école, qu'importe son âge ou sa maison, la Gryffondor était venue proposer son aide. Elle n'en avait rien su jusqu'au jour où Lavande s'était approchée d'elle, lui avait pris la main et lui avait demandé :

« Comment te sens-tu ? »

Et ce jour-là, Hermione lui avait répondu qu'elle allait bien, que Cormac avait juste trop bu en fêtant le match de Quidditch remporté, qu'il s'était juste montré plus pressant que d'habitude, qu'elle s'était juste sentie vulnérable sans sa baguette et bête de l'avoir laissée sur sa table de chevet, qu'elle n'avait juste pas songé qu'elle aurait à se défendre parmi les siens, mais qu'elle était parvenue à se sauver avant que ça ne dégénère. Qu'il y avait eu, en somme, plus de peur que de mal.

« Ce n'est pas « juste » quoi que ce soit », Lavande avait rectifié, « Tu n'es responsable de rien et tu n'as pas à lui trouver des excuses ».

Lavande avait respecté son choix de ne rien signaler à l'administration de l'école, mais Hermione suspectait qu'elle avait tout de même pris l'initiative de ne pas laisser Cormac s'en tirer aussi facilement. Au vu de l'arrêt soudain des avances du garçon, elle songea que Lavande n'en était pas à son galop d'essai en la matière.

Après cet événement, tout avait basculé.

Car Hermione s'était demandé qui avait rendu sa camarade ainsi, qui l'avait forcée à devenir si mâture. À cause de qui Lavande Brown transmettait l'art d'éviter que les choses se passent horriblement mal et savait exactement quels mots prononcer aux filles que les précautions n'avaient pas épargnées ?

Et Hermione s'était demandé comment elle avait pu croire sa camarade superficielle et naïve. Après réflexion, elle avait mis en cause sa propre misogynie intériorisée, mais surtout, elle avait rendu à la jeune femme ce qui lui revenait. Lavande était solaire, confiante, joyeuse, en toutes circonstances ; elle riait à gorge déployée sans prêter attention aux regards portés sur elle ; elle aimait de tout son cœur et sans retenue. Avec un si majestueux doigt levé au patriarcat, comment ce dernier n'aurait pas contre-attaqué en interprétant sa force comme de l'imbécilité ?

Depuis, Hermione songeait que le monde avait cruellement besoin de femmes comme Lavande. De femmes qui n'abandonneraient pas une once de leur féminité pour le confort de qui que ce soit. De femmes qui prendraient au sérieux toutes celles jugées puériles et provocatrices et menteuses. De femmes intransigeantes, toujours au rendez-vous pour rappeler, à chaque haussement d'épaules désintéressé ou fataliste devant les violences sexistes et sexuelles, que tout ceci n'était ni normal ni acceptable. De femmes qui ne laisseraient passer aucun abus sans causer une scène. De femmes qui ne permettraient pas que des victimes portent la culpabilité et la honte.

Parce que Lavande était ce genre de femmes, tout en demeurant une incorrigible romantique, Hermione se tourna vers elle, le jour où elle eut besoin de parler d'amour.


« J'aime quelqu'un », murmura Hermione, la voix teintée d'une forme de terreur.

Ce n'était pas Ron. Si ça avait été lui, elle n'aurait rien dit à Lavande, qui avait rompu avec le rouquin le mois précédent.

Ce n'était pas Ron, et pourtant son nom aurait été plus facile à prononcer que celui qu'elle avait sur le bout des lèvres.

Pendant des mois, Hermione n'avait parlé de lui à personne, ni n'avait compté le faire. Puis un beau jour de mai, son meilleur ami avait failli laisser pour mort son amant dans les toilettes des filles. Écrasée sous le poids du secret, elle n'avait ni pu communiquer l'ampleur de son effroi au premier, ni pu se rendre au chevet du second. Animée par le besoin d'être comprise et conseillée, elle avait alors tiré la manche de Lavande, comme une enfant, pour lui demander de l'aide.

« Draco Malfoy ? », répéta Lavande, stupéfaite du nom révélé.

Instinctivement, Hermione lança un coup d'œil vers la porte de la salle de bain, qui les isolait du reste du dortoir des filles, et souffla un rapide « assurdiato ».

« Oui, Draco Malfoy. »

Et en un flot de paroles trop longtemps contenues, Hermione expliqua.

Elle expliqua que c'était arrivé par hasard, presque par malentendu. Ni lui ni elle ni le reste du monde n'aurait pu suspecter, il y a encore quelques mois, ce qui leur tomberait dessus.

Elle expliqua que tout avait débuté le jour où le garçon qui avait fait condamner à mort un hippogriffe en troisième année avait enterré un minuscule moineau sans vie près du lac. Ce jour-là, lorsqu'il l'avait finalement aperçue, le garçon qui lui avait toujours craché des mots horribles au visage s'était contenté de la regarder en silence. En passant à côté d'elle pour rejoindre le château, celui dont la haine déformait habituellement les traits avait eu des yeux tristes et fatigués.

À partir de ce moment-là, elle n'avait plus seulement prêté attention à lui en raison des suspicions qu'avait Harry à son encontre - bien qu'à force d'observations, elle aussi en était venue à conclure que quelque chose n'allait pas avec lui. Il lui avait paru seul en toutes circonstances ; distrait devant ce qui l'entourait, mais concentré sur un fardeau invisible.

Ceci, elle ne le raconta pas à Lavande.

Hermione raconta à la place qu'il était devenu une énigme à résoudre pour elle. Comme un problème d'arithmancie particulièrement délicat, devant lequel elle refusait de reculer. Pour la première fois, elle s'était demandé ce que cela signifiait de porter le nom de Draco Malfoy. Son comportement odieux envers elle ne l'avait pas rendue très prompte à faire preuve d'empathie à son égard jusque-là.

Elle raconta aussi l'inexplicable. Les moments qu'elle avait d'abord interprétés comme les effets secondaires absurdes du temps passé à examiner le jeune homme. Les fois où ses yeux gris avaient croisé les siens pour ne les lâcher qu'après quelques secondes séculaires. La fois sans retour possible où elle avait décelé, dans son air pensif, une beauté mélancolique.

Folie.

Draco avait fini par la confronter – avec la dureté de celui qui est trop près du but pour accepter d'être percé à jour. S'en étaient suivis d'innombrables questions, silences, menaces, avant que la situation ne change du tout au tout. Impossible de trancher entre sincérité et stratégie pour expliquer le baiser qu'il décida alors de lui donner. Peut-être avait-il jugé judicieux, pour qu'elle cesse d'entraver sa route, de la faire taire en la faisant sienne. La douceur infinie avec laquelle il l'avait embrassée ne lui avait pourtant pas permis d'en être absolument sûre. Et comment aurait-il pu miser sur le fait qu'elle ne le repousserait pas, si elle-même s'était étonnée de ne pas en avoir eu envie ?

Hermione ignorait encore ce qu'il en était.

Sa seule certitude : les choses avaient suffisamment dégénéré après ce baiser pour qu'elle se trouvât désormais devant Lavande avec le verbe « aimer » à la bouche.

Ce n'était pas arrivé du jour au lendemain, bien sûr, mais le résultat demeurait identique. Bientôt, ils avaient refermé la porte derrière eux puis défié l'abîme qui les séparait au dehors. Lui en elle et elle autour de lui. La passion contre le monde.

Depuis des mois, ils couchaient ensemble comme si l'avenir n'existait pas, comme si le monde s'écroulait au dehors, comme si la mort patientait derrière la porte. Draco lui donnait l'impression de vouloir se prouver quelque chose avec elle. Quelque chose qui aurait à voir avec la liberté, l'indépendance, le contrôle de sa destinée. Comme un acte de rébellion qui prendrait la forme d'un peu de répit. Peut-être se sauvait-il dans ses bras, dans les deux sens du terme : il s'échappait et il se soignait.

Dans une partie de cache-cache avec la cruauté du monde, Draco dissimulait ses doigts en elle, sa tête entre ses cuisses, sa langue entre ses lèvres. Ses pensées torturées se lovaient contre son sein ; son désespoir trouvait refuge derrière ses courbes. Hermione songeait qu'il avait réussi, à force de vouloir se fondre en elle, à s'infiltrer sous sa peau et à s'insinuer dans son cœur.

Et elle, elle lui ouvrait les bras. Elle donnait et elle recevait. Jamais elle ne s'était sentie plus vivante. Et quand il n'était pas là, elle l'attendait, même inconsciemment. On ne l'avait pas prévenue qu'on attendait autant l'autre en amour.

« Je ne croyais pas cela possible », confia-t-elle, « De désirer et d'aimer quelqu'un si ardemment. Surtout pas lui. Et de me sentir désirée et aimée avec la même intensité. Surtout pas par lui. »

Hermione ajouta qu'elle était consciente que leur relation devait se trouver quelque part sur l'échelle de la toxicité, parce qu'elle était elle et parce qu'il était lui, mais qu'elle n'avait rien ressenti d'aussi fort de sa vie.

S'entendant parler, elle se mit à rire nerveusement.

« Je sais comment tout ceci doit sonner... », dit-elle en triturant la manche de sa chemise.

Lavande répondit au quart de tour, sur un ton léger, sans doute destiné à dissiper la gêne d'Hermione.

« Comme la dernière romance entre anciens ennemis que j'ai lue ? »

Hermione leva les yeux au ciel.

« Comme Juliette s'étonnant que son unique amour émane de son unique haine ? Comme un remake inattendu d'Orgueil et Préjugés ?, poursuivit Lavande avec un petit sourire en coin.

- Je pensais plutôt à « cliché » ou « ridicule », à vrai dire. Je sonne comme un mauvais poème sentimental. »

Lavande fit une mine offensée.

« Hermione Granger, seriez-vous en train de critiquer Shakespeare et Austen ?

- Loin de moi cette idée, rétorqua Hermione en souriant. C'est que… je sais combien parler d'amour peut sonner cliché. Il y a encore peu de temps, je ne comprenais pas non plus. »

Lavande la considéra en silence avant de répondre :

« Parler d'amour ne sonne cliché qu'aux oreilles de ceux qui n'ont jamais été amoureux. Mais rassure-toi, je comprends. »

Hermione hocha doucement de la tête.

« Je te taquine avec ces histoires de romans d'amour, Hermione, mais plus sérieusement... Je dois te demander : Malfoy, il ne t'a jamais fait de mal, il ne t'a jamais insultée, depuis que vous vous fréquentez ?

Son visage reflétait cette fameuse inquiétude de jeune fille trop sage pour son âge.

« Jamais », assura-t-elle.

Les épaules de Lavande se décrispèrent légèrement.

« Malfoy aurait donc changé ?

- Quelque chose a changé en lui, oui. Je crois qu'il tente encore de démêler tout ce que cela implique. Je suppose qu'on peut dire que… je compte parmi ces implications.

- Je vois, fit Lavande, l'air songeuse. Et toi, as-tu changé ? »

La surprise s'empara du visage d'Hermione. Elle n'avait jamais pensé à se poser la question.

« Je n'en ai pas l'impression... Et en même temps, tout est radicalement différent pour moi maintenant. J'ai commencé cette année certaine que Draco Malfoy n'était qu'un pathétique fils à papa aux idées archaïques et détestables… certaine que j'en pinçais pour…

Hermione s'interrompit, jetant un regard hésitant vers sa camarade.

« Ron ? compléta Lavande. Tu peux être honnête.

- Ron, admit-elle. Et maintenant…

- Sacré retournement de situation, en effet. »

Les deux jeunes femmes échangèrent un sourire.

« Étrangement, la plus grande différence, celle qui m'affecte le plus profondément, qu'importe les protagonistes, c'est… l'amour.

- Que veux-tu dire ? demanda Lavande, les sourcils froncés.

- Tu vois... je dois avouer que je ne saisissais pas, au début de l'année, ton comportement envers Ron. Il me paraissait excessif. Mais je comprends désormais : l'amour n'est pas un domaine où il est facile de faire dans la modération. Pourquoi perdre une seconde loin de l'autre ? Pourquoi retenir son affection ? Pourquoi gâcher le miracle ? »

Les yeux de Lavande s'évadèrent derrière l'épaule d'Hermione, ombragés par un air de mélancolie, avant de se planter dans les siens.

« C'est vrai, acquiesça-t-elle. Mais prends garde à ne pas faire les mêmes erreurs que moi. Il m'est arrivé de mettre Ron au centre de mon univers et de vouloir le détourner entièrement du sien. Ce n'est pas sain de s'oublier dans une relation.

- C'est ce qui est arrivé entre vous ? »

Lavande soupira.

« Je pense que je donnais plus que je ne recevais et, qu'à force, je me suis habituée à ce déséquilibre. Jusqu'à rester un mois après avoir compris que Ron ne m'aimait plus.

- S'il avait eu l'honnêteté de te dire les choses clairement, au lieu de t'éviter comme un enfant aussi, grogna Hermione.

- N'est-ce pas ? », s'exclama Lavande sur un ton ironique.

Son visage s'illumina le temps d'un rire puis s'assombrit en un air plus grave.

« Non mais en vérité, reprit-elle, il a sa responsabilité et, moi, j'ai la mienne. Je voulais que ça marche entre nous, au détriment de ce qui était bon pour moi. Si je ne m'étais pas perdue de vue, je serais partie plus tôt. Il faut cultiver son amour propre pour ne pas arroser des plantes mortes. »

Ces mots résonnèrent en Hermione pendant un moment.

« Tu as raison », finit-elle par dire. « Tu as raison, et pourtant... ».

Baissant les yeux vers ses mains resserrées en deux poings, Hermione relâcha ses doigts et ouvrit ses paumes, vides et vulnérables devant Lavande. Puis elle s'engagea dans une tirade que son interlocutrice ne sut immédiatement lier au reste de la discussion.

« Je t'avais dit que j'évitais de manger du sucre, tu te souviens ? Eh bien, ce n'est pas juste parce que mes dentistes de parents m'ont rabâché toute ma vie qu'il fallait y faire attention. C'est que… je ne bois pas non plus de café ; je limite ma consommation d'alcool à l'exceptionnelle bière au beurre entre amis ou verre de vin durant les fêtes ; je ne compte tester aucune drogue, magique ou moldue. Ce que je veux dire, c'est que… je ne suis pas fan de ce qui peut me contrôler. Et je ne dis pas ça par vertu ou par snobisme, mais plutôt… par crainte d'être facilement contrôlable. »

Hermione serra ses bras autour d'elle-même, comme pour conjurer sa vulnérabilité, avant de poursuivre :

« Cela me terrifie de ne pas être absolument certaine, une fois mon corps accoutumé à un danger et mon cœur accoutumé à l'adorer, que ma volonté ferait le poids. Ce serait la défaite de l'intellect : savoir pertinemment ce qui est bon et mauvais pour soi, mais ne pas réussir à agir en fonction. »

Lavande commença à comprendre.

« C'est pourquoi je ne veux dépendre d'aucune addiction, Lavande, car… comment partir quand on veut rester ? Comment se sauver quand on aime ce qui nous ravage ? Et l'amour, c'est doux comme le sucre, énergisant comme le café, euphorisant comme l'alcool, hypnotisant comme la drogue, envoûtant comme la magie. Et ce garçon… Je ne sais pas si, le moment venu, je ne sais pas si j'arriverais… »

Lavande prit la main d'Hermione dans la sienne, sa paume interrompant le léger tremblement de doigts de la jeune femme.

« Hermione, tu es la sorcière la plus intelligente et rationnelle que je connaisse. Pourtant, tu n'es pas à Serdaigle : tu es à Gryffondor. Tu ne manques pas de courage, tu ne manques pas de force. Tu peux te faire confiance. Et compte sur moi pour te le rappeler chaque fois que tu en douteras. »

Les yeux étonnés d'Hermione scannèrent le visage de Lavande, avant de cligner pour éviter de s'embuer. Elle murmura un remerciement presque inaudible, accueilli par un sourire.

« Et puis, ajouta Lavande en haussant les épaules, il n'est pas dit que Malfoy et toi ne finissiez pas avec une poignée de bambins susceptibles de donner une crise cardiaque au beau-père. Qui sait si la plante n'est pas bel et bien vivante, luxuriante et lourde de fruits ? »

Hermione ne put retenir un éclat de rire.

« Voyons déjà si elle ne dépérit pas à force de demeurer dans l'ombre », objecta-t-elle.

Lavande leva un sourcil.

« D'ailleurs, pourquoi est-ce à moi que tu racontes tout cela ? Qu'en est-il de tes deux meilleurs amis ? Et de Ginny ? »

- C'est compliqué », grimaça Hermione, passant nerveusement une main dans ses cheveux.

Une série de coups retentit soudainement contre la porte de la salle de bain, faisant sursauter les deux étudiantes.

« C'est pas bientôt fini là-dedans ? Hurla Parvati. Ça se bécote ou quoi ? »

Lavande se mit à rire joyeusement.

« On arrive, cria-t-elle amusée. Laisse-moi juste remettre du gloss ! »

Puis elle se tourna vers Hermione, pour conclure précipitamment :

« Promets-moi une chose : n'essaie pas de tout sauver à tout prix. Ce n'est pas ton rôle de sauver Draco Malfoy. Ce n'est pas le rôle d'une relation tout court de sauver qui que ce soit. Et si jamais ce couple se révélait être une impasse, n'inonde pas une plante morte. »

Lavande approcha alors de la porte et murmura un rapide « alohomora ». La main sur la poignée, elle se retourna pour ajouter :

« Oh et Hermione, un ultime conseil : ne jamais rien cacher d'important à ses amis les plus proches. Ce sont nos garde-fous. Il n'y a que ceux qui nous connaissent qui peuvent nous protéger et nous guider quand on se perd nous-mêmes. »


C'était compliqué, avait dit Hermione. Et ça ne fit qu'empirer.

Le mois suivant, les Mangemorts envahirent Poudlard. Draco Malfoy leva sa baguette contre le directeur de l'école. Le professeur Dumbledore tomba du haut de la tour d'astronomie.

La guerre commença.

L'implacable mécanisme des alliances répartirent les individus d'un côté et de l'autre de la ligne de front. Il n'y eut plus de place pour la liberté, l'indépendance et le contrôle de sa destinée. Seuls le devoir et la survie importèrent. L'abîme redevint infranchissable entre Hermione et Draco. Le monde contre la passion.

Hermione ne prononça pas un mot quand Harry raconta que la main du garçon aux cheveux blonds avait tremblé autour de sa baguette, ne sachant pas trouver la conviction nécessaire au funeste sort impardonnable. Elle resta muette quand son ami cracha sa rage contre le professeur Rogue qui, lui, n'avait pas hésité une seconde.

« Ce traître, ce lâche, ce meurtrier », répétait Harry en boucle, submergé par la douleur d'avoir perdu un proche de plus.

Hermione ne put rien dire, sidérée par la mort du directeur de son école, par la perfidie de son professeur de potion, par l'implication de son amant.

Draco était-il un traître, lui aussi ?

Il lui avait caché sa mission, mais elle avait su qu'il en avait une. Se remémorant le temps passé à ses côtés, elle se demanda à quel moment elle avait cessé de vouloir percer ses secrets à jour. Avait-il véritablement tenté de dissimuler sa marque ou avait-elle inconsciemment évité de la regarder ?

Était-il un lâche ?

Ne l'avait-il pas toujours été ? Le premier à fuir devant la difficulté. C'était ce que son comportement au cours de leurs années d'étude donnait à penser. Hermione se demanda cependant comment le choix le plus facile qui s'était présenté à lui avait pu être celui d'orchestrer l'assassinat du plus grand sorcier de l'époque.

Un meurtrier ?

Sa mission avait été de tuer ; il l'avait échouée ; mais il avait essayé. Pendant de longs mois, il s'était préparé à cette éventualité, avait cherché à en faire une réalité. Des hommes et des femmes dangereux, avec des intentions mauvaises, avaient infiltré une école pleine d'étudiants trop jeunes – aussi jeunes que lui – par la porte qu'il avait laissée grande ouverte, non, par la porte qu'il avait forcée, après maints efforts, maints essais. Après un moineau enterré près du lac de Poudlard.

Qu'est-ce que tout ceci faisait de lui ?

Le complice d'un meurtre, sans doute.

Qu'est-ce que tout ceci faisait d'elle ?

Sans avoir lancé le sortilège, sans même avoir levé sa baguette, Hermione ne put s'empêcher de ressentir le poids d'une responsabilité dans ce décès. Et si elle avait trouvé un moyen d'arrêter tout cela ? Elle avait été si proche. Si proche.

Ravalant sa culpabilité, elle se consacra corps et âme à remporter cette guerre. Enfouissant son chagrin, elle ne dévoila rien de sa liaison avec Draco à ses amis.

C'était du passé. Elle ne le reverrait sans doute jamais. Elle ne voulait pas le revoir.

C'était du passé. Elle se surprenait simplement parfois à y penser. Elle ne voulait pas le revoir.

C'était du passé. Elle était bien trop occupée à survivre et à combattre, à protéger ses amis et à chasser les horcruxes, à gagner cette maudite guerre dont il avait été le catalyseur, pour vouloir le revoir.

Pourtant, à l'abri des regards et de son propre déni, tapi dans les tréfonds de son être et les recoins de ses rêves, l'insupportable désir de revoir l'homme qu'elle aimait persistait.

Et elle le revit, près de neuf mois après que leurs chemins aient pris des directions opposées. Les circonstances de leurs retrouvailles n'auraient pu être plus cauchemardesques.

Lorsqu'elle croisa son regard, son cœur battait à tout rompre, non pas d'amour mais de terreur, persuadée qu'elle était de voir tout prendre fin ici-même, en plein Manoir Malfoy, persuadée de bientôt mourir ici, avant ou après que Ron ne meure aussi, avant ou après que Harry ne soit dénoncé puis tué sous la baguette de Voldemort, persuadée que tout était perdu – eux, l'espoir, la guerre.

Le visage cadavérique de Draco lui renvoya l'image de son propre effroi. Il paraissait plus apeuré que jamais. Parviendrait-elle encore, plus d'un an après, à défroisser les plis de son expression, en une étreinte ou un baiser ou un roulement de bassin, pendant qu'il lui murmurerait inlassablement « tu me fais du bien, tu me fais du bien, tu me fais du bien » ? Elle en doutait : l'inquiétude était désormais si profondément gravée dans sa peau qu'il semblait être né avec.

Il avait l'air d'un homme piégé dans sa propre maison. Elle ignorait cependant comment il allait réagir à leur présence.

Les mains de son père pesaient lourdement sur ses épaules, le chargeant une nouvelle fois de la responsabilité de redorer le nom des Malfoy, de prouver leur loyauté et leur efficacité, mais Draco ne révéla pas l'identité d'Harry Potter.

Il ne reconnut pas le garçon qu'il avait harcelé pendant cinq ans. Il ne prononça pas son nom. Il resta vague. Même lorsque ses parents le pressèrent de confirmer l'identité de Ron et d'Hermione.

« Je ne sais pas. Peut-être. C'est possible. »

Hermione discerna dans cette indécision la plus petite once d'indépendance, de la taille ridicule de la marge de manœuvre dont disposait le jeune homme. C'est pourquoi, lorsque Bellatrix s'empara d'elle pour l'interroger et que Draco avança d'un pas pour intervenir, Hermione lui intima d'un coup de tête presque imperceptible de ne rien faire.

Malgré les mises en garde de Lavande, elle essayait encore de le sauver. Lui, comme Harry, comme Ron, comme l'avance stratégique que révélait l'épée de Gryffondor en leur possession. Tout sauver à tout prix.

Elle regretta à l'instant même où l'endoloris s'abattit sur elle. Elle aurait supplié Draco de faire quelque chose pour arrêter ce supplice si elle avait été capable de faire autre chose que de hurler. Elle aurait tout donné, tout, pour que la douleur cesse. Elle aurait préféré mourir ici-même, sur le parquet ciré du Manoir des Malfoy.

Le sortilège enfin terminé, tout regret s'envola.

Étendue au sol, épuisée et meurtrie, Hermione peina à comprendre ce qui se déroulait autour d'elle. Les voix de Harry et de Ron parvinrent jusqu'à ses oreilles. Le soulagement de les savoir vivants et sur le point de reprendre le dessus sur la situation se fraya un chemin dans sa confusion. Mais on la souleva du sol et on la menaça d'un couteau sous la gorge. Le ricanement de Bellatrix l'assourdissait. Puis Hermione se sentit glisser par terre, brusquement lâchée, tandis qu'un lustre s'effondra sur elle. Une tête rousse apparut brièvement dans son champ de vision, avant que ses paupières ne se referment. « Hermione, ça va aller, Hermione, reste avec moi, Hermione, je suis là », répétait la voix sanglotante de Ron. Le fracas d'un combat résonnait au loin. Entendait-elle Dobby ? Sa tête tournait. « Ron, partez ! », s'écria quelqu'un. Harry, elle reconnaissait Harry. Les bras forts de Ron maintinrent debout son corps brisé. « Hermione, c'est fini, Hermione, on s'en va, Hermione, tout ira bien », poursuivait-t-il. Elle aurait voulu lui dire de le prendre avec eux, de le sortir d'ici, de le capturer. Draco. Mais elle était trop faible et elle se sentait déjà aspirée par le tourbillon du transplanage et elle perdit connaissance en touchant la terre ferme.

Lorsqu'elle se réveilla, alitée dans une chambre de la Chaumière aux Coquillages, elle pleura longuement, déversant tout le malheur d'apprendre la mort de Dobby, toute la terreur ressentie entre les mains de Bellatrix, toute l'horreur et la douleur provoquées par cette guerre.

Une fois ses yeux asséchés, elle se concentra de nouveau sur son rôle dans le conflit.

Et la bataille de Poudlard arriva enfin.

Ron et Hermione venaient de détruire la coupe de Helga Poufsouffle ; Harry venait de trouver la localisation du diadème de Rowena Serdaigle. Tous trois se rendirent donc dans la Salle sur Demande, qui prit l'apparence d'un vaste débarras millénaire. « Séparons-nous », conseilla Harry. Chacun emprunta un chemin différent, sinuant entre les piles d'affaires abandonnées, qui touchaient presque le plafond.

Hermione balaya du regard les objets insolites autour d'elle, quand elle sentit une présence dans son dos. En un éclair, elle se retourna, la baguette pointée sur un visage familier. Elle avait espéré ne pas le croiser, de peur d'avoir à le combattre. Mais Draco se tenait devant elle, les mains levées en l'air.

« Que fais-tu là ?, souffla-t-elle.

- Tu dois partir, Hermione, commanda-t-il d'une voix fébrile. Tant que tu le peux encore. C'est trop dangereux. »

Son visage, son beau visage, était contorsionné en une expression suppliante; son corps, le corps qu'elle avait appris à aimer, était raidi par l'urgence. Il lui tendit une main pressante, mue par le besoin impérieux de l'arracher à la fureur et au bruit, de l'emporter loin, très loin, là où ni lui ni elle ne se souviendrait de leurs noms, là où Hermione Granger et Draco Malfoy pourraient marcher côte à côte sans frôler l'oxymore. Sans doute avait-elle rêvé mille fois, dans les inavouables minutes qui précèdaient le sommeil, de s'enfuir main dans la main avec un prince charmant. L'opportunité désormais devant elle, la saveur du fantasme, douce dans ses songes, devint amère.

« Je dois me battre », répondit-elle.

Il avança d'un pas ; elle resta figée.

« Tu ne sais pas à qui tu as affaire, insista-t-il. Tu n'as pas idée de ce que je les ai vu faire, de ce qu'ils veulent te faire. »

Elle sourit tristement.

« Tu penses que je ne le sais pas depuis sept ans ? »

Il grimaça.

« Je ne peux pas autoriser qu'ils te fassent davantage du mal. »

Le souvenir de leur derrière rencontre assombrirent leurs regards. Un frisson parcourut l'échine d'Hermione.

Draco avança d'un pas de plus, à quelques centimètres de sa baguette.

« Il n'y a qu'une seule façon d'éviter ça, dit-elle, c'est pour nous de gagner cette guerre. Laisse-moi jouer mon rôle dedans. Et toi, trouves un moyen de rester en vie. Je… je te promets que je viendrais te retrouver quand tout sera fini. »

Ils ne détachèrent pas leur regard l'un de l'autre. La baguette d'Hermione trembla entre leurs deux corps. Tandis qu'elle l'abaissait à ses côtés, elle leva doucement son autre main, jusqu'à caresser la joue du jeune homme. À son contact, il ferma les yeux, un soupir s'échappant de ses lèvres. Puis Draco superposa, sur la main d'Hermione, la sienne; la main d'Hermione qu'il porta ensuite délicatement jusqu'à sa bouche pour en embrasser la paume, les doigts, le dos.

L'écroulement d'une pile d'objets non loin derrière eux les fit sursauter. Leurs mains se lâchèrent. Quatre voix approchèrent, lançant sortilèges après sortilèges.

« Harry, Ron ! », s'écria Hermione, en brandissant de nouveau sa baguette.

«Gregory, Vincent ? », s'interrogea Draco, en sortant la sienne.

Hermione recula d'un pas.

« Tu les as amenés ici ?, demanda-t-elle surprise.

- Ils ont dû me suivre. Ils cherchent Potter. »

Hermione accourut vers Harry, déjouant un sort prêt à s'abattre sur lui, tandis que Draco s'interposa devant Goyle, en lui criant : « Ne le tuez pas ! Le Seigneur des Ténèbres le veut vivant ! ». Elle en profita pour stupéfier le Serpentard par surprise, dont le corps paralysé tomba dans les bras du blond. Cela laissa le champ libre à Harry pour s'élancer vers un amoncellement d'objets où se trouvait le diadème.

Son attention, comme celle de Hermione et de Draco, fut cependant rapidement attirée par une vision étrange. Ron et Crabbe surgirent d'une allée, courant côte à côte, à bout de souffle – deux ennemis coursés par une plus grande menace : un monstre de flammes qui dévastait tout sur son passage.

« Courrez ! », hurla Ron.

Avant que Hermione n'eut le temps de réfléchir, Harry l'attrapa par le bras et la tira dans une allée. Dans leur course effrénée, ils tentèrent tous les sortilèges imaginables pour contrer la bête enflammée à leurs trousses. En vain. Ron apparut soudainement au dessus de leurs têtes, volant sur un balai. En lançant un autre à Harry, il fit monter Hermione derrière lui, avant de s'élever dans les airs. La Salle sur Demande s'embrasait à leurs pieds ; le feu maléfique réduisait tout en poussières.

« On ne peut pas les laisser mourir ici ! », cria Hermione, en cherchant du regard une tête blonde.

Avant que Ron ne puisse objecter quoi que ce soit, le balai de Harry fit demi-tour. Le rouquin le suivit en marmonnant des insultes. Les bras cramponnés autour de la taille de son ami, Hermione pria, pria qu'ils sortent tous d'ici vivants.

Et ils y parvinrent, recrachés par la bouche infernale de la Salle sur Demande, s'écrasant lourdement au sol parmi une multitude d'objets incinérés.

Enfin, ils ne s'en sortirent pas tous.

« Crabbe », balbutia Draco, étendu face contre terre aux côtés de Goyle, les cheveux noircis de suie.

Ses yeux écarquillés fixèrent le mur qui venait de se refermer derrière eux puis vinrent se planter dans ceux d'Hermione. Elle ne lâcha son regard que lorsque le sol trembla sous l'effet d'une explosion.

La bataille faisait rage. Des Mangemorts masqués contre des étudiants en uniformes. Il n'y avait pas une seconde à perdre. Harry, Ron et elle s'engouffrèrent tête baissée dans un tourbillon de détonations et de sortilèges, de hurlements et de sanglots, de blessés et de tués. Il fallait se concentrer. Malgré Fred. Il fallait se débarrasser du serpent. Malgré l'envie de vengeance. Il fallait garder son sang froid. Malgré les cadavres d'élèves gisant au sol. Tout s'effondrait autour d'eux mais ça ne pouvait pas être pour rien.

Parmi les jets de lumière et les volutes de fumée, Hermione aperçut le corps de Lavande, étendu au sol, surplombé par un homme-loup. Les genoux de l'assaillant écrasaient les cuisses de la jeune femme, ses griffes tiraient ses cheveux dorés, ses crocs s'enfonçaient dans son cou. Fenrir Greyback la ravageait.

« NON ! », hurla Hermione.

D'un coup de baguette, elle projeta violemment en arrière le loup-garou, qui s'écrasa contre la rampe d'escalier derrière lui. La professeure Trelawney l'acheva ensuite à coup de boules de cristal.

Il n'y eut pas le temps d'aller s'assurer que Lavande vivait encore. Ni quiconque autour d'eux.

Il fallait avancer. Il fallait continuer. Il fallait accompagner Harry.

Tout devait finir ce soir. Tout ce qui avait commencé il y a sept ans, ou plutôt il y a dix-sept ans, ou il y a bien plus longtemps encore, quand ni Harry, ni Ron, ni Hermione, ni Draco, ni aucun d'entre eux n'étaient encore nés - pourtant déjà voués à être emportés dans l'engrenage de la guerre précédente. Ce devait être la dernière ligne droite avant la fin.

Ce furent les instants les plus longs de la vie de Hermione. L'attente interminable avant d'enfin savoir de qui c'était la fin.

Lorsque Harry Potter revint dans les bras de Hagrid, mort, Hermione s'effondra.

Lorsque Harry Potter se tint debout parmi eux, vivant, Hermione se sentit revivre à son tour.

Et quand ce fut la fin de Voldemort, elle en revint à peine. Elle serra fort dans ses bras Harry et Ron, Ginny et George, Molly et Arthur, Neville et Luna, et tous les proches qu'elle put trouver.

Dans les décombres du château, elle chercha du regard un jeune homme à la chevelure blonde platine, priant pour qu'elle puisse le sentir, lui aussi, chaud et vivant dans ses bras. Mais elle ne le trouva pas.


Les semaines qui suivirent la bataille finale furent emplies de visites au chevet des blessés et de funérailles, de mise à l'honneur des gagnants et de mises en garde à vue des perdants.

Ce jour-là, la Gazette du Sorcier annonçait la détention provisoire de la famille Malfoy – père, mère et fils – dans le cadre d'une large enquête sur les crimes de guerre commis par les fidèles de Voldemort. Le ministère de la Magie souhaitait orchestrer au plus vite un procès exemplaire pour rétablir l'ordre au sein de la communauté des sorciers. Ou plutôt, pour restaurer sa propre légitimité institutionnelle, songea Hermione.

Soupirant, elle replia la feuille de journal et jeta un coup d'œil à sa montre. L'heure des visites était arrivée. Hermione entra dans l'une des chambres de l'hôpital Sainte Mangouste, s'installa sur le tabouret disposé près du lit et demanda à la patiente dont elle avait pris la main :

« Comment te sens-tu, Lavande ? »

Une balafre parcourait le visage de la jeune femme, de sa joue jusqu'à ses lèvres, sans pour autant l'empêcher de sourire tristement devant l'écho d'un passé qui semblait désormais si lointain.

« Ravie d'être en vie, répondit-elle d'une voix terne. D'autres n'ont pas eu cette chance. Ou ne l'auront bientôt plus. »

Lavande lança un coup d'œil aux deux patients inconscients qui occupaient les lits près du sien, tandis que Hermione pressa sa main en guise de soutien.

« Ça n'a pas à t'empêcher d'exprimer ce que tu ressens. Ça n'a pas à te faire culpabiliser, si être vivante reste difficile actuellement », affirma Hermione.

Les yeux bleus de la jeune femme se posèrent sur son visage.

Après un moment de silence, Lavande soupira.

Elle admit que c'était difficile, difficile de gérer le soulagement de la victoire et la peine de ce qu'elle avait coûté, difficile de profiter de la paix quand la guerre était encore si vive, dans son esprit et dans sa chair.

Elle expliqua qu'elle cauchemardait toutes les nuits de son assaillant, qu'elle sentait encore ses mains envahir son corps et ses dents s'enfoncer dans sa peau, qu'elle l'entendait encore murmurer des obscénités à son oreille.

Elle avait beau le savoir mort, mort, mort, avoua-t-elle, il lui arrivait de paniquer à l'idée qu'il ne revienne lui faire du mal, qu'il la réduise de nouveau à cette position de détresse et d'impuissance extrêmes dont elle n'était parvenue à se soustraire, clouée au sol sous son poids, s'étouffant dans son odeur fétide et dans sa propre frayeur.

Elle déclara qu'elle détestait qu'il ne se soit contenté de la combattre mais qu'à la place, il ait cherché à la changer, pour que quelque chose de lui reste à jamais en elle, pour que rien, rien, ne pût être pareil avant et après lui.

« Je le déteste, dit Lavande en portant une main à son cou bandé. Mais je ne peux pas permettre qu'un homme, horrible et puant qui-plus-est, me hante d'outre-tombe. Je ne peux pas permettre qu'il l'emporte. »

Hermione acquiesça, se penchant sur le côté pour attraper son sac d'une main, sans pour autant lâcher Lavande de l'autre.

« À ce sujet, je t'ai apporté quelques livres pour t'aider avant que la prochaine pleine lune n'arrive », fit Hermione, en déposant des ouvrages sur le lit.

En silence, Lavande lut un à un les titres sur la lycanthropie.

« Le frère de Ron, Bill, même s'il ne se transforme pas, pourrait aussi te conseiller, reprit-elle. Je sais qu'il avait bénéficié de l'expérience de Ré... de Rémus. »

Hermione grimaça devant son hésitation. Elle n'aimait pas buter sur le prénom des morts ; elle voulait qu'on porte leur souvenir et leur héritage avec assurance. Mais la douleur de la perte ôtait parfois le souffle nécessaire à la prononciation de simples syllabes.

« Merci pour ton aide, dit Lavande. Et pour… être intervenue le jour de la bataille. J'ai entendu ta voix avant qu'il ne disparaisse.

- Remercie surtout la professeure Trelawney. Elle s'est débarrassé de lui avec une boule de cristal.

- Une boule de cristal ?, demanda-t-elle, abasourdie.

- Eh oui. Je vous dois un sacré mea culpa, à elle et toi : la divination a finalement une utilité pratique indéniable. »

Lavande éclata de rire, timidement rejointe par Hermione.

La porte de la chambre s'ouvrit soudain à la volée, une voix s'élevant dans la pièce – « Je n'ai pas trouvé le gilet que tu voulais mais je t'en ai apporté un tout aussi... » – avant de s'interrompre, en même temps que les mouvements de sa détentrice. Paraissant en bonne santé, à l'exception d'un bandage autour de son bras gauche, Parvati Pati se figea sur le seuil de la porte, ses yeux passant en revue les mines rieuses de Hermione et de Lavande, puis leurs mains enlacées l'une dans l'autre.

Un silence que ne comprit pas Hermione s'installa dans la pièce.

« Bonjour Parvati », fit-elle pour briser la gêne apparente.

La concernée marmonna une salutation en retour, sans rompre le contact visuel avec Lavande. Hermione sentit alors la main de l'alitée se défaire de la sienne pour s'élever vers leur camarade.

« Parvati, viens-là, voyons », dit-elle d'une voix douce, l'intimant à s'approcher d'un geste.

La jeune femme obéit, venant s'asseoir à côté d'elle à même le lit, à l'opposé d'Hermione. Son regard resta résolument fixé sur la patiente. Lavande encadra alors délicatement le visage de Parvati de ses deux mains, avant de l'approcher du sien pour embrasser ses lèvres.

« Que t'imaginais-tu donc, demanda Lavande à Parvati après le baiser.

- Des bêtises, rien que des bêtises », répondit-elle en la prenant dans ses bras.

Rougissante, Hermione racla sa gorge.

« Je vais vous laisser tranquilles, je ne voulais pas déranger, déclara-t-elle précipitamment.

- Oh non, reste, lança Parvati, embarrassée. Excuse ma grossièreté. Je suis ravie que tu sois là !

- Hermione a apporté des livres pour m'aider, regarde, dit Lavande en lui tendant un ouvrage.

- Oh, c'est très gentil, fit la brunette émue, comme si la question l'affectait directement.

- C'est le moins que je puisse faire, répondit Hermione en souriant.

- Écoutez, je vais nous chercher un thé à toutes les trois. Je vous laisse discuter en attendant, proclama Parvati. Tiens Lavande, enfile ce gilet, tu auras moins froid. »

Une fois la porte de la chambre refermée derrière elle, Hermione se tourna vers Lavande.

« Donc Parvati et toi ? »

Lavande hocha de la tête.

« Vous avez l'air heureuses.

- Nous le sommes, oui.

- Je suis ravie pour vous », dit Hermione en souriant.

Enfilant le gilet que lui avait apporté Parvati, Lavande sembla peser le pour et le contre avant de formuler sa question :

« Et Draco et toi ? »

La concernée se crispa sous l'œil attentif de Lavande.

« Toujours compliqué, à ce que je vois. »

Hermione soupira.

« Pour la faire courte, les trois dernières interactions que j'ai eues avec lui comprennent une visite forcée dans la maison de sa famille, où j'ai été tor... torturée par sa tante, et des retrouvailles en plein champ de bataille qui se sont soldées par la mort d'un ami à lui. »

- Oh », répondit Lavande, avec un air horrifié.

Hermione quitta le tabouret où elle était assise pour déambuler dans la chambre, portant son attention sur ses deux autres occupants. Ressentant le besoin de regarder ailleurs, elle regarda la réalité en face.

« Et qu'en est-il de... de votre troisième interaction ?

- Après la bataille de Poudlard, je lui ai écrit une lettre, expliqua Hermione calmement. Pour lui dire qu'il n'était plus un secret pour les personnes les plus proches de moi. Pour lui faire savoir que j'étais prête à tenir ma promesse, celle de venir le retrouver une fois la guerre finie. »

Hermione se tut un instant. Une pâquerette fanée reposait sur le drap d'une patiente, déposée soigneusement près de sa main inerte.

« J'ai reçu sa réponse hier. »

Hermione remarqua qu'il n'y avait aucun signe de visite aux côtés du troisième patient. Un jeune homme aux cheveux broussailleux, dont le torse était recouvert de bandages.

« Dans sa lettre, il écrit que la guerre n'est pas terminée pour lui. Que je mérite mieux qu'un ex-Mangemort qui risque de passer les cinq à dix prochaines années de sa vie en prison. Qu'il préfère me savoir heureuse sans lui plutôt que malheureuse à l'attendre. »

Se retournant vers Lavande, Hermione la vit froncer les sourcils.

« Mais les procès n'ont pas encore commencé, objecta-t-elle. Peut-être a-t-il encore une chance de ne pas être... »

Lavande s'interrompit. Sans doute se rendait-elle compte qu'elle ignorait, en définitive, si Draco Malfoy avait commis des actes qui justifiaient qu'il soit condamné. Sans doute le savait-il mieux qu'elle. S'il se révélait coupable, il était probablement souhaitable qu'il n'ait pas « la chance » d'échapper à une peine, quoique Hermione puisse ressentir pour lui.

« Et c'est quoi ces manières, reprit Lavande pour dissiper son malaise, de rompre par correspondance ? »

Hermione n'en révéla rien à la jeune femme, mais elle comprenait l'impossibilité de faire autrement. Comment partir quand on veut rester ? Sûrement pas en se présentant devant la personne aimée. Car en quel lieu de nos corps reposait l'amour ? Il devait bien être quelque part en nous, comme un sixième sens, puisqu'il s'éveillait au simple son de la voix, à la simple vue de l'autre. À la moindre intimité, à la moindre main posée sur une joue, ça hurlait de faim, ça s'arrachait les cheveux de manque, ça tambourinait frénétiquement à la porte du dealer, pour une petite dose, une de plus, une toute dernière. Après des mois et des mois de séparation, de déni et d'oubli, il avait suffit que Draco se tienne devant Hermione dans la Salle sur Demande pour qu'elle sente que ça continuait d'attendre en elle, que ça continuait de désirer et de se projeter.

Devant le silence de son interlocutrice, Lavande reprit :

« Tu lui as répondu ? »

Hermione fit non de la tête.

Elle expliqua qu'elle n'y parvenait pas, par crainte de ce qu'elle aurait à dire. Parce qu'à la vérité, si elle était honnête avec elle-même, elle se sentait au bord du précipice, sur le point de le supplier qu'ils se revoient, malgré l'abîme qui les séparait encore. Elle craignait que seuls les murs d'une prison puissent la maintenir éloignée de lui. Elle craignait même d'être capable d'attendre cinq, dix ou vingt ans s'il le fallait.

Et n'était-ce pas complètement fou ? N'était-ce pas terrifiant ?

« Comment retenir sa propre affection ? Comment rester loin de l'autre ? Comment mettre fin au miracle pour ne pas gâcher sa vie avec ? », conclut Hermione.

Et Lavande prit la décision de ne pas dire un mot au sujet de Draco Malfoy ni de leur relation ni de la situation, mais elle se mit à parler de « Hermione putain de Granger », la sorcière la plus brillante de son âge, l'héroïne d'une guerre qui avait pris les gens nés comme elles pour prétexte, la combattante qui avait interrompu le calvaire que Greyback lui avait fait enduré, puis elle enchaîna sur tout ce qu'Hermione avait pu dire ou faire de marquant - d'irritant et de puérile, de prodigieux et d'admirable - au cours des six années scolaires passées à ses côtés, mentionnant que Harry ou Ron ou Ginny auraient sans doute plus d'anecdotes encore à raconter, notamment sur son implication dans la guerre remportée, et elle poursuivit en affirmant que la reconstruction de la communauté sorcière britannique et les rouages du pouvoir en général avaient besoin de femmes comme elle, pas de ces hommes obnubilés par des notions abracadabrantesques et dangereuses comme l'immortalité ou la domination, et qu'elle espérait donc lire ses exploits partout dans la presse durant les années à venir, et elle lui demanda, en attendant, de lui raconter tout ce qu'elle savait sur les loup-garous et de lui conseiller un roman bien écrit pour se distraire la nuit, et lorsque Parvati arriva, les mains encombrées de trois tasses fumantes, Lavande enjoignit Hermione à se réchauffer le cœur avec l'une d'elle.

Alors Hermione porta la tasse à ses lèvres, but une gorgée de thé et répondit aux questions de Lavande, s'entraînant à redevenir pleine et entière loin des bras de l'amour.


Note de l'autrice : Merci beaucoup d'avoir lu ! N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé.

Sinon, oui, je valide à fond le headcanon voulant que Lavande ait survécu à la guerre et que la morsure de Greyback l'ait transformée en loup-garou. À quand le One shot sur une Lavande bébé louve-garou féministe sur fond de romance avec Parvati hahaha

La bibliothèque de Lavande :

Romeo and Juliet, William Shakespeare, 1597, Acte I, scène 5: "My only love sprung from my only hate" (Mon unique amour émane de mon unique haine), Juliette.

Maria or The Wrongs of Woman, Mary Wollstonecraft, 1792.

Pride and Prejudice (Orgueil et Préjugés), Jane Austen, 1813.

A Room of One's Own (Une chambre à soi), Virginia Woolf, 1929.

The Beauty Myth (Quand la beauté fait mal), Naomi Wolf, 1990.

Update 24/05/21 :

Puisque je ne peux t'écrire directement, petite réponse à Eilil, si jamais tu passes par là : Merci beaucoup pour ta review ! Et oui, j'aurais aussi aimé voir Draco et Hermione finir ensemble, mais il faut parfois raconter les amours impossibles et la difficulté de s'en remettre. Promis, il y aura d'autres fics pour un happy end dramonien :)

Et à Carlita : Merci beaucoup pour ces gentils mots !

Encore un grand merci à P'tite Kissy, à Commentaire sauvage, à MissMalefoy76, à Dj19, à Jules des Bois et à Lucielct pour vos adorables reviews ! Et merci aussi à ceux qui ont mis cet OS dans leurs favoris *snif*